La troisième bataille d’Ypres et de Passchendaele
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Prélude à la bataille de la Somme
Derrière les lignes : Les Dumbells
La cote 70 et la bataille de Lens
324 Chars à la Bataille de Cambrai
http://www.veterans.gc.ca/fra/histoire/premiereguerre/canada/chapitre12
Plus au sud, l’offensive française sur le Chemin des Dames déclenchée par le général Nivelle est un véritable désastre – bien que les troupes gagnent du terrain, les résultats sont de loin aussi concluants que ce qu’avait promis Nivelle. Perdant quelque 200 000 hommes, l’armée française connaît toute une série de mutineries qui la paralysent pendant quelques mois et la confinent aux opérations défensives.
En juillet, Sir Douglas Haig, commandant des forces britanniques, déclenche dans les Flandres son offensive controversée; son plan est de prendre contrôle de têtes de lignes stratégiques et de s’emparer des bases sous-marines aménagées par l’ennemi sur la côte belge. Le succès remporté à Messines (où les compagnies canadiennes expertes dans le creusement de tunnels ont joué un rôle important) en juin avait pourtant bien laissé augurer de la chose; malheureusement, des retards de plusieurs semaines attribuables aux exigences logistiques et à l’indécision politique annulent l’avantage conféré.
La deuxième et véritable offensive débute à la fin de juillet par un bombardement d’artillerie d’une rare violence, qui non seulement alerte l’ennemi, mais en plus laboure le sol; il n’y a plus que nids-de-poule et poussière. Inhabituelles en cette période de l’année, de fortes pluies tombées la nuit même de l’offensive transforment vite le terrain en un bourbier impraticable. Les gains impressionnants du premier jour sont perdus. Montant péniblement à l’assaut, les troupes britanniques se voient infliger des pertes effroyables par les mitrailleuses allemandes enfouies dans des casemates de béton. Mais en septembre, le soleil réapparaît et de nouvelles tactiques sont employées – une série d’opérations consistant à faire de petites avancées et à tenir les positions acquises – que les Allemands ne savent pas vraiment contrer et qui leur infligent d’énormes pertes.
Au début d’octobre, bien qu’aucun des objectifs stratégiques ne soit tombé (malgré la capture d’une portion importante des hauteurs depuis lesquelles les Allemands dominaient Ypres depuis des années) et que les troupes britanniques soient au bord de l’épuisement, Haig décide de tenter une nouvelle attaque. Le Corps d’armée canadien reçoit l’ordre de prendre la relève des forces décimées d’Anzac dans le secteur d’Ypres et de se préparer à prendre d’assaut Passchendaele.
Après avoir inspecté le terrain transformé en bourbier, le lieutenant-général Currie proteste auprès d’Haig, estimant que c’était envoyer les hommes à la boucherie et refuse de se battre sous le commandement de la Cinquième Armée. Ses objections ne changent rien (si ce n’est qu’il s’est battu sous le commandement de la Deuxième Armée) et l’attaque est préparée avec le plus grand soin. Au cours d’une série d’assauts déclenchée le 26 octobre, 20 000 soldats pris sous un feu nourri progressent pouce par pouce, cratère par cratère. Puis, le 30 octobre, les Canadiens attaquent Passchendaele proprement dit avec l’aide de deux divisions britanniques. Ils atteignent les abords dévastés du village par un violent orage et, cinq jours durant, tiennent pied, souvent empêtrés dans la boue jusqu’à la taille, sous une pluie d’éclats d’obus allemands. Le 11 novembre, le nombre d’assaillants tués totalise 4 028. En prévoyant 16 000 pertes, Currie avait hélas vu juste; en fait, 15 654 hommes ont laissé leur vie dans le saillant. Les Canadiens avaient trouvé leur Golgotha à Passchendaele.
Entrevue avec Wallace Carroll : 15e Bataillon
source : http://www.collectionscanada.gc.ca/premiere-guerre-mondiale/entrevues/025015-1630-f.html
Q. Aviez-vous entendu parler de Passchendaele à ce moment-là? Saviez-vous à quoi ça ressemblerait?
R. Non, nous ne le savions pas, mais à écouter les camarades qui avaient été à Ypres en 1915 et 1916, nous n’avions pas envie d’y aller. Nous avons cependant marché, la plupart du temps sans entrain. Des autobus sont venus à notre rencontre, et nous y sommes montés pour finir les 40 ou 50 derniers kilomètres, je pense. Nous sommes ensuite arrivés dans un endroit du nom de Flamentenes, où nous avons été hébergés. Puis nous sommes montés à Passchendaele, et là, notre compagnie n’a jamais été sur la ligne. Nous avons participé à de nombreuses équipes de travail, nous avons construit la route de planches aussi loin que possible, et par la suite, la route de planche a été construite sur la route de Menin. Ah oui, nous avons formé de nombreuses équipes de travail, et quand la 1re et la 2e Divisions sont allées à Passchendaele, notre compagnie a été désignée comme brancardiers pour le 3e Bataillon.
Q. Pour le 3e Bataillon, ah oui?
R. Oui, pour le 3e Bataillon. Vous savez, tout le bataillon a été envoyé, mais il fallait des brancardiers car il y avait de nombreux blessés graves. Je ne sais pas comment cela s’est produit, mais notre compagnie a été désignée comme brancardiers. Nous disposions d’une civière par groupe de quatre hommes. Donc nous sommes allés; les hommes ont commencé tôt le matin et, vers 8 h 00 environ, nous avons été ramasser les blessés. Le commandant du 3e Bataillon ne voulait pas nous permettre d’aller plus loin. « Ça ne sert à rien, disait-il, jamais vous ne pourrez les ramasser ni les sortir de là. » La boue et l’eau étaient innommables. Le temps d’arriver à destination, nous étions tous trempés jusqu’aux os. Les trous d’obus étaient très rapprochés, et chacun d’eux était plein d’eau. Nous étions dans un pays de basse terre, les canaux et les digues avaient été tous coupés. L’eau se déversait sur les basses terres, et ainsi, chaque trou d’obus était empli d’eau. Certains étaient si pleins qu’on aurait pu s’y promener en canot, ou même s’y noyer s’il advenait qu’on tombe dedans la nuit, car ils étaient plutôt grands. Le commandant du 3e Bataillon ne nous autorisait pas à aller là avant la tombée de la nuit. Nous avons donc attendu que l’obscurité s’installe pour monter sur la première ligne. Il y avait là plusieurs blessés. À quatre, nous avons ramené un blessé, mais ce travail a été ardu. Il faisait très noir; de nombreux Fritz se trouvaient encore là, dans ces trous d’obus; on voyait ce qui avait été manqué; et les Allemands nous tiraient dessus à partir des trous d’obus.
Q. Combien vous fallait-il de temps pour ramener un blessé depuis la première ligne? C’était un voyage terriblement long et difficile : quatre hommes transportant une civière, cela prenait combien de temps?
R. Nous pouvions faire environ 20 pieds avant de devoir poser la civière pour nous reposer. À Ypres, on s’enfonçait dans la boue jusqu’aux genoux. D’abord, un homme a glissé dans un trou d’obus, et quelqu’un d’autre est venu. C’était un miracle que le blessé soit demeuré sur la civière. Il s’est bien sûr accroché aux rebords, des deux côtés. Il était blessé à la jambe, mais il s’est solidement accroché. Je ne sais pas qui il était, ni comment il s’appelait; je le savais peut-être à l’époque. Il lui a été difficile de s’accrocher à la civière, car l’un ou l’autre parmi nous glissait immanquablement dans un trou d’obus, et cela nous a pris — je ne sais pas quelle heure il était — mais quand nous l’avons sorti de là, il faisait jour. Le temps que nous arrivions au poste de secours, sur la route de planches, il faisait jour, et pourtant, nous avions commencé notre travail la veille vers 20 h 00. Cela nous a pris un temps infiniment long pour nous rendre là, et les bandes, vous savez, les bandes du 3e Bataillon…
Q. Pour vous indiquer où ils se trouvaient?
R. Oui. Les bandes avaient été emportées. Arrivés à la fin d’une bande, nous devions chercher l’autre bout. L’un de nous devait sortir et chercher partout jusqu’à ce qu’il trouve l’autre extrémité de la bande. Cela nous a pris beaucoup de temps avant que nous puissions aller là, mais nous avons finalement réussi. Comme je l’ai dit, nous avons pris cet homme-là, et nous l’avons ramené. Mais de nombreux autres blessés ont aussi été secourus, vous savez.
Q. Oh oui.
R. Mais c’est tout ce que nous avons fait, tous les quatre. Nous avons passé toute la nuit à sauver cet homme, et je vous le dis, nous avons travaillé fort. L’homme blessé possédait environ sept francs, et il voulait qu’on partage cette somme entre nous quatre. Il nous a dit de nous acheter une chose ou une autre, simplement des tablettes de chocolat; mais nous lui avons répondu de garder son argent, et d’acheter du chocolat lorsqu’il serait à l’hôpital. Je lui ai dit qu’il aurait besoin d’argent à l’hôpital, et je lui ai raconté que j’avais quitté l’hôpital depuis peu. Et j’ai ajouté : « Si vous allez à l’hôpital et que vous n’avez pas d’argent, ça n’ira pas très bien. Vous n’êtes pas payé, vous savez, pendant que vous êtes à l’hôpital. »