« Pétain renvoie Pétain »
« Pétain renvoie Pétain »
GOUVERNEMENT. Le 13 décembre 1940,
le vice-président du Conseil est exclu du gouvernement
puis placé en résidence surveillée.
http://feuilletage.lunion.presse.fr/feuilletage/UNJDD_20101205/pages/pdf_pages/page_035.pdf
L’étau se resserre autour de Pierre Laval. Yves Bouthillier, ministre des Finances, obtient l’intervention de l’amiralDarlan qui entreprend à son tour de persuader le maréchal sur la nécessité du renvoi du vice-président du Conseil. Les comploteurs ne relâchent pas la pression mais
le principal visé ne devine pas qu’il est la prochaine victime sur leurliste. C’est la possibilité pour Pétain d’effectuer un voyage à Paris et le fait que les Allemands ne s’opposent plus à son installation à Versailles qui précipitent les choses. Le 13 décembre 1940, Pierre Laval s’entretient avec le maréchal et lui précise : « Le führer a décidé de faire une grande surprise à la France. Une grande surprise et un grand cadeau.
Il veut lui rendre pour le centième anniversaire de Saint-Hélène, les cendres du duc de Reichstadt qui reposent à l’église des Capucins à Vienne.
Hitler est obsédé par la légende de l’Empereur. Il croit que rien ne flattera davantage les Français que le retour des cendres de l’Aiglon ». Laval est surpris du peu d’enthousiasme manifesté par le chef de l’Etat français. Aussi revient-il à la charge et fait pression : « Il faut que vous soyez présent à Paris lors du retour des cendres de l’Aiglon. Si vous n’êtes pas là, l’effet sera raté ». Le maréchal s’emporte : « Mais je n’ai rien à y faire. Vous me voyez à Paris par ce froid, au milieu des Allemands, présidant une cérémonie à laquelle les Français ne comprendront rien ? »
Laval n’apprécie guère ce mouvement d’humeur aussi insiste-t-il : « Je vous y vois très bien, monsieur le Maréchal. Et puis, vous ne pouvez pas vous dérober. Ce serait faire une injure personnelle à Hitler ». Pétain se lève : « Alors quoi ? Toujours la carte forcée comme à Montoire ? »
Conscient qu’il a exagéré, le vice-président du Conseil réplique : « Ne vous fâchez pas, monsieur le Maréchal. Ce que je vous en dis, c’est dans votre intérêt. D’ailleurs, si la chose ne vous convient pas, je ne me battrai pas pour une cérémonie. Je ne me bats que pour les grandes choses. Mais, ce serait dommage ! »
De fait, toute la cérémonie a déjà été préparée et minutée. Le corps doit arriver le samedi suivant dans la soirée à la gare de l’Est. Une prolonge d’artillerie, l’esplanade des Invalides, le caveau de l’Empereur, tout le parcours doit être jalonné par des porteurs de torches. Les Allemands apprécient ces démonstrations grandioses. Ils aiment la représentation wagnérienne, romantique et populaire. Alors Laval en rajoute une couche : « Vous, ça ne peut pas vous choquer. Moi, je trouve cela très beau. Que craignez vous ? Hitler ne sera pas là. Il sent bien que sa présence serait mal interprétée. Il ne veut froisser aucune susceptibilité. Et d’ailleurs, les Allemands ne descendront pas dans la crypte. Il s’arrêteront sur les marches de l’église et vous serez seul en bas, seul avec des Français ».
Pétain se résigne et questionne : « Quand partons-nous ? »
. Laval répond tout de go : « Demain matin par un train spécial constitué de trois ou quatre wagons ». Le maréchal demande alors quels sont les ministres qui vont l’accompagner. Le vice-président du Conseil est formel : « Les ministres ? Aucun. Ils n’ont pas bonne presse à Paris. Et puis les Allemands
s’en méfient ».
Philippe Pétain soupire : « Je vais être bien seul ! ». Laval le rassure : « Je serai là et votre entourage sera avec vous. Emmenez le général Laure, Henri du Moulin de Labarthète, le docteur Ménétrel, des militaires, tous ceux que vous voudrez, car, enfin, c’est une cérémonie ! ».
Laval a tout prévu. Il s’est même préoccupé de l’intendance etapris les dispositions nécessaires pour que le Maréchal dorme à l’Hôtel Matignon, le seul bâtiment qui est chauffé. Il lui propose un emploi du temps sur mesure : « Le lendemain dans Paris, en civil, avec votre canne, vous irez vous promener. Tout le monde vous reconnaîtra, tout le monde vous saluera respectueusement. Vous irez revoir votre appartement du square Latour-Maubourg. Vous pourrez même faire un petit tour en zone occupée ». Pétain émet le vœu de pouvoir se rendre à Rouen. Laval est prêt à céder même s’il a plutôt pensé à Chartres, au Mans et à Orléans.
Lorsqu’ils apprennent que leur ennemi est parvenuàconvaincre Pétain, les comploteurs considèrent que ce n’est pas un seul homme qui peut avoir un tel ascendant sur le Maré- chal. Bouthillier, Darlan, Baudoin, Peyrouton, Huntziger, Caziot, Albert et même l’amiral Platon, secrétaire d’Etat aux colonies estiment qu’il s’agit d’une manœuvre de très haut niveau. Pour eux, Pétain à Paris va tomber dans un piège. On va lui demander de constituer un nouveau gouvernement dont ils seront exclus. Laval est accusé d’être le chef de la « bocherie » selon le mot du général Weygand. Tous craignent qu’avec les Brinon, Doriot, Déat, Laval se précipite dans une collaboration renforcée. Huntziger méfiant déconseille de s’en prendre de front au vice-président du Conseil. Il craint aussi que la colère du Reich paralyse la Commission d’armistice dont il est la clé française. Peyrouton est direct et propose l’arrestation de Laval. Pendant ce temps le Maréchal se rétracte et décide de rédiger une lettre à Hitler pour l’informer qu’il est au regret de ne pouvoir se rendre à Paris pour accueillir les cendres de l’Aiglon et annonce qu’il procèdeàla constitution d’une nouvelle équipe ministérielle. La convocation imprévue du conseil des ministres inquiète Pierre Laval. Tout va très vite. Le Maréchal demande aux ministres de signer leur démission en suivant un texte préparé d’avance. Il s’absente un court moment.
« IL FAUT ARRÊTER PIERRE LAVAL»
A son retour, il indique très simplement qu’il a accepté les démissions du vice-président du Conseil Pierre Laval et celle de Georges Ripert, ministre de l’Education nationale. Laval stupéfait réclame des explications. Pétain lui répond simplement : « Je n’ai plus confiance en vous ». Et d’ajouter : « Le vice-président entraîne la France beaucoup trop loin ». Laval reprend la parole : « Les Allemands savent très bien que, en vous séparant de moi, c’est à la collaboration que vous avez voulu tourner le dos ». Laval se retire. Le soir même, à l’heure du dîner, le directeur de la Sûreté nationale Chavin convoque le directeur central de la police judiciaire, Pierre Mondanel et sans même le faire asseoir lui déclare : « Il faut arrêter Pierre Laval ». Mondanel qui a crée un réseau clandestin de surveillance pour suppléer les Renseignements généraux envers lesquels Chavin n’a aucune confiance marque sa surprise.
Il ne veut pas s’exécuter avec un simple ordre oral. Il s’agit, au moment où Laval montera dans sa voiture pour regagner sa maison de Châteldon, de lui signifier qu’il est placé en résidence surveillée avec obligation d’y être accompagné ! Chavin s’absente et revient avec cette réponse péremptoire :
« Si Laval vous demande des explications vous lui direz que vous agissez conformément aux instructions du maréchal Pétain ». Mondanel dépêche deux voitures et six policiers surveiller la sortie de l’hôtel du Parc. Le véhicule de Laval dont le coffre est chargé d’archives est intercepté et confisqué.
Laval démissionné ne sait toujours pas qu’il est assigné à résidence à Châteldon. Mondanel se rend sur ordre au premier étage et signifie à Laval son nouvel état.
Furieux, Laval veut confirmation du premier cercle du maréchal. C’est le général Laure qui s’en acquitte et ajoute : « La temporisation a assez duré. Il faut partir pour Châteldon ».
source :
http://feuilletage.lunion.presse.fr/feuilletage/UNJDD_20101205/pages/pdf_pages/page_035.pdf