Les opérations aériennes dans l’opération Jubilee
retour à la Seconde Guerre Mondiale
Chronologie de la Seconde Guerre mondiale
19 août L’échec du débarquement de Dieppe
article source pdf : http://aerostories2.free.fr/acrobat/events/dieppe_cheron.pdf
Les opérations aériennes dans l’opération Jubilee .Partie I
Soixante ans après les faits, Dieppe laisse une image de carnage qui ne s’effacera sans doute jamais. Les images des Canadiens tombés les uns derrière les autres sur les marches de l’escalier de Puys sont présentes à jamais dans tous les esprits.
Si l’on pouvait visualiser l’effet produit par 180 épaves d’avions, l’ampleur du désastre aérien serait sans doute aussi forte…
Lors du raid, la RAF s’est vu assigner deux missions essentielles : la neutralisation des batteries de défense de la ville et la protection du convoi de bateaux.
Hurricane IIb du P.O. Derek Leyland Stevenson, 175 Hurribomber Squadron, stationné à Warmwell le 19 août 1942. Appareil abattu à Dieppe, pilote parachuté et repêché. Illustration Hubert Cance
P.O. Derek Leyland Stevenson, 175 Hurribomber Squadron eut plus de chance que beaucoup de ses collègues. Il survécut à son parachutage et à sa baignade forcée. Derek mordit cinq fois la poussière pendant la guerre, sans jamais descendre personne. Il faut lire son livre : Et cinq de chute ! monument d’humour britannique…Collection Stevenson
Émile François Fayolle, Squadron Leader du 174 Hurribomber Squadron fut l’une des premières victimes des attaques menées à l’aube par les Hurricane contre les objectifs terrestres. Nouvellement nommé, il fut tué à sa première sortie, à la tête de ce groupe. Une rue de Dieppe porte son nom. Collection particulière.
Raymond van Wymeersch en 1942. Le Français, pilote au 174 Hurribomber Squadron fut abattu et fait prisonnier le 19 août. Collection particulière
Neutralisation des défenses allemandes
La première opération s’effectue quelques minutes seulement avant le débarquement des troupes alliées. Les objectifs principaux, au nombre de sept, ont été affublés du nom de dignitaires allemands (Goebbels, Hindenburg, Bismarck etc.) Il s’agit en fait de pôles regroupant quatre à six pièces de campagnes, batteries côtières ou pièces de Flak lourde de 88 mm placées dans des cuvelage en béton, à ciel ouvert.
Les Alliés ne lancent contre leurs objectifs que des squadrons de chasseurs bombardiers Hurribomber IIb et C, et quelques Boston. Par choix politique et stratégique, aucun bombardier lourd n’est engagé directement contre la ville elle-même (seul, l’aérodrome d’Abbeville fera l’objet d’un « traitement » spécial correspondant à la deuxième sortie des B-17 américains en Europe).
La puissance et la diversité des défenses antiaériennes allemandes ont été nettement sous-estimées. En dehors des postes principaux, les Allemands ont truffé la ville et ses abords de mitrailleuses et de pièces de 20 mm à tir rapide.
Les premiers avions anglais partis de nuit vers 4 h 40 (anglaise) se heurtent à une véritable muraille de fer. L’effet de surprise est nul depuis que le convoi maritime britannique a rencontré quelques bâtiments allemands imprévus sur sa route…
» Les Yellow, on ne les a jamais vus. L’objectif… introuvable. Pour faire bonne mesure, on s’est retrouvé avec quatre Fw 190 juste sur nos têtes, 800 pieds plus haut peut-être (…) Alors on a viré vers la mer, suivi la côte et largué nos bombes sur une position d’artillerie à environ 10 miles au nord-est de Dieppe. Mais les salauds ! Ils nous attendaient au virage. Je n’ai jamais vu une telle densité de Flak ! C’était à croire qu’on pouvait marcher sur les éclats ! » (Témoignage de B.D. Murchie, pilote du 175 Squadron, au debriefing de la première mission. Cité par D.L. Stevenson in « Et cinq de chute ! »)
Dans la pénombre, les pilotes peinent à reconnaître leur objectif et après le délestage de leur bombes, ils arrosent un peu au hasard les positions secondaires qu’ils peuvent repérer. Chez les pilotes de Hurricane, c’est l’hécatombe. Le Squadron Leader français Émile François Fayolle, fait partie des premiers disparus. Il venait d’accepter le commandement du 174 Hurribomber Squadron, refusé peu de temps auparavant par René Mouchotte. Bien qu’étant « chasseur » dans l’âme et ayant été formé sur Spitfire, il avait accepté courageusement et en pleine conscience ce poste à haut risque.
Jusqu’au rembarquement, les pilotes des Boston et des Hurricane vont se relayer pour tenter de remplir leur mission. Avec l’apparition du jour, leur tâche est considérablement compliquée par l’apparition des chasseurs allemands des JG 2 et JG 26. Le ciel devient noir d’avions et les risques de collision se multiplient :
« Vers 12 h 00, 12 h 30, je décolle pour ma deuxième mission : bombardement et mitraillage d’une station côtière au nord de Dieppe. Toujours autant d’avions qui tournoient dans tous les sens, les éclatements de la D.C.A. lourde qui tire dans le tas, la mer couverte de bateaux et de chalands, quelques-uns en feu ; les plages grouillent de blessés et de cadavres, de tanks qui brûlent. Une épaisse fumée obscurcit une partie du ciel au-dessus de notre objectif, nous devons passer dessous pour le voir, et c’est alors que, sortant de ce nuage, un Focke-Wulf me percute et arrache une partie de mon empennage arrière ; j’ai le temps de le voir passer devant moi. L’instinct me fait appuyer sur la détente mais je crois que cela est inutile, il en a déjà pris un coup. Complètement déséquilibré, mon « U » se cabre et je perds le contrôle. Comment puis-je si rapidement mettre les bombes en sécurité, larguer la verrière, déboucler le harnais, sortir de l’avion et sans compter les six secondes réglementaires, tirer sur la poignée du parachute ? Je n’en sais rien. En tout cas, il est temps car, à peine le parachute est-il ouvert que je heurte brutalement le sol. Cheville et pied droit fracturés, je défais le harnais de mon parachute et me débarrasse de ma « mae west » (Témoignage du pilote français du 174 Hurribomber Squadron, Raymond van Wymeersch, in Icare n° 138)
Le 174 perd encore deux autres appareils. Avec les pertes du matin, c’est le Squadron le plus durement touché de l’opération Jubilee : cinq avions abattus, trois pilotes tués, deux prisonniers.
Couverture aérienne Partie II
Le Hurricane IIc serial BD 867 du Sgt. Banks, 3 Squadron. La photo a été prise en 1942, lors d’un vol en formation réalisé pour les besoins du service photographique de la RAF. Banks sera tué dans cet avion à Dieppe.
250 embarcations, de la barge au destroyer, prennent la mer dans la nuit du 18 août 1942. La Royal Navy, qui se souvient du rembarquement de Dunkerque, souhaite une protection irréprochable de ses bâtiments. La RAF met à sa disposition une soixantaine de squadrons de chasse chargés d’assurer une couverture aérienne totale entre 3 000 mètres et le niveau de la mer. Selon un timing digne d’un ballet d’opéra, les squadrons de Spitfire se succèdent toutes les demi-heures et se déplacent, tel un essaim d’abeilles au-dessus du convoi en mouvement. La RAF espère secrètement que la Luftwaffe, attirée par l’énorme appât se jettera dans le tas et sera décimée à la fin de la journée. Face aux 750 appareils mis en l’air par les alliés, les Allemands peuvent aligner environ 200 chasseurs et une centaine de bombardiers venus d’horizons très différents.
En fait, les Allemands réagissent plutôt prudemment dans un premier temps. Ils s’aperçoivent que l’écran de protection semble infranchissable et seuls quelques appareils isolés ou attardés sont pris pour cible. La configuration de la bataille évolue considérablement vers 10 h 00 avec l’arrivée des premiers bombardiers du KG 2 et l’accroissement du nombre de chasseurs allemands présents sur les lieux (environ 50). Les Alliés se précipitent sur les bimoteurs afin de les empêcher de se placer au-dessus des bateaux. Jusqu’ici ordonné, le dispositif défensif allié éclate et les appareils évoluent rapidement dans la confusion la plus totale, l’instinct de chasseur reprenant le dessus…
James Edgar Johnson n’est pas un débutant. Il vient de prendre la tête du 610 Squadron. Celui qui va devenir le deuxième « as » de la chasse britannique compte déjà à cette époque six victoires confirmées. À Dieppe, il abat un Fw 190 et collabore à la destruction d’un autre appareil. Pourtant, en quelques instants, « Johnnie » Johnson se retrouve dans une situation critique. Il commet l’erreur de se laisser embarquer dans un combat tournoyant contre un Fw 190 alors qu’il ne dispose que d’un Spitfire Vb.
« … » Il est à moi « , pensais-je oubliant la vulnérabilité d’un Spitfire isolé, pendant que j’amorçais un virage serré pour arriver sur ses arrières. A pleins gaz, je maintenais le Spitfire dans le plus étroit des virages verticaux. Mais à ma grande surprise je ne parvenais pas à retrouver mon Italien (Un insigne peint sur le fuselage du Fw 190 fait croire à J. Johnson que son adversaire est Italien. Il s’agit vraisemblablement d’une confusion avec un insigne d’unité, personnel, ou une marque d’état-major N.D.A.) qui, d’après mes calculs aurait dû être dans ma ligne de tir. Je ne la voyais pas, et cela n’avait rien de surprenant, car il gagnait sur moi, et c’est bientôt lui qui m’aurait dans son collimateur. L’excès de confiance des secondes précédentes avait fait place à l’irritation d’avoir perdu mon adversaire, puis à une appréhension à me rendre malade. Je poussais le Spitfire au maximum de ses possibilités, mais le 190 restait collé derrière moi comme une sangsue.
Je poussai le manche à fond et je plongeai dans un piqué vertical (manœuvre dangereuse, car le 190 était plus stable et plus rapide que mon Spitfire dans une telle descente), mais j’avais décidé d’un possible moyen d’évasion. Au niveau du sol, je fis un virage serré, et, comme je vérifiai la hauteur, je vis en un clin d’œil le casino blanc et la plage déserte. Le 190 était toujours derrière moi, et, pendant quelques secondes nous évitâmes les clochers et les colonnes de fumée. C’est alors que je tentai de le semer.
A peu de distance du rivage, je repérai un destroyer entouré par des vaisseaux de plus faible tonnage. On nous avait soigneusement recommandé de ne jamais voler à moins de 1 200 mètres au-dessus des bateaux, car autrement, ils ouvriraient le feu. Je me dirigeai en ligne droite sur le destroyer, au niveau de la mer. La DCA du destroyer et les balles traçantes entrèrent dans la danse, pendant que les rafales du 190 me passaient au-dessus de la tête. Au dernier moment, je passai près du destroyer, puis je piquai du nez et m’éloignai, à quelques mètres au-dessus de la mer. Je regardai derrière moi. Le 190 avait disparu. La DCA l’avait tenu à distance ou, mieux, l’avait descendu « .
Dans les deux camps, celui qui survit est celui qui tire vite et bien et surtout dégage immédiatement l’action
« Les duels aériens sont permanents, les mitrailleuses sifflent, les avions tombent… C’est effrayant… Là, un bombardier bimoteur allemand à 300 ou 400 mètres de haut cherche à échapper à deux chasseurs anglais qui le mitraillent, alors qu’eux mêmes sont pourchassés par deux chasseurs allemands crachant le feu de toutes leurs armes, le bombardier tombe en flammes dans une pièce de betteraves de la ferme Lemaître de Miromesnil, tandis qu’un chasseur anglais touché de plein fouet s’écrase à l’extrémité du terrain d’aviation… Alentour, c’est la valse aérienne et les mitraillades qui continuent…
« Vers Tourville, je vois un bombardier anglais ou allemand, je n’en sais rien, qui, l’empennage sectionné culbute littéralement en l’air et s’écrase dans la mer. Et puis une volée de chasseurs anglais sortent littéralement des arbres d’Offranville, comme une bande de pigeons ramiers effarouchés par le bruit, ils mitraillent les batteries de D.C.A. du terrain d’aviation ; un pilote anglais ne reverra pas son ciel, touché de plein fouet, il percute le sol qu’il ne survolait pas à 100 mètres de haut… » (d’après un témoignage civil)
Erich Leie prend le commandement du I./JG 2 le 4 mai 1942. À 26 ans, il est déjà un vétéran des campagnes de France et d’Angleterre, titulaire de la croix de chevalier depuis août 1941. À la fin de cette même année, il compte 32 victoires à son actif. Le 19 août 1942, il obtient une 43e victoire avant d’être blessé :
« … Après que les transferts aient été effectués vers les terrains de réserve pour opérations nocturnes de Rouen-Boos et de Dreux, le I./JG2 basé à Tricqueville intervint contre les troupes anglo-canadiennes débarquées près de Dieppe. L’entreprise britannique était exécutée avec un fort soutien de la R.A.F. Les Anglais maintenaient en permanence trente à quarante chasseurs dans l’espace aérien. A basse altitude, ils attaquaient nos fortifications côtières avec des Blenheim, Wirlwind et Hurricane.
Le Geschwader (escadre) volait en Schwarm (section de quatre N.D.A.) du fait de sa faible force d’engagement et les premières sorties n’apportèrent pas de succès décisif car les Anglais volaient bien groupés et déjouaient à temps toutes nos attaques.
A la troisième sortie, à 10 h 50, cinq kilomètres au nord de Dieppe, j’interceptai un Spitfire qui prit feu et bascula en plein milieu des bateaux de débarquement.
Alors que je couvrais l’attaque de mon ailier sur un autre Spitfire, je fus atteint dans le fuselage et les plans par une rafale venant du haut et de l’arrière. Je dégageais brutalement vers le sol. En me retournant, je pus reconnaître un Spitfire qui défilait en haut, sur ma droite. Je me décidais pour un atterrissage forcé et planais vers un champ où je reconnus cependant les casques plats d’Anglais qui avaient progressé jusque là. Je repris donc de nouveau de l’altitude. Vingt kilomètres devant Abbeville, il y avait une intense fumée noire et des munitions explosaient. Au moment du largage de la verrière, ma cabine se trouvait environnée de flammes. Je sautais à cinq cent mètres de hauteur, non sans avoir été atteint au visage et au bras droit lors de mon passage dans le brasier. Une importante ascendance thermique au-dessus d’un champ de blé provoqua un fort mouvement de balancier du parachute. Pendant deux cent mètres, je pus empêcher qu’il ne se mette en torche uniquement en jouant avec les suspentes et en tentant d’offrir à l’ensemble une portance maximale… «
Les Allemands perdent un peu moins de 50 appareils dans la journée (dont 29 bombardiers). Les Alliés doivent quant à eux déplorer la disparition d’au moins 118 de leurs avions.
Si le bilan est terrible, l’opération Jubilee est tout de même riche en enseignements :
- Les opérations combinées devront désormais pleinement justifier de leur appellation. Pour vaincre, il faudra désormais cesser les guerres de clans les conflits internes (Navy / RAF ; Bomber Command, Fighter Command, etc…), mettre de côté les susceptibilités et renforcer la concertation et les communications inter-armes sur le terrain.
- Aucun débarquement ne se fera désormais sans une intense préparation d’artillerie et un pilonnage aérien lourd et systématique de l’ensemble des sites, jusqu’aux installations situées à l’intérieur des terres.
- Les opérations d’appui tactique, de neutralisation des voies de communication, de harcèlement des renforts sont primordiales. Dans ces opérations menées à vue et à basse altitude, la Flak devient l’ennemi principal.
- A partir de Jubilee, la RAF n’enverra plus jamais d’appareils obsolètes ou sous-équipés sur le front européen. Les roquettes qui équiperont bientôt les chasseurs bombardiers Typhoon ou Tempest en Normandie seront la réponse à l’inefficacité des canons de 20 mm sur les blindages et les fortifications bétonnées.
- Le rapport de perte de un pour deux reste favorable aux Alliés. Il le serait encore, même s’il atteignait un pour trois. A partir de la fin 1942, les Allemands ne sont plus capables de remplacer leurs pilotes disparus au même rythme que les Anglo-américains. Un an après Jubilee, lors du raid de Schweinfurt, l’USSAF perd 600 hommes d’équipages, soit dix fois les pertes de Dieppe, sans que cela n’affecte durablement sa capacité de bombardement.
Il est enfin intéressant de noter que tous les avions alliés ayant joué un rôle secondaire à Dieppe seront deux années plus tard parmi les principaux artisans de la victoire (Spitfire Mk IX, Typhoon, P-51 Mustang, B-17).

Le Spitfire Mk Vb AR 380, codé MN-Z du P.O. Marchal, un Belge du 350 Squadron. L’avion s’est posé train rentré près de l’aérodrome de Saint-Aubin après un combat avec le I./JG 2, vers 8 h 00. Il pourrait être l’une des premières victimes de l’Ofw. Wurmheller du JG 2. D.R. Coll. Part., via Association Jubilee
Le bimoteur Boston, décrit dans un livret d’identification allemand. Après un cours en plein air, cet exemplaire fut oublié par un élève de la Luftwaffe appartenant à une unité de Flak stationnée à Dieppe. Un jeune civil français le ramassa discrètement… Collection Philippe Chéron
L’Oblt Erich Leie, Gruppenkommandeur du I./JG 2, est abattu à Dieppe, mais rescapé.
Bundesarchiv Koblenz
Erich Leie sur le terrain de Beaumont le Roger, au lendemain de son aventure dieppoise. On reconnaît à sa gauche l’Ofw. Joseph Wurmheller, du 1./JG 2 qui enregistre cinq victoires confirmées contre des appareils alliés le 19 août. Bundesarchiv Koblenz
Focke-Wulf Fw 190A-3, 7. Staffel du III./JG 2, stationné à Théville (Manche) le 19 août 1942. Pilote inconnu.
L’appareil porte le numéro 8 blanc et la barre distinctive du Staffel (verticale blanche pour le 7). Au JG 2, bien que les insignes de Staffeln aient pratiquement tous disparus en 1942, celui du 7./JG 2 est toujours représenté : le chapeau de Lord Arthur Neville Chamberlain (premier ministre du Royaume-Uni en 1939) écrasé par un pouce ! Illustrations Hubert Cance
retour à la Seconde Guerre Mondiale