Bizerte et son nouveau port
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Une histoire : Bizerte et la France
La Tunisie et la Grande Guerre
La Tunisie au gré des conflits
Ch. Maumemé
Attaché au Service géographique de l’armée
Bizerte et son nouveau port
In: Annales de Géographie. 1895, t. 4, n°17. pp. 464-479.
doi : 10.3406/geo.1895.5729
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1895_num_4_17_5729
Ch. Maumemé à travers ce récit fait une éloge sur la région de Bizerte, avant la période du protectorat. Bizerte et son lac n’évoqueront que des projets de guerre… Bizerte, aux sites pittoresques… devient aux yeux du monde, un site stratégique… de guerre… Je vous laisse le plaisir d’imaginer Bizerte vers les années 1890… si vous la connaissez aujourd’hui … vous penserez certainement comme moi… elle aurait du rester un site naturel. Ce récit est le début de l’implication de Bizerte, de la Tunisie, au sein de conflits qui ne la ou les concernaient pas … que nous aurons l’occasion d’évoquer à travers d’autres documents, articles, récits. Hayet
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Au moment où les grands travaux commencés à Bizerte il y a neuf ans sont terminés ou le port vient être ouvert aux navires et la ville jointe Tunis par une voie ferrée peut-être est-il pas sans intérêt étudier Bizerte à son double point de vue de port de guerre et de débouché commercial du Nord de la Tunisie de fixer la physionomie avait celte ville tunisienne lorsque nous sommes arrivés physionomie qui efface de jour en jour examiner aussi dans leurs détails les travaux qu’ils feront effectués, la Compagnie du Port et qui en feront à bref délai la place la plus considérable de la côte Afrique
Un coup d’œil sur la carte de la Méditerrannée et la valeur de cette position nous frappera immédiatement : Bizerte est située à l’issue d’une des très rares échancrures qui entaillant la falaise barbaresque permettent de pénétrer facilement dans l’intérieur de la Tunisie
Au contraire sur tout autre point de cette inhospitalière côte du Nord escarpée et battue de la mer on se trouve dés abord en face de massifs montagneux hérissés de rochers et coupés de ravins et où les populations indigènes sont encore à l’heure actuelle presque étrangères les unes aux autres par suite des difficultés de communications
Une large dépression dont le lac de Bizerte et le lac Achkel, (Garaat Achkel) occupent l’embouchure, s’étend jusqu’au Sud de Mateur prolongée encore par la fertile vallée de Oued Tine.
De Mateur vers le Sud-Ouest des pentes douces s’élèvent jusqu’au plateau de Beja ; on arrive ainsi sans avoir eu à franchir d’obstacles naturels la vallée moyenne de la Medjerdah et les deux territoires que l’on traversés sont les plus riches du Nord de la Tunisie, riches en fourrages en céréales et en troupeaux
D’autre part la petite vallée de Oued Chaïr affluent de l’Oued Joumine ouvre un passage facile au milieu des collines et met ainsi en communication à Mateur avec la basse vallée de la Medjerdah
C’est du reste cette trouée que suit la voie ferrée Tunis-Bizerte tout récemment inaugurée
Le lac de Bizerte et le cirque d’embouchure de la Medjerdah forment deux vastes dépressions séparées l’une de l’autre par un petit seuil montagneux très peu épais et dont altitude atteint à peine 57 mètres au col d’AÏN Rhelal
Elles déterminent entre elles la longue île d’el Alia qui se bifurque sur Ras Zebid et Porto Farina tandis qu’une langue de dunes et d’atterrissements se prolongent en face de Bizerte limitant le lac au Nord et ne laissant qu’un mince chenal d’écoulement de ses eaux
Toute cette île est couverte de cultures travaillée par les Maures andalous dont elle fut jadis le centre de cantonnement, elle est jalonnée de gais villages dont les maisons blanches s’étagent au-dessus de forêts d’oliviers dévalant vers la mer : Metline longue agglomération serpentine de maisons communiquant ensemble sans autre rue qu’un ravin qui la contourne. Ras el Djebel dont les minarets effilés s’aperçoivent de loin alternant dans air avec les têtes épanouies des palmiers. Rafraf dont les coteaux couverts de vignes produisent les raisins les plus estimés de toute la Tunisie
Les descendants des Andalous habiles cultivateurs ? entretiennent de ravissants jardins abrités du vent où le soleil mûrit en abondance des fruits délicieux et superbes oranges, mandarines, citrons grenades, abricots, pommes, figues et raisins
Il faut considérer que Bizerte met les côtes de France à 6 heures de moins que Tunis et que les arrivages de primeurs en seront d’autant facilités.
Tout ce ravissant coin de terre de la presqu’ île de Porto-Farina qui malgré sa fécondité a été jusqu’à présent un des plus délaissés de la Tunisie, trouvera à Bizerte son débouché naturel lorsque les
services de paquebots devenus plus fréquents par sulte de l’ouverture du port et les chargements à quai permettront l’ exportation régulière et rapide de toute cette production en partie inutilisée
Je n’ai pas parlé de la région même de Bizerte où la colonisation est déjà portée et où un seul domaine atteint environ 10000 hectares1
Des cultures de toutes sortes y sont faites par les indigènes des bois d’oliviers couvrent les collines et bordant le lac, mirent leurs frondaisons dans ses eaux bleues oasis lumineuses au milieu desquelles brillent sous le soleil les maisons blanches de Zarzouna de Menzel Abderrahman ou de Menzel Djemil
Bizerte possède en outre aux portes de la ville une source d’immenses richesses :c’ est la pêche de son lac colossal vivier où les poissons peuvent se reproduire en toute sécurité étant jamais inquiétés tant qu’ ils restent dans ce réservoir naturel.
D’ innombrables familles de daurades et de mulets de soles et anguilles de turbots et de rougets vivent dans ses eaux et pourraient y atteindre la vieillesse enviée des carpes de Fontainebleau si leur humeur inquiète ne les poussait à la mort
Ces poissons que des profanes pourraient juger placides et sédentaires sont tout au contraire de tempérament fort nomade et certaines époques de l’année leur goût pour les voyages se traduit par des migrations en masses. Chaque espèce a sa date de départ , à peu près invariable et ce terme arrivé se dirige en escadrons serrés vers la sortie du lac pour gagner la mer. Les pêcheurs connaissant cette loi naturelle à laquelle obéissent les poissons, se sont et cela parait-il depuis la plus haute antiquité servis de cette observation pour les capturer . Le procédé qu’ ils emploient à Bizerte est assez curieux et mériterait être décrit tout au long mais le récit d’une de ces pêches vraiment miraculeuses ne rentre pas dans le cadre de cette élude ; contentons-nous d’en indiquer à grands traits le principe et à en constater les résultats utiles à connaître au point de vue commercial
A la sortie du premier goulet par lequel le lac épanche dans la mer immenses barrages sont dressés d’un bord à l’autre. Ces barrages construits d’une façon particulière portent le nom de hordigues
Un vieux pêcheur posté non loin de ces barrages est chargé de surveiller en permanence les manoeuvres des habitants da lac.
Ce raïs ou capitaine des pêcheurs est un homme d’expérience et de vue perçante qui sait en outre à peu d’écart près à quel moment de la lune passe la daurade, par quels courants se montre le mulet, quel temps choisira la brème
Lorsqu’il voit les familles se grouper pour quitter leurs demeures, il fait un signal et aussitôt accourent tous les pêcheurs de la ville. Les filets sont tendus et une immense battue s’exécute au cours de laquelle on prend en moyenne, 10 à 12 000 poisons.
Dans L’année on compte treize pêches correspondant treize passages différents .
D’après la statistique officielle de la Compagnie du Port , la pêche par les barques et dans les réservoirs du 1er janvier au 31 décembre 1892 se chiffre par la quantité de 305200 poissons pesant ensemble 365395 kilos
Les chiffres donnés par le Service de la navigation et des ports sont plus élevés encore et accusent une moyenne de 500 000kilos
Cela représente approximativement 750000 piastres soit 430000 francs
Encore faut-il compter une perte énorme par suite des difficultés de transport du poisson
En effet la ville de Bizerte consomme à peine un vingtième de la pêche le reste est expédié à Tunis (70 kilomètres) et ce transport se faisait jusqu’à présent à dos de mulets
On peut se figurer quel doit être le déchet pendant les mois d’été avec une température moyenne de 30° de chaleur
Jusqu’en 1890 la pêche du lac fut affermée par l’état tunisien des adjudicataires qui moyennant une redevance environ 270000 piastres en devenaient fermiers pendant trois années consécutives ; cette adjudication comprenait en même temps la pêche en mer dans les eaux de Bizerte et dans celles de Porto-Farina
En 1890 par le traité passé entre la Direction des travaux publics tunisiens et MM Hersent-Gouvreux la pêcherie du lac fut attribuée à la Compagnie concessionnaire du port de Bizerte
Les pêcheries se trouvèrent ainsi pendant un moment menacées de destruction car la lagune sur laquelle était leur emplacement devait d’une part être coupée pour le passage du chenal et d’autre part recevoir les déblais provenant des dragages pour former l’assiette de la ville future
On ne pouvait faire abandon en pure perte des revenus considérables de ces pêcheries ; aussi seront-elles reportées en arrière au delà de la pointe de Cebra
Un grand barrage en filets de fer sera tendu d’une rive à l’autre ne laissant en son milieu qu’une portière mobile de 35 mètres de long pour assurer le passage des vaisseaux
Quant au mode de pêche des essais d’un nouveau genre ont été faits et tout porte à croire que cette industrie entre les mains d’une compagnie riche et intelligente se perfectionnera et donnera un rendement supérieur encore à celui que les Arabes peu soucieux du progrès en tiraient jusqu’à présent
Ne quittons point les parages du lac sans parler un phénomène physique observé déjà par les anciens décrit par Pline le Jeune et par Ptolémée et ont dû pour leurs travaux étudier de très près les ingénieurs de la Compagnie du Port ; ce sont les courants alternatifs et en sens inverses qui animent le lac.Tantôt les eaux de la mer entrent dans le lac et tantôt ce sont les eaux du lac qui se déversent à la mer avec un courant très rapide. Ce phénomène est extrêmement complexe indépendamment des marées qui agissent sur lui d’une façon régulière ; il est régi bien plus puissamment par deux influences essentiellement variables : les vents et la quantité de pluie tombée dans le bassin de réception du lac Ces deux forces en outre se combinent ou se combattent suivant les cas
Les vents dominants pendant l’hiver sont ceux de l’Ouest or on a observé d’une façon générale que par ces vents ce sont les eaux de la mer qui entrent dans le lac pourtant il arrive souvent que par ces mêmes vents les eaux du lac sortent avec une grande rapidité. C’ est alors le réservoir principal d’alimentation du lac qui est la Garaat Achkel est en trop-plein par suite des apports considérables que lui font après les hivers pluvieux ; les innombrables torrents qu’il reçoit et dont l’Oued Sedjenan l’Oued Tine et l’Oued Joumin sont les plus importants
Je pense donc qu’on arrivera point à préciser dans quelles limites peuvent varier et ces courants et leurs différentes vitesses arrivées dans le canal à certaines époques de l’année
On parviendra certainement à amoindrir leur rapidité et empêcher de gêner en quoi que ce soit la circulation dans le canal mais ces courants de vitesses variables et les ensablements dont ils sont certainement une des causes seront les obstacles avec lesquels le port de Bizerte aura le plus à compter dans l’avenir
A l’époque où la France s’y installa, Bizerte avait de valeur au point de vue purement pittoresque Adossée des collines boiséesd’oliviers, entourée de murs à créneaux allongée vers la mer dont a séparait seulement un liséré de sables d’or était l’une des plus jolies cités orientales qu’on pût voir Deux larges canaux coulant au ras des maisons blanches traversaient la ville reflétant dans leurs eaux bleues les minarets ajourés et balançant doucement les mahonnes amarrées aux quais demi écroulés ; par-dessus ces canaux, de petits ponts d’un seul arceau, réunissaient le quartier insulaire au quartier continental : celui-ci renfermait les souks , les cafés arabes et au sommet la Kasbah dominant la mer et la ville de ses hautes murailles étagées formidables jadis, aujourd’hui simplement décoratives
Bizerte méritait encore à ce moment le surnom de Venise d’ Afrique car c’est au Rialto et au Pont des Soupirs que faisaient penser ces canaux enjambés par des ponts en dos d’âne et les ruelles tortueuses se ramifiant à l’infini.
C’était à la vérité une Venise plus petite sans grands monuments mais possédant de la lumière bleue dans son ciel et dans ses eaux claires de l’air sur ses terrasses, de la gaieté dans ses groupes d’Arabes et dans son petit port rempli de barques, et une certaine grandeur sévère dans ses longues rues voûtées pleines d’ombre fraîche et de silence
Mais telle qu’elle était alors Bizerte avait aucune valeur ni commerciale ni militaire
L’ importance considérable que cette ville est appelée à prendre ne pouvait lui venir qu’autant elle serait aux mains d’une puissance civilisée capable d’aménager son lac intérieur pour la création d’un vaste port
Ce lac d’une superficie de 30000 hectares possède sur une étendue de plus de 6000 des fonds d’une dizaine de mètres il est en- outre entouré d’une enceinte de collines qui le dérobent aux vues du large et en même temps abritent des vents
C’ est une rade fermée assez spacieuse pour que les escadres réunies du monde entier puis y évoluer à l’aise
Mais il en fallait de beaucoup que ce lac fût immédiatement utilisable et que Bizerte pût même être un petit port de commerce
Des obstacles considérables s’y opposaient : le lac en effet ne se déversait dans la mer que par un canal étroit : le chenal large de plus de huit cents mètres sur un parcours de sept kilomètres et ayant en cette première partie des allures de fleuve tropical se rétrécissait tout à coup barré par la ligne de dunes côtières et dans cet étranglement, les fonds sur plus d’1 kilomètre de longueur atteignaient même pas 2 mètres
La partie de ce canal qui à l »Est de la ville servait de port Bizerte était ensablée et les quais tombaient en ruines : quant à la vieille jetée qui partait de la pointe de la Kasbah, la mer avait fait brèche en maintes endroits
Seules les mahonnes tunisiennes osaient se risquer jusqu’à Bizerte, encore n’était-ce que dans la belle saison car une barre était formée à l’ entrée de la passe produisant pendant tout hiver des brisants dangereux ; quant aux bateaux mar chands il leur fallait mouiller au large dans une rade peu tenable par les vents qui soufflent une partie de année
Bizerte avait pourtant été autrefois un port d’une certaine importance comme en témoignaient ces diverses constructions, quais et jetées mais tout cela fut ruiné par les bombardements successifs que
cette ville barbaresque eut à subir de la part des puissances chrétiennes et suivant la coutume orientale rien ne fut jamais réparé probablement depuis 1770, année où le comte de Broves amiral français avait bombardé puis incendié Bizerte
Le bey Ahmed lui-même ce grand constructeur, le Louis XIV tunisien n’avait rien fait pour relever Bizerte , ayant porté tous ses soins sur Porto-Farina dont il voulait faire le port militaire de la Régence
Cet état de délabrement dura longtemps encore après notre occupation ; pendant les premières années rien ne fut tenté en faveur de Bizerte bien qu’on eût vanté souvent les avantages de sa situation et que l’amiral Aube, durant son passage au ministère de la marine eût réclamé l’établissement d’un port de guerre en ce point .
Nous pouvons avouer aujourd’ hui que le mauvais vouloir latent des autres puissances de l’Angleterre et de Italie et la crainte exagérée de complications diplomatiques, furent pour beaucoup dans cette lenteur à entreprendre des travaux d’une utilité aussi incontestable ;
Après avoir fait un coup d’audace en s’emparant de la Tunisie, la France eut peur un moment et n’osa point agir en propriétaire dans sa conquête
En 1885 seulement on décida qu’une station de torpilleurs serait établie à Bizerte
Le service maritime commença l’année suivante, une restauration partielle des quais, des dragages furent faits pour ouvrir la barre, désensabler le port et le rendre praticable des navires de 3 mètres de tirant eau ; mais ces travaux furent conduits comme une simple réparation d’ouvrages dont on voulut tirer parti sans aucun plan pour constituer une oeuvre nouvelle
Malgré les dragages , les courants ramenaient sans cesse les sables : on perdit ainsi trois années et il fallut se résoudre à prolonger la jetée de la Kasbah de façon à protéger l’entrée de la passe
C’est alors que la Société Gouvreux-Hersent-Lesueur vint proposer au gouvernement tunisien d’exécuter ces travaux à forfait.
L’ entreprise leur fut adjugée en décembre 1888 moyennant le prix forfaitaire de 120000 francs la jetée Nord devait être poussée à 250 mètres en mer
Déjà dès le mois avril 1883 M. Abel Gouvreux avait remis à M. Gambon ministre résident à Tunis un avant-projet pour ouverture d’un port à Bizerte, mais cette première tentative n’avait pas eu de résultat effectif.
Ce ne fut qu’au cours de cette entreprise en 1889 que MM Gouvreux-Hersent purent effectuer des études et reconnaissances pour évaluation des travaux nécessaires à la mise exécution de leur projet de port conçu dès les premiers temps de notre occupation en Tunisie.
Des sondages sur un réseau très serré furent pratiqués dans la bande littorale choisie pour le passage du futur canal ainsi que dans la partie de la baie de Cebra où des dragages sont à prévoir dans l’ avenir
Ces sondages faits à 10 mètres de profondeur permirent de reconnaître que le terrain était presque partout favorable aux dragages à exception d’une petite masse de calcaires qui malheureusement se trouve sur le tracé du canal
Il fallut rechercher des carrières de pierre capables de fournir les matériaux nécessaires aux constructions à faire en mer. On reconnut deux gisements importants un à AÎN Roumi nommée depuis AÏN Meriem au nord de Bizerte, l’autre au Djebel Makiouf sur la rive sud de l’avant-lac
Ces études complétées par des observations sur le régime de la mer, de la plage maritime, et des courants alternatifs des deux lacs furent poussées avec assez d’activité pour que le traité de
concession pût être signé dès le 11 novembre 1889 entre la Société concessionnaire et la Direction des travaux publics tunisiens
D’après ce contrat , les travaux devaient être terminés en 1895 et le nouveau port devait comprendre
(1)Nous devons tous ces intéressants renseignements sur les travaux du Port de Bizerte amabilité de Couvreus autres détails techniques ont ëté empruntés
la Note sur le port de Bizerte de Ingénieur Resal note insérée au Bulletin de la Compagnie du poride Bizerte juillet 1893)
deux jetées de 1000 mètres de longueur s’avançant jusque dans les fonds de 13 mètres
Un chenal accès de la mer au lac creusé à 8 mètres de profondeur avec 100 mètres de largeur à la ligne d’eau et 64 mètres au plafond
Des quais auxquels pourront accoster les navires pour opérer directement leur chargement ou déchargement dans les wagons
Un mouillage pour de nombreux navires dans la baie de Cebra à l’entrée du lac
Par contre le traité garantissant aux concessionnaires l’exploita tion du port futur leur assurait la propriété des pêcheries du lac, ainsi que celle des terrains gagnés par eux sur les eaux ; sur ces terrains doit être bâtie la ville européenne
Les travaux du port furent commencés immédiatement et se greffèrent sur les travaux en cours dont ils furent la continuation.
La jetée du Nord actuellement terminée après un travail de huit ans est enracinée sur l’ancien môle de la Kasbah Elle à 4000 mètres de long et est dirigée vers Est vers la pointe du cap Zebid qui enserre du côté de l’Orient, le golfe de Bizerte
Pour amener à pied d’oeuvre les énormes blocs qui constituent cet ouvrage, une voie ferrée été créée
reliant la jetée la carrière AÏN Meriem, aux environs de laquelle est formé un véritable village d’ouvriers
La deuxième jetée celle du Sud comporte également 1000 mètres de long . Son musoir doit être aussi dans les fonds de 13 mètres à 420 mètres du musoir de la jetée Nord, les deux jetées couvrant
ainsi une nappe de plus de 100 hectares ; c’ est dans cette zone où l’on espère obtenir un calme suffisant que débouche par les courbes de 9 mètres le canal reliant le lac à la mer ; l’axe de ce canal dirigé au Nord-Est, bissecte ouverture entre les deux jetées et passe au Sud-Est de la ville à environ 550 mètres de la porte dite Bab Tunis
Le long de sa rive Nord se trouvent les quais ; une fois achevé, ils auront une longueur de 200 mètres.
De l’autre côté vers le lac, le canal trouve à son issue un élargissement de 700 mètres environ qui est l’entrée de la baie de Cebra
C’est dans cette baie en eaux calmes que pourront relâcher les navires qui ne pénétreront pas jusqu’au lac ; les fonds supérieurs à 6 mètres occupent dans cette rade intérieure abritée des vents, une surface de plus de 70 hectares et les quais pourront être, lorsque l’importance prise par le port le nécessitera, prolongés autour de cette baie dont les bords seront rectifiés en conséquence
Au Nord des quais entre le canal et les murailles s’ élèvera ou plutôt s’élève chaque jour pierre à pierre, la Bizerte européenne celle qui sera la Bizerte de l’avenir tandis que l’ ancienne celle des Andalous abandonnée à ses habitants arabes ou maltais se délabrera de plus en plus mutilée vive malheureusement par le vandalisme savant des ingénieurs auxquels elle a été livrée et qui ont dû (malgré eux je voudrais le croire) démolir les jolis ponts en dos âne et combler
les canaux de la Venise africaine
Il y a pourtant malgré ces quelques mutilations que je déplore, une idée très féconde dans cette création d’une deuxième ville à côté de l’ ancienne. Ce procédé est infiniment supérieur à celui qu’ on eût autrefois suivi en tâchant d’approprier la ville de Bizerte à La situation actuelle par démolition ou expropriation d’une partie de ses quartiers. Un ouvrage fait en vue d’un but déterminé, répond toujours mieux si médiocre soit-il, que l’adaptation d’une oeuvre déjà existante et qui fut faite jadis dans un but tout différent.
Aux besoins nouveaux d’une civilisation, il faut des installations nouvelles. Cette manière de créer une ville de toutes pièces à côté de celle qu’on ne peut plus utiliser est de beaucoup préférable. Elle permet aux deux civilisations de se développer côte à côte sans que l’une étouffe l’autre, chacune
pouvant tirer de sa voisine les avantages que celle-ci comporte
Le temps n’ est-il pas là en fin de compte pour faire justice entre elles en ne laissant subsister que la meilleure ? Mais je voudrais su’on respectât tout en les améliorant au point de vue de l’hygiène les villes anciennes ne fût-ce que pour marquer aux yeux des générations suivantes, les étapes de histoire.
Ne serions-nous pas heureux de retrouver actuellement et embrasser d’un même coup d’oeil les civilisations qui se sont succédées sur ce sol africain, les ruines de l’Hippone Diaryte des Romains à côté de la ville punique qu’elle a remplacée et à leur suite la Benzert arabe et la Bizerte française
Cette idée me semble implicitement comprise dans le principe du Protectorat sinon dans le mot lui-même.
Tunis a progressé de cette façon depuis le premier pas de notre occupation : la ville arabe n’a en rien été endommagée et à son côté est créée et se développe chaque jour la ville européenne.
Cette digression m’a écarté quelque peu de la question des travaux
La ville nouvelle ai-je dit ,s’élève sur cette partie qui autrefois était le goulet maintenant comblé, par lequel le lac se déversait dans la mer. Un vaste terre-plein existe en effet aujourd’hui sur toute
cette étendue. En comparant les états de lieux ancien et actuel, on reconnaît que plus de 50 hectares de terres auront été sorties des eaux et que des fonds de mètres auront été comblés Le volume des dé blais effectués pour le passage du canal a été en effet de 2 millions 20 mille mètres cubes enlevés par deux dragues capables de produire deux mille mètres cubes de dragages par jour. Tous ces déblais rejetés dans l’ancien goulet de la pointe Nord de la baie de Sebra au long des murailles de Bizerte, ont ainsi formé peu à peu l’assiette de la nouvelle ville. Sur ces terrains créés hier , on a déjà bâti en commençant par les maisons les plus utiles à une cité naissante : ce sont naturellement les hôteliers restaurateurs et marchands de vin qui ont ouvert la marche, suivis de près par les fonctionnaires pour ceux-ci et pour les différents services publics, gendarmerie, justice, église,contrôle civil ,etc. etc. le gouvernement tunisien s’est fait réserver des emplacements
Toutes les constructions qui seront faites sur ces terrains seront exonérées de tous impôts pendant les dix premières années de leur mise en usage : excellent moyen pour constituer rapidement
un centre de population commerçante
Le tableau suivant faisant ressortir le nombre de tonnes de marchandises entrées à Bizerte
au cours des dernières années montrera la progression ascendante
du trafic de cette ville avant même l’ouverture du port
1890 ……. 498 tonnes
1891 ……. 761
1892 ……. 13346
1893 ……. 16 864
Le procédé employé pour créer les terrains sur lesquels reposera la future ville mérite d’être décrit
Un système appelé débarquement flottant est installé sur deux bateaux plats sufffsamment écartésl’ un de l’autre pour qu’un chaland chargé puisse passer entre eux et y effectuer le déchargement de son contenu. Ces deux bateaux plats logent l’un la machine motrice avec ses transmissions, l’autre une pompe et sa locomobile ; ils supportent en outre à une certaine hauteur le beffroi d’une drague avec sa chaîne à godets
Une large gouttière, à laquelle on donne une longueur allant parfois jusqu’à 40 mètres a son origine au sommet de ce beffroi, un peu au-dessous du déversement des godets, son autre extrémité aboutissant au-dessus du fond à combler et le dominant de plusieurs mètres
Ce système flottant est amarré près du bord à remblayer
Les godets puisent dans le chaland les déblais de dragages, les élèvent au récepteur de la gouttière et les y déversent . L’eau envoyée par la pompe chasse alors ces matières le long de ce couloir disposé suivant une certaine inclinaison
Elles glissent rapidement jusqu’à l’extrémité où elles se projettent avec une force égale à leur masse multipliée par le carré de leur vitesse de chute ; elles amoncellent se superposent et se tassent elles mêmes étant à peu près liquides. La majeure partie des eaux qu’elles contiennent s’écoule, l’évaporation fait le reste
Un vrai terrain alluvions est ainsi créé d’alluvions artificielles est vrai et bien plus rapidement déposées que des alluvions naturelles mais une manière analogue et offrant une solidité égale, celle des couches géologiques que des eaux libres auraient stratifiées
Ce genre de procédé qui avait été inauguré à Suez fut modifié par MM Hersent et Couvreux pour leurs travaux de régularisation du Danube et ceux du canal de Gand où il donna excellents résultats
Employé à Bizerte, il a permis d’ obtenir des remblais suffisamment consistants pour que des bâtiments importants : ateliers, gare de chemin de fer, hangars des quais, gendarmerie etc. etc. fussent immédiatement construits
En vue du développement que peut prendre cette future ville de Bizerte, il a fallu prévoir son alimentation en eau : des recherches faites dans la partie montagneuse de l’île el Alia ont amené la découverte de sources capables de fournir une quantité eau amplement suffisante à la consommation moyenne probable. Les conduits d’amenée auront jusqu’à Bizerte une longueur d’ une quinzaine de kilomètres et passeront en siphon à 25 mètres au-dessous du pla fond du canal
La route de Tunis à Bizerte par le Fondouk , route suivie par les diligences contourne le lac au Nord et passant par Menzel Djernil est obligée de traverser le canal près de son embouchure. Un large bac mû par la vapeur réunit les deux rives depuis qu’on a commencé les travaux du port
Mais cette route de terre sera de plus en plus délaissée grâce au chemin de fer qui relie depuis peu de temps Tunis à Bizerte ; Cette voie se détachant de la ligne Bone-Tunis a la hauteur de Djedeïda, longe à l’Ouest la plaine basse de la Medjerdah franchit AÏN Rhelal, le seuil de collines qui sépare les deux dépressions dont j’ai parlé au début et par la vallée de Oued Ghaïr, descend sur Mateur, borde à l’Est le lac Achkel passe l’Oued Tindja sur un pont métallique et aboutit à Bizerte non loin des quais de la gare étant à peu près au centre de la future ville
Les trains doivent mettre deux fois par jour Tunis en communication avec Bizerte et parcourir en deux heures et demie les 73 kilomètres qui séparent ces deux villes
Construite par la Société des Batignolles, la ligne a été livrée dans le courant octobre 1894, à la Compagnie Bône-Guelma
Certes on aura dans les premiers temps au moins quelques mécomptes avec cette voie faite en hâte dans des terrains marécageux et qui auraient au contraire exigé des précautions particulières
Mais enfin la voie existe et pourra s’améliorer
La route de terre de Mateur à Bizerte qu’elle emprunte en partie perdra ainsi de son utilité :une nouvelle route amorcée aujourd’hui la doublera en quelque sorte mais en se rendant de Mateur à Bizerte par l’Ouest du lac Achkel de façon à longer la base du pays des Mogods
Ce territoire des Mogods un des plus sauvages de la Tunisie, compte 9000 habitants Le pays est couvert de hautes broussailles au milieu desquelles par places, les Mogods cultivent du maïs
De récentes recherches ont fait reconnaître quelques gisements miniers : fer et calamine et il est probable vu la nature du sol qu’ on en découvrira encore bien d’ autres
Cette particularité jointe à l’excellence du terrain pour la culture du maïs et du tabac donnera-t-elle dans l’avenir quelque valeur à cette région .Je le croirais volontiers après les nombreuses ruines romaines qu’on y rencontre et qui prouvent qu’elle a eu son époque de prospérité : mais elle est jusqu’à présent restée fermée par suite des difficultés naturelles de ses mon tagnes coupées en tous sens par de profonds ravins. La vallée de Oued Sedjenan est la seule trouée qui permette d’y pénétrer. Encore cette unique voie d’accès est-elle barrée pendant la majeure partie de l’année par des boues liquides et profondes qui au mois avril couvrent toute cette rive du lac, empêchent totalement le passage des vallées et isolent par suite, les Mogods dans leur labyrinthe
La route traversera cet oued prés de son embouchure dans le lac Achkel au-dessous du marabout de Sidi bou Guebrin (Homme aux deux tombeaux) dans un des endroits les plus pittoresques et les plus poétiques qu’il soit possible de rencontrer, mais aussi des plus foncièrement bourbeux. Il me reste de mes courses d’ hiver en ce pays, l’impression d’un engloutissement presque permanent : le sol s’effon drait chaque instant sous les pas des animaux qui entraient par fois au poitrail ou même y chaviraient de telle sorte qu’il fallait en atteler deux autres après le naufragé pour extraire des fondrières
Si on veut que cette route nouvelle réalise son but et rattache effectivement les Mogods à Bizerte, il sera nécessaire de faire de longues chaussées surélevées pour éviter l’enlisement
Je ne veux pas quitter cette partie du pays sans parler plus longue ment que je ne l’ai fait au début, du territoire de Mateur. C’ est dans un cercle de montagne, une plaine immense dont le centre est
occupé par le lac Achkel tandis que du milieu du lac émerge une colossale pyramide, le Djebel Achkel, île étonnante hérissée de rochers et de broussailles habitée par des troupeaux de buffles gou vernés pour le compte du domaine beylical par un fonctionnaire tuni sien, le « caïd des buffles ».
Le piton escarpé complètement isolé dans son lac, domine majestueusement les eaux élevant sa pointe aiguë à 500 mètres au-dessus de leur surface De toute la ceinture de montagnes qui borde l’horizon à une distance considérable, on aperçoit cette masse étrange qui prend suivant la lumière et l’éloignement, les nuances les plus variées des colorations éclatantes ou sombres tour à tour.
Cette plaine très basse n’ est à proprement parler que le rebord de la cuvette dont le lac de Bizerte occupe le fond. C’est pendant une partie de l’année su(une véritable mer intérieure remplie par les eaux des pluies et celles qu’amènent les ravins de ce gigantesque cirque.
Elle conserve lorsque les eaux baissent, un limon fertile qui en fait pour les céréales et les fourrages une des plus riches zones du Nord de la Tunisie en même temps qu’un splendide pays élevage.
Dès le commencement de mai, de longs convois de mahonnes traversant le lac Achkel gagnent par Oued Tindja le lac de Bizerle où elles viennent apporter les fourrages de Mateur
Vers le milieu de la plaine la petite ville arabe de Mateur toute blanche au bord de ses jardins verts, adossée d’une minuscule colline qui rompt à peine la monotonie plate du pays, est un des centres de
transactions les plus importants du Nord de la Tunisie. Trois grands marchés ont lieu chaque semaine où les bœufs, les moutons, les chevaux et les grains se vendent en quantités indépendamment de tous les autres produits servant à l’alimentation et aux usages arabes.
Toutes les tribus des environs viennent à ce marché.
Un grand nombre de fermes européennes parmi lesquelles il faut citer celle d’un Anglais Smith, établi dans le pays longtemps avant notre arrivée, se sont déjà installées dans la plaine de Mateur que je crois appelée au plus brillant avenir comme centre de colonisation.
Par étude de la région dont elle est le débouché naturel et par examen des grands travaux qui y ont été faits, nous avons pu nous convaincre que Bizerte deviendra sous peu un port de commerce considérable doté de tous les perfectionnements que peuvent exiger des transbordements et chargements rapides
Mais là n’est pas le seul but à atteindre, il en est un plus important encore.
Postée comme une vedette en bordure de la grande route qui met l’Europe en relations avec l’Orient en particulier , l’Angleterre avec les Indes, Bizerte doit être un des points les plus formidables de la Méditerranée car si Gibraltar tient l’entrée de la route ‘Orient , Bizerte commande le deuxième défilé resserré entre les côtes de Sardaigne, de Tunisie et de Sicile où s’engage cette route. Il est extraordinaire que rien jusqu’à présent n’ait encore été fait dans ce but
Peut-être et je l’espère a-t-on prévu et se propose-t-on d’effectuer les travaux nécessaires mais je le répète rien n’a été fait en dehors de la création d’une station de torpilleurs
Le canal en effet, ne comporte d’après les conventions entre les Travaux publics tunisiens et la Compagnie du Port qu’une profondeur de 8 mètres atteinte actuellement .
Il est à penser que ce n’est là qu’un acheminement et à souhaiter que, une fois le port ouvert au commerce,le canal soit creusé à la profondeur nécessaire pour que les cuirassés puissent pénétrer au lac : celui-ci doit être la rade militaire : il est en somme la vraie raison de la valeur de Bizerte car il offre à notre marine la meilleure base d’opération pour courir sus à tout adversaire qui tenterait de franchir le canal de Sicile. Qu’une escadre française puisse être concentrée dans cette rade intérieure ses croiseurs éclairant au large peu d’heures après avoir été renseignée sur l’approche de l’ ennemi, elle aura coupé les communications entre Malte et Gibraltar. La menace seule de cette éventualité si grave pour elle, suffirait probablement pour écarter Angleterre d’une coalition contre nous.
Et Bizerte tient cette menace enfermée dans son lac
Nous pouvons d’autre part nous rendre compte par le simple examen de la carte que les ports de France, de Corse, et même d’Algérie sont trop éloignés de la route des vaisseaux pour la menacer efficacement : en outre aucun port d’Algérie n’ est fermé
Sans ajouter d’autres considérations d’ordre politique et qui ne rentrent point dans ce cadre, ces seules raisons géographiques réclament impérieusement que Bizerte devenue port de commerce, soit en outre organisée et cela dans le plus bref délai en port de guerre.
Des travaux essentiellement militaires s’imposent tels que la création d’arsenaux et de cales pour les réparations de navires. Les bords du lac devront en certains points, être rectifiés. Une portion notamment de son pourtour semble indiquée non seulement par la nature elle-même mais encore par les travaux qu’y firent les Romains. Sur la rive Sud-Ouest entre la Koubba el Arbaïn (sépulture des 40 marabouts) au lieu nommé hennchir Sbedah sur prèsde 1200 mètres, les bords du lac furent autrefois taillés ; des restes de quais et de môles construits en énormes blocs sont encore visibles
Les fonds de 9 mètres viennent jusqu’à 300 mètres des berges ; il aurait donc que des dragages relativement insignifiants à aire en cette partie pour permettre aux navires d’arriver aux établissements militaires construits dans la zone que je viens d’indiquer
Cette merveilleuse rade est à déjà demi fermée par la ceinture de collines qui la couvrent des vues du large des batteries défendant la passe, termineront cette fortification naturelle du côté de la mer mais
il importera en outre et cela en vue d’un mouvement tournant qui pourrait être tenté par Tunis, de la compléter du côté de l’intérieur par l’établissement de petits ouvrages dont les positions sont indiquées par le terrain lui-même et par les passages qui traversent cette circonférence de collines.
Bizerte ville de commerce pourra s’enrichir à l’aise et sans crainte sous la protection de son lac, port deguerre, camp maritime retranché, qui offrira aux flottes de France un point d’appui inattaquable
Capitaine MAUMEME
Attaché au Service géographique de l’armée
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Une histoire : Bizerte et la France