JEAN MOULIN Éric Alary
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Chronologie de la Seconde Guerre mondiale
Jean Moulin ne veut pas signer
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AVIS DE RECHERCHES
JEAN MOULIN
Éric Alary
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Éric Alary Vingtième Siècle. Revue d’histoire(*) – Année 2000 – numéro 65 p. 137-139
La nature des publications sur Jean Moulin, opérant de pseudo-révélations, sous couvert de surenchère médiatique, aurait pu faire reculer les organisateurs de colloques, à l’occasion du centenaire de sa naissance. Toutefois, les 10 et 11 juin 1999, avec l’aide du Centre d’histoire de l’Europe du vingtième siècle (CHEVS/FNSP), Jean- Pierre Azéma a réuni pendant quatre demi- journées, dans les locaux de l’Assemblée nationale, les plus éminents spécialistes de la Résistance française et étrangère. Le pari pouvait donc apparaître périlleux au premier abord.
Le colloque a été conçu par des historiens et c’était l’occasion de se réunir avec quiétude pour aborder des questions de méthode et donner de nouvelles orientations à la recherche sur l’histoire de la Résistance en France. En outre, il fallait couper court aux textes à scandales que la presse ne manque pas de nous infuser à propos de Jean Moulin, « une figure de proue nationale », pour reprendre les propos introductifs de François Bédarida.
Les quatre demi-journées avaient pour dessein initial de faire un bilan des recherches sur les différentes étapes de la vie du fondateur du CNR et sur l’impact de son action sur l’organisation générale de la Résistance intérieure et extérieure. Il s’agissait de nuancer certaines idées reçues, à la lumière de recherches récentes ou réalisées dans la décennie finissante.
Trois demi-journées ont suivi le rythme très soutenu de rapports de synthèse, reprenant et enrichissant parfois les vingt- quatre communications du programme. Une demi-journée était consacrée à certaines résistances étrangères (Belgique,
Grèce, Italie, Pays-Bas, Pologne, URSS), sous forme de communications directes des chercheurs européens invités, ponctuées aussi par un rapport de synthèse qui devait revenir sur la spécificité de la Résistance française, unie, à partir du printemps 1943, sous la tutelle du CNR. Telle était l’architecture équilibrée du colloque qui visait à croiser une vue d’ensemble de la Résistance et de nouveaux regards sur Jean Moulin et les résistants avec lesquels il a travaillé.
À chaque fois, un échange entre les historiens et les témoins a été l’occasion d’un débat nourri et parfois révélateur de certaines amnésies ou de reconstitutions fortuites. Pour autant, dans leur globalité, les témoignages, parfois inédits, corroboraient les analyses des chercheurs.
Grâce à l’ancien secrétaire particulier de Jean Moulin, Daniel Cordier, notre savoir sur l’unificateur de la Résistance était déjà imposant1. Cependant, il fallait s’attacher à définir de nouvelles grilles d’interrogations. Daniel Cordier a remarqué que les historiens avaient trop longtemps accordé leur confiance à certains témoignages de grands résistants. Il a placé le débat au centre du souci majeur de l’historien : décrire et critiquer les faits, à la lumière de sources irréfutables et recoupées.
D’emblée, le rapport de synthèse de Serge Berstein, sur la « préhistoire » du parcours politique de Jean Moulin, jusqu’à son départ pour Londres, a montré combien la rareté ou l’absence de sources pouvaient conduire l’historien à un danger triple : le déterminisme, la téléologie et l’hagiographie. Les cinq premières communications ont cerné et étudié un Jean Moulin républicain, haut fonctionnaire, homme de gauche et patriote « renfermé ». Serge Berstein a rappelé combien était déterminant l’environnement de rénovateurs et d’antifascistes qui a marqué Jean Moulin dans les années 1930. On retiend la grande cohérence de l’attitude de l’ancien préfet de Chartres, lorsqu’il rejoint Londres, durant l’automne 1941. À l’occasion du premier échange avec la salle, on a appris de la bouche du général de Boissieu que les archives du général de Gaulle, déposées aux Archives nationales de France, seraient ouvertes progressivement, à partir de janvier 2000. Des membres de la famille de Jean Moulin ont également pris la parole et ont rappelé, à la suite de témoins et d’historiens, la force incontestable de son antifascisme, qui était suffisant pour déclencher ses actions futures.
Jean-Pierre Azéma a fait ensuite le rapport sur des sujets difficiles, voire sensibles : les relations parfois ambivalentes Brossolette/Moulin, les rapports Pineau/Moulin, Frenay/Moulin, de Gaulle/ Moulin et l’arrestation dramatique de Jean Moulin à Caluire. Ce dernier objet d’histoire dut être quelque peu désacralisé et offrir une nouvelle grille de lecture, loin des mythes et des polémiques. Il s’agit de ne pas conforter des légendes pieuses. Les rapports entre Moulin et Brossolette doivent être nuancés ; trop souvent l’œuvre de Pierre Brossolette, l’organisateur de la Résistance en zone occupée, a été occultée, mais des travaux récents ont rééquilibré l’histoire et l’action des deux grands chefs de la Résistance.
De même, l’histoire de Henri Frenay a sans doute été abusivement noircie, à cause de son acharnement à attaquer Jean Moulin, après la guerre. Des interventions de la salle ont voulu mettre en relief les écrits des résistants les moins connus, des acteurs de la vie quotidienne du temps de guerre.
Le deuxième jour, Philippe Burrin a proposé une vaste typologie, à la lumière des
communications sur les résistances étrangères. La démarche comparative de l’historien suisse a permis de trouver des critères pertinents pour déceler les facteurs qui ont rendu possible la réalisation de l’unité politique dans les pays occupés. Deux groupes de pays se dégagent alors : d’un côté, ceux où la Résistance est avant tout militaire (URSS, Sud-Est de l’Europe, Asie) ; de l’autre, deux sous-ensembles, classés en fonction de la légitimité ou non des institutions des gouvernements en exil (Belgique, Norvège, Pays-Bas, Pologne) ; le deuxième sous-ensemble détache la France combattante, dès 1940 (précocité de l’unité de la Résistance et relatif œcuménisme), et l’Italie qui, à partir de 1943, s’extirpe progressivement des griffes fascistes. Ces deux États ont éprouvé toutes les difficultés à se faire reconnaître par les alliés et à conjurer les risques de guerre civile.
Ne faut-il pas in fine penser que la création du CNR n’est pas la marque du « mûrissement », mais plutôt celle de la faiblesse de la Résistance française, due en partie aux enjeux politiques ? Il y avait en France une longue conscience de la fragilité des liens politiques, depuis les « guerres franco-françaises » comme la Commune ou l’Union sacrée. Le CNR était alors une instance de compromis, dont l’une des tâches était de préparer l’après-guerre politique de la France.
Avec le dernier point du colloque, Henry Rousso a pu reprendre l’argument des luttes franco-françaises lorsqu’il a analysé les communications sur les mémoires du héros national Jean Moulin, comparé avec d’autres grandes figures nationales. Jean Moulin a été l’objet de l’instrumentalisation gaullienne de l’après-guerre, dont le point d’orgue fut la cérémonie de l’entrée des cendres au Panthéon, le 19 décembre 1964. La mémoire de Moulin est spécifique et unique dans l’histoire nationale ; la « révolution Cordier » n’y a pas peu contribué. Elle a permis de s’interroger sur
les enjeux et les luttes idéologiques autour de la figure de Jean Moulin, à partir d’un rappel de la chronologie et des étapes de la commémoration. La mémoire du héros est la synthèse des mémoires consensuelles et polémiques, dont témoignent parfois les choix commémoratifs dans certaines communes françaises, dont Chartres et Béziers. Jean Moulin est devenu un héros exemplaire intégré à l’histoire de la nation. Restait à René Rémond à conclure un colloque très riche d’échanges et de nouvelles propositions pour les recherches futures sur la Résistance française. Il a rappelé que les années noires resteront toujours une période controversée. Chaque génération se repose des questions sur Jean Moulin et sur la Résistance. Il est frappant de relever la place écrasante des individus dans les travaux sur la Résistance, un concept qui désigne un phénomène collectif ; enfin, il convient de ne pas surestimer les divisions suscitées par l’action de Jean Moulin.
Éric Alary
1. Daniel Cordier a publié un ouvrage essentiel et incontournable, Jean Moulin. La République des catacombes, Paris, Gallimard, 1999.
(*)Vingtième Siècle. Revue d’histoire
« Vingtième Siècle traite de l’histoire contemporaine des années 1890 à nos jours. Son but est de fournir des clés pour mieux comprendre notre époque, en faisant le lien entre les résultats de la recherche en histoire et les questions actuelles. »
Périodes disponibles :
1984-1989
1990-1999
2000-2005
A partir de 2002, les numéros de Vingtième Siècle sont diffusés sur le portail Cairn avec une barrière mobile de 3 ans.
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