Débarquement aux Dardanelles
Débarquement aux Dardanelles
19 février 1915 – 9 janvier 1916
L’entrée en guerre de la Turquie
Dès le déclenchement du premier conflit mondial, de nombreux éléments laissèrent supposer que la Turquie ne tarderait pas à entrer en guerre aux côtés des puissances centrales. L’armée turque venait d’être réorganisée par les Allemands et le Ministre turc de la Guerre, Enver Pacha, était un germanophile convaincu. De même, des liens économiques unissaient les deux pays et une toute nouvelle ligne de chemin de fer, joignant Berlin à Bagdad, était en construction.
Surtout, les Turcs nourrissaient de grandes ambitions concernant la conquête de territoires russes frontaliers. Or, la Russie se trouvait dans le camp des Alliés…
Dès le 2 août 1914, Enver prit un engagement secret selon lequel la Turquie entrerait en guerre aux côtés de l’Allemagne si la Russie optait pour le camp des Alliés. Toutefois, la Turquie ne promit pas de participer immédiatement aux hostilités…
L’opinion publique turque fut également choquée par la saisie, par les Britanniques, de deux navires de guerre ottomans en construction dans un chantier naval anglais.
Une querelle d’intérêts et une politique alliée maladroite confortèrent les Turcs dans leur choix du camp allemand. En août 1914, deux croiseurs allemands poursuivis par les Alliés, le Goeben et le Breslau, se réfugièrent dans un port turc où ils furent « achetés », avec leurs équipages allemands, par les Ottomans.
Le 28 octobre 1914, sans déclaration de guerre, des navires turcs s’attaquèrent aux ports russes de la mer Noire. En réaction, la Russie, la France et la Grande-Bretagne déclarèrent la guerre aux Turcs, le 5 novembre.
L’entrée en guerre de la Turquie obligea les Alliés à déployer une importante part de leurs forces en Egypte ainsi que dans le Caucase. Les Anglais craignirent la défection de milliers de Musulmans à l’intérieur de l’Empire des Indes et les Alliés, dans leur ensemble, se mirent à craindre une alliance des petits états balkaniques avec les Centraux.
Le premier mouvement des Turcs fut de lancer une attaque contre le Caucase, occupé par les Russes. La campagne se termina par un désastre : en janvier 1915, les Turcs avaient été repoussés après avoir perdu 70.000 soldats sur un total initial de 100.000.
Il n’empêche que les Russes, déjà en proie à d’importantes difficultés, se sentirent obligés de lancer un appel à l’aide à l’attention de la France et de la Grande-Bretagne, avec l’espoir de voir soulager la pression sur leur nation.
Le plan d’action
Une fois adopté le principe d’une intervention contre la Turquie, un débarquement sur la presqu’île de Gallipoli, dans le détroit des Dardanelles, apparut vite comme un choix prometteur. En cas de succès, les Alliés pouvaient espérer une chute rapide de la capitale turque, Istambul, et un retrait du conflit des Ottomans. En pareil cas, les menaces d’invasion planant sur l’Egypte seraient écartées et un débouché maritime, toujours libre de glaces, serait établi avec la Russie qui pourrait ainsi recevoir le matériel qui lui faisait tant défaut.
L’assaut naval
L’attaque navale alliée, prévue pour le 19 février 1915, fut retardée par de mauvaises conditions climatiques et ne débuta que le 26. Les résultats s’avérèrent relativement décevants car les forts côtiers turcs résistèrent assez bien aux bombardements navals. Une opération de déminage des Détroits fut lancée mais, le 8 mars, les Turcs étaient parvenus à mettre en place de nouveaux champs de mines. Ce fut justement l’une de ces mines qui détruisit le cuirassé français Bouvet et tua 600 membres de son équipage. Au final, les mines mirent hors de combat, à des degrés divers, 6 des 9 navires de guerre alliés engagés dans l’opération..
Les bombardements eurent surtout pour effet d’avertir les Turcs de l’imminence d’une attaque dans le secteur des Détroits.
De leur côté, les Alliés acquirent la conviction qu’une attaque navale ne suffirait pas à s’assurer le contrôle des Dardanelles. Il était évident qu’une action terrestre s’imposait…
Débarquements au Cap Helles
Dès le 25 mars, préoccupés par l’attaque navale, les Turcs constituèrent une armée, commandée par le général allemand Otto Liman von Sanders, afin d’assurer la protection de la région. Les mesures dilatoires des Alliés leur laissèrent un mois pour compléter leurs défenses.
Le 20 avril 1915, les Alliés étaient enfin prêts, disposant d’une force de 70.000 hommes, britanniques, australiens, néo-zélandais et français.
A l’aube du 25 avril, leurs troupes, commandées par l’assez médiocre général britannique Hamilton, débarquèrent sur cinq petites plages, baptisées S, V, W, X et Y, au Cap Helles, à l’extrémité sud de la péninsule de Gallipoli. Dans le même temps, d’autres troupes débarquèrent près de Gaba Tepe, à une vingtaine de kilomètres plus au nord.
Le débarquement à Gaba Tepe fut lamentable. Le courant marin déporta les troupes jusqu’à un point de débarquement situé à près de deux kilomètres au nord du lieu prévu. Les hommes se trouvèrent alors coincés sur une petite plage cernée d’éperons rocheux. Fort heureusement, le débarquement s’effectua sans résistance car les Turcs avaient jugé un tel lieu de débarquement plus qu’improbable ! Totalement livrés à eux-mêmes, en l’absence d’ordres valables et parfois dotés de cartes extraites de guides touristiques, des soldats entamèrent l’escalade de la crête de Chunul-Baïr. Avec un minimum de coordination, la conquête de ces hauteurs aurait été aisée mais, vu la pagaille ambiante, les Turcs, dirigés par Mustafa Kemal, n’eurent aucun mal à contre-attaquer et à conserver le contrôle des sommets.
Au Cap Helles, trois débarquements britanniques furent assez aisés. Toutefois, sur la plage W, le feu des Turcs causa de fortes pertes aux assaillants . Sur la plage V, à hauteur de Seddülbahr, la résistance des Turcs s’avéra plus meurtrière encore.
Malgré leur débarquement aisé, les troupes occupant les autres plages respectèrent leurs ordres qui étaient d’attendre plus d’effectifs avant d’entamer une quelconque progression. Si ces forces s’étaient mises en mouvement rapidement, elles auraient vraisemblablement submergé les défenses turques ! Quelques groupes d’hommes progressèrent toutefois jusqu’au village de Krithia, situé à 3 kilomètres à l’intérieur des terres, et occupèrent la hauteur de Atchi-Baba, culminant à 180 mètres. N’ayant reçu aucun ordre, ils décidèrent toutefois de se replier afin d’aller prendre des instructions. Lorsque ces dernières furent enfin transmises, les Turcs avaient occupé la hauteur et des milliers de vies allaient ensuite être perdues afin d’en tenter la conquête…
Le 28 avril, les Alliés tentèrent une attaque qui fut rapidement repoussée. A l’instar du front occidental, les positions se figèrent donc et les tranchées refirent leur appartion.
Jusqu’à la fin mai, plusieurs attaques alliées furent lancées, toujours suivies de contre-attaques turques suicidaires. Si les positions restèrent figées, le chiffre des pertes, lui, ne stagna nullement, atteignant rapidement, chez les Alliés, 20.000 hommes sur une total engagé de 70.000.
Débarquement dans la baie de Suvla
Durant l’été, les Alliés établirent un nouveau plan censé relancer la guerre de mouvement. Il fut décidé de débarquer de nouvelles troupes dans la baie de Suvla afin de bénéficier, à ce moment, d’une supériorité numérique qui permettrait de briser les défenses turques . Une fois la percée effectuée, Hamilton pensait être en mesure de couper en deux la presqu’île, large d’à peine treize kilomètres.
Très bon en théorie, le plan s’avéra compromis par l’arrivée dans le secteur de renforts turcs qui allaient priver les Alliés de la supériorité prévue.
Le débarquement à Suvla fut confié au général anglais Stopford, très âgé et complètement dépourvu d’expérience en la matière (n’ayant jamais commandé lors d’une bataille, il ne devait son rang qu’à son ancienneté).
Les débarquements s’effectuèrent durant la nuit du 6 au 7 août 1915 et ne furent suivit d’aucune autre action. Les hommes, une de fois de plus laissés sans instructions, errèrent au hasard. Le matériel fut déposé n’importe où, sans la moindre estimation des futurs besoins… Les troupes stagnèrent donc sur les plages au grand étonnement des rares Turcs présents sur les hauteurs environnantes.
Lorsque l’attaque alliée se déclencha enfin, le 10 août, les Turcs avaient renforcé leurs positions et, comme on pouvait s’y attendre, l’offensive s’enraya.
Stopford fut destitué et remplacé par le général de Lisle qui décida de lancer des troupes lors d’un assaut frontal contre des hauteurs bien défendues. Comme c’était prévisible, l’assaut tourna au carnage.
Les Alliés renonçent
Le 15 octobre 1915, Hamilton fut destitué et remplaçé par le général Monro. Ce dernier, sans même avoir à débarquer, jugea de la gravité de la situation et préconisa l’évacuation.
Les Alliés estimèrent que la retraite leur coûterait encore au moins 50.000 hommes. En fait, lors de l’évacuation, qui s’étendit du 18 décembre 1915 au 8 janvier 1916 et fut la seule action correctement planifiée au cours de cette campagne, aucun homme ne fut perdu.
Au final toutefois, la campagne de Gallipoli avait coûté aux Alliés la perte de 252.000 hommes sur un total de 480.000 engagés. Les Turcs reconnurent des pertes similaires, dont 66.000 morts, mais celles-ci furent de toute évidence beaucoup plus importantes.
Pour ingénieux qu’il fut, le plan d’attaque des Dardanelles se termina sur un échec cuisant car les dirigeants alliés accumulèrent les pires erreurs.
Si la campagne s’avéra très meurtrière, elle signifia surtout que le débouché de la mer Noire restait interdit à la Russie et cet isolement allait finalement provoquer son effondrement de 1917.
La conséquence la plus dramatique fut l’obligation de renoncer à l’ouverture d’un nouveau front qui aurait pu permettre une reprise de la guerre de mouvement. La France et la Grande-Bretagne durent se résoudre à reprendre, sur le front Ouest, une guerre d’usure qui coûtera plusieurs centaines de milliers de soldats
LES ACTEURS DE CETTE BATAILLE