Le partage du Pacifique en 1914
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La présence navale française dans le Pacifique
document source : http://www.crid1418.org/doc/textes/partage_pacifique.pdf
Le partage du Pacifique en 1914
Sylvette BOUBIN-BOYER, docteur en histoire
La Première Guerre est mondiale dès le début des déclarations par l’implication des colonies européennes, particulièrement dans le Pacifique. Quelle est la situation géopolitique qui préside alors dans le Grand Océan ?
Avant la Grande Guerre, les Etats-Unis sont présents dans tout le Pacifique Ouest et s’avancent vers le centre. Différents statuts définissent l’organisation politique de leurs territoires. Ils contrôlent Hawaii, les Philippines. En Micronésie, ils sont à Guam (au sud de l’archipel des Mariannes), à Wake (au nord des Marshall à mi-distance entre Guam et Hawaii), aux îles Samoa (gérées depuis 1878 par un gouvernement conjoint des USA, de la Grande Bretagne et de l’Allemagne), à Pago-Pago dans l’île de Tutuila à l’est des Samoa, à Swains et dans les 3 îles Manua. Ils sont propriétaires de la zone du canal de Panama qui
représente un grand espoir pour la rapidité et la fiabilité des communications entre l’Atlantique et le Pacifique. Leur objectif est principalement d’établir des relations avec le marché de la Chine et du Japon qui s’ouvre alors.
Le Japon poursuit son but d’installer « un glacis protecteur » autour de son archipel dans le Pacifique nord. Les Japonais détiennent Formose et les Pescadores, la moitié sud de la presqu’île de Sakhaline, la libre circulation des biens et des personnes en Corée, le sud de la Mandchourie, Ryu-kyu, l’archipel des Bonins. Ils veulent coloniser « en remplaçant l’église par l’hôpital, l’école et l’équipement. » et surtout constituer « un complément économique du Japon ». Le Japon s’est allié à la Russie en 1910 et à la Grande Bretagne par le traité de 1911. La conception de la défense du pays associe armée de terre et marine. Toutefois, avantguerre, l’armée de terre est privilégiée pour favoriser l’expansion coloniale vers la Chine.
La Grande-Bretagne est toujours omniprésente dans l’ouest et le centre du Pacifique par l’intermédiaire de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande réunies sous le terme d’Australasie ainsi que dans les archipels polynésien et mélanésien, à Tonga, Fidji, Salomon, Nouvelles-Hébrides (condominium avec la France), Tokelau, Gilbert et Ellice, Pitcairn.
La base britannique installée à Sydney est transférée en 1913, en Nouvelle-Zélande, à Picton Harbor, au nord de l’île du sud face à Wellington. En cas de guerre, la marine néo-zélandaise se met immédiatement aux ordres de l’Amirauté britannique. La marine australienne est autonome depuis 1907, mais en cas de guerre, le commandement britannique prime. En 1913, lors de l’arrivée de la nouvelle flotte australienne au grand complet dans le port de Sydney1, le ministre australien des Affaires étrangères ne laisse aucun doute sur la réelle importance de l’événement : le désir d’affranchissement de l’Australie vis à vis de la « mère patrie »2.
En Nouvelle-Zélande le transfert de la base navale anglaise de Sydney à Auckland est en bonne voie en 1913. Cependant, dès août 1913, un député interpelle le Parlement néo-zélandais sur la gestion de la défense navale et sur la question du commandement et du contrôle d’une flotte commune Australie – Nouvelle-Zélande3. Toutefois, à ce moment, la sécurité de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande est garantie par l’alliance anglo-japonaise aux dires de Winston Churchill4.
Avant guerre, la presse australienne a organisé une violente campagne de presse contre la marine française dans l’océan Pacifique, de plus en plus vive à mesure que s’approche l’ouverture du canal transocéanique de Panama. Le consul de France à Sydney signale des articles « injustes, d’une violence inouïe » contre les colonies françaises du Pacifique et le condominium « caractéristiques de la mentalité australienne moderne et du chauvinisme aigu qui sévit dans ce pays depuis quelques années … d’une prétention pour le moins puérile » car la France possède d’excellents points de relâche sur la route de Panama à l’Australie.
La France est présente sur une ligne qui suit approximativement le tropique du Capricorne en Mélanésie et en Polynésie. Elle possède la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles-Hébrides sous forme de condominium avec l’Angleterre, un protectorat sur Wallis et Futuna, les Etablissements Français d’Océanie et l’îlot de Clipperton. La flotte française d’Extrême-Orient répond aux besoins de la politique de la France dans la mer de Chine, dans l’Océan
Pacifique et sur les côtes de l’Amérique5. Son rayon d’action est donc extrêmement vaste.
Le navire amiral MONTCALM visite les colonies. En 1914, la France est alors au quatrième rang parmi les puissances maritimes malgré les unités vétustes détachées de la Division Navale d’Extrême Orient qui représentent le pavillon français dans le Pacifique. En effet le « Kersaint » et la « Zélée » sont des bâtiments manquant de la vitesse nécessaire pour remplir les missions souvent urgentes qui peuvent leur être confiées6.
Le KERSAINT est un aviso affecté à la Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides, il compte 8 officiers, 127 hommes d’équipage français et 14 indigènes.
Les dépenses moyennes annuelles de ce bâtiment sont de l’ordre de 412 680 francs. La ZELEE est une canonnière en service dans les EFO avec 7
officiers, 97 hommes d’équipage pour une dépense moyenne annuelle de 250 810 francs. Ce sont deux vieux navires dont le remplacement, prévu depuis longtemps, ne se fait pas faute de moyens et sans doute aussi d’intérêt de la France. Les objectifs de la France et de l’Angleterre, outre l’évangélisation des indigènes, ont été de créer des bagnes pour débarrasser les métropoles de leurs délinquants et criminels, de rechercher des sources de matières premières et de créer des débouchés à leurs industries.
L’Allemagne possède la partie nord-est de la Nouvelle-Guinée et des archipels situés au nordest depuis l’archipel Bismarck jusqu’à Bougainville et Buka. Son objectif est de créer un puissant empire colonial en direction d’un Extrême-Orient via l’enclave de Kiao Tchéou en Chine, riche en marchés potentiels pour l’économie allemande. La révolte des Boxers(1895-1900) en Chine a permis à l’empire allemand de prendre à bail la grande baie de Kiao-Tchéou
en Chine et d’y installer une grande base économique défendue par la base maritime de Tsing-Tao, les Allemands ont eu ainsi, à partir d’un territoire peuplé et riche, la possibilité de prendre pied en Extrême-Orient. En Micronésie, l’Allemagne possède les archipels des Mariannes, des Carolines, des Marshall, de Palau, de Nauru, et aux Samoa, les îles Upolu et Savai’i. Un maillage du Pacifique est réalisé dans le Pacifique par les colonies allemandes et
la flotte marchande. Une flotte commerciale agressive fonctionnant parfois à perte, transporte le nickel de Nouvelle-Calédonie, les produits agricoles et cultures spéculatives comme le coprah. Les capitalistes allemands ne réinvestissent pas leurs bénéfices dans les colonies.
Les Allemands manifestent des égards envers certains indigènes et respectent leurs coutumes : ainsi, les indigènes samoans sont des hommes à part entière et sont représentés au conseil de gouvernement. Les Allemands adoptent souvent le mode de vie océanien. On ne trouve pas ou peu de missionnaires. Les colonies allemandes n’ont pas de système de défense par mer ou par terre, pas de troupes militaires ni de bases de marine installées. Sous le commandement de l’amiral Von Spee, la flotte allemande du Pacifique est basée à Tsing Tao, elle fait des visites de courtoisie dans les colonies allemandes. Ce qui fait la force des Allemands dans le Pacifique est leur réseau de TSF déjà réalisé ou en projet : la plupart des navires de guerre et marchands en sont équipés, l’équipement radiotélégraphique des possessions allemandes est en bonne voie.
L’Allemagne a des colonies peu peuplées, qu’elle exploite pour le plus grand profit de son industrie métropolitaine.
Le partage colonial exclusif du Pacifique est terminé en 1913. La Grande Bretagne détient les passages vers les 3 océans du globe, l’Allemagne détient les 3 archipels clés des routes maritimes dans le Pacifique. Les flottes en présence dans le Pacifique sud sont celles de la Grande Bretagne et de ses dominions, de la France, de l’Allemagne et du Japon. Il y a donc un certain équilibre grâce aux systèmes d’alliances entre la France et la Grande-Bretagne auxquelles se joint le Japon. L’Australasie montre sa volonté d’émancipation mais reste toutefois très proche de la Grande-Bretagne. L’état des relations entre le Japon et les Etats- Unis appelle de nouveau l’attention des hommes d’Etat d’Australasie sur la défense des colonies anglaises du Pacifique et des grandes voies de communication qui, par cet océan,relient entre elles l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada.
En cas de guerre, des instructions précises sont déjà données par leurs gouvernements aux gouverneurs français et anglais dans les colonies. Les Japonais ont leurs propres consignes.
Les navires de commerce seront militarisés. Les flottes françaises et anglaises rejoindront la métropole en transportant les troupes venant des colonies, elles vont surveiller les routes commerciales maritimes. La flotte allemande doit gagner l’Allemagne au plus vite en contournant l’Amérique du sud et en récupérant mobilisés et volontaires dans les ports alliés.
Chaque flotte doit également causer le plus possible de dégâts aux navires rencontrés. La flotte allemande a aussi pour mission de sectionner les câbles inter-pacifiques de communications. La guerre peut débuter.
1 Comprenant un dreadnought de 19000 tonnes : l’Australia : deux croiseurs rapides de 5 000 tonnes : le Sydneyet le Melbourne, un petit croiseur de deuxième classe : l’Encounter et trois torpilleurs de haute mer : le Yarra, le Parramatta et le Warrego.
2 CAOM, AP 213, n° 75 du 10/10/13, A.E. à Colonies a/s de la marine de guerre australienne : « Substituer à la marine britannique une marine purement australienne, c’était vouloir s’affranchir de cette tutelle » .
3 Le Philomel est un croiseur de 3ème classe, jaugeant 2575 tonnes, avec un équipage de 219 hommes, son armement comprend 16 canons et 4 mitrailleuses. Les autres bâtiments anglais de la flotte néo-zélandaise sont la « Torch » et la « Psyché ». Pyramus et Psyché, croiseurs de 3ème classe, faisaient partie précédemment de la division navale australienne.
4 CAOM, série géographique, Nouvelle-Calédonie 180, chemise 2406/1914/flotte néo-zélandaise.
5 En 1914, la division navale française d’Extrême-Orient et du Pacifique comprend huit unités :
6 CAOM SG, Nouvelle-Calédonie 231, rapport présenté à la Commission d’Organisation d’une marine coloniale
par la sous-commission nommée le 23/12/13 au ministère des Colonies le 10/03/14.
Bibliographie
BOUBIN-BOYER Sylvette, De la Première Guerre mondiale en Océanie – Les guerres de
tous les Calédoniens 1914-1919, Diffusion Septentrion, Presses universitaires, thèse à la carte,
Lille, 2003.
document source : http://www.crid1418.org/doc/textes/partage_pacifique.pdf