La prise de Kef dans l’Illustration Mai 1881
L’ILLUSTRATION N°1993 du 7 MAI 1881
Le Kef, l’ancienne Sicca Veneria des Romains, était jadis une ville beaucoup plus importante. Les guerres avec les deys d’Alger et surtout l’insurrection de 1864 l’ont à peu près ruinée. Il y reste tout au plus deux mille habitants, parmi lesquels il n’y a pas d’autres européens que le personnel du Télégraphe. La ville est entourée d’un mur d’enceinte fort délabré et dominée par une citadelle ou casbah. Deux cents soldats environ, plus déguenillés qu’à Tunis, en forment la garnison. Le Kef jouit de la réputation d’être, avec Kairouan, la ville la plus fanatique et aussi la plus corrompue de la Régence.

Le Gouverneur remettant les clefs de la place au Général Logerot
La Capitulation du Kef – Cinq de nos dessins sont consacrés à cet évènement. Après avoir passé la frontière le 25 avril, la brigade du Général Logerot était arrivée le 26, rappelons-le devant la place, dans laquelle il n’y avait à ce moment, qu’un seul français, M.Roy, agent consulaire de France et directeur du télégraphe.
M.Roy, n’avait cessé, depuis l’entrée de la brigade en Tunisie, de se tenir en communication avec elle, au péril de sa vie. En effet, il a couru un instant le plus grave danger, mais à force d’audace et de sang-froid, il s’en est tiré, et l’on peut dire que si le général Logerot a pris posession du Kef sans effusion de sang, on le doit au courage du vice-consul et à son influence sur le gouverneur et sur la majorité de la population.
Le corps d’armée, divisé en trois colonnes, après s’être approché de la ville, l’avait investie de trois côtés et nos batteries avaient pris position, comme le montre un de nos dessins, sur les mamelons qui entourent les remparts, à une distance variant entre mille et mil-huit cent mètres. L’infanterie s’était approchée davantage encore, et les avant-postes, masqués par des oliviers, étaient arrivés à portée de voix. Alors, un parlementaire français alla demander l’entrée d’une des portes de la ville.
Le gouverneur, auprès duquel il fut aussitôt introduit, répondit à la sommation qui lui était faite de livrer le Kef que son intention était d’abord de se défendre, mais qu’en présence de l’opposition de la plus grande partie des habitants il y avait renoncé. Aussitôt, le général donna l’ordre aux avant-postes d’entrer en ville et de prendre immédiatement possession de la Kasbah.
Ce sont les tirailleurs algériens qui entrèrent les premiers; puis les chasseurs à cheval qui montèrent au galop les rues escarpées du Kef; puis la grosse artillerie péniblement traînée jusque sur les hauteurs que couronne la citadelle qu’elle était destinée à armer. Enfin, le général Logerot, avec tout son état-major, entra à son tour, suivi d’un bataillon du 83e de ligne. Il se rendit directement à la Kasbah. Le gouverneur l’attendait à la porte, où il lui remit les clefs de la ville. C’est le sujet de notre dessin de la première page.
Il est inutile de dire que la plus grande partie de la garnison s’était éloignée. Le reste se cachait de son mieux. Les Arabes résidents, au contraire, groupés dans les rues et enveloppés dans leurs burnous blancs, regardaient curieusement l’armée passer. Quant aux nomades, c’était d’un tout autre air qu’ils la regardaient, et l’éclair qui, de temps en temps, jaillissait de leurs yeux n’accusait que trop clairement leur haine.