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28 mars 2013

Le raid britannique sur le port de St-Nazaire reste le plus grand de tous les temps

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Le raid britannique sur le port de St-Nazaire reste le plus grand de tous les temps

Le 28 mars 1942, les commandos de Sa Majesté ont détruit la cale sèche du port de St-Nazaire et ainsi empêché que le cuirassé Tirpitz, jumeau du Bismarck, ne puisse y être réparé après une possible guerre de course dans l’Atlantique. Ce raid exceptionnel, accompli au prix de pertes terribles, a prouvé dès cette époque le caractère irremplaçable des forces spéciales en cas de conflit.

Dans les sombres jours du début 1942, la ligne vitale de l’Atlantique était étirée jusqu’au point de rupture. Les U-Boote coulaient les navires de commerce alliés plus vite qu’ils ne pouvaient être remplacés, et à cette menace s’ajoutait celle des navires de surface allemands. Le printemps précédent, la Royal Navy avait pourchassé et coulé le cuirassé moderne Bismarck, mais d’autres raiders potentiels restaient en liberté. Le plus dangereux d’entre eux était le Tirpitz, le navire jumeau du Bismarck.

«… Le dock ne fut pas remis en service avant les années 50. Le monstrueux cuirassé Tirpitz restait privé de base, et il ne sortit jamais de son refuge norvégien. »

Le Tirpitz était un monstre, avec plus de 50’000 tonnes, un blindage épais et des canons de 380 mm. Il était si puissant qu’aucun cuirassé britannique ou américain ne pouvait l’affronter seul. Si ce géant parvenait à accéder aux les lignes empruntées par les convois dans l’Atlantique Nord, les résultats auraient pu être catastrophiques pour les Alliés. Avec son talent littéraire habituel, Winston Churchill a décrit de cette manière l’importance de la destruction du Tirpitz : « toute la stratégie de la guerre tourne à cette époque autour de ce bateau. »

Le Tirpitz était alors embusqué dans les eaux norvégiennes, de même que les cuirassés de poche Lützow et Admiral Scheer. La Royal Navy s’efforçait de neutraliser cette flotte dangereuse ou de la contraindre à sortir et à combattre, mais jusqu’ici les Britanniques manquaient de chance. Le danger était bien entendu que les navires allemands fassent une sortie pendant que les unités majeures de la flotte britannique opéraient ailleurs, et qu’ils ne s’attaquent à un convoi protégé uniquement par des corvettes, des chalutiers armés et des destroyers. Or, si la Royal Navy pouvait amener le Tirpitz à se battre et l’endommageait, il n’y avait qu’un seul port dans toute l’Europe occupée par l’Axe où il pourrait être réparé : la ville française de St-Nazaire.

Un objectif hautement fortifié

Cette petite ville portuaire abritait la forme-écluse Louis Joubert, mieux connu sous le nom de dock Normandie, une énorme cale sèche construite spécialement pour accueillir le Normandie, l’orgueil de la flotte passagère française d’avant-guerre. Le Bismarck, endommagé dans son combat avec le Hood et le Prince of Wales en mai 1941, avait mis le cap sur St-Nazaire lorsqu’un avion Fairey Swordfish de la Royal Navy le frappa d’une torpille, avant que la force navale britannique qui le poursuivait l’intercepte et le coule. C’était également à St-Nazaire que le Tirpitz irait pour réparer des dégâts causés par des torpilles, des bombes ou des obus. Les Britanniques étaient décidés à supprimer le seul refuge du navire géant – et c’est ainsi qu’est née l’opération Chariot.

St-Nazaire et le dock Normandie se trouvent sur l’estuaire de la Loire, à environ 10 km de son embouchure. Au printemps de 1942, le fleuve était large de 1,5 km et relativement peu profond, sauf là où un canal pour grands bateaux avait été dragué, près de la rive nord de l’estuaire. Le dock lui-même était énorme, un bassin de 349 mètres sur 50. L’accès reposait sur des portes monstrueuses épaisses de 11 mètres, tellement massives que les Britanniques les appelaient des «caissons». Elles mesuraient 52 mètres de long et 16 de haut, et avaient été conçues pour être déplacées sur d’énormes roulettes.

Les maisons de treuil et les stations de pompage étaient construites à la même échelle que le grand dock. Sur un côté de la cale sèche se trouvaient St-Nazaire et les bassins de Penhouet, de larges mouillages artificiels qui étaient généralement utilisés par les petits navires de guerre allemands. Le bassin de St-Nazaire, le plus grand des deux, étaient attribués aux U-Boote, qui atteignaient l’estuaire de la Loire à travers une suite d’écluses. Certains des abris bétonnés pour U-Boote de St-Nazaire étaient en service, alors que d’autres étaient encore en construction.

D’autres installations du port étaient à proximité, de même que des écluses, des ponts, des quais, des réservoirs souterrains de carburant pour les sous-marins, et une centrale électrique. L’ensemble du complexe était défendu par quelque 100 canons de tailles diverses, infesté de projecteurs de recherche et fréquenté par des dragueurs de mines et des vaisseaux de défense côtière. La ville elle-même abritait jusqu’à 5000 soldats et marins allemands, dont une brigade d’infanterie complète.

Pour surmonter ces défenses formidables, les Britanniques savaient qu’ils devaient engager leurs meilleurs soldats – les commandos. Les soldats de la Couronne avaient à dire vrai une longue histoire des raids audacieux. Ils ont organisé des dizaines d’expéditions avec de petits bateaux contre les Espagnols et les Français à l’époque de la voile. Et ils ont également mené durant la Première guerre mondiale les frappes risquées contre Zeebrugge, en Belgique, pendant lesquelles des troupes débarquées ont neutralisé les défenses côtières allemandes alors que la marine coulait trois vieux croiseurs dans le canal qu’empruntaient les U-Boote allemands pour gagner la Mer du Nord.

Les commandos britanniques s’étaient déjà distingués dans des raids similaires, de l’Afrique aux îles Lofoten en Norvège. L’attaque des Lofoten en avril 1941 avait été un énorme succès. Elle avait totalisé 11 navires coulés, 800’000 gallons de pétrole brûlés, 216 Allemands et 60 « Quislings » norvégiens [autrement dit des collaborateurs, note du traducteur] faits prisonniers, et plus de 300 Norvégiens engagés volontaires pour les forces de la Norvège libre. Les Britanniques n’ont enregistré qu’un seul blessé.

Alors que la plupart des premiers raids menés par les commandos ont entraîné des pertes, de l’embarras et de l’inquiétude pour l’Axe, St-Nazaire posait un défi bien plus difficile que tout ce qui avait été tenté précédemment. Si l’offensive réussissait, et rien n’était moins sûr, ce serait le raid le plus audacieux de la guerre. Les commandos devaient être engagés durant la dernière semaine de mars, car c’est seulement à cette période qu’ils auraient une pleine lune et une marée montante entre 2400 et 0200.

Des moyens limités

Les ressources britanniques étaient maigres. Certains des commandos devaient se déplacer sur une flotte de 15 vedettes, des bateaux en bois non blindés et longs de 34 mètres, qui transportaient leurs réservoirs auxiliaires sur le pont et n’avaient pour armement qu’un canon bitube Oerlikon de 20 mm et une paire de mitrailleuses Lewis datant de la Première guerre mondiale. Quatre de ces fragiles embarcations transportaient également des torpilles. Les vedettes avaient deux avantages : elles atteignaient 18 nœuds de vitesse et n’avaient qu’un très faible tirant d’eau. En entrant dans l’estuaire de la Loire sur une marée de printemps, elles pouvaient opérer sur les hauts fonds et autour de plages de vase, en-dehors du canal principal fortement défendu.

Une puissance de feu légèrement supérieure était fournie par une unique canonnière motorisée en bois. Elle portait un canon antiaérien Vickers de 40 mm, deux mitrailleuses bitubes de 12,7 mm et un canon de 40 mm semi-automatique. Elle était destinée à faire office de bateau de commandement et à guider les raiders jusqu’à la Loire, car elle était équipée à la fois d’un radar et d’une sonde sonore.

Il y avait enfin le torpilleur 74, dont les tubes conçus pour être arrimés à mi-coque avaient été avancés presque jusqu’à la proue, dans l’idée qu’il puisse lancer ses torpilles par-dessus un filet anti-torpilles. Celles-ci avaient été modifiées et avaient reçu une minuterie, de manière à ce qu’elles explosent après avoir reposé un instant au sol. La fonction du navire était de torpiller le caisson sud si l’arme principale ne fonctionnait pas. Le torpilleur 74 était un bateau étrange qui avait du mal à maintenir une vitesse donnée entre l’extrême lenteur et les 40 nœuds atteints à fond. Il devait être remorqué pour entrer en action, au grand dégoût de son capitaine, le sous-lieutenant Micky Wynn, l’un des nombreux audacieux excentriques (« d’une excentricité folle », selon un officier supérieur) qui avaient trouvé leur place dans la Royal Navy en guerre.

Mais aucun de ces vaisseaux ne pouvait fournir l’impact principal, le coup d’assommoir qui mettrait la cale sèche hors service presque indéfiniment. Il n’y aurait pas de deuxième chance. Les commandos mettraient pied à terre pour détruire les grands caissons coulissants, les maisons de treuil et la station de pompage, mais même cela ne pourrait pas rendre le dock inutilisable pour le restant de la guerre. Il fallait quelque chose de plus, et ce quelque chose s’est révélé être le HMS Campbeltown. Ce vieux destroyer à 4 cheminées long de 95 mètres, alias USS Buchanan, était l’un des 50 destroyers obsolètes transférés à la Royal Navy par les Etats-Unis en échange de l’usage privilégié de bases au sein des Caraïbes britanniques.

En vue du raid, le Campbeltown a été envoyé dans une installation de la Royal Navy à Devonport pour y subir un lifting. Une reconstruction de 9 jours lui a permis de ressembler un peu à l’un des navires de guerre allemands largement utilisés de la classe Möwe, une sorte de croisement entre un petit destroyer et un grand torpilleur. Les ouvriers de Devonport ont allégé au maximum le vieux destroyer, car il devait franchir les hauts fonds de la Loire, où même à marée haute il n’y avait qu’à peine 3 mètres d’eau. Tous les tubes lance-torpilles et l’équipement anti-sous-marin du Campbeltown furent enlevés, de même que deux de ses cheminées, la plupart de ses mâts et tous ses canons sauf un. Les deux cheminées restantes furent raccourcies, et les ouvriers ajoutèrent un mince blindage autour de la passerelle. Ils installèrent également 4 plaques de blindage hautes de 5,4 mètres de la passerelle à la poupe, afin de donner une certaine protection aux éléments débarqués du commando. De plus, le bateau reçut 8 canons Oerlikons de 20 mm, et son unique pièce de 76 mm fut déplacée de la poupe à la plage avant.

Le mordant du Campbeltown était constitué de 24 charges de profondeur, placées dans un réservoir en acier bétonné dans la coque, juste derrière le piédestal qui avait porté le canon du pont avant. Cette charge énorme, qui représentait plus de 4 tonnes d’explosifs, était amorcée par d’autres explosifs fixés à des détonateurs ayant un délai de 8 heures. Ces détonateurs devaient être activés en remontant la Loire. Si tout se déroulait conformément au plan, le Campbeltown emboutirait les énormes portes de la cale sèche, se frayerait un chemin à travers et s’enfoncerait profondément dans le bassin. Il serait ensuite sabordé à cet endroit, puis avec un peu de chance exploserait et détruirait le dock Normandie jusqu’à la fin de la guerre. La charge explosive était bien suffisamment derrière la coque du Campbeltown pour ne pas à ne pas être endommagée par la déformation inévitable de la proue, et bien assez à l’avant pour être dans la zone de la cible.

Attaquer à 1 contre 10

La mission des commandos était de débarquer rapidement, de tirer sur tout ce qui était important et de détruire au maximum l’équipement vital du dock et d’autres installations du port. Les portes des écluses reliant le bassin des sous-marins était un objectif prioritaire – les mettre hors service bloquerait l’accès à l’océan et limiterait sérieusement l’utilité du bassin. Au total, les commandos avaient pour but de démolir 4 ponts, 6 centrales électriques, 8 portes d’écluses et 13 canons.

La force terrestre devait compter 256 hommes et officiers, provenant de 6 différentes compagnies de commandos. Certains des raiders ne transportaient qu’un pistolet et un énorme sac à dos contenant jusqu’à 40 kg d’explosif. La tâche d’autres groupes de 5 hommes, chacun équipé de mitraillettes Thompson et d’une mitrailleuse Bren, consistait à couvrir les porteurs d’explosifs pendant qu’ils posaient leurs charges. D’autres éléments de combat, formés chacun de 2 officiers et de 12 hommes, devaient prendre d’assaut les positions d’artillerie, établir un périmètre autour du dock et repousser les renforts venant de la ville. Pour des crises imprévues, il y avait une maigre réserve de 12 hommes, ainsi qu’un médecin et un petit détachement médical.

Le raid devait être conduit par le lieutenant-colonel A. C. Newman, un officier territorial du régiment de l’Essex, chef du 2e Commando et vétéran des raids réussis en Norvège. Le contingent naval était commandé par le commandant R. E. D. Ryder – inévitablement appelé « Red. » Ryder était le loup de mer britannique par excellence, un vétéran de l’exploration polaire, des sous-marins, des Q-ships [des navires anti-sous-marins déguisés en bateaux marchands, NDT] et de deux naufrages sur navires de guerre. Ces deux chefs étaient des professionnels calmes et réfléchis.

Les hommes qui les ont suivis comptaient des soldats et des marins de carrière, mais la plupart étaient des guerriers temporaires ; le détachement de Newman comprenait un membre de la Bourse de Londres, un mineur, un conservateur de musée et un économiste. Tous avaient acquis un niveau excellent en suivant l’entraînement meurtrier des commandos. Nul ne portait le badge commando sur son épaule sans survivre à des marches forcées épuisantes – 100 kilomètres en 24 heures était le standard, et quelquefois les hommes devaient accomplir 11 kilomètres en une heure. Une unité avait fait une marche mémorable de 104 km en 23 heures. Tout le monde se partageait les charges, sans différence entre officiers, sous-officiers et soldats. Tout le monde s’entraînait dans la neige et le froid des hivers dans les Highlands ; tout le monde frissonnait durant les débarquements dans les eaux glaciales des Hébrides ; tout le monde apprenait à tuer des hommes à mains nues et au couteau.

Ces volontaires en temps de guerre savaient qu’ils se jetaient dans les bras de la mort. Avec une honnêteté déprimante, le vice-amiral Louis Mountbatten, chef des opérations combinées, a en fait dit à Newman que lui et ses hommes étaient passés par pertes et profits: « je suis sûr que vous pouvez y aller et faire le boulot, mais nous n’avons pas beaucoup d’espoir de pouvoir vous extraire. Même si on vous perd tous, les résultats de l’opération en auront valu la peine. Pour cette raison, je veux que vous disiez à tous les hommes ayant des responsabilités familiales, ou qui pensent devoir se retirer pour n’importe quelle raison, qu’ils sont libres de le faire et que personne ne leur en voudra pour cela. » Newman a transmis l’offre de Mountbatten à ses commandos, mais pas un seul homme ne s’est défilé.

L’entraînement en vue du raid a duré des semaines, en particulier à la cale sèche King George V de Southampton, qui était assez grande pour accueillir le Queen Mary de 75’000 tonnes. Les groupes d’attaque ont répété leurs tâches encore et encore, et passé plus de temps encore autour d’une maquette précise à l’aide de photos prises par les avions de reconnaissance de la RAF. Les équipes de démolition se sont entraînées de jour, puis en portant des bandeaux et enfin de nuit. La règle était de placer les explosifs sur la cible en 10 minutes ou moins, et à chaque répétition des hommes étaient déclarés touchés de manière impromptue, afin que les autres membres de l’équipe soient contraints d’apprendre chaque fonction en plus de la leur.

Les raiders ont même inventé un mot de passe à l’épreuve des Allemands : « war weapons week », avec « weymouth » pour réponse, car il n’y a pas de son « w » en allemand. Ils ont également consenti à quelques jeux d’acteurs pour les espions allemands qui pouvaient se trouver autour de Falmouth, leur point d’embarquement. Ils se sont eux-mêmes appelés la « 10e force de frappe anti-sous-marine » et ont lancé la rumeur qu’ils étaient organisés pour rechercher des U-Boote loin au-delà des approches occidentales des Iles britanniques. Ils ont également concocté une histoire selon laquelle la force allait quelque part à l’est du canal de Suez, et ils se sont assurés que quiconque les observait pouvait voir que des lunettes de soleil et d’autres équipements de haute température étaient transportés à bord des bateaux qui les emmèneraient en France.

Au milieu du mois de mars, tout était aussi prêt qu’ils pouvaient le faire. Des images aériennes de dernière minute ont montré 4 nouveaux canons de défense côtière près de l’objectif. Ces nouvelles pièces n’étaient qu’une partie des armements incroyablement puissants du 280e groupe d’artillerie navale, qui couvrait l’estuaire avec 28 canons d’un calibre allant de 70 mm jusqu’aux tubes massifs de 170 mm. Il y avait même une batterie de canons sur rail de 240 mm, le long de la côte à la Baule, à près de 15 km de là. Trois groupes de DCA navale étaient également situés à l’intérieur de St-Nazaire ou à proximité. Ces unités engageaient 43 canons de 20 à 40 mm et quelques autres de 37 mm, dont un grand nombre étaient positionnés dans des tours DCA, au sommet de bunkers ou de toits. Et ceci sans compter les avions de la Luftwaffe, les canons des bateaux mouillant près du dock ou les destroyers errants de la Kriegsmarine.

Dans le bassin de Penhouet ou celui des sous-marins se trouvaient 10 dragueurs de mines, 4 navires de défense côtière et 9 U-Boote – bien que ceux-ci n’avaient que des équipages squelettiques. Un Sperrbrecher lourdement armé – conçu pour combattre les mines magnétiques – était ancré dans le courant. Deux pétroliers étaient en réparation à l’intérieur du grand dock et dans un autre à proximité. Il y avait également 4 torpilleurs de classe Möwe amarrés dans le bassin à sous-marins, et ils occupaient l’endroit exact où Ryder et Newman avaient prévu de placer leur poste de commandement sur la canonnière. L’opération Chariot continuerait quand même. Les risques étaient formidables : 611 raiders, en 2 groupes à peu près égaux de marins et de commandos, s’élanceraient contre des adversaires 10 fois plus nombreux. L’audace et la surprise devaient compenser la disparité des forces.

Dans les eaux de la Loire

Les raiders ont quitté Falmouth tard dans la journée du 26 mars, guidés par les destroyers Atherstone et Tynedale, suivis par le Campbeltown et flanqués des deux côtés par les petites vedettes. Le torpilleur 74 et la canonnière étaient remorqués par les destroyers. Les commandos visibles sur les ponts portaient des tricots et des duffel coats pour tromper tout avion ou sous-marin inquisiteur. Durant la nuit, les Britanniques ont changé de cap et hissé les couleurs allemandes. Le matin suivant, ils ont aperçu un U-Boote, que le Tynedale ont contraint à plonger avec ses canons et ses charges explosives. On n’entendit plus parler du sous-marin, le U-593, mais nul ne pouvait dire s’il avait transmis la position et le cap de la flottille.

Il est apparu qu’il l’avait fait, mais les Britanniques ont eu de la chance. Le U-593 n’avait probablement pas vu les petites vedettes – elles étaient trop bas sur l’eau – et avait également transmis à son commandement qu’il avait vu une force britannique voguant à l’ouest au lieu de l’est. Les Allemands en ont logiquement déduit que le sous-marin avait vu une opération de minage, et ont envoyé des navires pour en savoir davantage. Ils n’ont trouvé qu’une mer vide.

Vers 2200 cette nuit-là, la force aperçut une lumière venant du sous-marin Sturgeon de la Royal Navy, posté en guise de balise de navigation pour marquer le point de départ de l’étape finale pour l’estuaire de la Loire. La petite flottille changea de cap et s’élança dans la gueule du loup, la canonnière en tête et le Campbeltown juste derrière. L’Atherstone et le Tynedale virèrent de bord, naviguant en appui rapproché au large de l’estuaire. Chaque homme avait vérifié et revérifié ses armes, et les équipes de démolition avaient soigneusement empaqueté leurs charges au plastic dans l’ordre dans lequel elles seront utilisées. Chaque charge, variant entre une demi-livre et deux livres, étaient méticuleusement emballée dans du papier étanche.

Au-dessus de St-Nazaire, tranchant sur les ténèbres, les obus allemands faisaient des arcs dans un ciel nuageux, un repère dans la nuit. La RAF effectuait un raid de diversion, bien que la plupart des bombardiers n’ont pas largué leurs charges de crainte de tuer des civils français. En fait, les scrupules des Britanniques ont inspiré les doutes d’un commandant de garnison allemand, qui nota que les bombardiers ne larguaient aucune bombe par instant. « Une diablerie se prépare », a-t-il dit, et il a averti sa garnison de sa « suspicion de parachutages. » Les pilotes de la RAF, qui ne savaient rien du raid imminent en-dessous d’eux, ont dit plus tard qu’ils auraient piqué avec joie pour bombarder au ras du sol si on leur avait dit ce qui était en jeu.

A 2300, sur le Campbeltown, le lieutenant Nigel Tibbets – expert en explosifs – amorça les détonateurs de l’énorme bombe du bateau. Les charges devaient exploser entre 0500 et 0900 le matin suivant. Les colonnes britanniques croisaient posément dans l’estuaire de la Loire, maintenant leur vitesse à moins de 10 nœuds. Les petits bateaux étaient peu maniables à basse vitesse, mais le Campbeltown avait moins de tirant d’eau à 10 nœuds qu’à haute vitesse, et il était essentiel de le maintenir au minimum pour franchir les plages de vase.

A présent, tout le raid dépendait d’un seul homme, le lieutenant A. R. Green de la Royal Navy, navigateur sur la canonnière. C’était à lui d’ouvrir la marche, en maintenant le destroyer hors des hauts fonds et de la vase qui se cachaient autour de lui dans les eaux sombres du fleuve. A deux reprises, le Campbeltown rafla le fonde la vase, réduisant sa vitesse de moitié, mais il poursuivit sa route. La navigation de Green était superbe, et les pilotes professionnels de la Loire ont dit après la guerre que sa conduite du Campbeltown à travers les hauts fonds était « sans précédent dans l’histoire du port. »

Toujours en belles colonnes, la flottille britannique naviguait hardiment dans la nuit, mais elle fut aperçue à 0115 et le quartier-général allemand transmit une alerte de débarquement. Cependant, c’est seulement à 0122 que les défenses côtières ont réagi. Des projecteurs de recherche illuminèrent le fleuve depuis les deux rives, et les Allemands interrogèrent les vaisseaux. Un transmetteur britannique en uniforme allemand répondit, donnant un signal d’appel extrait d’un livre de transmissions dérobé. Cela retint les batteries allemandes pour quelques minutes de plus, et les Britanniques envoyèrent d’autres signaux, en demandant l’amarrage immédiat de bateaux endommagés par l’ennemi. Finalement, lorsque les Allemands commencèrent enfin à ouvrir le feu, les Britanniques émirent le signal international de bateaux pris sous le feu ami.

Dès que les canons allemands se sont mis à tirer pour de bon, les Britanniques amenèrent leurs couleurs allemandes, levèrent l’insigne blanc et répliquèrent avec chaque arme, y compris les mitrailleuses Bren des commandos. Leur feu eut un effet immédiat. Le Sperrbrecher se tut rapidement, son canon de 88 mm étant mis hors combat. Les tirs allemands des berges commencèrent à diminuer, et plusieurs projecteurs furent détruits. L’efficacité du feu britannique fut un triomphe, a dit Ryder par la suite, « pour les nombreux canonniers du navire côtier et du Campbeltown. » Dans la confusion, les petits bateaux de bois émirent de la fumée et mirent abruptement le cap sur la masse noire du chantier de construction navale, alors que le capitaine du Campbeltown, le lieutenant de vaisseau R. H. Beattie, demanda toute la vitesse que son navire pouvait donner.

Au terme de sa longue vie, le Campbeltown se précipitait pour mourir en beauté. Sur le pont, Beattie ordonnait les corrections de cap en visant les grands portes caissons toujours éloignées de quelque 700 mètres. Ses canons Oerlikons étaient en action et pilonnaient les défenses côtières allemandes. Lorsque les servants de deux Oerlikons furent touchés, d’autres membres d’équipage se ruèrent dans le déluge de feu pour les remplacer. Les traçantes allemandes se déversaient sur vers le Campbeltown, et des obus plus lourds s’écrasaient sur ses flancs. Newman, qui l’observait depuis la canonnière, a dit par la suite : « Le poids du feu coupait le souffle. Ses côtés semblaient vivants sous l’éclatement des obus. » Les hommes morts et blessés jonchaient ses ponts ensanglantés.

Le barreur et le bosco du Campbeltown avaient tous deux été tués sur le pont, mais Tibbets a calmement devancé un autre officier et pris la barre. « Je vais le prendre, mon vieux », a-t-il dit, et il a maintenu le vieux bateau droit sur son erre glorieuse. Presque aveuglés par les projecteurs allemands, Beattie et Tibbets sont restés de vrais marins professionnels, laconiques et neutres au milieu du feu et du carnage. Le calme glacé de Beattie amena un observateur à s’exclamer : « Par Dieu ! Le parfait élizabéthain ! »

« A tribord toute », dit tranquillement Beattie à son nouveau barreur.

« A tribord toute », répondit tout aussi calmement Tibbets.

« Cap au 055. » Puis « bâbord 25. »

« La barre à bâbord 25, Monsieur. »

« Cap au 345. »

Beattie ordonna finalement, « cap au 350 », et le vieux Campbeltown fonça directement sur le caisson sud de la cale sèche. Puis, « préparez-vous à l’éperonnage. » Juste avant l’impact, Beattie ordonna « bâbord 25 », et Tibbets balança la poupe à tribord, dégageant habilement une place de débarquement pour les vedettes qui le suivaient.

A la vitesse de 19 nœuds, le vieux destroyer déchira les câbles d’un filet anti-torpilles, s’écrasa dans le grand caisson méridional et se coinça profondément à l’intérieur du grand dock. Sa proue en acier se voilà sur 11 mètres sous l’impact gigantesque. Il était solidement bloqué, pointant vers le haut à un angle d’environ 20 degrés, sa poupe presque submergée. Beattie s’est permis de sourire, puis déclara, « eh bien, nous y voilà, avec 4 minutes de retard. » Il était 0134, juste 4 minutes hors de l’horaire soigneusement planifié par Ryder.

Les groupes terrestres en action

Les survivants des raiders passaient par-dessus le bord du Campbeltown. La plupart d’entre eux avaient été touchés, mais quiconque pouvait se déplacer descendit du dock sur des échelles télescopiques et se lançait dans sa mission. L’équipage du canon avant et les hommes servant les mortiers des commandos étaient tous hors combat, morts ou blessés, mais les Oerlikons restants continuaient de déverser un feu précis sur les défenses côtières. Avec tant de morts et de blessés, pas plus de 113 commandos n’abordèrent la rive, et environ un quart d’entre eux – les hommes chargés des démolitions – ne portaient que des pistolets.

Le colonel Newman mit pied à terre avec son groupe de commandement et fut immédiatement confronté à une furieuse fusillade avec des canons allemands montés sur les abris des sous-marins, les canons des garde-côtes et une batterie côtière. Le sergent-major Haines arriva avec un mortier de 2 pouces au milieu de cet enfer, installa calmement son tube et parvint à réduire l’essentiel du feu allemand, même s’il tirait sans organe de visée. Lorsque l’un des bateaux allemand dans le bassin de St-Nazaire tira sur le groupe de Newman, Haines le fit taire avec une mitrailleuse Bren.

Le lieutenant John Roderick conduisit son groupe au bas des échelles télescopiques par la proue du Campbeltown, prenant d’assaut deux positions de mitrailleuses ennemies dans la foulée en les détruisant à la grenade. Le prochain obstacle était une tour de DCA, que les hommes de Roderick ont détruit en lançant des grenades sur le toit, dans les supports des canons. Ils réduisirent ensuite au silence une position de 40 mm toute proche. Au-dessus d’eux, un autre canon et un projecteur allemand avaient été détruits par le feu britannique, bien que qu’à ce jour encore nul ne sache qui l’ait tiré.

Pendant ce temps, le capitaine Donald Roy menait ses Ecossais en kilt au-delà de la station de pompage, à travers un pont et dans le bassin à sous-marin, où ils parvinrent à retenir des renforts allemands durant une demi-heure. En passant, il détruisit les canons placés sur le toit de la grande station de pompage en béton. Les survivants allemands avaient pris la fuite dans la nuit. Les hommes de Roy subirent de lourdes pertes sous le feu de canons multitubes de DCA situés à l’extrémité du bassin et des navires ancrés à l’intérieur. Mais les Allemands les considéraient comme une menace suffisante pour que l’équipage d’une navire de défense portuaire, redoutant la capture, le sabordent.

Derrière le groupe écossais de Roy, le lieutenant Stuart Chant – déjà touché au bras droit et à la jambe gauche – conduisait son équipe de démolition vers son objectif, la station de pompage du grand dock. Les hommes de Roy avaient déjà éliminé les canonniers allemands sur le toit du bâtiment. Le groupe de Chant plaça un « palourde » – une petite charge aimantée – sur les portes bloquées, défoncèrent ces portes et plongèrent dans les entrailles du bâtiment, se dirigeant vers la machinerie 12 mètres plus bas. L’un des hommes de Chant, qui avait déjà été blessé et ne pouvait plus marcher, fut laissé en couverture à l’entrée de la station de pompage.

Le sergent A. H. Dockerill, jadis enfant de chœur à la cathédrale d’Ely, portait à la fois le sac d’explosifs pesant 27 kg du blessé et le sien en descendant le long des escaliers d’acier. Chant, les mains coupées et en sang, posa les charges avec ses hommes – environ 18 kg de plastic pour chacune des énormes pompes, puis les envoya au sommet du bâtiment en ne gardant que Dockerill avec lui, « au cas où mes blessures devaient m’empêcher de mettre à feu les charges. » Pendant qu’il travaillait, la station de pompage était secouée par les lourdes explosions venant du toit, où Roy détruisait les canons allemands. Dès que Chant et Dockerill allumaient les détonateurs, ils n’avaient que 90 secondes pour remonter l’escalier de 12 mètres et se mettre en sécurité. Chant réussit à monter en boitant les marches dans ce délai, en s’accrochant à la ceinture du solide Dockerill.

Mais il avait bien placé ses charges. L’explosion ne laissa de la station qu’un amas de béton et projeta les moteurs des pompes dans le cratère en contrebas. Son groupe termina le travail et démolit ce qui restait debout avec des marteaux de forgeron et des charges incendiaires. Puis Chant ramena ses hommes vers la rivière, en direction du « Vieux Môle », une jetée qui s’avançait directement dans la Loire, juste au sud de l’ouverture de la cale sèche. Comme leur itinéraire était barré par un pont que le feu allemand balayait, les hommes de Chant s’accrochèrent aux poutrelles sous la structure et ainsi passèrent de l’autre côté.

Le lieutenant Bob Burtenshaw descendait avec son groupe le long du dock près du Campbeltown. Portant la casquette du commandant Beattie – on ignore comment il l’a eu – et son monocle fermement vissé à l’œil, il fredonnait l’air « There’ll Always Be An England » pour lui-même au milieu du feu allemand. Dans les ténèbres, il tomba sur les survivants du groupe du lieutenant Gerard Brett, qui avaient laissé à couvert leur commandant blessé et avaient atteint le caisson nord du dock, non sans tuer deux Allemands croisés en chemin. Ils avaient essayé sans succès de forcer l’ouverture de l’écoutille menant à l’intérieur de l’énorme caisson.

Déjà blessé, Burtenshaw prit le commandement et les équipes mélangées placèrent une dizaine de charges de 8 kg dans l’eau, contre la face du caisson. Les Allemands répondirent par le feu nourri des bateaux mouillant dans le bassin, et Burtenshaw prit la tête d’un petit groupe et descendit le long du mur pour essayer de neutraliser ces tirs. Comme ils avaient transporté leurs lourdes charges explosives, Burtenshaw et ses hommes ne portaient que des pistolets, mais avec ces maigres armes – et l’aide de deux mitrailleurs anglais – ils prirent d’assaut les armes automatiques qui balayaient les sapeurs sur le caisson. Les Allemands prirent la fuite, mais Burtenshaw, toujours fredonnant, fut tué au bord du dock.

La maison de treuil au sud du dock avait également été détruite par un groupe commandé par le lieutenant Christopher Smalley, ses moteurs et ses énormes gerbes réduit à un enchevêtrement de métal, bien que Smalley ait été tué lorsqu’il ramenait ses hommes vers les vedettes restantes. Les hommes du lieutenant Corran Purdon brisèrent la porte d’acier de la maison de treuil du caisson nord, posèrent leurs charges et observaient lorsque leurs explosions démolirent la cible.

L’hécatombe de la flottille

Sur le fleuve, les vedettes en bois avaient terriblement souffert sous le déluge de feu allemand. Plusieurs avaient coulé, étaient en train de le faire ou brûlaient lorsque le Campbeltown s’écrasa. Du carburant enflammé se répandait sur le fleuve pendant que les commandos et les marins luttaient pour nager dans l’eau glaciale, en tirant leurs camarades blessés. Aucun survivant ne pourra jamais oublier les cris des hommes piégés dans le carburant en feu. Le bateau du sergent-major Moss coula sans parvenir à la rive, et ses survivants l’avaient abandonné. Avec cran, Moss nagea vers la terre en remorquant lui-même le radeau – et il mourut avec chaque homme sur le flotteur dans un torrent de rafales de mitrailleuses.

L’une des vedettes prit feu et explosa, en tuant 15 des 17 commandos à bord ainsi que l’essentiel de son équipage. Une autre vedette stoppa pour repêcher les survivants et les extraire du carburant en feu, mais il fut déchiqueté par le feu allemand. Une autre encore perdit un moteur ainsi que sa barre et dut se retirer, et trois autres étaient en flammes. La vedette qui récupéra les survivants du Campbeltown tenta de prendre la fuite vers le large, en zigzaguant et en émettant de la fumée, mais les batteries côtières allemandes étaient simplement trop nombreuses. Touché de nombreuses fois, la vedette se mit à dériver le long de la Loire, tel un phare brûlant dans les ténèbres, privé de capitaine. A part Beattie et un autre homme, chaque officier du Campbeltown mourut à bord, y compris le courageux Tibbets.

La canonnière cabossée de Ryder était jonchée de morts et de blessés, et sur le fleuve 5 vedettes brûlaient furieusement dans la nuit. Au canon pom-pom du pont avant, le marin William Savage déversait un feu continu et précis sur les batteries côtières allemandes. Complètement exposé, sans même une plaque en guise de protection, Savage pilonna calmement les canons allemandes pendant 25 terribles minutes.

Alors que le feu allemand continuait à balayer la canonnière, la plupart des blessés à bord ont été touchés pour la deuxième ou la troisième fois. Pour sauver ses hommes blessés, Ryder donna à contre-cœur l’ordre de se retirer et la canonnière, tirant toujours de ses armes restantes, mit le cap sur l’embouchure de la Loire. Certains des vedettes survivantes rentrèrent à la maison en même temps, en émettant de la fumée pour couvrir leur retrait. Lorsque la canonnière prit enfin le cap de retour, un éclat d’une nouvelle salve allemande tua Savage.

Micky Wynn orienta le torpilleur 74 vers son objectif secondaire, les portes des écluses menant à l’intérieur du bassin de St-Nazaire. Wynn entendit ses projectiles frapper les portes et fit demi-tour, sa mission accomplie. Lui et son torpilleur 74 avaient une voie dégagée vers la sécurité, en redescendant la Loire à 40 nœuds – jusqu’à ce que Wynn tombe sur deux survivants britanniques s’accrochant à un canon de sauvetage dans l’eau. Refusant de les abandonner, il rangea son petit bateau le long du canot, mais avant que les hommes ne puissent être hissés à bord, un torrent de feu déchiqueta le torpilleur 74. Le brave Wynn, ayant perdu un œil, fut secouru avec deux autres hommes par des navires allemands. Tous les autres hommes à bord étaient morts.

Sur la rive, les commandos survivants commencèrent à se réunir autour de Newman, qui rassembla quelque 70 hommes dont la moitié étaient blessés. Newman leur annonça que toutes les vedettes avaient été soit coulées, soit retirées de l’enfer le long de la rive. Il leur ordonna de se diviser en petits groupes et de se diriger vers l’intérieur du pays, de ne pas se rendre tant qu’ils avaient des munitions, et d’essayer d’atteindre la frontière espagnole. Il nomma rapidement des chefs pour chacun des détachements. « Leurs saluts », a-t-il écrit plus tard, « et leur allure auraient pu être ceux de l’Ecosse, et les ordres de combattre à terre furent reçus avec des sourires. »

« C’est une belle nuit au clair de lune pour cela », leur déclara Newman, et ses hommes commencèrent à se séparer, sautant par-dessus les haies des jardins et s’enfonçant dans les allées. Les commandos tiraient sur tout ce qui bougeait en progressant vers le côté est de la zone des bassins, abattant un motocycliste et un pilote de side-car allemands en route, et nettoyant des poches de résistance allemandes. Certains combats s’effectuaient à mains nues. Mais la zone grouillait d’ennemis, et petit à petit les raiders étaient abattus ou capturés.

Pendant ce temps, en haute mer, le Tynedale et l’Atherstone avaient affronté quatre destroyers allemands, et l’Atherstone collectait les survivants de trois vedettes britanniques, leurs ponts recouverts de sang et jonchés de commandos grièvement blessés. Le Tynedale avait recueilli les blessés de trois autres vedettes et de la canonnière, puis transféré certains des hommes à l’Atherstone. Chargés de blessés, les deux destroyers rentraient à vitesse maximale vers Falmouth, couverts par les avions du Coastal Command. Lorsqu’un Junkers Ju-88 se mit à menacer les navires, un Bristol Beaufighter de la RAF attaqua et s’écrasa dans l’appareil allemand. Les équipages des deux avions perdirent la vie.

Peu après, les destroyers Brocklesby et Cleveland firent leur apparition, ce qui ajoutait une puissance de feu considérable à la petite flotte. Le Brocklesby abattit un autre bombardier allemand, et un Beaufighter détruisit un avion de reconnaissance allemand qui suivait, aveuglant ainsi une grande force d’attaque de la Luftwaffe qui se formait pour frapper les Britanniques en retraite. Pour gagner davantage de vitesse, les raiders sabordèrent la canonnière et deux des canots, qui étaient tous salement endommagés.

Trois autres vedettes revinrent à la base de leurs propres moyens, endommageant en chemin un avion allemand et en abattant un autre. La vedette 14 fut bien près de trouver son chemin vers la haute mer, mais à quelque 72 kilomètres de l’estuaire, il se heurta au Jaguar, un torpilleur allemand plus grand et plus lourdement armé. La vedette 14 combattit ce navire pendant une heure, et l’ennemi tentait de l’éperonner ou de le prendre d’abordage. Ce n’est que lorsque ses ponts ruisselaient de sang et qu’il coulait sous son équipage toujours combatif que le skipper de la vedette 14 finalement se rendit. A son crédit, le capitaine allemand Paul prit un grand soin des blessés britanniques. En fait, un officier allemand – probablement Paul – rendit plus tard visite à Newman, alors prisonnier, pour transmettre un compte-rendu favorable de la courageuse défense britannique. Le rapport allemand mena à l’attribution après la guerre d’une Victoria Cross au sergent Thomas Durrant, qui s’accrocha aux mitrailleuses bitubes de la petite vedette et mourut à bord du Jaguar avec un total de 25 blessures.

Une explosion finale

A St-Nazaire, la fumée s’était dissipée et le carnage avait cessé. Les prisonniers britanniques avaient été emmenés, et les cadavres des deux camps collectés. Dans la cale sèche, environ 40 officiers allemands – certains accompagnés de leurs maîtresses françaises – s’étaient aventurés à bord du Campbeltown et inspectaient le navire cabossé. Quelques 400 autres Allemands curieux étaient rassemblés sur les bords du dock. Ils y étaient toujours en fin de matinée, discutant et prenant des photos, lorsque l’énorme charge du vieux destroyer explosa, dispersant des fragments humains sur tout le flanc de la cale.

L’explosion projeta complètement le caisson hors de son rail, détruisit la proue du Campbeltown et mit hors service le dock pour le reste de la guerre. Beattie était alors interrogé par un officier allemand, qui venait de lui dire que les Britanniques n’avaient de toute évidence pas réalisé la résistance du dock. A l’instant où la charge du Campbeltown fut mise à feu, la fenêtre éclata et la bâtiment fut secoué. Beattie ne résista pas à l’envie de dire doucement qu’ils n’avaient peut-être pas sous-estimé leurs cibles.

Les pertes allemandes dues à l’explosion sont inconnues, mais plus tard des enquêtes françaises fixèrent ces pertes à 60 officiers et quelque 300 soldats en plus de ceux tués et blessés par les commandos. On affirme encore que l’un ou l’autre des officiers britanniques capturés étaient également à bord du Campbeltown, et qu’ils se sont peut-être sacrifiés en racontant au large groupe d’officiers allemands une histoire préparée, afin de les faire rester à bord jusqu’à l’explosion. Les habitants de St-Nazaire croyaient que quelque chose de ce genre s’était produit, ou qu’un officier était retourné pour mettre à feu les charges. Si c’était le cas, c’était un sommet de sang-froid et de courage.

Le jour suivant, les deux torpilles à détonation retardée du torpilleur 74 explosèrent dans le bassin de St-Nazaire, générant une panique au sein des défenseurs allemands. Certains soldats allemands se mirent à tirer de manière indiscriminée sur des ouvriers français, et même sur le personnel de leur propre Organisation Todt.

Le Campbeltown avait bien fait son travail. En fait, le dock ne fut pas remis en service avant les années 50. Le monstrueux cuirassé Tirpitz restait privé de base. Il ne sortit jamais de son refuge norvégien, et c’est là, dans un autre raid, les sous-marins de poche de la Royal Navy le trouvèrent et le paralysèrent en 1944. A l’automne de cette année, des Avro Lancasters de la RAF l’attaquèrent. Leurs bombes de 5450 kg ravagèrent le cuirassé, qui chavira dans le fjord de Tromso et devint un cercueil d’acier pour une grande part de son équipage.

L’opération Chariot avait coûté à la Grande-Bretagne 169 tués et environ 200 prisonniers, la plupart d’entre eux blessés. Cinq commandos parvinrent à se frayer un chemin jusqu’à l’Espagne. Quatre autres furent faits prisonniers, mais réussirent à s’échapper. Ceux qui moururent dans l’attaque furent honorés par les Allemands, qui formèrent une garde d’honneur pour les cercueils de certains d’entre eux et échangèrent des saluts avec des officiers britanniques capturés lors de l’enterrement.

Le courage extraordinaire des raiders aboutit à un total de 74 décorations britanniques, et la France a décerné 4 Croix de Guerres. Un nombre sans précédent de 51 hommes a été mentionné dans des citations, et l’opération a été surnommée par ceux qui y ont survécu « le plus grand raid de tous les temps. » Cinq Victoria Cross furent également décernées aux raiders. L’une est allée à Ryder et une autre à Newman, en reconnaissance non seulement de leur valeur personnelle mais également de la valeur collective des hommes sous leurs ordres. Une troisième médaille est allée à l’imperturbable Beattie, le capitaine du Campbeltown, reconnaissant son courage de même que, selon la coutume britannique, la valeur « aussi des officiers et des hommes du navire, dont beaucoup n’ont pas survécu. »

Le sergent Durrant mérita sa Victoria Cross pour son combat courageux et à sens unique contre les canons du Jaguar. La cinquième médaille est revenue à Bill Savage. Sa citation résume toute la nuit tragique et vaillante de St-Nazaire. La Victoria Cross a été décernée non seulement pour le courage individuel, mais également pour la grande valeur de nombreux anonymes, dans les vedettes, les canonnières et les torpilleurs, qui ont accompli leur devoir à des positions complètements exposées et à courte distance du feu ennemi.

Texte original: Robert Barr Smith, « The Greatest Raid of All », World War II, Mars 2003 
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat 

source : http://militaires-d-hier.forumgratuit.org/t4398-le-raid-britannique-sur-le-port-de-st-nazaire-reste-le-plus-grand-de-tous-les-temps#30582

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20 mars 2013

La bataille de l’île de Savo

Classé sous — milguerres @ 22 h 33 min

 

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 Chronologie de la Seconde Guerre mondiale

La bataille de l'île de Savo savo

 

 

La bataille de l’île de Savo (également connue sous le nom de première bataille des Salomon (第一次ソロモン海戦?) dans les sources japonaises) qui eut lieu les 8 et 9 août 1942 fut le premier engagement naval entre la marine impériale japonaise et la marine américaine durant la bataille de Guadalcanal dans le théâtre Pacifique de la Seconde Guerre mondiale.

En réponse aux débarquements alliés dans l’est des îles Salomon, le vice-amiral Gunichi Mikawa emmena sa flotte de sept croiseurs et d’un destroyer basée en Nouvelle-Bretagne et en Nouvelle-Irlande dans le détroit de Nouvelle-Géorgie pour attaquer les forces alliées. Les débarquements étaient couverts par huit croiseurs et quinze destroyers sous le commandement du contre-amiral britannique Victor Crutchley mais seuls cinq croiseurs et sept destroyers participèrent à la bataille. Mikawa attaqua par surprise et mit en déroute la flotte alliée. Les Japonais coulèrent un croiseur australien et trois croiseurs américains tout en ne déplorant que des dégâts légers. La force de Mikawa se retira immédiatement après la bataille sans tenter de détruire les transports alliés réalisant les débarquements.

Les navires alliés et la force de débarquement se retira des îles Salomon et céda ainsi temporairement le contrôle des mers autour de Guadalcanal aux Japonais. Les troupes alliées débarquées deux jours auparavant sur Guadalcanal et les îles alentours furent placées dans une position précaire avec à peine assez de ravitaillement et de munitions pour contrôler les territoires conquis. Néanmoins, le fait que Mikawa n’ait pas détruit les transports alliés lorsqu’il en eut l’occasion se révéla une grave erreur stratégique car les Alliés conservèrent leurs positions sur Guadalcanal et sortirent finalement victorieux de la campagne

Opérations à Guadalcanal

Le 7 août 1942, les forces alliées (principalement des marines américains) débarquèrent à Guadalcanal, Tulagi et les îles Florida dans l’est des îles Salomon. Les débarquements devaient permettre d’empêcher les Japonais d’utiliser ces îles comme bases militaires pour menacer les routes de ravitaillement entre les États-Unis et l’Australie. Le contrôle de ces îles devait également servir de tremplin pour la campagne de reconquête des Salomon, pour isoler ou capturer la grande base japonaise de Rabaul et pour soutenir la campagne de Nouvelle-Guinée.

 

File:CanberraTulagi.jpg

Le commandement général des forces navales alliées lors des opérations contre Guadalcanal et Tulagi était le vice-amiral Frank J. Fletcher. Il commandait également les groupes aéronavals fournissant la couverture aérienne des débarquements. Le contre-amiral Richmond K. Turnercommandait la flotte amphibie qui débarqua 16 000 soldats alliés sur Guadalcanal et Tulagib 1. L’amiral britannique Victor Crutchley et sa force de protection de huit croiseurs, quinze destroyers et cinq dragueurs de mines était également sous le commandement général de Fletcher. Cette force devait assurer la protection des navires de Turner et fournir un appui-feu contre les positions japonaises. Crutchley commanda sa flotte, principalement composée de navires américains, depuis son navire-amiral, le croiseur lourdaustralien HMAS Australiaa 5.

Les débarquements alliés prirent les Japonais par surprise. Les Alliés sécurisèrent Tulagi et l’aérodrome en construction de Guadalcanal dans la soirée du 8 aoûtb 2. Les 7 et 8 août, les appareils japonais basés à Rabaul attaquèrent à plusieurs reprises les forces amphibies alliées, coulèrent le transport George F. Elliott et endommagèrent sérieusement le destroyer USS Jarvisc 1. Lors de ces attaques, les Japonais perdirent 36 appareils contre 19 (dont 14 avions embarqués) pour les Américainsa 6.

Inquiet des pertes dans ses escadres aéronavales, de la menace posée contre les porte-avions et des niveaux de carburant de ses navires, Fletcher annonça qu’il retirerait ses porte-avions dans la soirée du 8 août3.

Certains historiens soutiennent que les niveaux de carburant de Fletcher n’étaient pas critiques et que Fletcher a avancé cet argument pour justifier son retrait de la zone des combatsc 2,a 7,b 3. Le biographe de Fletcher note que ce dernier a conclu que les débarquements étaient un succès et qu’il n’y avait pas de cibles pour un appui aérien rapproché. En revanche, il considéra qu’après la perte de 21 de ses chasseurs, ses porte-avions étaient sous la menace des bombardiers japonais et il voulait se ravitailler avant l’arrivée des forces navales japonaises. Turner croyait cependant que Fletcher allait fournir un soutien aérien jusqu’à ce que tous les transports soient déchargés le 9 août4.

Même si les opérations de déchargement furent plus lentes que prévues, Turner décida que sans soutien aérien, il devrait retirer ses navires de Guadalcanal. Il envisagea donc de décharger le plus de matériel possible durant la nuit et de partir le lendemainb 4.

Réponse japonaise

Pris par surprise par les opérations alliées à Guadalcanal, les Japonais répondirent initialement en lançant des attaques aériennes et en tentant de renforcer leurs troupes sur l’île. Gunichi Mikawa, commandant de la nouvelle 8e flotte basée à Rabaul, fit monter 519 soldats dans deux transports qu’il envoya vers Guadalcanal le 7 août. Néanmoins, lorsque les Japonais apprirent l’ampleur des débarquements, les deux transports furent rappelésa 8,c 3.

Mikawa rassembla tous les navires de guerre disponibles dans la zone pour attaquer les forces alliées à Guadalcanal. Le croiseur lourd Chōkai (le navire-amiral de Mikawa), les croiseurs légers Yubari et Tenryū et le destroyer Yunagi quittèrent Rabaul pour rejoindre les croiseurs lourds AobaFurutakaKako et Kinugasa du contre-amiral Aritomo Gotō en provenance de Kaviengd 1,5,6.

La marine japonaise s’était beaucoup entraînée aux tactiques de combats nocturnes, un fait que les Alliés ignoraientc 4,7. Mikawa espérait engager les forces navales alliées au large de Guadalcanal et de Tulagi pendant la nuit du 8 au 9 août lorsqu’il pourrait exploiter son expérience du combat nocturne sans craindre les appareils alliés qui ne pouvaient pas opérer efficacement durant la nuit. Les navires de Mikawa se rassemblèrent en mer au sud de la Nouvelle-Irlande dans la soirée du 7 août et mirent le cap au sud-estb 5,5.

Bataille

File:SavoMikawaApproach.jpg

Les navires de Mikawa quittèrent Rabaul et Kavieng (en haut à gauche), firent une pause au large de Bougainville (au centre) puis descendirent le détroit de Nouvelle-Géorgie pour attaquer les forces alliées au large de Guadalcanal et de Tulagi (en bas à droite).

Mikawa décida de mener sa flotte au nord de l’île Buka puis de progresser le long de la côte orientale de Bougainville. La flotte ferait ensuite une pause de six heures à Kieta le matin du 8 août pour éviter d’arriver dans la soirée au large de Guadalcanal et risquer une attaque aériennec 5. Les navires continueraient ensuite dans le dangereux détroit de Nouvelle-Géorgie en espérant qu’aucun appareil allié ne les repère. Cependant, la flotte japonaise fut repérée dans le détroit lorsqu’elle manqua de percuter le sous-marin USS S-38 en embuscade. Le submersible était trop proche pour pouvoir tirer ses torpilles mais son commandant informa ses supérieurs que deux destroyers et trois navires plus grands de type inconnu à quatorze kilomètres à l’ouest du cap Saint-George progressaient à grande vitesse vers le sud-est8. Une fois à Bougainville, Mikawa dispersa ses navires pour dissimuler la composition de sa force et lança quatre hydravions embarqués à bord de ses croiseurs pour repérer les navires alliés dans le sud des Salomon.

À 10 h 20 et 11 h 10, ses navires furent repérés par des Lockheed Hudson de reconnaissance australiens basés dans la baie de Milneen Nouvelle-Guinéea 9,9,c 6. Le premier Hudson rapporta uniquement la présence de « trois croiseurs, de trois destroyers et de deux transports d’hydravions10 ». L’équipage tenta de signaler les navires à la station radio alliée de Fall River en Nouvelle-Guinée. Ne recevant pas de réponse, il retourna à la baie de Milne à 12 h 42 pour s’assurer que le rapport était transmis aussi vite que possible. Le second Hudson ne parvint pas non plus à transmettre par radio son rapport mais il termina sa patrouille avant de se poser à 15 h dans la baie de Milne. Il rapporta la présence de « deux croiseurs lourds, de deux croiseurs légers et d’un navire de type inconnu ». Pour des raisons inconnues, ces rapports ne furent pas transmis à la flotte alliée au large de Guadalcanal avant, respectivement, 18 h 45 et 21 h 30 le 8 aoûtc 7,11.

Les hydravions de Mikawa revinrent vers 12 h et rapportèrent la présence de deux groupes de navires alliés, l’un au large de Guadalcanal et l’autre au large de Tulagi. Il rassembla ses navires et commença à progresser en direction de Guadalcanal en entrant dans le détroit près de l’île Choiseul vers 16 h le 8 août. Mikawa communiqua le plan de bataille à ses navires : « Nous entrerons rapidement par le sud de l’île Savo et nous torpillerons la principale force ennemie ancrée en face de Guadalcanal ; après quoi, nous nous tournerons vers Tulagi pour canonner et torpiller l’ennemi. Nous nous retirerons ensuite au nord de l’île de Savob 6 ».

Le passage de Mikawa dans le détroit de Nouvelle-Géorgie ne fut pas détecté par les forces alliées. Turner avait demandé que l’amiral John S. McCain, Sr., commandant des forces aériennes alliées dans le Pacifique Sud, conduise de nouvelles missions de reconnaissance dans le détroit dans l’après-midi du 8 août. Pour des raisons inconnues, McCain ne lança pas de missions mais il ne dit pas non plus à Turner qu’aucune mission n’était menée. Par conséquent, Turner crut à tort que le détroit était sous surveillance alliéea 10.

 

File:SavoIslandMap.jpg

Disposition des navires alliés dans la nuit du 8 au 9 août.

Pour protéger les transports en cours de déchargement durant la nuit, Crutchley avait divisé les forces alliées en trois groupes. Un groupe « Sud » composé des croiseurs australiens HMAS Australia et HMAS Canberra, du croiseur USS Chicago et des destroyersUSS Patterson et USS Bagley patrouillant entre le cap Espérance et l’île de Savo. Un groupe « Nord » composé des croiseursUSS Vincennes, USS Astoria, USS Quincy et des destroyers USS Helm et USS Wilson défendant le passage entre l’île de Savo et les îles Florida. Un groupe « Est » composé des croiseurs USS San Juan et HMAS Hobart et de deux destroyers américains protégeaient les entrées orientales entre les îles Florida et Guadalcanald 2. Crutchley avait placé deux destroyers équipés de radars à l’ouest de l’île de Savo pour fournir une alerte en cas d’approche de navires japonais. Le destroyer USS Ralph Talbot patrouillait dans le passage nord et le destroyer USS Blue faisait de même dans le passage sud avec un vide de 12 à 30 km entre leurs routes de patrouille non-coordonnées. À ce moment, les Alliés ignoraient les limites de leurs radars embarqués et en particulier la réduction de l’efficacité liée à la présence d’îles à proximitéa 11. Conscient de la menace des sous-marins, Crutchley avait disposés ses sept destroyers restant pour protéger les deux plages de débarquementc 8.

Les équipages alliés étaient épuisés par deux jours d’alerte constante et par les opérations de soutien des débarquements. Il faisait également très chaud et humide et associé à la fatigue, le climat, dans les mots de Samuel Eliot Morison, « poussaient les hommes épuisés à se laisser-aller ». En réponse, la plupart des navires de Crutchley se mirent en Condition II dans la nuit du 8 août, ce qui signifiait que la moitié de l’équipage était de garde tandis que l’autre moitié se reposait, dans les dortoirs ou à proximité de leurs postes de combatb 7.

Dans la soirée, Turner organisa une réunion sur son navire de commandement au large de Guadalcanal avec Crutchley et le commandant du corps des marines Alexander Vandegrift pour discuter du départ des porte-avions de Fletcher et le retrait planifié des navires de transports. À 20 h 55, Crutchley quitta le groupe sud avec le HMAS Australia pour participer à la réunion et il laissa le commandement au capitaine Howard D. Bode de l’USS Chicago. Crutchley n’informa pas les commandants des autres croiseurs de son absence et cela contribua à la désorganisation du commandement. Bode, réveillé alors qu’il dormait dans sa cabine, décida de ne pas placer son navire à la tête du groupe sud, la place habituelle du navire de commandement, et il retourna se coucher. Lors de la réunion, Turner, Crutchley et Vandergrift évoquèrent les rapports concernant la force navale japonaise composée de « transports d’hydravions » repérée par un appareil de reconnaissance australien plus tôt dans la journée. Ils décidèrent que celle-ci ne serait pas une menace durant la nuit car les transports d’hydravions ne participaient généralement pas à des combats de surface. Vandergrift annonça qu’il aurait besoin d’inspecter les déchargements à Tulagi avant de recommander une heure de retrait pour les transports et il quitta le navire peu après minuit pour mener son inspection. Crutchley décida de ne pas rejoindre le groupe sud avec le HMS Australia et de stationner son navire juste à l’extérieur de la zone de déchargement de Guadalcanal sans informer les autres capitaines alliés de ses intentions ou de sa positiona 12.

 

Alors que la force de Mikawa se rapprochait de Guadalcanal, les navires japonais lancèrent trois hydravions pour une dernière reconnaissance du dispositif allié et pour fournir de l’éclairage pour la bataille à venir. Plusieurs navires alliés repérèrent et/ou entendirent un ou plusieurs de ces hydravions à partir de 23 h 45 le 8 août mais aucun n’interpréta cela comme une menace et aucun ne rapporta ce fait à Crutchley ou Turnerc 9.

La force de Mikawa approcha suivant une colonne de 3 km menée par le Chōkai, suivi par quatre autres croiseurs lourds: l’Aoba, leKako, le Kinugasa, le Furutaka, les croiseurs légers Tenryū, et Yubari et le destroyer Yunagi. Entre 0 h 44 et 0 h 54 le 9 août, les vigies des navires de Mikawa signalèrent la présence de l’USS Blue à 9 km devant la colonne japonaised 3,12.

Affrontement au sud de l’île de Savo

Pour éviter l’USS Blue, Mikawa modifia son cap pour passer au nord de l’île de Savob 8. Il ordonna également à ses navires de ralentir à41 km/h pour réduire le sillage qui rendrait les navires plus visiblesa 13. Quatre minutes plus tard, les vigies repérèrent soit l’USS Ralph Talbot à environ 16 km soit une petite goélette de nationalité inconnuec 10,a 14,13. Les navires japonais poursuivirent leur progression tout en pointant plus de 50 canons sur l’USS Blue, prêts à tirer au moindre signe que le navire américain les avait repérésb 9. Lorsque l’USS Blue fut à moins de 2 km des navires japonais, il fit soudainement demi-tour car il avait atteint la fin de sa route de patrouille sans avoir conscience de la flotte japonaise à proximitéc 11. Voyant que ses navires n’avaient toujours pas été repérés, Mikawa mit le cap au sud de l’île de Savo et augmenta la vitesse à 48 km/h puis à 56 km/h. À 1 h 26, Mikawa relâcha le commandement pour que ses navires agissent indépendamment de son navire-amiral et à 1 h 31, il ordonna l’attaque généraled 4.

À peu près au même moment, le Yunagi situé à la fin de la colonne japonaise fit demi-tour, peut-être car il avait perdu les autres navires de vue ou car il avait reçu l’ordre de jouer le rôle d’arrière-garde. Peu après, les vigies japonaises repérèrent un navire à bâbord. Il s’agissait du destroyer USS Jarvis sévèrement endommagé la veille qui quittait Guadalcanal pour subir des réparations en Australie. On ne sait pas s’il avait vu le navire japonais car ses radios avaient été détruites. Le Furutaka lança plusieurs torpilles contre le destroyer mais toutes passèrent à côtéa 15. Les navires japonais passèrent à 1 100 m de l’USSJarvis, suffisamment près pour que les officiers du Tenryū puissent observer les ponts du navire sans y voir un seul membre d’équipage. Si l’USS Jarvis avait repéré les navires japonais passant à proximité, il ne fit rien pour le faire savoirc 12.

Deux minutes après avoir repéré l’USS Jarvis, les vigies japonaises virent les destroyers et des croiseurs alliés du groupe sud à environ 12 500 m car leurs silhouettes se détachaient devant la lueur du transport George F. Elliott en feuc 13. Quelques minutes plus tard, vers 1 h 38, les croiseurs japonais commencèrent à lancer des salves de torpilles en direction des navires du groupe sudb 10. Au même moment, les vigies du Chōkai repérèrent les navires du groupe nord à environ 16 kma 16. Le Chōkai se tourna pour faire face à cette nouvelle menace et le reste de la colonne japonaise suivit tout en se préparant à engager au canon les navires alliés du groupe sudc 14.

L’équipage de l’USS Patterson était en alerte car le capitaine avait pris au sérieux les rapports de l’après-midi sur la présence de navires japonais et les observations d’appareils inconnus dans la soirée et il ordonna à son équipage de se préparer au combat. À 1 h 43, l’USS Patterson repéra un navire, probablement le Kinugasa à 5 000 m devant lui et envoya un message d’alerte par radio et utilisa des signaux lumineux pour transmettre le message « Alarme ! Alarme ! Navires inconnus entrant dans le port ! ». Le navire accéléra à pleine vitesse et tira des obus éclairants en direction de la colonne japonaise. Le capitaine ordonna de lancer des torpilles mais son ordre fut couvert par le bruit des canons du destroyerc 15.

À peu près au même moment où l’USS Patterson avait repéré les navires japonais et était entré dans la bataille, les hydravions japonais, sur l’ordre de Mikawa, lancèrent des fusées éclairantes juste au dessus du HMAS Canberra et de l’USS Chicagob 11. Le HMAS Canberra répondit immédiatement et le capitaine Frank Getting ordonna d’accélérer à pleine vitesse pour faire tourner le navire et le positionner entre les Japonais et les navires de transport et ordonna aux artilleurs d’ouvrir le feu sur toutes les cibles visiblesc 16. Moins d’une minute plus tard, alors que les canons du HMAS Canberra visaient les navires japonais, le Chōkai et le Furutaka engagèrent le navire australien qui reçut plusieurs obus en quelques secondes. L’Aoba et le Kako rejoignirent la canonnade et durant les trois minutes suivantes, le HMAS Canberra fut touché à 24 reprises par des obus de gros calibre. Les premiers impacts tuèrent l’officier d’artillerie, blessèrent mortellement Getting et détruisirent les salles des machines, privant le navire d’électricité avant même qu’il n’ait pu tirer une seule fois ou communiquer avec les autres navires alliés. Le croiseur immobilisé et en feu, avait une bande de 5 à 10° sur tribord et était incapable d’éteindre l’incendie ou de pomper l’eau en dehors des compartiments inondés car il n’avait plus de courant. Comme tous les navires japonais se trouvaient à bâbord du HMAS Canberra, les dégâts sur le tribord du navire furent causés soit par des obus arrivant bas sur bâbord et sortant sous la ligne de flottaison à tribord soit par l’impact d’une ou deux torpilles sur triborda 17,14. Si des torpilles ont touché le HMAS Canberra sur tribord alors elles provenaient certainement d’un navire allié à proximité et à ce moment, le destroyer américain USS Bagley était le seul navire sur ce coté du navire australien et il avait auparavant tiré plusieurs torpillesc 17,15.

 

L’équipage de l’USS Chicago, observant l’illumination de leur navire et le changement de cap soudain du HMAS Canberra, se mit en alerte et tira le capitaine Bode d’un « profond sommeil ». Bode ordonna à ses canons de 127 mm de tirer des obus éclairants sur la colonne japonaise mais les obus ne fonctionnèrent pasb 12. À 1 h 47, une torpille, probablement tirée par le Kako, toucha la proue de l’USS Chicago et l’onde de choc qui suivit endommagea les systèmes de contrôle de tir de la batterie principale. Une seconde torpille toucha le navire sans exploser et un obus détruisit le mat du navire en tuant deux marins. L’USS Chicago navigua vers l’ouest durant 40 minutesc 18 en laissant en arrière les transports qu’il devait protéger. Le croiseur ouvrit le feu avec son artillerie secondaire sur les navires japonais derrière lui et il a peut-être touché le Tenryū auquel il causa des dégâts légers. Bode n’essaya pas d’affirmer son autorité sur les autres navires du groupe sud dont il était techniquement le commandant. Plus grave, Bode ne fit rien pour signaler aux autres navires alliés ou aux soldats débarqués à terre qu’il quittait la zone des combatsa 18.

Durant ce temps, l’USS Patterson s’engagea dans un duel d’artillerie avec la colonne japonaise et il reçut un obus sur l’arrière du navire qui causa des dégâts et tua dix marins. L’USS Patterson continua d’avancer et de tirer sur les navires et il a peut-être touché leKinugasa qui fut légèrement endommagéa 19. Ensuite, l’USS Patterson perdit de vue la colonne japonaise alors qu’il progressait le long de la cote orientale de l’île de Savoc 19. L’USS Bagley, dont l’équipage avait repéré les Japonais peu après l’USS Patterson et le HMAS Canberra, vira completement sur tribord avant de tirer plusieurs torpilles dans la direction générale de la colonne japonaise ; une ou deux d’entre-elles ayant pu toucher le HMAS Canberra. L’USS Bagley ne joua pas d’autres rôles dans la batailleb 13. Le Yunagi échangea plusieurs tirs avec l’USS Jarvis sans le toucher avant de quitter la bataille vers l’ouest avec l’intention de rejoindre la colonne japonaise au nord-ouest de l’île de Savod 5.

À 1 h 44, alors que les navires de Mikawa progressaient vers la force alliée au nord, le Tenryū et le Yubari se séparèrent de la colonne et mirent le cap plus à l’ouest. Le Furutaka, soit à cause d’un problème de directionc 20 ou pour éviter une possible collision avec le HMAS Canberra suivit le Yubari et le Tenryū. Par conséquent, le groupe allié au nord allait être enveloppé et attaqué de deux cotésa 20.

Affrontement au nord de l’île de Savo

File:SavoIslandMap2A.jpg

Carte de la bataille au nord de l’île de Savo.

Lorsque Mikawa attaqua la force alliée au sud, les capitaines des trois croiseurs américains du groupe nord dormaient et leurs navires naviguaient tranquillement à la vitesse de 19 km/hb 14. Même si les équipages avaient observé les explosions au sud de l’île de Savo et avaient reçu le message de l’USS Patterson alertant de l’arrivée de navires inconnus dans la zone, il fallut un certain temps pour que les navires soient prêts au combatc 21. À 1 h 44, les croiseurs japonais commencèrent à tirer des torpilles contre le groupe nord et à 1 h 50, ils braquèrent de puissants projecteurs sur les croiseurs américains et ouvrirent le feua 21. L’équipage de l’USS Astoria rejoignit sespostes de combat vers 1 h 49 et à 1 h 52, les obus japonais commencèrent à tomber autour du navire. Les artilleurs de la batterie principale de l’USS Astoria repérèrent les croiseurs japonais et ouvrirent le feu. Le capitaine de l’USS Astoria, qui était en train de dormir, se précipita sur le pont et ordonna un cessez-le-feu car il craignait de tirer sur des forces alliées. Comme les obus continuaient de pleuvoir, le capitaine ordonna une reprise des tirs moins d’une minute plus tard. Le Chōkai avait néanmoins ajusté ses tirs et le croiseur américain fut touché par plusieurs obus et prit feub 15,16. Entre 2 h et 2 h 15, l’Aoba, le Kinugasa et le Kako rejoignirent le Chōkai pour canonner l’USS Astoria. La salle des machines fut détruite et le navire en flammes s’arrêta. À 2 h 16, l’une des derniers tourelles principales encore opérationnelle de l’USS Astoria tira sur le projecteur du Kinugasa mais le manqua et la tourelle avant du Chōkai fut touchée et mise hors de combatc 22.

L’USS Quincy avait également vu les explosions et les fusées éclairantes au sud, avait reçu l’alarme de l’USS Patterson et venait tout juste d’ordonner le branlebas de combat lorsque les croiseurs japonais arrivèrent. Le capitaine du croiseur américain ordonna d’ouvrir le feu mais les artilleurs n’étaient pas prêts. En quelques minutes, l’USS Quincy fut pris sous le tir croisé de l’Aoba, du Furutaka et du Tenryū et prit feu. Le capitaine de l’USS Quincyordonna à son navire de charger en direction de la colonne japonaise mais alors qu’il virait pour se mettre dans la bonne direction, il fut touché et sérieusement endommagé par deux torpilles lancées par le Tenryū. L’USS Quincy parvint à tirer quelques salves dont l’une toucha la salle des cartes du Chōkai à moins de 6 m de l’amiral Mikawa et tua ou blessa 36 marins. À 2 h 10, les obus japonais avaient tué ou blessé presque tous l’équipage de la passerelle dont le capitaine. À 2 h 16, le croiseur fut touché par une torpille de l’Aoba et les derniers canons du navire arrêtèrent de tirer. L’officier artilleur en second de l’USS Quincy, envoyé sur la passerelle pour demander les ordres, rapporta ce qu’il vit :

« Lorsque je suis arrivé sur la passerelle, j’ai vu trois ou quatre personnes toujours debout au milieu d’un amoncellement de cadavres. Dans le poste de pilotage, la seule personne debout était l’aiguilleur à la barre qui tentait désespérément de maitriser la gîte sur tribord pour la ramener à bâbord. Il me dit que le capitaine, qui à ce moment était allongé [sic] près de la barre, lui avait dit d’échouer le navire et qu’il tentait de se diriger en direction de l’île de Savo distante de 6 km sur bâbord. J’ai traversé le poste de pilotage pour rejoindre bâbord et repérer où se trouvait l’île et j’ai remarqué que la navire gitait rapidement sur tribord et qu’il commençait à couler par la proue. À cet instant, le capitaine se redressa et tomba en arrière, apparemment mort, sans avoir prononcé d’autre bruit qu’un gémissement17. »

L’USS Quincy coula à 2 h 38a 22.

File:USS Quincy CA-39 savo.jpg

L’USS Quincy en train de couler est illuminé par les projecteurs japonais.

Comme l’USS Quincy et l’USS Astoria, l’USS Vincennes avait repéré les fusées éclairantes et les tirs des canons au sud. À 1 h 50, alors que les croiseurs américains étaient illuminés par les projecteurs japonais, l’USS Vincennes hésita à tirer car il croyait qu’il pouvait s’agir de navires alliés. Peu après, le Kako ouvrit le feu sur l’USS Vincennes qui répondit immédiatement à 1 h 53b 16. Après que le navire américain eut reçu plusieurs obus, son commandant, le capitaine Frederick L. Riefkohl, ordonna d’accélérer à 46 km/h mais peu après, deux torpilles du Chōkai causèrent de lourds dégâts au croiseur américain. Le Kinugasa rejoignit le Kako dans la canonnade mais il fut touché par un obus de l’USS Vincennes qui causa des dégâts légers à sa propulsion. Le croiseur américain fut touché par près de 74 obus et à 2 h 3, il fut touché par une torpille du Yubari. Avec la destruction de ses chaudières, l’USS Vincennes s’arrêta, brulant de partout et gitant à bâbord. À 2 h 16, Riefkohl ordonna d’abandonner le navire qui coula à 2 h 50c 23.

Durant l’engagement, les destroyers américains USS Helm et USS Wilson luttèrent pour repérer les navires japonais. Les deux destroyers tirèrent quelques obus sur les navires de Mikawa mais sans causer de dégâts et ils ne furent pas non plus endommagésa 23.

À 2 h 16, la colonne japonaise cessa de tirer sur le groupe nord car elle s’éloignait en direction du nord de l’île de Savo. L’USS Ralph Talbot rencontra le Furutaka, le Tenryū et le Yubari alors qu’ils contournaient l’île. Les Japonais ouvrirent le feu sur le destroyer qui fut sérieusement endommagé mais parvint à s’échapper grâce à un rideau de pluieb 17.

Fin de la bataille

À 2 h 16, Mikawa conféra avec son état-major sur l’opportunité de poursuivre la bataille et d’essayer de couler les transports alliés à l’ancrage. Plusieurs facteurs influencèrent sa décision. Ses navires étaient dispersés et il leur faudrait du temps pour se regroupera 24. De plus, ses croiseurs devraient recharger leurs tubes lance-torpilles, une manœuvre longue et difficile. Mikawa ignorait également la position et le nombre des derniers navires alliés et ses navires avaient épuisé beaucoup de leurs munitionsd 6.

Plus important encore, Mikawa n’avait pas de couverture aérienne et il pensait que les porte-avions américains étaient dans la zone. Mikawa était probablement conscient que la marine japonaise n’avait plus aucun croiseur lourd en construction et qu’elle serait donc incapable de remplacer ceux qu’il pourrait perdre dans une attaque aérienne le lendemain s’il restait dans les alentours de Guadalcanal18. Il ignorait que les porte-avions américains s’étaient retirés du secteur et qu’ils ne seraient pas une menace le lendemain. Si plusieurs officiers de Mikawa le pressèrent d’attaquer les transports alliés, le consensus fut de se retirerc 24. Par conséquent, à 2 h 20, Mikawa ordonna à sa flotte de se replier en direction de Rabaulb 18.

Conséquences

À 4 h le 9 août, l’USS Patterson se plaça à côté du HMAS Canberra pour aider à éteindre les incendies. À 5 h, il apparut que le feu était presque sous contrôle mais Turner, qui voulait retirer tous les navires alliés à 6 h 30, ordonna le sabordage du navire s’il ne pouvait pas accompagner la flotte. Après l’évacuation des survivants, les destroyers USS Selfridge et USS Ellet canonnèrent et torpillèrent le HMASCanberraa 25.

Plus tard dans la matinée du 9 août, le général Vandergrift indiqua à l’amiral Turner qu’il avait besoin que les transports terminent leur déchargement. Par conséquent, Turner retarda le retrait jusqu’à l’après-midi. Dans le même temps, l’équipage de l’USS Astoria tenta de sauver son navire en train de sombrer. L’incendie devint cependant hors de contrôle et le croiseur coula à 12 h 15b 19.

Le matin du 9 août, un coastwatcher (observateur côtier) australien sur Bougainville repéra une escadrille japonaise en provenance de Rabaul. Les équipages des transports alliés cessèrent temporairement les opérations de déchargement mais furent perplexes lorsque l’attaque aérienne ne se matérialisa pas car les appareils japonais s’étaient concentrés sur l’USS Jarvis et l’avaient coulé au sud de Guadalcanal. Les navires alliés quittèrent tous la zone de Guadalacanal dans la nuit du 9 aoûtc 25.

Tard dans la nuit du 9 août, Mikawa renvoya quatre croiseurs à leur port d’attache de Kavieng. À 8 h 10 le 10 août, le Kako fut torpillé et coulé par le sous-marin USS S-44 à 110 km de sa destination. Seul 71 marins ne furent pas retrouvés et les autres croiseurs japonais continuèrent vers Kaviengd 7.

Pendant plusieurs mois après la bataille, presque tous les renforts et les ravitaillements alliés arrivèrent à Guadalcanal à bord de petit convois de navires de transports naviguant essentiellement la journée pour bénéficier de la couverture aérienne offerte par les appareils alliés basés dans les Nouvelles-Hébrides, à Henderson Field et embarqués sur les porte-avions. Durant cette période, les forces alliés sur Guadalcanal disposaient de juste assez de munitions et de provisions pour repousser les offensives japonaises19.

Malgré leur défaite dans cette bataille, les Alliés remportèrent finalement la bataille de Guadalcanal. A posteriori, si Mikawa avait choisi de risquer ses navires pour couler les transport alliés au matin du 9 août, il aurait pu mettre un terme à la bataille de Guadalcanal dés son commencement et le cours de la guerre dans le Pacifique Sud aurait pu être très différent. Même si les navires de guerre alliés à Guadalcanal furent sévèrement étrillés, ils accomplirent leur mission qui était de protéger les transports. La plupart de ces transports furent utilisés à de nombreuses reprises pour ravitailler et renforcer les troupes alliées à Guadalcanal dans les mois suivants. La décision de Mikawa de ne pas détruire les navires de transport alliés quand il en eut l’occasion se révéla une grave erreur stratégique pour les Japonaisa 26

 

 

File:SavoBlue.jpg

Photographie de l’USS Blue surchargé de survivants prise depuis le transport armé USS Neville.

Un comité d’enquête de l’United States Navy prépara un rapport sur la bataille. À partir de décembre 1942 et durant plusieurs mois, le comité interrogea la plupart des officiers supérieurs alliés impliquésa 27. Le rapport recommanda la sanction d’un seul officier, le capitaine Howard D. Bode mais les autres officiers dont les amiraux Fletcher, Turner, McCain et Crutchley et le capitaine Riefkoh furent proches de recevoir un blâme sévère. Les carrières de Turner, de Crutchley et de McCain ne semblent pas avoir été affectées par la défaite ou par leurs erreurs y ayant contribué. En revanche, Riefkohl ne retrouva plus jamais le commandement d’un navire. Après avoir appris que le rapport allait être particulièrement critique contre lui, le capitaine Howard D. Bode, qui commandait l’USS Chicago (CA-29), se tira une balle dans ses quartiers à Balboa dans la zone du canal de Panama le 19 avril 1943 et mourut le lendemain20,21. Crutchley recut le grade de commandeur en chef de la Legion of Merit en septembre 1944. L’amiral Yamamoto félicita Mikawa pour sa victoire en indiquant « J’apprécie le courage et la tenacité de tous les hommes de votre organisation. J’attends de vous que vous prolongiez vos exploits et que vous fassiez tout ce qui est dans votre pouvoir pour soutenir les troupes au sol de l’armée impériale maintenant engagées dans une lutte désespérée ». Par la suite, lorsqu’il devint clair que Mikawa avait manqué l’opportunité de détruire les transports alliés, il fut sévèrement critiqué par ses camaradesc 26. L’amiral Turner expliqua ensuite pourquoi ses forces furent si sévèrement battues dans la bataille :

« L’US Navy avait toujours un fort sentiment de supériorité technique et psychologique sur l’ennemi. Malgré les nombreuses démonstrations des capacités de l’ennemi, la plupart de nos officiers et de nos marins méprisaient l’ennemi et considéraient qu’ils seraient nécessairement victorieux en toutes circonstances. Le résultat de cela fut une léthargie fatale de l’esprit qui entraina une confiance sans préparation et l’acceptation routinière des standards périmés de temps de paix. Je crois que ce facteur psychologique a joué un rôle plus important que l’élément de surprise dans notre défaitea 28. »

L’historien Richard B. Frank ajoute que « cette léthargie de l’esprit ne disparut pas complètement avant quelques autres coup durs à la fierté de l’US Navy autour de Guadalcanal, mais après Savo, les États-Unis remontèrent sur le pont et se préparèrent au combat le plus sauvage de l’histoirea 29 ».

Le porte-avions d’escorte USS Savo Island lancé en février 1944 fut nommé d’après cette bataille.

 

 

notes :

  1. ↑ Détail par navire : Chōkai-34, Tenryū-23 et Kinugasa-1. Le Kako fut coulé le lendemain (10 août) lors de son entrée dans son port d’attache de Kavieng et 71 marins furent tués mais cette perte est considérée comme distincte de la bataille de l’île de Savo. Tous les autres dégâts reçus par les croiseurs japonais furent réparés sur place
  2. ↑ Détail par navire: USS Quincy-389, USS Vincennes-342, USS Astoria-235, HMAS Canberra-85, USS Ralph Talbot-14, USS Patterson-10, et USS Chicago-2. L’USS Jarvis fut coulé plus tard le 9 août et les 233 membres d’équipage périrent mais cette perte est considérée comme distincte de la bataille de l’île de Savo. L’USS Chicago resta en répararions jusqu’en janvier 1943. L’USS Ralph Talbot fut réparé aux États-Unis jusqu’en novembre 1942. L’USS Paterson fut réparé sur place.
  3. ↑ Hammel 1999, p. 99
  4. ↑ Lundstrom 2006, p. 368-385
  5. ↑ a et b Coombe 1991, p. 21
  6. ↑ Après le rappel des deux transports, l’un d’eux, le Meiyo Maru fut coulé près au nord de l’île deBougainville à 21 h 25 le 8 août par le sous-marin USS S-38 et 373 personnes furent tués. Cet affrontement est généralement considéré comme distinct de la bataille de l’île de Savo.
  7. ↑ Les préparations japonaises pour les combats nocturnes comportaient l’emploi de vigies spécialement entrainées pour les opérations nocturnes avec des optiques spéciales, des torpilles type 93 à longue portée, le largage de fusées éclairantes par des hydravions embarqués à bord des croiseurs et des cuirassés et des exercices d’entraînements réalistes et fréquents.
  8. ↑ Toland 1970, p. 355
  9. ↑ Les hydravions lancés par Mikawa comprenaient trois Aichi E13A Jakes et un Kawanishi E7KAlf. Un Jake fut abattu par un appareil de l’USS Wasp et son équipage fut tué.
  10. ↑ Certaines sources indiquent que l’équipage du premier Hudson identifia correctement les navires mais que la composition des forces ennemies fut modifiée par les officiers des services de renseignements dans la baie de Milne.
  11. ↑ La confusion de deux des croiseurs de Mikawa avec des transports d’hydravions faite par le premier Hudson a peut-être été causée par la large dispersion des navires japonais et par le fait qu’il a vu un hydravion à proximité. Le rapport du premier Hudson ne fut pas reçu par radio car la station de Fall River avait été fermée à cause d’une alerte aérienne. Lorsque le second hydravion tenta de communiquer son rapport, Fall River refusa de le recevoir et reprocha à l’avion d’avoir rompu le silence radio. Loxton qualifie les affirmations de Morison, Dull, Richard Newcomb et des autres historiens selon lesquelles le premier Hudson ne tenta pas de transmettre son rapport par radio, termina tranquillement sa patrouille et « prit le thé » avant de soumettre son rapport à la baie de Milne comme une « rumeur scandaleuse » et une « calomnie » à l’opposé de ce qu’il a trouvé dans ses recherches.
  12. ↑ Dull avance 0 h 44, Loxton et Coulthard-Clark 1997, p. 171 précise 0 h 53, Morison 1958, p. 35 donne 0 h 54 et Frank 1990, p. 103 indique 0 h 50
  13. ↑ Morison 1958, p. 55 avance que l’USS Blue repéra ensuite une « goélette auxiliaire japonaise » dans la même zone mais ne dit pas pourquoi l’USS Blue pensait que la goélette était japonaise.Loxton et Coulthard-Clark 1997, p. 216 avance que l’USS Blue considéra la goélette comme « inoffensive ».
  14. ↑ Frank ne pense pas que des torpilles japonaises ont touché le HMAS Canberra et il n’évoque pas la possibilité que des torpilles alliées aient pu toucher le navire.
  15. ↑ Loxton pense fermement que le HMAS Canberra fut touché par une torpille de l’USS Bagley en s’appuyant sur les témoignages des survivants, les documents des navires et l’estimation des dégâts. Morison 1958, p. 37-38 considère que le HMAS Canberra fut touché par deux torpilles sur tribord mais il considère qu’elle étaient japonaises.
  16. ↑ Les mots exacts du capitaine de l’USS Astoria lorsqu’il arriva sur le pont furent « Topper, I think we are firing on our own ships. Let’s not get excited and act too hasty! Cease firing! » (« Topper, je crois que nous tirons sur nos propres navires. Restons calmes et n’agissons pas trop précipitamment. Cessez le feu ! »). L’officier d’artillerie de l’USS Astoria répliqua « For God’s sake give the word to commence firing! (« Pour l’amour de Dieu, donnez l’ordre de tirer ! »). Après la quatrième salve du Chōkai, le capitaine déclara Whether our ships or not, we will have to stop them. Commence firing! » (« Que ce soient nos navires ou pas, nous allons devoir les arrêter. Ouvrez le feu ! ») (Loxton et Coulthard-Clark 1997, p. 226-227).
  17. ↑ Texte original : When I reached the bridge level, I found it a shambles of dead bodies with only three or four people still standing. In the Pilot House itself the only person standing was the signalman at the wheel who was vainly endeavoring to check the ship’s swing to starboard to bring her to port. On questioning him I found out that the Captain, who at that time was laying [sic] near the wheel, had instructed him to beach the ship and he was trying to head for Savo Island, distant some four miles (6 km) on the port quarter. I stepped to the port side of the Pilot House, and looked out to find the island and noted that the ship was heeling rapidly to port, sinking by the bow. At that instant the Captain straightened up and fell back, apparently dead, without having uttered any sound other than a moan.
  18. ↑ Toland 1970, p. 362
  19. ↑ Murray et Millett 2001, p. 211-215
  20. ↑ (enSandy Shanks, « The Bode Testament: Author’s Interview [archive] » sur Microworks
  21. ↑ Hackett, CombinedFleet.com.

 

 

 

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19 mars 2013

Anne Frank

Classé sous — milguerres @ 23 h 32 min

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 Chronologie de la Seconde Guerre mondiale

Anne Frank
Née à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) le 12/06/1929
Morte à Bergen-Belsen (Allemagne) le 12/03/1945

Anne Frank sans_t14

Lors de l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933, Anne Frank s’exile avec sa famille juive en Hollande. A partir de 1942, ils sont contraints à se cacher dans une arrière salle pour échapper aux rafles nazies. Dans cette « annexe », Anne tient un journal, qu’elle rédige en néerlandais, du 12 juin 1942* au 1er août 1944. Le 4 août, elle et sa famille sont arrêtées et déportées suite à une dénonciation. Anne est alors transportée au camp de concentration de Bergen-Belsen, en Allemagne, où elle meurt en 1945. Son père, rescapé d’Auschwitz, publiera le journal de sa fille en 1947. Le Journal d’Anne Frank, témoignage des souffrances endurées par les opprimés du nazisme, restera un récit poignant qui sera lu par des millions de personnes à travers le monde.

*1942 12 juin
Anne Frank reçoit un cahier à carreaux
C’est pour son treizième anniversaire, qu’Anne Frank reçoit son fameux petit cahier intime à carreaux rouges et blancs. 

Le Journal d’Anne Frank
Publication du journal

Otto Frank survécut au camp d’Auschwitz et fut libéré par l’Armée rouge le 27 janvier 1945. Il revint à Amsterdam et chercha à savoir ce qu’étaient devenues sa femme et ses filles. Il gardait espoir de les retrouver. Il fut informé que sa femme était morte et que ses filles avaient été transférées à Bergen-Belsen. Bien qu’il ait espéré qu’elles aient pu survivre, la Croix-Rouge lui confirma en juin 1945 les décès d’Anne et Margot. C’est seulement à ce moment que Miep Gies lui donna le journal d’Anne qu’elle avait réussi à sauver. Otto le lut et expliqua plus tard qu’il ne s’était pas rendu compte qu’Anne avait conservé une trace aussi précise et bien écrite du temps qu’ils avaient passé ensemble. Sachant qu’Anne désirait devenir écrivain, il commença à envisager de le publier. Quand on lui demanda plusieurs années plus tard quelle avait été sa première réaction, il dit simplement : « Je ne savais pas que ma petite Anne était aussi profonde15. »
Le journal d’Anne débute avec l’expression privée de ses pensées et elle y écrit plusieurs fois qu’elle n’autoriserait jamais personne à le lire. Il décrit sa vie de manière candide, ses familles et ses compagnons, leur situation, tout en commençant à reconnaître les ambitions de son auteure d’écrire et publier des œuvres de fiction. Au printemps 1944, suite à l’émission de Radio Londres au cours de laquelle elle entendit le ministre de l’Éducation du gouvernement néerlandais en exil dire que lorsque la guerre serait terminée, il rendrait publics les témoignages de l’oppression du peuple néerlandais sous l’occupation allemande, elle commença à corriger ses écrits, supprimant des sections, en réécrivant d’autres, dans le but de les publier. Son journal original fut agrémenté de plusieurs autres carnets de notes et feuilles volantes. Elle créa des pseudonymes pour les membres de l’Annexe et les personnes qui les avaient aidés. La famille van Pels devint Hermann, Petronella, et Peter van Daan, et Fritz Pfeffer devint Albert Düssell. Otto Frank utilisa son journal original, connu sous le nom de « version A », et la version corrigée, connue sous le nom de « version B », pour produire la première publication du journal. Il supprima certains passages, principalement ceux parlant de sa femme dans des termes peu flatteurs, ainsi que des sections décrivant l’évolution de la sexualité d’Anne. Bien qu’il ait restauré les identités véritables des membres de sa famille, il ne modifia pas les autres pseudonymes.

Il donna le journal à l’historienne Annie Romein-Verschoor, qui essaya sans succès de le publier. Elle le donna alors à son mari Jan Romein, qui écrivit un article au sujet du journal intitulé « Kinderstem » (« La Voix d’un Enfant »), publié dans le quotidien Het Parool le 3 avril 1946. Il écrivit que le journal « bégayé par la voix d’un enfant, incarne toute la cruauté du fascisme, plus que toutes les preuves que le procès de Nuremberg ait pu réunir16. » Son article attira l’attention d’éditeurs, et le journal fut publié en 1947, suivi d’une seconde publication en 1950. La première version américaine fut publiée en 1952 sous le titre Anne Frank: The Diary of a Young Girl (Anne Frank : Le Journal d’une Jeune Fille). Une pièce basée sur le journal, par Frances Goodrich et Albert Hackett, fut présentée en première à New York le 5 octobre 1955 avant de gagner plus tard le prix Pulitzer dans la catégorie Drames. Elle fut suivie en 1959 par le film The Diary of Anne Frank (Le Journal d’Anne Frank), qui fut un succès critique et commercial. Au fil des années la popularité du journal grandit et dans plusieurs écoles, en particulier aux États-Unis, il fut intégré dans le programme scolaire, faisant ainsi découvrir Anne Frank à de nouvelles générations de lecteurs.
En 1986, l’Institut national des documents de guerre des Pays-Bas publia une édition critique du journal. Elle incluait des comparaisons de toutes les versions connues, publiées. Il incluait aussi des commentaires certifiant l’authenticité du journal ainsi que des informations historiques supplémentaires sur la famille Frank et le journal lui-même.
En 1999, Cornelis Suijk, un ancien directeur de la fondation Anne-Frank et président du centre américain pour l’éducation sur la Shoah, annonça qu’il était en possession de cinq pages qui avaient été enlevées du journal par M. Frank avant sa publication ; Suijk déclara qu’Otto Frank lui avait donné ces pages avant sa mort en 1980. Les passages manquants du journal contenaient des remarques critiques d’Anne par rapport aux tensions entre ses parents, et montre le peu d’affection d’Anne envers sa mère17.
Une controverse apparut quand Suijk réclama ses droits de publication sur les cinq pages et voulut les vendre pour collecter de l’argent pour sa fondation américaine. L’Institut National des Documents de Guerre des Pays-Bas, le précédent propriétaire du manuscrit, réclama la restitution des pages en question. En 2000, le ministre hollandais de l’Éducation, de la Culture et des Sciences conclut un accord avec la fondation de Suijk en lui versant 300 000 USD et les pages furent rendues en 2001. Depuis lors, elles ont été incluses dans les nouvelles éditions du journal.

Éloges d’Anne Frank et de son journal
Dans son introduction de la première publication américaine du journal, Eleanor Roosevelt le décrivit comme « un des plus sages et bouleversants témoignages sur la guerre et son impact sur les êtres humains que j’aie jamais lu ». L’écrivain russe Ilya Ehrenbourg dit plus tard : « une voix parle pour six millions d’autres – la voix non pas d’un sage ou d’un poète mais d’une petite fille ordinaire. » À mesure que la stature d’Anne Frank en tant qu’écrivain et humaniste s’affirmait, on parla d’elle de manière spécifique comme de l’un des symboles de la Shoah et plus généralement comme le symbole de la persécution. Hillary Clinton, dans le discours qu’elle prononça lorsqu’elle reçut le prix humanitaire Elie-Wiesel en 1994, lut le journal d’Anne Frank et parla d’elle comme « nous éveillant à la folie de l’indifférence et au terrible prix qu’elle faisait peser sur notre jeunesse », que Clinton reliait aux événements alors en cours à Sarajevo en Somalie et au Rwanda18.

Après avoir reçu un prix humanitaire de la Fondation Anne-Frank en 1994, Nelson Mandela, s’adressant à la foule à Johannesbourg, déclara qu’il avait lu le journal d’Anne Frank pendant son emprisonnement et que celui-ci lui avait donné beaucoup de courage. Il compara la lutte d’Anne Frank contre le nazisme avec sa lutte contre l’Apartheid, décrivant un parallélisme entre les deux philosophies avec le commentaire « parce que ces croyances sont évidemment fausses, et parce qu’elles étaient, et seront toujours, défiées par des personnes semblables à Anne Frank, elles sont vouées à l’échec19 ».
Le journal a aussi été reconnu pour ses qualités littéraires. Commentant le style d’écriture d’Anne Frank, le dramaturge Meyer Levin, qui travailla avec Otto Frank sur la mise au point d’un drame basé sur le journal peu de temps après sa publication20, loua sa capacité à « entretenir la tension d’une nouvelle bien construite », tandis que le poète John Berryman écrivit qu’il s’agissait d’une description unique, non seulement de l’adolescence mais aussi « du processus mystérieux et fondamental d’un enfant devenant adulte comme si cela était en train de se dérouler ». Sa biographe Melissa Müller dit qu’elle écrivait « dans un style précis, économique et confiant époustouflant d’honnêteté ». Son écriture est principalement une étude de caractères et elle examine chaque personne de son cercle avec un regard judicieux et intransigeant. Elle est parfois cruelle et souvent biaisée, en particulier dans sa description de Fritz Pfeffer et de sa propre mère. Müller explique qu’elle canalisa les sautes d’humeur normales de l’adolescence par ses écrits. Son examen personnel et celui de son entourage est soutenu pendant une longue période de manière très critique, analytique et introspective, et dans des moments de frustration elle dépeint la bataille intérieure dont elle fait l’objet entre la « bonne Anne » qu’elle voudrait être, et la « mauvaise Anne » qu’elle pense incarner. Otto Frank rappela plus tard son éditeur pour lui expliquer la raison pour laquelle il pensait que le journal avait été lu par tant de monde ; selon lui « le journal aborde tant d’étapes de la vie que chaque lecteur peut y trouver quelque chose qu’il l’émouvra personnellement ».
En juin 1999, Time Magazine publia une édition spéciale intitulée TIME 100 : Heroes & Icons of the 20th century ; une liste des politiciens, artistes, innovateurs, scientifiques et personnalités les plus influentes du xxe siècle. Anne Frank fut choisie pour en faire partie. L’écrivain Roger Rosenblatt, auteur de Children of War, écrivit le passage consacré à Anne Frank21 dans lequel il décrit son héritage :
« Les passions déchaînées par ce livre suggèrent qu’Anne Frank appartient à tous, qu’elle s’est élevée au-dessus de la Shoah, du Judaïsme, de la féminité et du bien, pour devenir une icône du monde moderne – la moralité individuelle assaillie par le mécanisme de la destruction, insistant sur le droit de vivre, questionnant et espérant pour le futur de la condition humaine. »

Démentis et action judiciaire
Certains ont tenté de discréditer le journal depuis sa publication et depuis les années 1970 le négationniste David Irving a affirmé de manière régulière que le journal n’était pas authentique22. Les constantes déclarations publiques de ces négationnistes incitèrent Teresien da Silva à commenter au nom d’Anne Frank en 1999 : « Pour beaucoup de mouvements politiques d’extrême droite, Anne s’avère être un obstacle. Son témoignage personnel de la persécution des Juifs et sa mort dans un camp de concentration empêchent la réhabilitation du national socialisme. »
Depuis les années 1950, la négation de la Shoah constitue un crime dans plusieurs pays d’Europe, dont l’Allemagne, et la loi a été utilisée pour prévenir une recrudescence des activités néo-nazies. À Lübeck en 1959, Otto Frank attaqua en justice Lothar Stielau, un professeur d’école, ancien membre des Jeunesses hitlériennes, qui avait publié un prospectus scolaire décrivant le journal comme une contrefaçon. La Cour de justice examina le journal et, en 1960, le déclara comme étant authentique. Stielau rétracta ses précédentes déclarations et Otto Frank arrêta la procédure judiciaire.
En 1958, Simon Wiesenthal fut défié par un groupe de manifestants lors de la représentation théâtrale du Journal d’Anne Frank à Vienne, qui affirmait qu’Anne n’avait jamais existé. Ces manifestants demandèrent à Wiesenthal de prouver l’existence d’Anne en retrouvant l’homme qui l’avait arrêtée. Il commença à chercher Karl Silberbauer et le trouva en 1963. Lors de son interview, Silberbauer admit directement son rôle, et identifia Anne Frank à partir d’une photographie comme étant l’une des personnes arrêtées. Il fournit un compte rendu complet des événements et se rappela qu’il avait vidé une valisette pleine de papiers sur le sol. Ses déclarations corroborèrent la version des événements qui avait précédemment été présentée par des témoins oculaires comme Otto Frank. Aucune charge ne put être retenue contre Silberbauer, qui n’avait fait que suivre les ordres. Les informations qu’il donna ne permirent pas à Wiesenthal de trouver le dénonciateur de la famille Frank, qui reste une énigme pour les historiens.
En 1976, M. Frank engagea une autre procédure contre Heinz Roth de Francfort, qui avait également publié des pamphlets proclamant que le journal était une contrefaçon. Le juge statua que s’il publiait de nouveaux écrits de ce type, il serait passible de 500 000 Deutsche Mark d’amende et d’une peine de six mois de prison. Deux autres plaintes furent rejetées par des tribunaux allemands en 1978 et 1979 sur base de la liberté d’expression, car la plainte n’avait pas été déposée par une des parties visées par les écrits. La cour statua dans les deux cas que si la plainte avait été déposée par une partie concernée, comme Otto Frank, une charge pour calomnie aurait pu être retenue.
La controverse atteignit son sommet avec l’arrestation et le jugement de deux néo-nazis, Ernst Römer et Edgar Geiss, qui furent jugés coupables de produire et de distribuer de la littérature dénonçant le Journal d’Anne Frank comme étant une contrefaçon, sur la plainte d’Otto Frank. Quand ils firent appel de leur condamnation, une équipe d’historiens étudia les documents en collaboration avec Otto Frank, et conclut qu’ils étaient authentiques. En 1978, durant la procédure d’appel des jugements Römer et Geiss, le laboratoire du tribunal criminel allemand (Bundeskriminalamt, BKA) eut pour tâche d’examiner le type de papier et les types d’encres utilisées dans le manuscrit du journal. Bien que ses conclusions aient indiqué que l’encre avec laquelle le journal avait été écrit était utilisée pendant la guerre, le BKA conclut que « les corrections subséquentes appliquées sur les pages volantes ont été écrites avec des stylos à bille noirs, verts et bleus ». Bien que le BKA n’ait pas donné plus de précisions à propos de ces supposées corrections au stylo à billes, les négationnistes dénonçant l’authenticité du journal se sont focalisés sur cette phrase, car les stylos à bille ne sont devenus populaires qu’après la Seconde Guerre mondiale.
Le BKA publia en juillet 2006 un communiqué de presse dans lequel il déclara que les recherches effectuées en 1980 ne peuvent en aucune manière être utilisées pour remettre en cause l’authenticité du Journal d’Anne Frank23.
En 1986, le Laboratoire national de sciences légales néerlandais de Rijswijk exécuta une autre expertise technique exhaustive du manuscrit. Bien que le BKA fût invité par ce laboratoire à indiquer sur quelles pages volantes il avait détecté des corrections au stylo à bille, celui-ci fut incapable de présenter un seul exemple. Le laboratoire lui-même trouva seulement deux pages de manuscrits rédigés avec de l’encre de stylo à bille, qui avait été ajoutée dans les pages volantes du manuscrit. L’Édition Critique Révisée du Journal d’Anne Frank (publiée en 2003) fournit des images (pages 167-171) de ces deux pages du manuscrit et dans le chapitre résumant les découvertes faites par le Laboratoire National de Sciences Légales hollandais, H.J.J. Hardy écrit à ce sujet :
« Le seul passage au stylo à bille fut découvert sur deux morceaux de papier inclus parmi les feuilles volantes. Les figures VI-I-I et 3 montrent la manière dont ces morceaux de papier avaient été insérés dans le dossier plastique concerné. En tout état de cause, ces écrits au stylo à bille n’ont aucune influence sur le contenu factuel du journal. De plus, l’écriture observée sur ces morceaux de papier diffère de façon saisissante de celle du journal. »
— page 167
Une note de bas de page ajoute :
« Le psychologue et expert en graphologie d’Hambourg Hans Ockleman déclare dans une lettre à la Fondation Anne Frank datée du 27 septembre 1987 que sa mère, Dorothea Ockleman, est l’auteur de ces morceaux de papier écrits au stylo à bille. Elle les écrivit quand elle collabora à l’étude des journaux avec Minna Becker. »
Avec la mort d’Otto en 1980, le journal original, ainsi que les lettres et les feuilles volantes, furent réclamés par l’Institut national des documents de guerre des Pays-Bas, qui demanda une étude légale du journal au ministère de la Justice des Pays-Bas en 1986. Ils comparèrent le manuscrit et plusieurs exemplaires connus. Ils conclurent qu’ils concordaient mais aussi que le papier, la colle et l’encre utilisés étaient disponibles à l’époque à laquelle le journal est supposé avoir été écrit. Leur conclusion finale confirma l’authenticité du journal comme le fit également la Cour régionale de Hambourg le 23 mars 1990.
Néanmoins, certains négationnistes ont persisté dans leurs affirmations selon lesquelles le journal est une contrefaçon. En 1991, Robert Faurisson et Siegfried Verbeke produisent un livret intitulé : Le Journal d’Anne Frank : une approche critique. Ils déclarent qu’Otto Frank était l’auteur du journal, basé sur le fait que le journal contient plusieurs contradictions, que se cacher dans l’Annexe aurait été impossible et que le style et l’écriture d’Anne Frank ne seraient pas ceux d’une adolescente24.
En décembre 1993, la Maison Anne Frank à Amsterdam et la Fondation Anne Frank de Bâle déclenchèrent une action au civil de manière à interdire la poursuite de la distribution du livret Le Journal d’Anne Frank : une Approche Critique aux Pays-Bas. Le 9 décembre 1998, la Cour du District d’Amsterdam statua en faveur des plaignants, rendant hors la loi tout déni concernant l’authenticité du journal, toute distribution des publications de même nature et imposa une amende de 25 000 florins par contravention constatée25.

Héritage 
Le 3 mai 1957, un groupe de citoyens, parmi lesquels Otto Frank, créa la fondation de la Maison d’Anne Frank dans le but initial de sauvegarder l’immeuble Prinsengracht menacé de démolition et de le rendre accessible au public26. Otto Frank insista sur le fait que l’objectif de la fondation serait de promouvoir les contacts et la communication entre les jeunes de différentes origines, cultures et religions, mais aussi de lutter contrer l’intolérance et la discrimination raciale27.
La Maison d’Anne Frank ouvrit ses portes le 3 mai 1960. Elle comprend l’entrepôt et les bureaux de la société Opekta ainsi que l’Annexe, le tout non meublé de manière à ce que les visiteurs puissent circuler librement dans les pièces. Certains effets personnels des précédent occupants sont restés, comme une affiche d’une star de cinéma collée au mur par Anne, un morceau de papier peint sur lequel Otto Frank marquait la taille de ses filles à mesure qu’elles grandissaient et une carte sur le mur où il notait l’avance des forces alliées, le tout étant protégé par du papier Perspex (Plexiglas). Depuis la petite pièce qui fut celle de Peter van Pels, une allée relie l’immeuble aux bâtiments voisins, également rachetés par la Fondation. Ces autres immeubles sont utilisés pour héberger le journal mais aussi des expositions qui présentent différents aspects de la Shoah et des études plus contemporaines sur l’intolérance raciale dans différentes parties du globe. La Maison d’Anne Frank est devenue l’attraction touristique la plus fréquentée d’Amsterdam avec plus d’un million et demi de visiteurs chaque année.
En 1963, Otto et sa seconde femme Elfriede Geiringer-Markovits établissent la Fondation Anne-Frank en tant qu’organisation caritative, basée à Bâle en Suisse. La Fondation collecte l’argent pour le donner à des causes qui lui semblent louables. Jusqu’à sa mort, Otto légua ses droits sur le journal à la Fondation, à la condition que les premiers 80 000 francs suisses de revenus annuels soient distribués à ses héritiers, le reste étant crédité à la Fondation à destination des projets que ses administrateurs jugent valables. Cela a permis de soutenir tous les ans le traitement médical des Justes parmi les nations, d’éduquer les jeunes contre le racisme et de prêter certains écrits d’Anne Frank au musée américain dédié au mémorial de l’Holocauste de Washington pour une exposition en 2003. Le rapport annuel de la même année permet de se faire une idée des efforts réalisés pour contribuer à un niveau plus global, avec le support de l’Allemagne, d’Israël, de l’Inde, de la Suisse, de l’Angleterre et des États-Unis28.
Des dizaines d’écoles à travers le monde ont été baptisées « Anne Frank », en souvenir de la jeune fille29. Son nom a également été donné à un astéroïde, peu après la Seconde Guerre mondiale ((5535) Annefrank).
La vie et les écrits d’Anne Frank ont inspiré divers groupes d’artistes et commentateurs populaires, faisant référence à elle en littérature, musique populaires, télévision, et d’autres formes de média.
En 1959, son journal a été adapté pour le cinéma par George Stevens ; il a fait l’objet ensuite de plusieurs téléfilms et d’une adaptation japonaise en dessin animé (Anne no nikki, 1995).
Le 30 juillet 2009, le journal est ajouté avec d’autres documents au Registre de la Mémoire du monde de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO)30.
Le 30 septembre 2009, le musée Anne Frank annonce la publication des vidéos31 montrant des images de la jeune fille32.
En 2007, le châtaignier situé devant la maison où Anne Frank se cachait, et dont elle parle plusieurs fois dans son fameux journal, est sauvé provisoirement de l’abattage. L’arbre, âgé de 150 ans, était malade et jugé dangereux, mais le conseil municipal décida de surseoir à la décision33. Le châtaignier est finalement renversé par une tempête34 le 23 août 2010 ; les volontaires d’une fondation protégeant l’arbre tenteront de le faire repousser, grâce à l’accord du propriétaire du terrain35.

notes
1. ↑ « L’Annexe » [archive], page 3 [archive], sur le site officiel de la Maison d’Anne Frank.
2. ↑ Voir le site Anne Frank [archive].
3. ↑ Cf. par exemple, pour l’ensemble de ce passage, l’analyse du journal d’Anne Frank par Françoise Chatel de Brancion (« http://www.forumuniversitaire.com/CONFONLINE/confonline-litterature07.asp » (Archive • Wikiwix • Que faire ?))
4. ↑ Article du Figaro sur « le marronnier d’Anne Frank » [archive].
5. ↑ Voir par exemple la vision de l’avenir du peuple juif qu’elle développe dans son journal, et qui est repris en conclusion de la conférence de Françoise Chatel de Brancion («http://www.forumuniversitaire.com/CONFONLINE/confonline-litterature07.asp » (Archive • Wikiwix • Que faire ?))
6. ↑ Avant-propos au Journal d’Anne Frank, Calmann-Lévy, 1992 (trad. Nicolette Oomes), p. 9.
7. ↑ Différentes hypothèses ont été formulées à ce sujet. On les trouvera résumées sur le dossier qui est consacré à cette question sur le site officiel de la maison d’Anne Frank [archive] (« Qui a dénoncé les clandestins ? » [archive])
8. ↑ « Le jour de l’arrestation » [archive], sur le site officiel de la maison d’Anne Frank
9. ↑ « Départ pour Westerbork » [archive], sur le site de la maison d’Anne Frank.
10. ↑ Carol Ann Lee, Anne Frank, Les secrets d’une vie, Paris, 1999, p. 237.
11. ↑ Rijksinstituut voor Oorlogsdocumentatie, Les Journaux d’Anne Frank, Calmann-Lévy, 1989, p. 64 et p. 72, note 8.
12. ↑ Voir par exemple Melissa Müller, La vie d’Anne Frank, tr. fr., Paris, Perrin, 2000, p. 254 et p. 265.
13. ↑ Rijksinstituut voor Oorlogsdocumentatie, Les Journaux d’Anne Frank, Calmann-Lévy, 1989, p. 66 et p. 72, note 14.
14. ↑ Pour le lieu et la date, voir Rijksinstituut voor Oorlogsdocumentatie, Les Journaux d’Anne Frank, Calmann-Lévy, 1989, p. 67 et p. 72, note 15.
15. ↑ « Le Journal » [archive], pages 2 [archive] et 3 [archive], sur le site officiel de la Maison d’Anne Frank.
16. ↑ AnneFrank.org – La publication du journal [archive] reproduction de l’article du Het Parool, avec les commentaires de Jan Romein.
17. ↑ (en) annefrank.org – Publicité à propos d’Anne Frank et de son journal, cinq pages précieuses relancent la controverse sur Anne Frank [archive], source attribuée à l’article de Ralph Blumenthal, The New York Times, le 10 septembre 1998.
18. ↑ (en) La Maison Blanche – Le prix Elie-Wiesel [archive] – Remarques de la première dame des États-Unis à la remise du prix humanitaire Elie-Wiesel à New York le 14 avril 1994.
19. ↑ (en) Discours du président sud-africain Nelson Mandela à l’occasion de l’ouverture de l’exposition Anne Frank au Musée africain de Johannesbourg [archive] le 15 août 1994.
20. ↑ (en) Souvenirs d’Anne Frank [archive] par Jacob B. Michaelsen, 1997.
21. ↑ (en) Time Magazine « TIME 100 : Heroes & Icons of the 20th century » publié le 14 juin 1999.
22. ↑ (en) Le projet Nizkor [archive]
23. ↑ « Remise en cause de l’authenticité par les néonazis réfutée » [archive], sur le site officiel de la maison d’Anne Frank. ((de) Communiqué de presse du BKA [archive])
24. ↑ Lire à ce sujet le chapitre ‘Le’ Journal d’Anne Frank ‘est-il authentique’, dans le livre de Serge Thion ‘Vérité historique ou vérité politique’(ISBN 978-2-90327902-8).
25. ↑ (en) « Dix questions sur l’authenticité du journal d’Anne Frank » [archive], article de Jaap Tanja, maison d’Anne Frank, 2007
26. ↑ « La Maison d’Anne Frank » [archive], sur le site de la maison d’Anne Frank.
27. ↑ Cf. La présentation des activités de la fondation Anne Frank (« http://www.annefrank.org/content.asp?pid=4&lid=5&flashid=4 »(Archive • Wikiwix • Que faire ?))
28. ↑ Fondation Anne-Frank [archive], résumé du rapport annuel 2003.
29. ↑ « Qu’est-ce qu’une école Anne Frank ? » [archive], sur le site officiel de la Maison d’Anne Frank.
30. ↑ Le Journal d’Anne Frank ajouté au Registre de la Mémoire du Monde [archive], centre d’actualité de l’ONU.
31. ↑ The only existing film images of Anne Frank [archive]
32. ↑ Des vidéos consacrées à Anne Frank visibles sur internet [archive]
33. ↑ Sursis pour le châtaignier, sur Alliance [archive], le21 novembre 2007.
34. ↑ L’arbre d’Anne Frank renversé par une tempête, sur Branchez-vous.com [archive], 24 août 2010.
35. ↑ Le châtaignier d’Anne Franck reprendra vie [archive], sur Guysen International News, le 25 août 2010.

source
http://www.linternaute.com/biographie/anne-frank-1/date/48365/anne-frank-recoit-un-cahier-a-carreaux/
wikipedia

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 Chronologie de la Seconde Guerre mondiale

17 mars 2013

Les nazis adoptent la solution finale

Classé sous — milguerres @ 19 h 19 min

 

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 Chronologie de la Seconde Guerre mondiale

 

1942
20 janvier

Les nazis adoptent la solution finale

 

La conférence de Wannsee près de Berlin réunit quinze hauts responsables nazis et des officiers SS sous la présidence de Reinhard Heydrich, chef des services secrets allemands. La réunion a pour objectif de débattre sur « la solution finale de la question juive ». Il est décidé que les juifs d’Europe en état de travailler seront transférés dans des camps de travaux forcés. Pour ceux incapables de travailler, l’élimination pure et simple est décrétée. Certains camps seront bientôt essentiellement consacrés à cette extermination de masse : Belzec, Sobibor, Treblinka puis Auschwitz. Le génocide du peuple juif est clairement amorcé. Plus de 6 millions d’entre eux périront dans les camps de la mort.

La conférence de Wannsee

 

 

La conférence de Wannsee réunit dans une villa de Berlin, le 20 janvier 1942, quinze hauts responsables du Troisième Reich, pour débattre de l’organisation administrative, technique et économique de la solution finale à la question juive, voulue par Adolf Hitler et mise en œuvre, sur ses instructions, par Hermann Göring, Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich et Adolf Eichmann.
Au moment où la conférence se tient, la Shoah a débuté depuis déjà plusieurs mois : la déportation des Juifs du Reich a commencé, les Einsatzgruppen assasinent les Juifs par centaines de milliers en URSS, le Camp d’extermination de Chełmno est en activité et les autres centres de mise à mort sont en construction ou en projet.
Présidée par Reinhard Heydrich, la conférence dure moins de deux heures. Si elle est brève et n’est pas marquée par des décisions fondamentales, elle constitue une étape décisive dans la réalisation de la Shoah, en entérinant d’une part le contrôle total de la SS sur la mise en œuvre de l’extermination du peuple juif, d’autre part le rôle de Heydrich en tant que maitre-d’œuvre dans le processus destructeur puis en exigeant la collaboration sans entraves et le soutien sans failles de l’ensemble de l’appareil d’État.
La villa Marlier où eut lieu la conférence est depuis 1992 un lieu de mémoire.

Contexte

Mesures antisémites du régime nazi avant-guerre

La conférence de Wannsee ne peut être isolée de la volonté d’exclure la population juive de la société allemande, qui se traduit dans les faits, dès l’arrivée des nazis au pouvoir, et s’amplifie de l’année 1933 au déclenchement de la Seconde Guerre mondialeN 1.
Dès le 7 avril 1933, les Juifs sont, à quelques exceptions près, exclus de la fonction publique via le décret sur la restauration du fonctionnariat et son règlement d’application1,N 2. Avec l’adoption des Lois de NurembergN 3, le 15 septembre 1935 et les décrets d’application lui faisant suite, les Juifs ou demi-Juifs (Mischling) sont catégorisés sur une base légale, privés de leur citoyenneté, déchus de la plupart de leurs droits et chassés d’un nombre croissant de professions ; mariages et relations sexuelles entre Juifs et « citoyens de sang allemand ou apparenté » sont interdits et deviennent des délits2. Le durcissement de cette politique se poursuit en 1937 et 1938, avec la confiscation des passeports des Juifs allemands, les débuts de l’élimination des Juifs de la sphère économique, l’imposition de prénoms « juifs » et l’exclusion de sphères de plus en plus larges de la vie publique, économique et socialeN 4,3.

La Nuit de Cristal des 9 et 10 novembre 1938 marque une étape cruciale dans la radicalisation antisémite : outres les violences physiques et les destructions matérielles à grande échelle sur tout le territoire du Reich, elle est suivie, fin 1938 et courant 1939, par toute une série de mesures qui excluent de jure et de facto les Juifs de la société civileN 5,4 et par l’aryanisation forcée des entreprises et commerces Juifs5. Pour Raul Hilberg, à la veille du déclenchement du conflit, la population juive du ReichN 6 et du protectorat de Bohème-Moravie est soumise à des conditions de vie qui correspondent à une ghetthoïsation, même s’il ne s’agit pas encore d’une concentration dans des quartiers enclos de murs, selon un processus en cinq étapes : « rupture imposée des relations de sociabilité entre Juifs et Allemands ; limitations de résidence ; réglementation des déplacements ; mesures d’identification spécifique ; enfin, institution de procédures administratives distinctes6 ».

Déportations, ghettoïsation et assassinats de masse

Avec l’invasion de la Pologne, deux millions7 de Juifs tombent aux mains des Allemands dont la politique et les actions antisémites se durcissent. Dans le sillage des troupes de combat, les Einsatzgruppen constitués par Reinhard Heydrich procèdent au massacre systématique des francs-maçons, des Juifs, des communistes et des membres de l’intelligentsia, du clergé et de l’aristocratie »8. Comme l’indique Heydrich, en réaction aux protestations de certains généraux de la Wehrmacht, « nous voulons bien protéger les petites gens, mais les aristocrates, les curetons et les Juifs doivent être supprimés9. » Les tueries s’accompagnent d’un vaste processus de déportation, de concentration et de ghettoïsation : à partir du 1er décembre 1939 débute un vaste mouvement forcé de la population juive : les Juifs des territoires polonais incorporées au Reich, mais aussi les Juifs et Tziganes du Reich sont déportés vers le Gouvernement général, ce qui finit par susciter de vives protestations du gouverneur de Pologne Hans Frank, débordé par l’ampleur des déportations10. Les ghettosN 7 se mettent en place tout d’abord dans les territoires incorporés dès l’hiver 1939-1940, et se multiplient au cours des mois suivants (Lodz en avril 1940, Varsovie en octobre, Cracovie en mars 1941, Lublin en avril, etc.)11.

Au cours de l’invasion de l’Union Soviétique, 2 500 00012 Juifs se retrouvent, au fil des avancées des armées allemandes, sous la domination nazie. Formés dès le printemps 1941, soit avant l’invasion, quatre Einsatsgruppen suivent la progression de la Wehrmacht et commettent des massacres à grande échelle qui visent, selon Heydrich « tous les fonctionnaires du Komintern, la plupart de ceux-ci devant être des politiciens de carrière ; les fonctionnaires de haut rang et de rangs intermédiaires ainsi que les extrémistes du parti communiste, du comité central et des comités régionaux et locaux ; les commissaires du peuple ; les Juifs occupant des fonctions au sein du parti communiste ou du gouvernement, ainsi que tous les autres éléments extrémistes, saboteurs, propagandistes, francs-tireurs, assassins, agitateurs13… » Les tueries se concentrent rapidement sur les Juifs, tout d’abord sur les adultes de sexe masculin, puis à partir d’août 1941N 8, à l’ensemble de la population juive, sans distinction de sexe ou d’âge et sans aucun lien avec une éventuelle fonction au sein du parti communiste14.
Les adjoints immédiats d’Hitler, Göring et Heinrich Himmler, SS-Reichsführer, considèrent cette déclaration, comme d’autres propos tenus à la même époque par le Führer, et dont la plupart n’ont été rapportés que lors des procès d’après-guerre, comme une autorisation de procéder à une solution finale de la question juive plus radicale, incluant notamment la déportation de tous les Juifs présents dans les territoires occupés par l’Allemagne.
Göring est à cette époque le personnage le plus puissant du régime nazi après Adolf Hitler ; il a reçu le grade spécifique de Reichsmarschall et est désigné comme le successeur du Führer15. Pour Heydrich, toute instruction de Göring est soutenue par l’autorité de Führer ; Heydrich sait également que son supérieur immédiat, Himmler, est en faveur de l’extermination des Juifs. De plus, à cette époque, il a mis en place et commande les Einsatzgruppen qui ont entrepris l’assassinat en masse de la population juive des territoires récemment conquis en Union soviétique. Selon Rudolf Lange, commandant de l’Einsatzkommando 2 qui opère en Lettonie, ses ordres portent sur une solution radicale du problème juif, via l’exécution de tous les Juifs16. En octobre commence la déportation vers l’Est des Juifs d’Allemagne, d’Autriche et de Tchécoslovaquie ; lorsque les trains chargés de déportés arrivent en Lettonie, Lange fait abattre tous les passagers. Mais cette méthode d’assassinat par fusillade s’avère rapidement impraticable pour le massacre de millions de personnes : le coût en munitions est inacceptable, et les SS éprouvent des problèmes psychologiquesN 9.

Planification de la conférence

Le 31 juillet 1941, Göring signe un document qui lui est soumis par Reinhard Heydrich, numéro deux de la SS et chef du RSHA, qui étend les pouvoirs confiés à ce dernier depuis le 24 janvier 1939 pour résoudre le problème juif par l’émigration ou l’évacuation. Heydrich se voit chargé de faire tous les préparatifs nécessaires pour la solution totale de la question juive dans tous les territoires sous contrôle allemand, de coordonner la participation des organisations dont les juridictions sont concernées et de soumettre un projet global pour la solution finale de la question juive (Endlösung der Judenfrage)17.
Au cours de la seconde moitié de l’année 1941, Heydrich et son état-major travaillent sur des projets d’évacuation des Juifs de tous les territoires occupés par l’Allemagne vers des camps de travail en Pologne ou plus à l’Est, en Union soviétique, dont il pense que la conquête sera bientôt terminée : ceux qui sont incapables de travailler seront assassinés, les autres exterminés par le travail. La défaite allemande devant Moscou au cours des mois de novembre et décembre conduit à une large révision des priorités : l’euphorie cède la place à la perspective d’une guerre de longue durée et au constat que les réserves de nourriture ne suffiront pas à alimenter la population de l’Allemagne et de l’Europe occupéeN 10.
Dès novembre 1941, il devient clair que les responsables nazis savent que Adolf Hitler a l’intention d’expulser tous les Juifs d’Europe vers les territoires de l’Est et de les y faire assassinerN 11.
Mener à bien une telle entreprise impliquant l’enregistrement et le transport de millions de personnes, à un moment où les ressources matérielles et humaines nécessaires sont déjà gravement compromises, est un formidable défi logistique. Afin d’éviter que certains éléments de l’appareil d’État ne fassent obstacle ou refusent de coopérer à la solution « finale de la question juive », il est décidé d’inviter à une réunion les représentants de tous les ministères concernés afin de leur exposer les projets en cours et la méthode à mettre en œuvre pour leur exécution, en précisant qu’il s’agit d’une décision de la plus haute autorité du Reich.
Le 29 novembre 1941, Reinhard Heydrich, représentant d’Himmler en son absence18, envoie une invitation pour une réunion prévue le 9 décembre 194118 au siège de la Commission internationale de police criminelle — une sorte de précurseur de l’Interpol dont Heydrich est à l’époque le président —, au 16 Am Kleinen Wannsee, dans le cadre confortable d’une villa, au bord du lac à l’extrémité ouest de Berlin. Il joint à cette invitation une copie de la lettre de Hermann Göring du 31 juillet pour souligner son autorité en la matière.
Les développements du début de décembre 1941, perturbent les plans initiaux18. Le 5 décembre, l’Armée rouge lance une contre-offensive à Moscou, mettant fin à la perspective d’une conquête rapide de l’Union des républiques socialistes soviétiques ; le 7 décembre, les Japonais attaquent les États-Unis à Pearl Harbor, ce qui provoque, le lendemain, l’entrée en guerre des États-Unis contre le Japon. Pour s’acquitter de ses obligations en vertu de son pacte tripartite avec l’Italie et le Japon, le gouvernement du Troisième Reich prépare immédiatement une déclaration de guerre aux États-Unis, le 11 décembre. Certains invités de la réunion participent à ces préparatifs, et le 8 décembre, Heydrich reporte la réunion, sans déterminer de nouvelle date. Au début du mois de janvier 1942, Heydrich envoie de nouvelles invitations à une réunion fixée au 20 janvier. Pour l’historien allemand Christian Gerlach, le report de la réunion par Heydrich a pour but d’en élargir l’objectif initial. Selon Götz Aly, par contre, il est causé par la confusion qui suit l’attaque japonaise sur Pearl Harbor. Toujours selon Gerlach, l’objectif initial de la conférence de Wannsee ne portait que sur la déportation des Juifs du Reich ; ce n’est qu’après le discours d’Adolf Hitler du 21 décembre 1941 qu’Heydrich peut élargir le thème de la réunion pour la consacrer à la solution finale de la question juive19.
Le lieu de la conférence est changé pour une villa au 56-58 Am Grossen Wannsee, une rue résidentielle tranquille, à Wannsee. La villa Marlier, construite en 1914, a été acquise par la SS en 1940 pour l’utiliser comme un centre de conférence20,N 12.

 

 Les nazis adoptent la solution finale 458px-10
Lettre de Reinhard Heydrich à Martin Luther, l’invitant à la conférence de Wannsee.

Participants

Comme il s’agit d’une réunion destinée à discuter de la mise en œuvre d’une politique déjà décidée au niveau politique, les invités sont des exécutants, mais de haut niveau : « pas moins de huit participants sur quinze sont titulaires d’un doctorat21. »
Reinhard Heydrich, SS-Obergruppenführer, chef du RSHA, qui préside de la réunion
Adolf Eichmann, SS-Obersturmbannführer, chef du département B-4 (Affaires juives) de la Gestapo, qui rédige les notes de la conférence.
Dr Josef Bühler, StaatssekretärN 13, Gouvernement général (Dr. Hans Frank)
Dr Roland Freisler, Staatssekretär, ministère de la Justice (Franz Schlegelberger)
Otto Hofmann, SS-Gruppenführer, RuSHA (bureau pour la race et le peuplement)
Dr Gerhard Klopfer, SS-Oberführer, chancellerie du Parti (Martin Bormann)
Friedrich Wilhelm Kritzinger, chancellerie du Reich (Hans Lammers)
Dr Rudolf Lange, SS-Sturmbannführer, commandant du SD en Lettonie.
Dr Georg Leibbrandt, Staatssekretär, ministère des Territoires occupés de l’Est (Alfred Rosenberg)
Martin Luther, Unterstaatssekretär, ministère des Affaires étrangères (Joachim von Ribbentrop)
Dr Alfred Meyer, Staatssekretär, ministère des Territoires occupés de l’Est
Heinrich Müller, SS-Gruppenführer, chef de la Gestapo
Erich Neumann, Staatssekretär, Plan quadriennal (Hermann Göring)
Dr Karl Eberhard Schöngarth, SS-Oberführer, commandant du SD dans le Gouvernement Général
Dr Wilhelm Stuckart, Staatssekretär, ministère de l’Intérieur (Wilhelm Frick)

Déroulement de la conférence

Reinhard Heydrich ouvre la conférence en rappelant les mesures antisémites prises en Allemagne depuis l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933. Il souligne qu’entre 1933 et 1941, 530 000 Juifs ont émigré d’Allemagne et d’AutricheN 14 ; cette information est tirée d’un document préparatoire rédigé la semaine précédente par Adolf Eichmann, qui fort de son expérience dans l’organisation de l’émigration forcée des Juifs autrichiens en 1938, est devenu le principal expert en ce qui concerne la mise en œuvre de la solution de la question juive22. Heydrich chiffre le nombre de Juifs vivant en Europe et dans l’empire colonial francais en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie – mentionnés comme vivant dans « France /territoires non-occupés ») à approximativement onze millions de personnes, dont un peu plus de la moitié vivent dans des pays ou des territoires qui ne sont pas sous contrôle allemandN 15,23. Et Heydrich de poursuivre : « désormais, à la place de l’émigration, la prochaine solution à envisager, avec l’aval préalable du Führer, est l’évacuation des Juifs vers l’est. Ces actions sont toutefois à considérer uniquement comme des solutions transitoires, mais qui nous permettront d’acquérir des expériences pratiques qui seront très précieuses pour la solution finale à venir de la question juive. »

Pour les négationnistes, la conférence n’a porté que sur l’évacuation des Juifs vers l’Est et non sur leur extermination ; les propos de Heydrich sur le sort qui attend les personnes évacuées sont pourtant clairs.
« Au cours de la solution finale, les Juifs de l’Est devront être mobilisés pour le travail avec l’encadrement voulu. En grandes colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail seront amenés à construire des routes dans ces territoires, ce qui sans doute permettra une diminution naturelle substantielle de leur nombre.
Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de ceux qui resteront, car il s’agira évidemment des éléments les plus résistants, puisque issus d’une sélection naturelle, et qui seraient susceptibles d’être le germe d’une nouvelle souche juive, pour peu qu’on les laisse en liberté. »
Aucun des participants n’a pu ne pas comprendre la teneur des propos d’Heydrich. Comme le souligne Christopher Browning, « ce ne sont pas des gens incultes incapables de comprendre ce qu’on leur dit ; ils ne vont pas non plus être dépassés par la surprise ou le choc parce que Heydrich ne parle pas à des non-initiés ou à des personnes délicates21. » Toujours selon Heydrich, au cours de l’exécution pratique de la solution finale, l’Europe sera passée au peigne fin d’ouest en est. L’opération débutera sur le territoire du Reich, y compris les protectorats de Bohême et de Moravie, à cause de la situation du logement et de la spécificité sociopolitique du Reich. Les Juifs évacués seront d’abord envoyés dans des ghettos de transit dans le Gouvernement général, avant d’être déportés plus à l’Est. Cette priorité découle des pressions croissantes exercées par les autorités locales nazies, dont les Gauleiters, qui insistent pour que les Juifs soient retirés de leurs territoires, pour permettre le logement des familles devenues sans abri, suite aux bombardements alliés et celui des travailleurs forcés provenant des pays occupés.
Afin d’éviter de nombreuses interventions, les Juifs âgés de plus de soixante-cinq ans, grands invalides de guerre ou décorés de la croix de fer, seront déportés vers le ghetto de TheresienstadtN 16.
Heydrich aborde ensuite assez longuement la situation des Mischling, soit les personnes considérées selon les théories racistes nazies, comme des demi- Juifs ou quart de Juifs, ainsi que celle des personnes juives mariées à des personnes non juives. Les Lois de Nuremberg étant assez floues sur ces différentes catégories, Heydrich précise clairement le sort qui leur est réservé avec beaucoup de détails, et en prévoyant de nombreuses exceptionsN 17.
Il faut en outre observer que ces mesures détaillées et ces exemptions ne s’appliquent qu’aux Juifs du Reich et ne sont que partiellement observées. Dans la plupart des pays occupés et surtout à l’Est, les Juifs sont arrêtés, déportés et exterminés en masse. La situation en France constitue une exception : en échange de sa collaboration le régime de Vichy est autorisé à appliquer ses propres règles, qui s’appliquent plus durement aux réfugiés et immigrés récents qu’aux Juifs de nationalité française ; de ce fait, pour Heydrich, l’enregistrement des Juifs pour leur déportation ne devrait pas soulever de grandes difficultés, qu’il s’agisse de la zone occupé ou de celle contrôlée par Vichy24.

 

wannse10
Dénombrement de la population juive selon le protocole de Wannsee

Les Allemands craignent des difficultés avec certains de leurs alliés, la Roumanie et la Hongrie. Selon Heydrich, le gouvernement roumain vient de se doter d’une commission aux affaires juives ; dans les faits, et malgré le fort antisémitisme de la population, la déportation des Juifs roumains sera lente et inefficace. En ce qui concerne la Hongrie, Heydrich préconise de forcer rapidement son gouvernement à accepter un conseiller allemand pour y régler la question juive ; jusqu’à sa mise à l’écart en 1944, le gouvernement dirigé par Miklós Horthy continuera à s’opposer à toute ingérence allemande dans sa politique juive ; Horty mis à l’écart, 500 000 Juifs hongrois seront envoyés à la mort sur l’ordre direct d’Eichmann25.
L’exposé d’Heydrich dure près d’une heure. Suivent ensuite une trentaine de minutes de questions et de commentaires, suivis par quelques conversations informelles. Le représentant du ministère des Affaires étrangères, Luther, insiste sur la prudence à observer dans les pays scandinaves, dont la population n’a pas de sentiment d’hostilité à l’égard des petites communautés juives et qui risque de réagir face à des scènes déplaisantes. Au Danemark, grâce à la ferme opposition du roi et de la population, peu de Juifs seront déportésN 18.
Hofmann et Stuckart soulignent les difficultés juridiques et administratives dans le cas des mariages mixtes, plaidant pour une annulation d’office de ceux-ci et pour un usage à grande échelle de la stérilisation comme alternative à la déportation. Neumann, représentant de Göring pour le Plan de quatre ans, demande l’exemption des Juifs qui travaillent dans des industries vitales pour l’effort de guerre et dont le remplacement n’est pas possible : Heydrich qui ne souhaite pas offenser Göring assure Neumann que ces travailleurs ne seront pas déportés26. Les questions plus détaillées sur le sort des Mischling et des mariages mixtes sont renvoyées à des réunions ultérieures.
Selon les notes prises par Eichmann, la dernière intervention fut celle du secrétaire d’État, Dr. Bühler, représentant du Gouverneur général Hans Frank. Il déclare : « Le Gouvernement général serait heureux de voir commencer sur son territoire la solution finale de cette question. Là en effet le problème des transports ne présente pas de difficultés excessives et le déroulement de l’opération ne serait pas gêné par des considérations de main-d’oeuvre. Il faut éliminer le plus vite possible les Juifs de cette région : le Juif en tant qu’agent de contagion y représente un danger particulier et la continuation de son commerce interlope apporte un élément constant de désordre dans la situation économique du pays. De plus sur les deux millions et demi de Juifs en question, la majorité est inapte au travail. Il faut que l’on résolve le plus vite possible la question juive dans cette région »27.
La conférence de Wannsee sera suivie par plusieurs autres réunions auxquelles participent des responsables de rang inférieur28. Une réunion est organisée aux ministère des Territoires occupés de l’Est, le 29 janvier 1942, au cours de laquelle il est décidé que quiconque ayant eu la citoyenneté russe ou ayant été apatride soit défini comme Juif s’il admet l’être, s’il est reconnu comme Juif par la communauté juive, si son appartenance au judaïsme résulte d’autres circonstances ou s’il a un parent défini comme Juif par l’un des trois critères définis ci-dessus. Cette réunion est suivie par dix-sept autres, qui concernent la totalité de l’appareil administratif et répressif nazi, à l’exception du ministère de la Propagande28.
« En mars 1942, la connaissance de la Solution finale a pénétré profondément, bien que de manière inégale, au sein de la bureaucratie allemande où cette information suscite une volonté de contribuer – selon les termes de Rosenberg – à la « tâche historique » que « le destin a confiée » à l’Allemagne nazie28 ».

Objectifs

La conférence de Wannsee ne dure que quatre-vingt-dix minutes, et, pour la plupart des participants, il ne s’agit que d’une réunion parmi d’autres au cours d’une semaine chargée. L’énorme importance accordée à celle-ci par des auteurs d’après-guerre n’est pas comprise par ses participants de l’époque. Aucune décision fondamentale concernant l’extermination des Juifs n’est prise lors de cette conférence, de telles décisions ne dépendant que de Hitler, éventuellement en concertation avec ses principaux adjoints comme Göring et Himmler, et non avec de hauts fonctionnaires, comme le savent les personnes présentes à Wannsee. Elles savent également qu’une telle décision a déjà été prise et que Heydrich, en tant que représentant de Himmler, est là pour le leur faire savoir. De plus, la conférence ne débouche pas non plus sur l’élaboration d’une planification logistique détaillée, ce qui aurait été par ailleurs difficile en l’absence d’un représentant du ministère des Transports ou des chemins de fer.

Selon l’un des biographes d’Eichmann, David Cesarini, le but principal de la réunion est de permettre à Heydrich d’asseoir son autorité sur les différents ministères et institutions impliqués dans la politique à l’égard des Juifs, pour éviter la répétition des problèmes causés par l’assassinat de Juifs allemands à Riga en octobre 1941. « La manière la plus simple et la plus décisive par laquelle Heydrich pourrait assurer le flux régulier des déportations était d’affirmer son total contrôle sur le destin des Juifs du Reich et de l’Est en intimidant les autres parties concernées pour qu’elle suivent la ligne fixée par le RSHA29 ». Cette analyse explique pour quelle raison la plus grande partie de la conférence se réduit à un long monologue d’Heydrich, dont le contenu n’est pas nouveau pour la majorité des participants, et pourquoi si peu de temps est consacré aux questions pratiques. Un autre objectif consiste en l’obtention de l’accord des représentants des ministères des Affaires étrangères et du Plan de quatre ans, qui étaient les plus susceptibles de soulever des objections à l’assassinat en masse des Juifs, pour des raisons économiques ou diplomatiques
L’historien allemand Peter Longerich adhère à ces hypothèses, mais y ajoute un objectif supplémentaire : rendre les principaux ministères complices des projets de Heydrich. « Du point de vue de Heydrich, les principaux objectifs de la conférence étaient, premièrement, d’établir le contrôle total du programme de déportation par le RSHA sur de nombreuses et importantes autorités du Reich, et ensuite, de faire des hauts responsables de la bureaucratie des différents ministères des complices, des auxiliaires et des coresponsables du plan qu’il poursuivait. Pour rappel : le plan consistait à déporter les Juifs des zones sous contrôle allemand, vers l’Est, où ils seraient exposés à des conditions de vie extrêmement sévères et fatalement morts d’épuisement ou assassinés. Heydrich poursuivait ce plan depuis début 1941 ; en juillet 1941, Göring lui donna l’autorité nécessaire pour le mener à bien, et, avec les premières déportations de Juifs d’Europe centrale en octobre, la première phase de ce plan fut réalisée. Lors de la première invitation à la conférence, Heydrich avait attendu jusqu’à ce que la seconde vague de déportation vers Riga, Minsk et Kovno ait débuté. Il voulait clairement placer les représentants des plus hautes autorités du Reich devant un fait accompli30. »

SOURCE
 

Le procès-verbal d’Adolf Eichmann, dont des copies sont envoyées par Eichmann à tous les participants après la réunion31 est le document sur lequel s’organise la réflexion à propos de la conférence. La plupart de ces exemplaires sont détruits à la fin de la Seconde Guerre mondiale quand les participants et d’autres responsables cherchent à dissimuler leurs actes. Ce n’est qu’en 1947 qu’une copie du procès-verbal, aussi connu comme le « Protocole de Wannsee », est retrouvé dans les archives de Martin Luther, mort en mai 1945. À ce moment, les participants les plus importants à la réunion, tels que Reinhard Heydrich, Heinrich Müller ou Eichmann sont morts ou disparus ; la plupart des autres participants nient avoir eu connaissance de l’évènement ou font valoir qu’ils ne pouvaient pas se rappeler ce qui s’est passé là-bas. Seul Friedrich Wilhelm Kritzinger montrera de véritables remords pour son rôle dans la préparation de la Solution finale.
Le procès-verbal comporte d’importantes omissions, qui ne sont mises en évidence qu’au cours du procès d’Eichmann en Israël en 1962. Eichmann y affirme que, vers la fin de la réunion du cognac a été servi, et que la conversation est devenue moins retenue32. Il explique : « Ces Messieurs étaient debout ensemble, ou assis, et discutaient du sujet sans mettre de gants, d’une manière très différente du langage que j’ai dû utiliser plus tard dans le rapport. [...] Ils ont parlé de méthodes pour tuer, de liquidation, d’extermination33. »
Eichmann souligne que Heydrich a été heureux de la façon dont se déroulait la réunion. Il exprima sa grande satisfaction, et s’est accordé à lui-même un verre de cognac, bien qu’il buvait rarement. Il avait prévu des écueils et des difficultés, rappelle Eichmann, mais il avait trouvé un climat propice à l’accord de la part des participants, et plus que cela, l’accord a pris une forme inattendue34. À l’issue de la réunion Heydrich donne à Eichmann des instructions strictes sur ce qui doit figurer dans le procès-verbal, qui ne doit pas être verbatim. Eichmann doit nettoyer le texte, afin que rien ne semble trop explicite. Il dit à son procès : « Comment aurais-je pu rendre dans le vocabulaire officiel qui était le mien, des conversations plus que franches et des expressions relevant du jargon ». En conséquence, les vingt dernières minutes de la séance, durant lesquelles furent utilisés librement des mots comme « liquidation » et « extermination », sont résumées par la phrase : « En conclusion, les différents types de solutions possibles ont été discutés »35. Le procès-verbal doit donc être lu en conjonction avec le témoignage de Eichmann pour obtenir une vision aussi proche que possible des propos réellement tenus.

Historiographie : la conférence de Wannsee dans le processus décisionnel de la Shoah

Le 16 juillet 1941, lors d’une réunion à laquelle participent notamment Hermann Göring, Martin Bormann, Alfred Rosenberg, Wilhelm Keitel et Hans Lammers, Hitler évoque ses projets pour l’avenir des territoires occupés à l’Est : pour le Führer, ces territoires doivent devenir « un jardin d’Éden germanique » et « naturellement, les vastes zones doivent être pacifiées au plus vite ; la meilleure manière d’atteindre ce résultat est d’abattre quiconque ose nous regarder de traversN 19. » Cette réunion peut être interprétée comme le premier tournant dans le processus de décision qui a mené au génocide36. Le 25 octobre 1941, lors d’un entretien avec Himmler et Heydrich, Hitler déclare : « ne laissez personne me dire : nous ne pouvons pas les envoyer dans les marais ! Qui se soucie alors de notre propre peuple ? Il est bon lorsque la terreur est devant nous que nous exterminions les Juifs. [...] Nous réécrivons l’histoire, d’un point de vue racial37 ».

Notes
1↑ Pour le détail des mesures d’exclusion, voir notamment Hilberg, 1, p. 114-331.
2↑ Est considérée comme d’ascendance non aryenne, toute personne qui compte parmi ses ascendants au premier ou second degré, une personne ou plus appartenant à la religion judaïque.
3↑ Contrairement au décret du 7 avril 1933, la définition utilisée n’est plus celle de non-aryens mais de Juifs.
4↑ Décret sur les entreprises de service du 6 juillet 1938, sur la profession médicale le 25 juillet, sur les avocats, le 27 septembre…
5↑ Exclusion du système scolaire en novembre 1938, retrait du permis de conduire en décembre, couvre-feu spécifique en septembre 1939…
6↑ 233 810 personnes selon le recensement du 17 mai 1939
↑ Au sens strict du terme, à savoir des quartiers enceints de murs où est concentrée le population juive, qui ne peut en sortir
7↑ Survla date de l’ordre génocidaire intégral, voir notamment, Husson, p. 447-451
8↑ Breitman, Architect of Genocide, 220, aborde les réflexions d’Himmler à propos de l’effet sur le moral de ses hommes du meurtre de masse de Juifs allemands à Riga et en d’autres endroits.
9↑ Adam Tooze, The Wages of Destruction: The Making and Breaking of the Nazi Economy, Allen Lane, 2006, p. 538–549, examine les impératifs économiques qui sous-tendent l’extermination des Juifs. Selon lui, en 1941, le manque criant de main d’œuvre dans l’industrie d’armement allemande rend nécessaire le recours à des millions de travailleurs forcés provenant des territoires occupés ; nourrir de manière satisfaisante ces travailleurs, ainsi que la population allemande et celle des pays occupés à l’Ouest, plus privilégiés comme la France et les Pays-Bas, nécessite une réduction drastique des bouches inutiles, dont les millions de Juifs sont, aux yeux de l’idéologie nazie, l’exemple le plus caractéristique.
10↑ Selon l’historien allemand Christian Gerlach, Adolf Hitler a clairement approuvé la politique d’extermination lors d’un discours à des officiers supérieurs à Berlin, le 12 décembre 1941 (Christian Gerlach, « The Wannsee Conference, the Fate of German Jews, and Hitler’s Decision in Principle to Exterminate All European Jews », Journal of Modern History, December 1998, 759–812). Si cette hypothèse n’est pas acceptée par tous, une décision a vraisemblablement été prise dans cette période. Le 18 décembre, Heinrich Himmler rencontre Hitler et note dans son carnet de rendez-vous : « question juive – à exterminer comme partisans » (Christoph Browning, The Origins of the Final Solution, 410). Le 19, Wilhelm Stuckart, Secrétaire d’État au Ministère de l’Intérieur, déclare à l’un de ses fonctionnaires que « les mesures prises contre les Juifs évacués sont fondées sur une décision de la plus haute autorité. Vous devez l’accepter. » (Browning, The Origins of the Final Solution, 405).
11↑ L’histoire et la description de la villa son présentées dans le dépliant « House of the Wannsee Conference Memorial Berlin », Stadtvandel Verlag, disponible au Memorial.
12↑ En Allemagne, le titre de secrétaire d’État est le plus haut rang dans une administration et non une fonction gouvernementale
13↑ Le compte rendu de la conférence est disponible en français sur Wikisource, d’où proviennent les citations dans la suite de l’article. Les questions autour de la fidélité du compte rendu par rapport à la teneur réelle des propos tenus lors de la conférence sont évoquées plus loin.
14↑ Le chiffre de 11 000 000 reprend l’ensemble de la population juive d’Union soviétique, estimée à cinq millions de personnes ; une grande partie de celle-ci vit dans des zones qui n’ont pas été envahies ou a été évacuées avant l’invasion allemande
15↑ Dans les faits, l’exception mise en place pour les Juifs de plus de soixante-cinq n’a été observée que sporadiquement et la situation alimentaire à Theresienstadt était telle que beaucoup de déportés y moururent rapidement. Par la suite, nombre d’entre eux furent transférés à Auschwitz pour y être assassinés.
16↑ Comme pour le point précédent, le détail de ces mesures ne fut que rarement appliqué, et elles furent généralement durcies par les responsables nazis locaux, de manière aléatoire.
17↑ « En fait, contrairement aux Juifs des autres pays sous l’occupation nazie, les Juifs du Danemark ne furent jamais forcés de porter une marque d’identification telle qu’une étoile jaune. [...] le roi et la population danoise apportèrent leur soutien à leurs concitoyens juifs et jouèrent un rôle crucial dans les opérations de sauvetage qui permirent à la grande majorité d’entre eux d’échapper à la persécution nazie et à la mort ». ushmm.org [archive]
18↑ La citation est tirée des notes de Martin Bormann, présentées en tant que preuve lors du procès de Nuremberg.

 

sources

wikipédia

http://www.linternaute.com/histoire/categorie/evenement/57/1/a/48359/les_nazis_adoptent_la_solution_finale.shtml

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6 mars 2013

Opération Barbarossa

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Opération Barbarossa barbarossa

 

L’opération Barbarossa (en allemand, Unternehmen Barbarossa), nommée en référence à l’empereur Frédéric Barberousse, est le nom de code désignant l’invasion par le IIIe Reich de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) pendant la Seconde Guerre mondiale. Déclenchée le 22 juin 1941, un an jour pour jour après la signature de l’armistice entre la France et le IIIe Reich, elle ouvre le front de l’Est qui devient le principal théâtre d’opérations de la guerre terrestre en Europe (de 1941 à 1945, 80 % des pertes de la Wehrmacht sont subies sur le front russe) et le facteur crucial dans le succès ou la défaite du Troisième Reich nazi. Ce front va être le théâtre des plus grandes et des plus sanglantes batailles terrestres de la Seconde Guerre mondiale. Cette invasion marque aussi un tournant dans la guerre, jusqu’alors encore assez localisée et européenne. Elle va bientôt embraser le monde entier.

La Wehrmacht possède une supériorité initiale considérable en hommes (de 2 contre 1 au minimum) et en équipements. Elle est mieux organisée, bien mieux commandée et dispose, au moins jusqu’à la gigantesque bataille de Koursk de juillet 1943, d’une incontestable supériorité tactique. Elle bénéficie de l’effet de surprise. L’Armée rouge, si elle est loin d’être préparée au choc avec l’Allemagne, décapitée par les Grandes Purges, dispose cependant d’importantes réserves humaines, d’avantages matériels certains (base industrielle, armements) et d’un patriotisme russe que Staline saura opportunément réactiver après vingt ans de répression sous la férule d’un État en guerre permanente contre sa propre société. Le nazisme, qui ne laissera aux « Untermenschen » d’autre alternative que la mort ou l’esclavage, jouera également un rôle important dans le sursaut patriotique.

Comme en 1914, l’Allemagne entend agir rapidement : le plan Barbarossa fixe à quatre mois le délai nécessaire à l’anéantissement militaire de la Russie, cœur névralgique de l’Union soviétique. En pratique, l’opération Barbarossa s’étendra de juin 1941 à janvier-février 1942, l’échec allemand de la bataille de Moscou étant le dernier épisode de la première phase du conflit sur le front russe.

Les justifications de cette invasion sont historiques (l’échec du plan Schlieffen en 1914 qui a conduit au traité de Versailles, ressenti comme une humiliation par l’Allemagne de 1919), stratégiques (la conquête du Heartland russe comme levier de la domination globale du continent européen) et idéologiques (la mise en œuvre géopolitique du nazisme), l’aboutissement affiché de la politique nazie étant la conquête d’un espace vital à l’Est : le Lebensraum.

Situation politique et diplomatique

La situation au printemps 1941 semble largement en faveur de l’Axe. La France a été vaincue en quelques semaines, le corps expéditionnaire britannique a été défait. Une partie majeure de l’Europe est occupée. À l’Est, Adolf Hitler a mis en place des régimes alliés de gré ou de force : Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovaquie. Le seul ennemi en guerre qui lui tienne encore tête est la Grande-Bretagne et son empire, qui résistent en grande partie grâce à une volonté collective incarnée par Winston Churchill, mais elle n’a été sauvée jusqu’alors que par son insularité. Au demeurant, la Grande-Bretagne ne constitue pas, en Europe continentale, une menace militaire terrestre suffisamment significative pour inquiéter la Wehrmacht.

Hitler connaît les risques d’attaquer l’Union soviétique, mais il estime qu’il doit agir immédiatement car, en 1941, l’Armée rouge est désorganisée et profondément affaiblie par les Grandes Purges staliniennes. Encore éloignés de la guerre, les États-Unis d’Amérique penchent cependant de plus en plus du côté des Alliés. Invaincue, la Wehrmacht, fait figure de première armée du monde en 1941. La situation semble donc favorable à la conquête du « Lebensraum ». Une seule puissance continentale peut encore empêcher cette conquête : l’Union soviétique. Depuis la signature du Pacte germano-soviétique (1939), dans lequel l’URSS voit un moyen de se protéger après les accords de Munich (Allemagne-France-Grande Bretagne) de 1938, et grâce auquel l’Allemagne et l’Union soviétique se sont partagé le territoire de la Pologne, les deux pays, malgré l’opposition inconciliable des idéologies qui les dirigent, ont ostensiblement établi des relations amicales de façade et des relations commerciales qui profiteront surtout au Troisième Reich jusqu’en juin 1941.

L’invasion crée le front stratégique majeur du second conflit mondial

En déclenchant l’opération Barbarossa, le régime nazi provoque l’ouverture d’un front auquel le Reich doit désormais consacrer l’essentiel de ses moyens militaires, de ses ressources industrielles et humaines. Engagée dans une guerre totale contre l’Union soviétique, l’industrie de guerre allemande « tournera » au maximum de ses capacités et ne cessera de se développer jusqu’au début de 1945 (ses dépenses militaires passeront de 35% de son PNB en 1940 à 65% en 1944). Non seulement l’Allemagne, première puissance industrielle du continent, affecte la totalité de ses ressources économiques à sa production de guerre, mais elle exploite également systématiquement à cette fin les ressources industrielles, économiques, démographiques de l’Europe occupée.

Du déclenchement de « Barbarossa » aux dernières étapes de la guerre, en mai 1945, la Wehrmacht consacrera l’essentiel de ses ressources en hommes et en matériels au front de l’Est, sans jamais être en mesure, à partir de l’hiver 1942-1943, de prendre l’initiative, si ce n’est dans des secteurs de plus en plus étroits du front. En juillet 1943, lors de la gigantesque bataille de Koursk, à peine sept divisions et deux brigades (2,7% des forces allemandes) étaient engagées face aux Américains et aux Britanniques dans les affrontements de la guerre du désert. Le reste (91 divisions et 3 brigades) se trouvait cantonné dans les territoires de l’Europe occupée. Les Alliés prendront pied en Afrique du Nord en novembre 1942 (débarquement de 70 000 hommes à Alger et Oran et au Maroc), en Sicile en juillet 1943 (débarquement de 160 000 hommes), en Italie à Salerne (sud de Naples) en septembre 1943 et à Anzio en janvier 1944, mais les moyens engagés pèseront de peu de poids (la Wehrmacht aura 23 divisions en Italie début 1944) comparés à la démesure des effectifs et des matériels présents depuis juin 1941 sur le front russe. Durant les quatre années que dura le conflit germano-soviétique il y eut, en permanence, une moyenne de 9 millions d’hommes simultanément impliqués dans les opérations de ce front.

Le cumul des pertes militaires de l’Union soviétique et de l’Allemagne nazie, dans sa guerre d’invasion de l’Union soviétique, se monte à 80% du total de toutes les pertes militaires enregistrées sur le théâtre d’opération européen de 1940 à 1945. C’est sur le front russe que la Wehrmacht aura les reins brisés, bien avant le débarquement des Alliés en France. Après le débarquement de Normandie d’un corps expéditionnaire en juin 1944, c’est encore à l’Est que les Allemands continueront à engager et à perdre la majorité de leurs hommes. La comparaison des pertes subies par la Wehrmacht sur les deux fronts à partir de juin 1944 montre la part presque exclusive du front russe même après ce débarquement. Du 1er juillet au 31 décembre 1944, pendant cinq mois, lors de la grande offensive soviétique contre le groupe d’armées du Centre, les Allemands perdront chaque mois en moyenne 200 000 soldats et près de 4 000 Hiwis, des auxiliaires étrangers (russes) de l’armée allemande. À l’Ouest, au cours de la même période, c’est-à-dire après le débarquement allié en France, la moyenne des pertes allemandes s’élèvera à 8 000 hommes par mois soit un rapport de 1 à 25.

Les pertes en vies humaines seront colossales et sans précédent, les conditions de vie seront effroyables pour les deux camps. En 2001, les historiens russes estimaient les pertes du conflit germano-soviétique à 26,2 millions de tués (environ 16% de la population de l’Union soviétique de 1940) dont plus de 11 millions de soldats et officiers (6,8 millions de tués directs et 3,8 millions de prisonniers de guerre décédés entre les mains de la Wehrmacht), et surtout 15,6 millions de civils puisque l’importance sans précédent des pertes civiles est d’abord la conséquence d’une guerre d’anéantissement menée en Union soviétique par le Reich nazi. 34 millions de Soviétiques furent mobilisés dans les rangs de l’Armée rouge de 1941 à 1945. L’ampleur de l’engagement allemand fut gigantesque : quelques 20 millions d’Allemands portèrent, à un moment ou à un autre, l’uniforme de la Wehrmacht sur le front russe, de sorte que c’est toute la société allemande qui fut impliquée dans l’expérience de la guerre sur le front de l’Est. Celle-ci fut voulue comme une lutte à mort, exigeant un engagement sans limites, une obéissance absolue, la destruction totale de l’ennemi. À ce titre, la guerre totale déclenchée contre l’URSS constitue non seulement le sommet du régime nazi, mais aussi l’élément essentiel de son image dans la mémoire collective des Allemands après la guerre. Pour l’écrasante majorité des soldats allemands, l’expérience de la guerre fut celle du front russe.

À la fin du mois de mars 1945, la totalité des pertes de l’Ostheer (le nom de la Wehrmacht sur le front russe) s’élevait à 6 172 373 hommes (tués, mutilés, disparus), soit près du double de ses effectifs initiaux, au 22 juin 1941. Ce chiffre représente 80 % des pertes subies par la Wehrmacht sur tous les fronts depuis le déclenchement de l’invasion de juin 1941. En mai 1945, on dénombre plus de 3 millions de prisonniers allemands détenus en Union soviétique. Tous camps confondus, les tués de l’Armée rouge, hors les 3,8 millions de prisonniers de guerre soviétiques décédés après leur capture, constituent 52 % du total des pertes militaires en Europe, ceux de la Wehrmacht 28 % (moins de 2% pour l’armée des États-Unis). Les pertes militaires de l’Union soviétique représentent 85 % du total des pertes alliées en Europe (Royaume-Uni 3,7 % – France 2,9 % – États-Unis 2,6 %). Enfin, le front ouvert en juin 1944 en France aura, militairement, environ 11 mois d’existence contre 47 mois pour le front russe ouvert en juin 1941.

Préparatifs allemands

motivations et justifications idéologiques

Dans Mein Kampf, Hitler annonce sa volonté d’en finir avec le « bolchevisme », assimilé à ses yeux au judaïsme: pour cela a été créée la figure fantsmagorique du Judéo-bolchevisme, dont la figure de proue est le Juif, « nuisible » (schädling) à la Nation allemande, rendu responsable du coup de poignard dans le dos de 1918.
Réparer l’humiliation de la défaite non reconnue de la Première Guerre mondiale face à l’alliance russo-franco-britannique de 1914 est aussi une motivation importante: En effet, sur le front russe, l’Allemagne est ses alliés ont signé une paix de victoire à Brest-Litovsk en mars 1918, mais ont dû évacuer les territoires qu’ils occupaient à l’hiver 1918-1919.
En outre, aux yeux des nationaux-socialistes, l’existence même d’un pays se réclamant du marxisme, l’Union soviétique, constitue une menace sur le Troisième Reich, état libéré de la présence juive, comme l’affirme la propagande nazie.

Objectifs territoriaux nazis

Les vastes espaces de l’Union soviétiques sont destinés, dans la direction tracée autrefois par les chevaliers Teutoniques, à être le Lebensraum, l’espace vital allemand, une fois débarrassé de ses populations. Les populations urbaines doivent être exterminées par la famine, celles rurales mises en esclavage pour fournir des surplus alimentaires destinés à l’Allemagne et à la colonisation aryenne.

L’idéologue du parti nazi Alfred Rosenberg a déjà prévu le découpage du territoire à conquérir. Quatre Reichskommissariat seront créés, à savoir : l’Ostland comprenant les pays baltes et la Biélorussie, celui d’Ukraine, le Kaukasus avec la zone autour des monts du Caucase et celui de Moskau pour le reste de la Russie européenne.

Hitler et le Parti dans la phase de préparation de Barbarossa

Du fait de son caractère éminemment politique, l’opération est principalement une création d’Hitler. L’état-major de la Wehrmacht est alors réticent car il craint de devoir combattre sur deux fronts simultanément (un front terrestre contre la Russie, un front maritime et aérien contre la Grande-Bretagne). Mais le Führer, auréolé du prestige des victoires fulgurantes en Pologne et surtout en France, croit en son génie politique et militaire et refuse de leur prêter l’oreille. Opposé, lui aussi, par principe, à la division de ses forces sur deux fronts qui fut, à ses yeux, la grande erreur du Reich lors de la Première Guerre mondiale, il finit par se convaincre lui-même que le Royaume-Uni est à bout de souffle et demandera la paix une fois l’Union soviétique vaincue et démantelée car il ne veut pas différer plus longtemps sa grande conquête à l’Est. Il surestime ses forces, prenant en compte ses victoires éclairs contre la Pologne puis la France, et sous-estime celles de la Russie soviétique, du fait des faibles performances de l’Armée rouge au cours de la guerre d’Hiver contre la Finlande (125 000 soldats soviétiques y périrent contre 48 000 hommes pour l’armée finlandaise). La préparation de l’armée allemande souffrira donc de plusieurs carences qui se révèleront fatales pour la réalisation des objectifs de l’opération Barbarossa quand il deviendra évident que la Blitzkrieg est inopérante en Russie.

La préparation: plans élaborés dès 1940

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Plan d’origine des Allemands.

La première mention d’une invasion de la Russie soviétique apparaît dans la directive n°21 du Führer, mise en circulation restreinte fin 1940. »Les armées allemandes, précisait la directive, doivent être prêtes, avant même la conclusion de la guerre contre l’Angleterre, à écraser la Russie soviétique à la faveur d’une rapide campagne ». À l’époque, la Luftwaffe n’a pas encore été mise en échec au-dessus de l’Angleterre. La directive indique déjà la date de l’invasion: le 15 mai 1941. Dès ce document, le plan de conquête et les objectifs à atteindre sont tracés, avec la séparation en deux du champ de bataille : le nord et le sud des marais du Pripet. Les deux groupes d’armées au nord doivent dans un premier temps détruire le maximum de forces soviétiques en appliquant les tactiques de la Blitzkrieg, puis prendre d’abord Léningrad et son port de guerre de Kronstadt, et seulement ensuite la capitale Moscou. Le groupe sud, lui, doit progresser vers Kiev, son flanc droit étant couvert par l’armée roumaine et quelques divisions allemandes. Par la suite, les opérations au sud ont pour objectif l’occupation du bassin du Donets (et au-delà le pétrole du Caucase). Le plan préparé par Hitler est axé sur la destruction des forces soviétiques sur la frontière grâce à des encerclements réalisés à toute vitesse par des unités blindées et à la capture des grands centres économiques. Il rencontre une certaine défiance de la part d’une partie de l’état-major de la Wehrmacht, davantage attaché à des stratégies plus conventionnelles, où la capture de la capitale politique, objectif symbolique, est prédominante. Même si Hitler considère ces préoccupations d’un autre temps, il concèdera la poursuite simultanée des objectifs que sont Moscou et Léningrad. Lors de la mise en œuvre de ce plan, le groupe Nord sera incapable de prendre Léningrad seul, malgré sa supériorité en effectifs et en artillerie sur la faible garnison qui protège la ville de Pierre le Grand et décidera de l’affamer.

Hitler décide que le premier but à atteindre est l’anéantissement de l’Armée rouge le plus tôt possible, pour l’empêcher de se replier et d’appliquer la politique russe traditionnelle de défense devant toute invasion majeure : la terre brûlée. Pour ce faire, la Wehrmacht doit encercler, chaque fois qu’il sera possible, des portions importantes des forces soviétiques pour les anéantir.

Le plan adopté est une sorte de mélange des deux stratégies. Il prévoit une attaque sur trois axes, avec du nord au sud :

* Une poussée vers Léningrad, à travers les pays baltes, menée par les 16e et 18 e armées, ainsi que le 4e groupe blindé, regroupé dans le groupe d’armée nord commandé par le maréchal Wilhelm Ritter von Leeb et appuyé par la 1re flotte aérienne du général Alfred Keller.
* L’attaque principale menée par le groupe d’armées Centre, commandé par le maréchal Fedor von Bock, et comprenant les 2e et 4e armées,ainsi que les 2e et 3e groupes blindés, le tout étant soutenu par la 2e flotte aérienne du général Albert Kesselring. L’objectif de ce groupe est Moscou, mais grâce à sa position centrale, il doit appuyer les deux autres mouvements et s’attacher à anéantir le maximum d’unités soviétiques.
* Le groupe d’armées Sud, commandé par le maréchal Gerd von Rundstedt et comprenant les 6e, 11e et 17e armées ainsi que le 1er groupe blindé, appuyé par la 4e flotte aérienne du général Alexander Löhr. Il doit bénéficier de plus, dès leur entrée en guerre, de l’appui non négligeable des 3e et 4e armées roumaines. Il a pour objectifs premiers la ville de Kiev, le port d’Odessa, puis les grandes villes industrielles de Kharkov, Dniepropetrovsk et Donetsk. Ses objectifs finaux étant les ports de Sebastopol en Crimée, Rostov-sur-le-Don et la grande ville de Stalingrad, clé du contrôle de la Volga.

La campagne doit au final établir, avant l’hiver, un front qui partant de Léningrad suivrait le cours de la Volga, jusqu’à son embouchure. D’ici là, l’Allemagne compte sur une destruction complète de l’Armée rouge, car les effectifs engagés seront incapables de mener les tâches d’occupation du pays conquis et la tenue de ce gigantesque front, long de plusieurs milliers de kilomètres. Le 12 août 1941, le maréchal Wilhelm Keitel, chef de l’Oberkommando de la Wehrmacht, indique dans sa directive 34a le principal objectif opérationnel de l’offensive: L’objet des opérations doit être de priver l’ennemi, avant la venue de l’hiver, de son gouvernement, de son armement et de son centre de communication dans la région de Moscou, et de l’empêcher ainsi de reconstituer ses forces et de faire fonctionner de façon ordonnée ses organes de gouvernement.

Initialement fixée au 15 mai 1941, l’invasion est finalement reportée au 22 juin afin de terminer les opérations de conquête de la Grèce et de la Yougoslavie, rendues nécessaires, dans l’esprit de Hitler, par le putsch de Belgrade de mars 1941 (suite aux déboires de Mussolini en Grèce).

Le manque de préparation soviétique

L’inéluctabilité d’une guerre avec une Allemagne nazie qui considère l’URSS comme son « espace vital » (en allemand Lebensraum) ne fait guère de doutes en URSS. Des efforts colossaux sont faits pour essayer de rattraper le retard industriel et militaire sur l’Allemagne (on peut ranger au titre de ces « efforts » les purges au sein de l’Armée rouge, qui l’ont pourtant, au moins à court terme, fortement affaiblie). Staline, conscient de l’infériorité militaire de l’Union soviétique, espère parvenir à combler ce retard pendant le répit accordé par le pacte germano-soviétique. En particulier, il veille à ne céder à aucune provocation allemande, comme les violations de l’espace aérien soviétique par des avions de reconnaissance allemands, ainsi qu’à ne pas provoquer lui-même l’Allemagne en engageant des préparatifs de combats. En juin 1941, malgré les risques croissants d’une attaque allemande, il refuse les mesures les plus élémentaires de préparation au combat, comme la création de fortifications de campagne, la dispersion des matériels et la mise en alerte de l’Armée rouge. C’est donc dans un relatif état d’impréparation que l’attaque allemande du 22 juin surprend l’URSS.

Vassili Grossman, témoin direct du front, raconte dans ses « Carnets de guerre » : « Au moment où la guerre a commencé, beaucoup de commandants en chef et de généraux étaient en villégiature à Sotchi. Beaucoup d’unités blindées étaient occupées à changer les moteurs, beaucoup d’unités d’artillerie n’avaient pas de munitions, pas plus que, dans l’aviation, on n’avait de carburant pour les avions…. Lorsque, depuis la frontière, on commença à avertir par téléphone les états-majors supérieurs que la guerre avait commencé, certains s’entendirent répondre : « Ne cédez pas à la provocation ». Ce fut une surprise, au sens le plus strict, le plus terrible du terme ».

La surprise ne fut pas totale pour le pouvoir soviétique puisqu’il a été établi que l’espion Richard Sorge et les analystes suédois menés par Arne Beurling avertirent Staline de la date exacte de l’invasion allemande. Plus de 80 avertissements furent transmis, d’une manière ou d’une autre, à Staline, qui préférait croire que l’Allemagne n’attaquerait que plus tard. Il semble que Staline se soit entêté dans l’idée qu’Hitler n’ouvrirait pas un second front sans en avoir fini avec l’Angleterre. Il refusa catégoriquement toute mesure risquant d’être perçue comme une provocation par le régime de Berlin.

Les unités sont cruellement handicapées par le manque d’officiers correctement formés. L’armée a perdu la plupart de ses représentants les plus compétents. Après la « Grande Terreur » communiste de 1936-1938 (près de 750 000 Russes fusillés, et sans doute 200 000 morts dans les camps du Goulag) une grande partie de l’encadrement de l’Armée rouge a disparu. Ont été fusillés : 11 000 officiers sur 70 000 (et plus de 20 000 sont internés dans les camps), 154 généraux de division sur 186 (82%), 50 généraux de corps d’armées sur 57 (88%), 13 commandants d’armées sur 15 (87%), la quasi-totalité des maréchaux (90%) et des amiraux (89%). Khroutchev devait souligner que cette épuration massive des cadres de l’armée avait été l’une des causes principales de l’état d’impréparation des forces soviétiques en juin 1941: « Tant d’hommes avaient été exécutés que le haut commandement avait été dévasté, ainsi que tous les échelons du corps des officiers ». À noter que cette épuration continuait alors même que l’invasion allemande se développait, ce qui faisait dire à Stepan Anastasovich Mikoyan: « Une grande guerre s’était engagée, notre armée souffrait de lourdes pertes et essuyait des défaites, et, dans le même temps, des chefs militaires expérimentés, au lieu d’être appelés à sauver la situation, étaient mis à mort en toute hâte… ».

Les conséquences sur la qualité du corps des officiers sont tragiques. Au moment où l’armée française s’effondre sous les coups de l’armée allemande, à peine 7,1% des officiers soviétiques possèdent une formation militaire développée ; près de 25% sont dans des cours de formation accélérée et 12% n’ont aucune formation militaire. Plus d’un tiers des officiers soviétiques est donc incapable de remplir un commandement à la veille de l’attaque allemande. Le commandement est tétanisé. En outre, beaucoup des officiers en place en 1941 ont d’abord été choisis pour leur fidélité au régime et non pour leur compétence. S’ajoutant aux consignes de modération données à l’égard des préparatifs allemands, leur incompétence favorisa la désorganisation et le déploiement hasardeux des unités chargées de la défense de la frontière. Les troupes étaient, en effet, pour la plupart placées trop près de la frontière et s’appuyaient sur une ligne de fortification encore en cours de réalisation, la Ligne Molotov. Enfin, les officiers soviétiques de 1941 sont placés sous l’autorité des commissaires politiques de l’Armée rouge. Le contrôle de ces derniers sur les ordres d’opérations ne sera levé qu’à la mi-1943 (et après Stalingrad, l’Armée rouge remet en vigueur les grades et les épaulettes de l’Armée Impériale de la monarchie).

En outre, le jour de l’invasion, beaucoup d’unités sont paralysées par des carences en matériels de guerre. Les armes individuelles ont été distribuées en quantités insuffisantes. Déjà, en mars 1941, 30% seulement des unités blindées disposaient des pièces de rechange nécessaires à leur fonctionnement. Un mois avant l’attaque allemande, les généraux signalaient que « l’exécution du plan pour la fourniture des équipements militaires dont l’Armée rouge a un besoin si aigu est extrêmement peu satisfaisante ».

Pourtant, l’Union soviétique de 1941 est loin d’être un pays faible : l’industrialisation forcée des années 1930 lui permet de n’être dépassée que par les États-Unis en termes de production industrielle (industrie lourde principalement). Ses matériels militaires sont souvent à la pointe de l’industrie mondiale, comme par exemple les chasseurs I-16 ou le char T-26. Cependant, depuis 1939, l’industrie d’armement du pays traverse une crise de transition, les nouveaux matériels ont beaucoup de mal à entrer en production de masse. Les décisions politiques ne sont généralement pas étrangères à ces difficultés. Le déclenchement de la guerre contraindra le système soviétique à davantage d’efficacité, comme le montre la rapide montée en puissance de nouveaux matériels de guerre performants. Considéré comme le meilleur char « tout emploi » de la Seconde Guerre Mondiale, le T-34 sera le tank le plus important des forces alliées. Il influencera nettement tous les chars conçus ultérieurement. Il sera le premier char capable de rivaliser et de surpasser ses adversaires tant par sa puissance de feu que par ses performances. Quand les premiers exemplaires de série sortirent en juin 1940, il n’avait pas d’équivalent. Produit en grand nombre dans différentes usines en fonction de l’avancée de la Wehrmacht en territoire soviétique (usines de Stalingrad, de Kharkov, de Nizhnij Tagil, d’Omsk, etc.), il pesait 32 tonnes et emportait un équipage de 4 hommes. Il existait à peine plus de 1 000 T-34 lorsque les Allemands attaquèrent la Russie. Seuls 10 % des chars soviétiques étaient alors des T-34, mais à la mi-1943 ce taux montait à 60 % avant que le T-34 n’ait totalement remplacé en 1944 les modèles les plus anciens. De 1941 à 1945, dans ses différentes versions, l’industrie russe en produisit près de 52 000 exemplaires.

L’ampleur des épreuves qu’ont subi les Russes depuis la chute du tsarisme (guerre civile, suppression de la plupart des libertés politiques et économiques, collectivisation forcée, périodes de terreur, exécutions massives, déportations) ont fini par forger un peuple dur à la souffrance et ayant, malgré tout, appris à survivre dans les conditions les plus difficiles. Enfin, l’économie soviétique vit sous un régime permanent d’économie de guerre depuis l’avènement du bolchévisme, ce qui facilitera, à partir de 1942, la mobilisation totale des ressources économiques pour faire la guerre au Troisième Reich.

Les forces en présence

Forces de l’axe

Le dispositif d’invasion de l’Axe est sans équivalent dans l’histoire militaire (excepté l’immense offensive soviétique de conquête de l’Allemagne lancée le 12 janvier 1945 avec 6,7 millions de combattants). Hitler a mobilisé 3 millions de soldats du Reich qui commencent à se déployer en février, en Prusse-Orientale, en Pologne, en Slovaquie et en Moldavie.
L’Ostheer inclut également des divisions hongroises, roumaines et finlandaises (500.000 hommes pour ces trois nationalités) et, par la suite, italiennes (l’Italie aura jusqu’à 200 000 hommes sur le front) : soit 201 divisions dont 42 de pays satellites, 3 650 chars d’assaut (85 % des disponibilités en blindés du Reich), 2 770 avions, plus de 47 000 canons et mortiers de campagne.

L’Allemagne engage 159 divisions sur les 220 dont elle dispose alors (73 % des effectifs totaux de la Wehrmacht). Ce sont pour la plupart des troupes aguerries par les campagnes précédentes, bien équipées et bien motorisées (600 000 véhicules) grâce en particulier aux prises de guerre de la bataille de France. On note cependant l’utilisation en juin 1941 de 600 000 chevaux par les équipages du train.

Si ces effectifs sont sans précédent dans une guerre de conquête, ils semblent insuffisants au regard du potentiel de l’Union soviétique et des immensités russes. L’armée d’invasion compte seulement 800 chars de plus qu’au déclenchement du Fall Weiss contre la France. Il reste que, sur les axes de pénétration et les points de percée, la supériorité de la Wehrmacht en matériels et en effectifs est écrasante, dans un rapport de 4/5 contre 1 et que l’armée allemande est remarquablement rompue au combat tactique, capacité qui fera cruellement défaut aux troupes soviétiques au moins jusqu’à la bataille de Koursk. La Blitzkrieg est donc la carte maîtresse qui décidera de l’issue du front que le Reich nazi décide d’ouvrir contre la Russie.

Forces soviétiques

L’Armée rouge dispose au total, en juin 1941, de 209 divisions d’infanterie dont 160 sont stationnées en Russie occidentale, soit en principe 2,3 millions de soldats à effectifs pleins (en 1941 la division d’infanterie allemande compte à effectif au complet 16 500 hommes contre 14 474 pour la soviétique). En réalité, 144 divisions comptent seulement la moitié de leurs effectifs et 65 un tiers. C’est donc à peine un peu plus d’un million de soldats, pris au dépourvu, qui vont devoir s’opposer à la déferlante allemande sur un front de plusieurs milliers de kilomètres. Les Soviétiques peuvent mettre en ligne 37 500 canons, 1 540 chasseurs de dernière génération, mais un nombre considérable de vieux avions (7 500) et de tanks sont déclassés. L’Armée rouge n’a plus, depuis leur dissolution par le pouvoir soviétique en 1939, de corps mécanisés à opposer à la Wehrmacht, corps blindés qui sont en grande partie une création du maréchal Mikhaïl Toukhatchevski (fusillé en juin 1937 – sa femme, sa mère et son fils, élève-officier, sont exécutés également en 1937). Enfin, l’Union soviétique doit se garder sur deux fronts : une quarantaine de divisions devront rester stationnées jusqu’en août 1945 en Extrême-Orient russe face aux armées japonaises qui occupent la Mandchourie.

L’état-major allemand entend profiter à plein de la faiblesse militaire de la Russie soviétique. Hitler devait ainsi déclarer au général Jodl :  » Nous n’avons qu’à donner un coup de pied dans la porte et toute cette structure pourrie s’effondrera ». Pourtant, d’après le rapport entre les effectifs humains engagés et le nombre d’engins de guerre, la Wehrmacht sur le front russe (l’Ostheer) était moins moderne que son adversaire direct, l’Armée rouge, même si, comme leurs alliés occidentaux, les Soviétiques et ce, malgré les enseignements de Toukhatchevski, n’avaient pas encore appris à tirer le maximum de leur puissance matérielle. En juin 1941, sur les 3 648 chars qui se ruent sur la Russie soviétique seuls 444 appartiennent à un modèle relativement récent (Panzer IV). Face à eux, se trouvent un million d’hommes, soutenus par 15 000 chars sur un stock total de 24 000, soit plus que tous les chars du reste du monde réunis. Si la grande majorité de ces engins étaient des modèles périmés, 1 861 d’entre eux étaient des chars T-34 et des chars lourds KV, supérieurs aux meilleurs engins produits à l’époque en Allemagne, mais handicapés par l’absence de radios en nombre suffisant.

L’invasion

L’attaque initiale

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Déroulement de l’opération

Les conditions sont donc très favorables pour l’Allemagne nazie. Le dimanche 22 juin 1941, le rouleau compresseur allemand s’ébranle . Les unités d’assaut franchissent la frontière et attaquent les premières lignes soviétiques. L’attaque terrestre est précédée par la plus gigantesque attaque aérienne de tous les temps, menée par la majorité des 2 770 avions engagés en appui de ce front. Cette attaque commence à 3 h 40 et vise 66 aérodromes soviétiques. Elle a des résultats désastreux pour l’Armée rouge, puisqu’elle donne à la Luftwaffe la maîtrise absolue du ciel soviétique pendant plusieurs semaines. Les bombardiers allemands trouvent les avions soviétiques alignés ailes contre ailes à leur base, généralement sans camouflage ni protection. La plupart du temps, l’alerte n’a même pas été donnée et peu d’avions de chasse peuvent décoller. Les pertes des VVS sont terribles : le soir, 1 489 appareils ont été détruits au sol et 389 autres abattus en vol. La Luftwaffe ne perd que 63 avions le 22 et 150 les deux premiers jours de l’offensive.

À 4 h 15, l’artillerie allemande se met à pilonner les positions avancées de la défense soviétique sur la frontière et, à 4 h 45, les premières unités terrestres franchissent celle-ci. La surprise chez les Soviétiques est totale, la Stavka avait bien émis un ordre qui avertit les unités frontalières de l’imminence de la guerre, mais la plupart des unités ne l’avaient pas reçu. La première opération est menée sur le front central, par un coup de main d’un corps franc de la 3e Panzerdivision, qui s’empare du pont de Koden, sur le Bug. Dans la matinée, un pont de bateaux est lancé à Drohizyn, 80 km plus au nord. La tête de pont ainsi créée fut appuyée par l’emploi de 80 chars Pz-III submersibles.

La résistance des Soviétiques est assez décousue sur la plus grande partie du front. Elle est acharnée sur quelques points, comme la citadelle de Brest-Litovsk défendue par les 6e et 42e divisions de tirailleurs, qui résistent, pratiquement sans eau, jusqu’à la fin juillet, bien qu’ayant été attaquée dès le matin du 22 juin. Sans appui d’aucune sorte, les soldats soviétiques de la citadelle sont totalement encerclés et sans espoir de secours puisque la nouvelle ligne de front est à 400 kilomètres plus à l’est. Ils continuent à se battre en dépit de la disproportion des forces et de l’emploi d’artillerie de siège lourde par les Allemands comme les mortiers de 620 mm. La seule 45e division d’infanterie affectée à la prise de la forteresse déplorera 482 tués (dont 80 officiers) et plus de 1 000 blessés. Les Russes perdront environ 2 000 à 2 500 tués et autant de prisonniers. Mais par son action, cette résistance ralentit considérablement le mouvement des unités d’infanterie qui doivent empêcher les troupes soviétiques de s’échapper de la poche de Bialystok-Minsk.

Pendant ce temps, malgré quelques contre-attaques soviétiques, les unités mécanisées du groupe d’armée centre franchissent Bug, et s’enfoncent dans les arrières des unités de l’Armée rouge. Les deux groupes blindés du centre mènent alors, à partir du 26 juin, deux percées parallèles, pour finalement converger sur Minsk, le 9 juillet, créant la poche connue sous le nom de Bialystok-Minsk, où plus de 400 000 soldats soviétiques et d’énormes quantités de blindés et de matériels sont pris au piège. Relevés par l’infanterie des 2e, 4e et 9e armées, les blindés allemands continuent leur progression en direction de Smolensk. Ils franchissent la Bérézina le 28 juin, ayant parcouru 600 kilomètres depuis la frontière.

Au Nord, le groupe d’armée de Leeb progresse très rapidement grâce à l’attaque très en profondeur du 56e corps d’armée motorisé du général Erich von Manstein, qui s’empare du pont d’Ariogala situé à 80 km dans la profondeur du dispositif soviétique, dès 19 h 00, le 22 juin et renouvela l’exploit le 26, avec celui de Dunaburg, lui à 350 kilomètres de la frontière, malgré une contre-attaque des chars du 3e corps mécanisé soviétique contre la 6e Panzerdivision au village de Rossiény. La bataille de chars qui résulte de la rencontre des forces blindées, fait rage pendant deux jours, l’Armée rouge y engage une centaine de chars de type KV-1 et KV-2, ce qui provoque une crise dans l’armée allemande, car ce char lourd est alors invulnérable aux canons des chars et aux armes antichar allemands, l’usage de pièces d’artillerie de 88 et 105 mm employées en tir direct permet néanmoins aux Allemands d’endiguer la résistance soviétique. L’offensive marque un temps d’arrêt, car Hitler et son état-major préférent que les blindés attendent l’infanterie avant de poursuivre leur progression vers Léningrad.

Le groupe d’armée sud connaît pour sa part une progression bien plus difficile. Dans ce secteur sont massés le plus gros des chars de l’Armée rouge, dont de nombreux KV-1 et T-34. Bien que manquant complètement de coordinations, les contre-attaques blindées coûtent cher aux Allemands. De plus, la Roumanie n’intervient qu’à partir du mois de juillet. Le 28 juillet, la situation empire brusquement pour les Soviétiques quand le 1er groupe blindé et la 17e armée font leur jonction, à l’est d’Uman enfermant dans une poche, la majeure partie des 6e et 12e armées soviétiques. Les troupes encerclées résistent jusqu’au 8 août, mais elles sont contraintes à la reddition. Les pertes sont terribles pour l’Armée rouge, avec environ 200 000 tués et 100 000 prisonniers.

La bataille de Smolensk

Le 10 juillet, le groupe d’armées centre a commencé une opération d’encerclement contre les troupes défendant Smolensk, jalon important sur la route de Moscou; le Dniepr est atteint et franchi le 11 juillet ; Smolensk tombe le 16, les troupes soviétiques étant coupées de leurs arrières. Mais cette fois, la réduction de la poche formée (323 000 soldats soviétiques) va se révéler problématique: les troupes russes continuent à résister malgré leur isolement. Suite à une forte contre-attaque, l’encerclement est même rompu temporairement. Les combats vont durer jusqu’au 10 septembre, l’Armée rouge ramenant constamment de nouvelles troupes fraîches. Certes, ses pertes sont là aussi très importantes, mais la progression des Allemands est enrayée, et obligée de lutter pied à pied contre des troupes déterminées, l’armée allemande subit elle aussi une véritable hécatombe avec la perte de près de 250 000 hommes (tués et blessés). 310 000 soldats et officiers soviétiques sont faits prisonniers, beaucoup seront sommairement exécutés. La bataille du chaudron de Smolensk porte à la Wehrmacht un coup dur dans sa progression vers l’est. Le général Blumentritt relève que « le comportement des troupes russes dans la défaite contrastait terriblement avec celui des Polonais ou des Occidentaux. Mêmes encerclés, les Russes s’accrochaient et combattaient ».

La bataille de Kiev

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L’encerclement de Kiev et l’opération Typhon

À la mi-septembre, l’Armée rouge, suite aux terribles pertes qu’elle a subies, a été contrainte de se replier sur une ligne de défense derrière la Divna et le Dniepr. Les armées allemandes ont regagné leur liberté de mouvement avec la fin de la liquidation de la poche de Smolensk. Les généraux réclament une attaque en direction de Moscou, désormais à 400 km du front. Il semble certain aux généraux allemands que, compte tenu de l’ampleur énorme de ses pertes, l’Armée rouge sera incapable de résister à une poussée dans cette direction. Hitler n’est pas de leur avis, il veut s’emparer de la région industrielle du Donbass. Il voit également la possibilité d’en finir avec les forces armées soviétiques qui ont mission de défendre l’Ukraine. Les arguments avancés par Hitler pour soutenir une avancée blindée vers le Sud sont que les lignes d’approvisionnement de l’armée centre seraient exposées sur un flanc de plus de 800 km si l’offensive continuait vers Moscou. En conséquence, il ordonne au 2e groupe blindé de Guderian de se porter vers le sud pour rejoindre le 1er groupe blindé du feld-maréchal von Kleist qui remonte du sud après avoir traversé le Dniepr. Le 25 août, la 3e division blindée s’empare du point stratégique qu’est le pont sur la Desna, près de Novgorod-Severski. Lorsque les officiers d’état-major soviétiques prennent conscience du danger mortel qui se rue sur les armées du Sud, il est trop tard. Les deux pointes blindées allemandes se rejoignent à Lokhvitsa. Un gigantesque encerclement est réalisé autour de la région de Kiev et des marais du Pripet dans lequel plus de 500 000 soldats soviétiques sont pris au piège. Kiev, « la mère des villes russes » dans la culture slave, tombe le 19 septembre et le reste de la poche suit dans le mois. Seuls 15 000 soldats et officiers parviennent à franchir le cordon allemand dont Nikita Khrouchtchev, le général Semyon Timochenko et le maréchal Boudienny. C’est le plus vaste encerclement militaire de l’Histoire. C’est aussi la plus grande défaite militaire ponctuelle de l’histoire soviétique. Au terme de la bataille de Kiev, l’armée allemande a encore 200 000 tués, blessés et disparus mais les Soviétiques perdent près d’un million d’hommes (400 000 tués, 500 000 prisonniers exécutés sur place ou que les Allemands laisseront mourir de faim avant de déporter les survivants dans les camps d’Europe centrale).

Partout, les unités de l’Armée rouge battent en retraite, dépassées par la rapidité de l’invasion. La plupart des habitants des zones envahies sont effondrés. « La population. Ils pleurent. Qu’ils soient en route, qu’ils soient assis, qu’ils soient debout près des palissades, à peine commencent-ils à parler qu’ils pleurent, et on a soi-même envie de pleurer malgré soi. Quel malheur! ». Vassili Grossman. Pourtant, on commence à voir, çà et là, des habitants réserver un accueil prévenant aux troupes allemandes.

La route du Donbass est ouverte pour le groupe d’armées sud, qui atteindra Rostov-sur-le-Don le 21 septembre, mais les divisions blindées et motorisées de la Wehrmacht sont très éprouvées par les deux féroces batailles de la fin de l’été, et ce n’est que le 30 septembre que la progression peut reprendre en direction de Moscou. La saison des boues, la rapoutitsa, rend les routes impraticables, et provoque alors un arrêt des opérations mobiles pendant près de quinze jours, obligeant à patienter jusqu’aux premières gelées pour reprendre le mouvement.

Au Nord, les troupes allemandes, arrivent devant les premières lignes de défense de Léningrad, au début du mois de septembre. La prise de la ville, dont la défense est organisée par Joukov, s’avère vite impossible malgré les faibles moyens de défense de l’Armée rouge. Les Allemands s’abstenant d’un assaut direct, décident de l’investir progressivement pour l’affamer, avec l’aide des Finlandais, mais la ville, malgré des pertes humaines colossales (700 000 civils périrent de faim et des bombardements), résistera en fait jusqu’à son dégagement en 1944, au cours du siège le plus long et le plus impitoyable de l’histoire moderne.

En quelques semaines à peine, les divisions allemandes ont progressé de 500 km vers le Nord, de 650 km vers l’Est, de 350 km vers le Sud-Est. De juin à octobre 1941, l’Ostheer (la Wehrmacht sur le front russe) a fait au total plus de 3 millions de prisonniers. Les premiers massacres en masse de Juifs, Russes et Tsiganes débutent quelques semaines seulement après le début de l’invasion.

L’échec de la bataille de Moscou

Les Allemands trouvent un pays las du soviétisme, mais les Einsatzgruppen massacrent systématiquement les Juifs (plus de 1 500 000 personnes, essentiellement des femmes et des enfants, seront assassinées de 1941 à 1944) et multiplient les atrocités dans le cadre de ce qui ressemble à une guerre d’anéantissement.

La population devient de plus en plus hostile à un envahisseur qui apparaît comme un ennemi venu pour anéantir et non pour libérer. Si les premières villes capturées avaient semblé accueillir favorablement l’envahisseur (en Ukraine en particulier), du fait de la lassitude face à la férocité du régime stalinien et aux problèmes des nationalités, les très nombreux massacres de civils transforment rapidement cet a priori favorable. Les massacres de civils désarmés et l’intention déclarée de réduire les Slaves en esclavage retournent vite les populations. Le traitement inhumain réservé aux prisonniers de guerre a fini par filtrer. Les Allemands éprouvent des difficultés croissantes à capturer des prisonniers, les soldats russes préférant lutter jusqu’à la mort plutôt que de mourir sommairement exécutés. Les opposants au régime se persuadent qu’il s’agit d’une lutte à mort où ils n’ont guère le choix du camp.

Les troupes allemandes traversent des régions affreusement pauvres et désertes, et l’étendue des espaces russes fait perdre tout son sens à la Blitzkrieg. Les lignes de communications de la Wehrmacht s’allongent démesurément. Assez rapidement, des groupes de partisans se forment sur les arrières de la Wehrmacht, obligeant celle-ci à consacrer un partie importante de ses forces au maintien de ses routes de ravitaillement. Ce dernier rencontre de nombreux problèmes, comme la différence d’écartement des voies de chemin de fer russes avec celles d’Europe occidentale. Après des centaines de kilomètres parcourus dans les plaines russes, le matériel est usé et en mauvais état (surtout pendant la Raspoutitsa : la période des mauvaises routes (à cause des intempéries)). Surtout, le manque d’hommes disponibles, compte tenu de ses pertes, commence à poser un problème à la Wehrmacht. Après plus d’un mois de combats, elle a déjà perdu plus d’hommes qu’au cours de toutes ses campagnes à l’Ouest, tout en étant très loin d’avoir atteint ses objectifs opérationnels. En septembre 1941, les divisions combattantes, alors au nombre de 142, déclarent avoir perdu près de 50 % de leurs forces initiales en hommes et en matériel et, en novembre, la plupart des formations d’infanterie ont perdu la moitié de leurs effectifs.

Début septembre, les Allemands, bloqués par les boues, tiennent plusieurs conseils de guerre pour prévoir la suite des opérations, dont la conférence d’Orcha, à laquelle participe Hitler. Il est désormais clair que malgré les pertes colossales infligées à l’Armée rouge, celle-ci n’a pas été détruite. Sa combativité, loin de s’écrouler, semble même s’accroître. Il apparaît que seul le groupe d’armées centre sera capable de reprendre la progression quand les routes seront de nouveau praticables. Malgré l’aide des Finlandais, le groupe nord est incapable de mener un action de vive force contre Léningrad, il arrive tout juste à maintenir un encerclement partiel et précaire, qui laisse passer le ravitaillement pour la ville par le lac Ladoga. Le groupe d’armées sud est soumis à une forte pression russe et le corps blindé de von Kleist a été contraint de passer à la défensive, voire de céder du terrain comme à Rostov-sur-le-Don, aux portes du Caucase, face aux contre-attaques de Semyon Timochenko: c’est le premier recul allemand depuis le déclenchement de l’invasion.

Devant l’échec inéluctable de Barbarossa, on prépare une opération de rechange pour essayer d’en finir avant l’hiver, l’opération Taïfun (typhon). Hitler adopte, malgré ses idées précédentes, l’idée qui veut que la prise de la capitale de l’adversaire doit briser sa volonté de résistance. Les objectifs initiaux de Barbarossa (la ligne Arkhangelsk-Kouïbychev) sont abandonnés, ce qui rend désormais impossible la destruction de l’industrie de guerre soviétique mise à l’abri derrière l’Oural. De plus, Staline a acquis la certitude, par les renseignements fournis par le réseau Orchestre rouge et Richard Sorge, mais surtout par des communications qui ont été interceptées, que la politique d’expansion japonaise n’a plus que des visées vers le Sud-Est asiatique et que le Japon s’apprête à attaquer la flotte des États-Unis à Pearl Harbor. Les troupes fraîches et expérimentées (commandée par Joukov) qui gardent la frontière extrême-orientale en Sibérie vont pouvoir être rapatriées en Russie occidentale. De fin 1941 au début de 1942, près de 400 000 « Sibériens » sont ainsi transférés vers l’ouest à bord de trains spéciaux mettant de une à deux semaines pour arriver à destination (sur ce total 250.000 soldats furent assignés à la défense de Moscou).

Fin octobre 1941, Adolf Hitler décide la bataille de Moscou, déclarant à ses généraux son intention de raser la ville jusqu’à ses fondations et d’en faire un immense lac artificiel. Il donne l’ordre le 14 octobre 1941 d’un double enveloppement de Moscou, avec pour objectif la jonction à Noginsk. Le Reich regroupe tous ses moyens disponibles en vue de l’assaut. Moscou renforce ses défenses : un demi-million d’hommes et de femmes creusent 8 000 km de tranchées, 100 km de fossés antichars.

De novembre à décembre, la Wehrmacht engage 1,8 million d’hommes dans cette bataille (80 divisions mais à effectifs incomplets), soit plus de 50 % de toutes ses divisions, 30 % de son artillerie, sur un front de 600 km de large et de 250 km de profondeur. En deux semaines de combats, l’Armée rouge perd 700 000 combattants faits prisonniers (poches de Viazma, d’Orel, de Briansk…), 1 200 chars et 5 000 canons. Le 7 novembre 1941, dans un discours resté célèbre, prononcé sur la place rouge devant les troupes qui partent au front, Staline délaisse l’idéologie et en appelle aux valeurs et aux grandes figures historiques de la nation russe. Le front (« front » ou groupe d’armées dans la terminologie soviétique) de Kalinine, au nord de Moscou, lance sa contre-attaque le 5 décembre dans une neige de plus d’un mètre d’épaisseur et par des froids de –20 °C à – 30 °C. L’offensive hitlérienne est stoppée à 30 kilomètres de Moscou (non loin du faubourg de Khimki, à proximité de l’actuel Aéroport international Cheremetievo), grâce également à un terrible hiver pour lequel elle n’est pas équipée. Une contre-offensive menée fin décembre par des bataillons sibériens casse enfin le front allemand et rejette de 100 à 200 km en arrière le groupe d’armées centre. Le 22 janvier, la bataille de Moscou est gagnée par Joukov. Guderian est contraint à une retraite précipitée, abandonnant une grande partie de son matériel. L’armée allemande perd encore 615 000 hommes. C’est le retour de balancier. Jusqu’en janvier 1942, la Wehrmacht recule partout.

Une étude récente réevalue la bataille de Moscou et fait de celle-ci « la bataille la plus importante de la Deuxième Guerre mondiale et, de façon indiscutable, le plus vaste engagement militaire de tous les temps. En additionnant les effectifs des deux camps, environ 7 millions d’hommes furent engagés, à un moment ou à un autre, dans ces combats. Sur ces 7 millions de soldats, 2,5 millions furent tués, faits prisonniers, portés disparus ou assez grièvement blessés pour être hospitalisés, avec des pertes beaucoup plus lourdes du côté soviétique que du côté allemand. Selon les archives militaires russes, 958 000 soldats soviétiques ont péri, ce qui comprend les tués, les disparus et les hommes faits prisonniers. Étant donné le traitement que leur réservaient les Allemands, la plupart des prisonniers de guerre soviétiques étaient, de fait, condamnés à mort. De plus, 938 500 de leurs camarades furent hospitalisés pour blessures (sans oublier les maladies consécutives au froid et à l’humidité), ce qui porte le total des pertes soviétiques à 1 896 500 hommes. Pour les Allemands, le total des pertes était de 615 000 hommes ».

Collaboration avec l’occupant

Près de 2 millions de Soviétiques se rangèrent du côté des Allemands (Baltes, Ukrainiens, Russes, quelques Polonais enrôlés de force entre autres) durant l’occupation de leur territoire, soit moins de 3 % de la population de la zone occupée par le Reich dans la partie ouest de l’Union soviétique. En 1943, certaines divisions allemandes comptaient plus de 20 % d’auxiliaires russes (les Hiwis). Il y eut 2 divisions SS russes, les 2 divisions de l’armée Vlassov et le 15e SS Kosaken-Kavalerie-Korps constitué de Cosaques du Don. Beaucoup agissaient par nationalisme, les pays baltes et l’est de la Pologne, qui faisaient partie de l’empire russe (monarchique) jusqu’en 1917, ayant été réannexés par l’Union soviétique en 1939.

Exemple parmi d’autres du soutien que reçurent les envahisseurs de la part de certaines populations locales à certains endroits : les milices pro-germaniques étaient assez efficaces pour rendre inutiles des représailles. Tel était le cas du district administratif autonome de Lokot, dans la région d’Orel-Koursk, au sud de Briansk. Comptant 1 700 000 habitants, ce district fut défendu par une milice intégralement russe en 1941-1942. Ici, la base de la collaboration était de nature politique (anti-communisme) et la milice de Lokot créée par le général Rudolf Schmidt de la IIe Armée Panzer conjointement avec un ingénieur russe (remplacé plus tard par le fameux Bronislaw Kaminski), fut connue sous le nom de Russkaya Osvoboditelnya Narodnaya Armiya (Armée de libération russe). Certaines de ces milices, dans les pays baltes et en Ukraine en particulier, apportèrent aux autorités d’occupation un soutien non négligeable dans la politique d’extermination des populations juives.

Un élément capital des transactions fut que les SS avaient interdiction d’opérer dans toute cette région où les Allemands acceptèrent de s’abstenir de toute action de représailles du fait des activités de la résistance qui se poursuivaient toujours. De tels arrangements, bien que généralement moins formels, étaient monnaie courante dans les régions occupées par les Allemands. Ils trouvaient des avocats fervents parmi les officiers de la Wehrmacht. Les SS s’y opposaient de façon tout aussi véhémente, car ils refusaient d’armer des « sous-hommes ». Par la suite, la situation ayant empiré pour le Reich nazi et le besoin d’effectifs devenant criant, les SS furent amenés à tempérer leur refus initial. Ils s’opposaient toujours à la création de milices, mais seulement parce qu’ils voulaient recruter tous les hommes disponibles pour leurs nombreuses unités « ethniques ».

Collaboration avec l’occupant

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Auxiliaire cosaque de l’armée allemande.

Près de 2 millions de Soviétiques se rangèrent du côté des Allemands (Baltes, Ukrainiens, Russes, quelques Polonais enrôlés de force entre autres) durant l’occupation de leur territoire, soit moins de 3 % de la population de la zone occupée par le Reich dans la partie ouest de l’Union soviétique. En 1943, certaines divisions allemandes comptaient plus de 20 % d’auxiliaires russes (les Hiwis). Il y eut 2 divisions SS russes, les 2 divisions de l’armée Vlassov et le 15e SS Kosaken-Kavalerie-Korps constitué de Cosaques du Don. Beaucoup agissaient par nationalisme, les pays baltes et l’est de la Pologne, qui faisaient partie de l’empire russe (monarchique) jusqu’en 1917, ayant été réannexés par l’Union soviétique en 1939.

Exemple parmi d’autres du soutien que reçurent les envahisseurs de la part de certaines populations locales à certains endroits : les milices pro-germaniques étaient assez efficaces pour rendre inutiles des représailles. Tel était le cas du district administratif autonome de Lokot, dans la région d’Orel-Koursk, au sud de Briansk. Comptant 1 700 000 habitants, ce district fut défendu par une milice intégralement russe en 1941-1942. Ici, la base de la collaboration était de nature politique (anti-communisme) et la milice de Lokot créée par le général Rudolf Schmidt de la IIe Armée Panzer conjointement avec un ingénieur russe (remplacé plus tard par le fameux Bronislaw Kaminski), fut connue sous le nom de Russkaya Osvoboditelnya Narodnaya Armiya (Armée de libération russe). Certaines de ces milices, dans les pays baltes et en Ukraine en particulier, apportèrent aux autorités d’occupation un soutien non négligeable dans la politique d’extermination des populations juives.

Un élément capital des transactions fut que les SS avaient interdiction d’opérer dans toute cette région où les Allemands acceptèrent de s’abstenir de toute action de représailles du fait des activités de la résistance qui se poursuivaient toujours. De tels arrangements, bien que généralement moins formels, étaient monnaie courante dans les régions occupées par les Allemands. Ils trouvaient des avocats fervents parmi les officiers de la Wehrmacht. Les SS s’y opposaient de façon tout aussi véhémente, car ils refusaient d’armer des « sous-hommes ». Par la suite, la situation ayant empiré pour le Reich nazi et le besoin d’effectifs devenant criant, les SS furent amenés à tempérer leur refus initial. Ils s’opposaient toujours à la création de milices, mais seulement parce qu’ils voulaient recruter tous les hommes disponibles pour leurs nombreuses unités « ethniques ».

Bilan de l’opération Barbarossa

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L’épuisement et le 1e recul allemand à Rostov sur le Don.

Les Allemands réussissent à stabiliser la ligne de front de la Baltique à l’Ukraine au prix de pertes énormes en hommes et en matériels (l’essentiel des 3 500 chars engagés est resté sur le terrain – 50 % du matériel roulant est hors d’état de marche). Les divisions aériennes ne disposent plus que de 25 à 50 % de leurs appareils de combat. La Luftwaffe se voit disputer la maîtrise du ciel avec la montée en ligne de nouveaux chasseurs russes (Mikoyan-Gourevitch MiG-1, Sturmovik « tueur de chars »). L’infanterie d’invasion ne parvient pas à maintenir le contact avec ses fers de lance blindés sur de longues distances. Compte tenu de ses pertes et de l’étendue des espaces russes, l’armée allemande doit donc renoncer à la Blitzkrieg tout en devant faire face à un adversaire qui ne cesse de se moderniser. À ce moment, il apparaît que c’est à l’impréparation des armées soviétiques de juin 1941, à l’effet de surprise, que le Reich doit d’avoir évité de graves difficultés dans ses combats contre l’Armée rouge lors de l’invasion de juin 1941.

Pour l’Allemagne, si déjà les pertes avaient été lourdes pendant la bataille de France avec près de 1 500 tués par jour du 10 mai au 22 juin 1940, c’est en Russie que la Seconde Guerre Mondiale commence vraiment avec une campagne qui du 22 juin 1941 au 22 janvier 1942 voit tomber en moyenne 3 200 soldats allemands par jour. Alors que pendant les deux premières années de la guerre (1939 et 1940), 1 253 officiers seulement étaient morts au combat, entre juin 1941 et mars 1942, 15 000 officiers furent tués, ce qui indique un changement radical dans l’évolution des pertes. Au cours des six premiers mois de l’invasion, les pertes de l’Ostheer (la Wehrmacht sur le front russe) s’élevèrent à 750 000 hommes, qui furent portées à un million à la fin de mars 1942 dont plus d’un tiers de tués ou de disparus. Au total, lors de la première année de la campagne de Russie, le Reich perd 1,3 million d’hommes, sans compter les malades, soit 40 % des 3,2 millions d’hommes de l’Ostheer. Le manque général d’hommes dans le Reich ne permet pas d’assurer les remplacements à une pareille échelle.

À la fin de 1941, la Wehrmacht s’est enfoncée de 800 km en Union soviétique et a conquis plus d’un million cinq cent mille kilomètre-carrés de territoire soviétique, comptant 65 millions d’habitants (17 millions de personnes sont parvenues à fuir). En 1942, la longueur du front russe, de la Finlande au Caucase, passe à 6 200 km. L’Allemagne occupe alors l’Ukraine, la Biélorussie, une grande partie du nord de la Russie, soit plus de la moitié de la Russie d’Europe (qui concentre 80 % des industries lourdes et de la population), acculant les Russes sur des zones moins peuplées et les privant d’une grande partie de leur potentiel économique (de 60 à 70 %). Mais le Reich a perdu ses meilleures troupes.

Les pertes de l’Armée rouge sont colossales : 1,5 million de tués, 4 millions de prisonniers dont 2 millions au moins seront anéantis. Fin 1941, les Allemands estiment avoir détruit plus de 20 000 blindés et 35 000 canons soviétiques.

C’est pourtant à ce moment que la société soviétique se lance dans une mobilisation de ses forces et de ses ressources, totale et éperdue, dans le cadre d’une économie de guerre d’une extrême rigueur. Le 3 septembre 1941, le pouvoir soviétique décrète la mobilisation de tous les hommes de plus de 18 ans. Dès l’automne 1941, plus de 2 000 groupes de partisans se constituent en territoire occupé. « Tout pour le front ! Tout pour la victoire ! », « Encore plus d’armes pour le front » deviennent les slogans dans les usines. Les bureaux de recrutement de l’Armée rouge sont submergés par les volontaires désireux de se battre pour « la défense du sol natal ». De nombreuses jeunes filles s’engagent dans l’Armée rouge (de 1941 à 1945 plus de 800 000 femmes ont combattu comme volontaires sur le front). La journée de travail monte à 12 heures par jour, voire davantage. Les décès par épuisement au travail ne sont pas rares dans les usines. La législation, déjà très dure, du 26 juin 1940 est encore aggravée par la loi du 26 décembre 1941, qui assimile tout changement de travail non autorisé, tout départ ou toute absence injustifiée à une désertion, passible des tribunaux militaires et sanctionnée d’une peine de 5 à 10 ans de camp (plus de 900 000 personnes furent condamnées en vertu de la loi du 26 décembre 1941). Un décret de février 1942 instaure la mobilisation totale des femmes âgées de 15 à 45 ans, femmes dont la part dans la main-d’œuvre industrielle passa de 37 à 60% entre 1941 et 1945 (alors que Hitler était réticent à faire travailler les femmes allemandes dans les usines d’armement).

Entre juillet 1941 et janvier 1942, en Russie d’Europe, 17 millions de personnes participent dans des conditions exténuantes au démontage et au transfert de plus de 1 500 grandes entreprises industrielles dans l’Oural, la Volga, l’Asie centrale (Kazakhstan surtout) et la Sibérie; transfert nécessitant la construction en quelques mois de plus de 10 000 km de voies ferrées. Plus de 2 600 usines auront été évacuées et reconverties dans l’industrie de guerre. Leur remise en route, en plein hiver, n’exigera pas un effort moins gigantesque. Au terme d’opérations titanesques d’une grande complexité logistique, plus de 10 millions d’ouvriers prennent le chemin de l’Oural et, dès le début de 1942, après cet effort pharaonique dont il n’existe aucun équivalent dans l’histoire industrielle de l’Europe, la production de guerre est remontée à 48 % de son niveau de 1940. Alors qu’en 1940, 358 chars de dernier modèle avaient été construits, au cours des six premiers mois de 1941 seulement leur nombre s’éleva à 1 503 et dans les six derniers mois de cette année-là, malgré l’occupation par les Allemands du cœur industriel de la Russie, 4 740 chars dernier modèle supplémentaires furent produits. Dès la fin de 1942, la Russie dépasse l’Allemagne dans sa production d’armements alors que la Wehrmacht occupe plus de 50 % de la Russie d’Europe. La production de blindés et d’avions est alors le double (50 000) de la production allemande, en 1944 celle de canons usinés est trois fois supérieure (122 000) (et depuis le 7 décembre 1941 l’Union soviétique pouvait compter sur l’aide américaine).

L’opération Barbarossa se solde, fin 1941/début 1942, par une défaite stratégique considérable pour l’Allemagne puisqu’il apparaît, dès ce moment, que le Troisième Reich n’avait peut-être pas les moyens de vaincre l’Union soviétique en juin 1941. En mai 1945, les fantassins soviétiques planteront leur drapeau au sommet du Reichstag, au terme d’une bataille de Berlin, qui fera 78 000 tués dans leurs rangs.

Le général Volkogonov, biographe de Staline, pouvait écrire en 1996 « Il serait difficile de trouver pire début à une guerre que ce mois de juin 1941. Toutes les autorités politiques et militaires majeures ont pensé que l’URSS ne pourrait pas survivre plus de trois mois. Mais le peuple soviétique leur a finalement donné tort. Pourtant, le mérite de cette incroyable capacité de résistance allait être attribué à la « sage direction » de Staline, la personne même la plus directement responsable de la catastrophe ». Et Stepan Mikoyan de préciser: « Nous avons gagné la guerre en dépit de la dictature de Staline ».

source :

http://militaires-d-hier.forumgratuit.org/t1081-operation-barbarossa?highlight=Barbarossa et wikipedia

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 Chronologie de la Seconde Guerre mondiale

23 février 2013

Bataille de la Poche de Falaise

Classé sous — milguerres @ 22 h 59 min

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 Chronologie de la Seconde Guerre mondiale

Bataille de la Poche de Falaise

La Poche de Falaise ou Poche de Chambois – Mont-Ormel ou encore Poche de Falaise-Argentan pour les Anglo-Saxons, fut le théâtre de la dernière opération de la bataille de Normandie pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette opération se déroula du 12 au 21 août 1944 dans une zone située entre les quatre villes normandes de Trun, Argentan, Vimoutiers et Chambois pour s’achever près de Falaise.
La bataille de la poche de Falaise est une victoire stratégique pour les Alliés. Confinés en Normandie pendant deux mois, ils projettent enfin leurs forces dans tout le nord de la France, et manquent de peu l’encerclement de deux armées allemandes avec leurs dizaines de divisions.
En cela, la victoire est peu concluante et a occasionné une controverse entre Américains et Britanniques qui dure encore aujourd’hui.

Bataille de la Poche de Falaise 657593FALAISE
888554344pxPochedeFalaise2
Carte de la bataille de Normandie

Après le débarquement de Normandie du 6 juin 1944, la guerre s’enlise côté américain devant Saint-Lô dans la bataille des haies, et côté Anglo-Canadien dans la bataille de Caen ; la progression est difficile vers Falaise.
Le maréchal Bernard Montgomery se bat avec une armée anglo-canadienne à coup d’opérations limitées et violentes. Faisant face à la majorité des moyens blindés de la Wehrmacht1, sur un terrain (de bocages normands) défavorable à l’offensive motorisée, la progression britannique est lente et coûteuse.

L’opération Cobra du 25 juillet 1944, coup de tonnerre planifié par le général Omar Bradley, libère soudainement toute la 3e armée du général Patton après cinquante jours de petites avancées2. Le 1er août 1944, la percée d’Avranches permet le jaillissement des divisions américaines vers la Bretagne, seconde étape du plan Overlord. Il devient vite évident que, devant la faiblesse de la 7e armée allemande, une occasion unique se présente d’asséner un coup massif à la Wehrmacht. Une réunion entre Bradley et Montgomery, le 2 août 1944, parvient à la conclusion qu’un seul corps d’armée américain, avec le concours de la Résistance française, serait suffisant pour nettoyer la Bretagne3. D’autre part, on décide que le général Patton devrait s’assurer les passages de la Loire au sud, « et se tenir prêt à se lancer vers l’est (Paris) avec de puissantes forces blindées et motorisées »3.
Contre toute logique militaire, plutôt que de se replier en ordre sur les coupures fluviales après la percée américaine, Adolf Hitler imagine une offensive sur Mortain. En décidant cela, il pousse en effet l’armée allemande vers la destruction4. Le Führer a pris personnellement en charge les opérations militaires à l’Ouest depuis l’attentat du 20 juillet 1944, car il a perdu toute confiance dans les militaires de ses états-majors. Il n’écoute plus aucun avis, ni aucune mise en garde5. C’est donc un plan complet de la main d’Hitler qui est adressé au maréchal von Kluge. La contre-attaque de Mortain, lancée le 7 août 1944, est un échec cuisant pour les Allemands, qui laissent une partie de leurs forces très dangereusement en pointe.

Relations et réorganisations alliées

Cette fin de bataille de Normandie se déroule sous fortes tensions entre Alliés britanniques et américains, voire entre Anglais et Canadiens. Les opérations se prolongent depuis beaucoup trop longtemps sans vraie victoire stratégique. Au plus haut niveau politique, les interrogations sont multiples. Des conflits larvés se font jour et gangrènent la confiance mutuelle qui avait prévalu jusqu’ici. Par ailleurs, le nombre de divisions placées sous l’autorité de la 1re armée américaine allant croissant, la situation commence à être difficilement gérable pour le général Bradley6. Aussi, le général Dwight Eisenhower, commandant en chef du théâtre d’opérations Europe (ETO) profite-t-il de la victoire américaine d’Avranches pour réorganiser le commandement allié.
Jusqu’alors, l’ensemble des opérations terrestres avait été pris en main par le général Bernard Montgomery, chef du 21e groupe d’armées. Eisenhower crée le 12e groupe d’armées et met à sa tête le général Omar Bradley, jusqu’ici chef de la 1re armée américaine. Courtney Hodges est nommé commandant de la 1re armée américaine. Montgomery reste commandant en chef des forces terrestres, mais le général Dwight Eisenhower s’apprête à prendre sa place, afin d’être en position d’arbitre des deux commandants de groupe d’armées7. Enfin, le débarquement de la 4e division blindée canadienne permet aux Canadiens de gagner leur autonomie par la création d’une armée forte de deux corps d’armée, dont un canadien à deux divisions blindées et deux divisions d’infanterie8.

Situation du haut commandement allemand

Le contexte est marqué par la confusion issue des complexités d’organisation de la Wehrmacht. Le maréchal von Kluge est un fidèle d’Hitler. À ce moment de la bataille, il combine les rôles de commandant du groupe d’armées B et de commandant en chef des forces armées à l’Ouest9. Soupçonné d’être impliqué dans le complot du 20 juillet contre Hitler, il agit avec un zèle extrême et fait tout pour s’affranchir des soupçons du Führer. Aussi, tous les ordres qu’il reçoit sont-ils traités à la lettre, sans aucune forme d’interprétation, aboutissant au final aux pires catastrophes. Pendant la journée du 15 août 1944, à l’occasion d’une inspection dans la poche, suite à une attaque aérienne sur son petit convoi d’accompagnement et la destruction du véhicule de communication10, il disparaît sans donner de nouvelles, réapparaissant au QG du général Eberbach à la nuit tombée ; il a fallu 16 heures au convoi pour parcourir 80 km10. Les soupçons de trahison sans aucun fondement11,10 pèsent de plus en plus sur le Feldmarschal, finalement révoqué le soir du 17 août par Hitler10. Walter Model, le pompier de service12, en provenance du Front de l’Est, le remplace au pied levé dès le 18 août 1944, au pire moment de la bataille. Von Kluge est convoqué à Berlin pour s’expliquer, destination qu’il n’atteindra jamais, car, au cours du trajet, il se suicide au cyanure, le 19 août, au bord de la route, laissant une lettre assez prophétique adressée à Hitler13.

Autre personnage, le général Heinrich Eberbach est en charge de la 5e armée blindée. Il fait face aux Anglo-Canadiens, qui pressent pour capturer Falaise.
En opposition aux ordres reçus, il refuse de libérer trois divisions de panzers pour la contre-attaque de Mortain, considérant comme imminente l’attaque contre ses propres positions14. Dès avant la fin de la contre-attaque allemande sur Avranches, l’opération Totalize démarre face à ses troupes, lui donnant raison après-coup. Mais ce refus d’obtempérer l’amène à la disgrâce aux yeux d’Hitler, qui le relègue au commandement d’un corps d’armée blindé (Panzergruppe Eberbach). Le général SS Sepp Dietrich le remplace à la tête de la 5e armée blindée15. Le général SS Paul Hausser commande de son côté la 7e armée allemande au grade d’Oberstgruppenführer (général de corps d’armée). Premier général de la Waffen-SS à commander une armée, il est haï par le haut commandement du fait de sa promotion trop rapide. Son armée est littéralement vaporisée par l’opération Cobra, qui le laisse avec des restes de divisions à gérer16. En résumé, le commandement en chef est donc confié à un fidèle d’Hitler en plein milieu de la bataille, le général Model, et les deux armées sous son autorité, à deux généraux de la Waffen-SS, signe clair de la défiance d’Hitler envers la Wehrmacht.
Forces en présence[modifier]

Les Alliés sont organisés en deux grandes forces, l’une anglo-canadienne et l’autre américaine. Les Allemands, après leur échec de Mortain, ont des forces très affaiblies, mais encore combattives.

Ordre de bataille lors de la bataille de la poche de Falaise

Ce qui suit est l’ordre de bataille des forces militaires en présence lors de la bataille de la Poche de Falaise, qui eut lieu du 12 au 21 août 1944 lors de la Seconde Guerre mondiale.

Forces Allemandes

L’ensemble des forces allemandes participant à la bataille de la Poche de Falaise font partie de l’OB West sous les ordres du Generalfeldmarschall Walter Model.
Les unités allemandes ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Elles sont totalement usées par les deux mois de combats en Normandie. Sur le papier, la Wehrmacht aligne 28 divisions dont 10 blindées, mais on sait qu’il ne s’agit plus, dans la plupart des cas, que de débris. On estime qu’elle n’est forte qu’au maximum de 250 000 hommes et 250 chars pour faire face aux Alliés dans cette ultime bataille en Normandie1.

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Organisation et composition de l’armée allemande

5e Panzer Armee
La 5e Panzer Armee est sous les ordres du General der Panzertruppen Heinrich Eberbach
1er SS-Panzerkorps sous les ordres du General der Infanterie Joseph Dietrich
1re Panzerdivision SS Leibstandarte Adolf Hitler
12e Panzerdivision SS Hitlerjugend
Heinrich Eberbach
2e SS Panzer Korps sous les ordres du General der Infanterie Willi Bittrich
9e Panzerdivision SS Hohenstaufen
10e Panzerdivision SS Frundsberg
277e division d’infanterie
47e Panzer Korps sous les ordres du General der Infanterie Hans von Funck
2e Panzerdivision
116e Panzerdivision
276e division d’infanterie
326e division d’infanterie
86e Korps sous les ordres du General der Infanterie Dietrich von Obstfelder
21e Panzerdivision
16e Luftwaffen-Feld-Division
346e division d’infanterie
711e division d’infanterie

7e Armee
La 7e Armee est sous les ordres du General der Panzertruppen Paul Hausser
84e Corps d’armée sous les ordres du General der Infanterie Dietrich von Choltitz

Panzer Lehr Division
2e Panzerdivision SS Das Reich
17e Panzergrenadier Division SS Götz Von Berlichingen
5e Luftwaffen-Feld-Division
91e Luftland Division
243e division d’infanterie
275e Luftland Division
343e division d’infanterie

25e Corps d’armée sous les ordres du General der Artillerie Wilhelm Fahrmbacher
77e Luftland Division
265e division d’infanterie
266e division d’infanterie
319e division d’infanterie
343e division d’infanterie
2e Falschirm division
Ce corps d’armée se trouve en Bretagne, et ne participe donc pas à la bataille de la Poche de Falaise

Forces Alliées

12e Groupe d’Armée
Le 12e Groupe d’Armée est sous les ordres du Général Omar Bradley

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Organisation et composition de l’armée américaine

1e US Army sous les ordres du général Courtney Hodges
7e corps du général Lawton Collins
3e Armored Division
1re Infanterie Division
4e Infanterie Division
9e Infanterie Division
30e Infanterie Division
19e corps du général Charles Corlett
2e Armored Division
28e Infanterie Division
3e US Army sous les ordres du général Georges Patton
8e corps du général Troy Middleton
6e Armored Division
2e Infanterie Division
8e Infanterie Division
29e Infanterie Division
83e Infanterie Division
12e corps du général Gilbert Cook
4e Armored Division
35e Infanterie Division
15e corps du général Wade Haislip
2e Division Blindée Française
5e Armored Division
79e Infanterie Division
90e Infanterie Division
20e corps du général Walton Walker
7e Armored Division
5e Infanterie Division
80e Infanterie Division

21e Groupe d’Armée
Le 21e Groupe d’Armée est sous les ordres du Général Bernard Montgomery

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Organisation et composition de l’armée britannique

1re Armée canadienne sous les ordres du général Henry Crerar
1er corps du général John Crocker
3e Infanterie Division
51e Highland Division
6e Airborne Division
2e Corps canadien du général Guy Simonds
1re division blindée polonaise
5e Division blindée canadienne
2e Division d’infanterie canadienne
3e Division d’infanterie canadienne
2e Armée Britannique sous les ordres du général Miles Dempsey
8e corps du général Richard O’Connor
Guards Armoured Division
11e Armoured Division
15e Scottish Division
12e corps du général Neil Ritchie
49e West Riding Division
53e Welsh Division
59e Scottish Division
30e corps du général GC Bucknal
7e Armoured Division
43e Wessex Division
50e Northumbrian Division
Notes
↑ Martin Blumenson, La Libération

Alliés

Depuis la réorganisation d’août, le 21e groupe d’armées du général Montgomery est organisé en deux armées distinctes : la 2e armée britannique du général Sir Miles Dempsey et la 1re armée canadienne du général Harry Crerar. L’armée britannique est forte de trois corps d’armée à trois divisions chaque. L’armée canadienne est constituée de deux corps d’armée. Ces forces totalisent 16 divisions, dont cinq blindées, soit 240 000 hommes et 1 500 blindés17. Ce début du mois d’août voit l’engagement de la 1re division blindée polonaise du général Maczek, juste débarquée le 31 juillet.

Le 12e groupe d’armées du général Omar Bradley est organisé en deux armées de la même manière : la 1re armée américaine du général Courtney Hodges à deux corps d’armée et la 3e armée américaine du général George Patton à quatre corps d’armée. Les Américains disposent ainsi de 21 divisions, dont 6 blindées, y compris la 2e division blindée française du général Leclerc, soit 320 000 hommes et plus de 2 000 blindés.
Bien que très fortement affectées par la guerre d’usure qu’elles viennent de subir, les troupes alliées restent quasiment à 100 % de leur capacité grâce à la puissance du système de ravitaillement allié18. Le moral est très haut depuis la victoire de Patton et son échappée en Bretagne. Le soldat allié sent que la victoire décisive est à portée. Les forces alliées totalisent ainsi 37 divisions dont 11 blindées, ou près de 600 000 hommes et 3 500 chars, y compris les unités rattachées (brigades et bataillons divers)19. La supériorité numérique alliée est donc totale, sur terre comme dans les airs.
Allemands[modifier]
Après la réforme organisationnelle du 6 août, précédant l’offensive allemande sur Avranches, deux armées allemandes sont en ligne face aux Alliés. Les unités qui les composent ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes, totalement usées par les deux mois de combats en Normandie. Elles ne consistent plus, pour la moitié d’entre elles, qu’en groupements tactiques (Kampfgruppe) totalisant moins de la moitié (parfois moins du quart) de leur force initiale ; l’appellation de division doit donc être relativisée dès lors qu’elle s’applique au camp allemand. Le général allemand Hausser estime que la bataille de Normandie a détruit pratiquement huit divisions allemandes en juillet20.
Cela dit, la force allemande de Normandie encore en place début août 1944 reste une puissance respectable, encore correctement équipée en blindés et moyens antichars, dont environ 100 canons de 88 mm et 75 mm devant Falaise21.

L’armée allemande pèche encore et toujours sur le plan logistique, avec une capacité faible d’approvisionnement en munitions et une incapacité quasi complète à remplacer les pertes en hommes et matériels. Le moral des soldats allemands de cette période de la guerre était en général faible, encore amoindri par l’échec de la contre-attaque de Mortain. Certaines unités connaissent même des redditions massives pendant la progression rapide des Américains après la percée d’Avranches.
Seules quelques unités fanatiques de la Waffen SS ont une capacité de rétablissement moral leur permettant de contre-attaquer efficacement22. L’articulation de l’armée allemande est la suivante23 :
La 5e armée blindée du général Eberbach comporte quatre corps d’armée pour un total de 12 divisions dont 4 divisions blindées ;
La 7e armée du général Hausser composée de quatre corps d’armée aligne 16 divisions dont 6 blindées.
Ainsi, sur le papier, la Wehrmacht aligne 28 divisions dont 10 blindées, mais on sait qu’il ne s’agit plus, dans la plupart des cas, que de débris. On estime qu’elle n’est forte qu’au maximum de 250 000 hommes et 250 chars pour faire face aux Alliés dans cette ultime bataille en Normandie19.

Physionomie du champ de bataille

Le champ de bataille de la poche de Falaise est un quadrilatère dont les quatre angles sont initialement les villes de Condé-sur-Noireau, Flers, Argentan et Falaise. Les dimensions de ce rectangle sont de 40 km sur 20 km. Ce rectangle est divisé par deux coupures fluviales d’importance, orientées sud-nord : l’Orne à l’ouest et la Dives au centre. Ces deux cours d’eau ont creusé des vallées encaissées bordées de fortes dénivellations, canalisant les mouvements vers les routes. Les ponts et passages divers deviennent rapidement des objectifs stratégiques. Trois routes permettent des déplacements est-ouest : Falaise-Vire, Argentan-Flers et la petite départementale Argentan-Vire, qui est la voie d’évacuation principale de la Wehrmacht. Cette dernière route traverse une hauteur escarpée au nord-est de Trun, le Mont-Ormel, secteur stratégique dont la valeur n’échappe pas aux belligérants. Falaise constitue la limite nord du bocage normand. Le terrain des combats est ainsi semé de champs ouverts, et donc moins propices aux actions défensives, hormis dans les agglomérations adjacentes.

Les plans : le dilemme après la percée

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Carte physique du secteur des combats de la poche de Falaise

Les Alliés sont au courant de l’état catastrophique des forces allemandes, ainsi que de l’incapacité du commandement allemand à les renforcer. En effet, le groupe Ultra, spécialisé dans le décodage d’Enigma, alimente le haut commandement allié en informations secrètes, de nature à déjouer tous les plans allemands18. C’est sur cette base que la contre-attaque allemande vers Avranches a pu être déjouée ; c’est aussi à l’aide de ces informations décisives que les Alliés décident d’encercler les Allemands.
Le haut commandement allié est pris dans le dilemme classique d’une armée qui perce subitement un front fixe : exploiter ou encercler ? Le commandement allemand avait connu cette expérience difficile sur le Front de l’Est, notamment en 1941, en choisissant l’encerclement au détriment de l’exploitation lointaine24. C’est un casse-tête car un général ne dispose en effet jamais de suffisamment d’effectifs pour atteindre les deux objectifs simultanément (encerclement et poursuite). Le premier réflexe du commandement allié est d’exploiter, puisque la 3e armée américaine du général Patton lance déjà des pointes en Bretagne puis aussi vers le Mans19. Aussi, les informations reçues à la fois d’Ultra et de la reconnaissance aérienne occasionnent un changement de plans. Un consensus émerge rapidement au sein du haut commandement allié afin d’envisager l’encerclement des forces allemandes situées à l’ouest de la Dives25.

Les intentions anglo-canadiennes : objectif Falaise puis fermeture de la poche

Le 21e groupe d’armées sort juste de l’opération Totalize. Cette action opérationnelle avait été lancée le 7 août 1944, après la capture du mont Pinçon par la 43e division d’infanterie britannique. Le IIe corps canadien du général Guy Simonds26, appuyé sur sa gauche par la 1re DB polonaise s’élance plein sud. Au prix de très violents combats incluant des bombardements massifs par l’artillerie et l’aviation, les Canadiens parviennent à s’approcher à 10 km de Falaise, mais sont stoppés par la résistance acharnée des soldats de la 12e division blindée SS le 10 août 194427. Ceux-ci savent parfaitement utiliser le terrain coupé de haies du bocage normand28.

Afin de poursuivre l’offensive, le général Montgomery a pour ambition de rouler vers la Seine, via un très large encerclement29. Le 10 août, il expose son plan30 à Bradley et Eisenhower, mais la décision est prise de réaliser un mouvement en pinces vers Argentan et Falaise. Le vainqueur d’El Alamein met immédiatement au point une nouvelle opération, baptisée Tractable, dont le départ est prévu le 14 août. L’objectif est de s’emparer de Falaise le plus vite possible afin de couper les routes de retraite allemandes. L’objectif secondaire doit permettre de gagner les passages sur la Dives afin d’empêcher tout reflux allemand vers la Seine. Le commandement anglo-canadien a désormais de bonnes chances de réussite, puisque le front allemand devant lui est dégarni au profit des secteurs qui font face aux Américains31.

Les intentions américaines : objectif Argentan, mais pas plus loin

Depuis le 1er août 1944, la 3e armée américaine s’extrait de Normandie et se répand en Bretagne et en Mayenne. Après la libération du Mans, l’ordre est donné au XVe corps américain d’effectuer un crochet vers le nord, objectif Argentan.
Le général Bradley, que le contexte politique[Lequel ?] des offensives inquiète , respecte une certaine délimitation du terrain d’attaque. Il craint une collision meurtrière entre les Canadiens qui avancent via un axe nord-sud, et les troupes du général « Ham » Wade Haislip, à la tête du XVe Corps. Les forces américaines ne doivent pas dépasser une position située un peu au nord d’Argentan19.
Plans allemands[modifier]
Le maréchal von Kluge se rend parfaitement compte des intentions des Alliés, que ceux-ci cherchent à l’encercler. Il le rapporte à Hitler dans des messages nombreux et constants32. Alors que le Führer exige la reprise de la contre-offensive sur Avranches, les troupes de Patton capturent Alençon le 12 août. C’est une importante contrariété pour les Allemands, car la cité normande est la principale base logistique de la 7e armée. Dès lors, le haut commandement allemand n’a plus d’autre choix que la retraite. Mais c’est sans compter sur la rigidité d’Hitler qui refuse obstinément toute retraite. Il n’accepte que quelques ajustements du front, toujours enfermé dans son univers personnel, coupé de toutes les réalités33. Ce sont donc deux armées allemandes ligotées qui doivent se battre contre une tentative d’encerclement par quatre armées alliées décidées à obtenir une victoire décisive.
Le déroulement de l’offensive et la situation dans la poche du 12 au 16 août 1944[modifier]

La poche de Falaise est déjà totalement délimitée le 12 août 1944. De la forme d’un U allongé de 30 km, l’ouverture de 9 km de large se trouve orientée à l’est. À cette date Falaise, Argentan, Flers et Condé-sur-Noireau délimitent son espace.

Situation alliée au sud

Le 12 août, le XVe corps d’armée américain lance son offensive vers le nord afin de contribuer à la fermeture de la poche. Ceci selon les ordres de Patton qui avait exigé que ses troupes atteignent la ligne Sées-Carrouges dès que possible34. Les 5e DB et 79e DI américaines occupent Sées alors que la 2e DB française du général Leclerc, appuyée de la 90e DI américaine, s’empare d’Alençon.
C’est un coup très dur pour les Allemands, car Alençon forme un centre de ravitaillement important de la 7e armée allemande.
La situation logistique de ces troupes, déjà déplorable, ne peut que devenir désespérée.
Afin de contrer cette grave menace, le nouveau groupement blindé (Panzergruppe) Eberbach est concentré afin de contre-attaquer vers Alençon, reprendre la ville, et détruire les forces blindées alliées du secteur35. Sur le papier, les forces en présence sont impressionnantes avec cinq divisions blindées et une division d’infanterie36. La réalité est évidemment loin de ces chiffres et donne une fausse impression de puissance.
Le 13 août, la 2e division blindée allemande37 se met en marche sur deux colonnes vers le sud. Mais en raison de la couverture aérienne alliée, elle n’atteint pas ses objectifs. Elle se retrouve en pointe à Rânes le 14 août et perd le contact avec le groupement blindé Eberbach, sans avoir menacé en quoi que ce soit la progression alliée38. Le groupement blindé Eberbach se replie dès lors sur Argentan afin de défendre la ville.
Patton décide d’engager le XXe corps d’armée américain à droite du XVe corps, afin de couvrir le flanc droit de l’attaque.
À cette fin, la 80e DI américaine est poussée vers Bourg-Saint-Léonard.
Au même moment, les Ve, VIIe et XIXe corps américains solidifient leurs fronts afin de repousser uniformément les Allemands vers le fond de la poche39.
Sans en référer au général Montgomery, le général Bradley arrête ses troupes juste au sud d’Argentan le 13 août, au moment où elles allaient se jeter sur la ville pratiquement sans défenses40.
Considérant que l’ennemi est très faible entre la Dives et la Seine, et qu’une bonne partie des Allemands a réussi à s’enfuir41, il souhaite consacrer une part du XVe corps américain à une progression plein Est avec Dreux pour objectif primaire. Cette division des forces va avoir des conséquences funestes sur le plan initial et la fermeture de la poche42.

La situation alliée au nord

L’opération Tractable est lancée le 14 août à la mi-journée. Cette fois, la détermination est totale chez les Canadiens et les Polonais : on ne s’arrêtera pas à Falaise capturée mais on poursuivra dans la foulée sur Argentan, Monty ayant été très clair sur les objectifs : capturer Trun43. Une fois de plus, une masse blindée est mise en place, avec de l’infanterie montée dans des chars sans tourelles44. L’ensemble se met en marche derrière un écran de fumigènes destiné à aveugler les défenseurs. L’infanterie allemande est totalement submergée.
La rivière Laizon est rapidement franchie, et le premier rideau antichar ennemi forcé en fin d’après-midi. À la tombée de la nuit, les pointes de la 3e division canadienne ne sont plus qu’à 5 kilomètres de Falaise45. Une diversion canadienne opérée par la 2e division d’infanterie devait attirer les réserves allemandes. Mais un groupement tactique de la 12e division blindée SS46, renforcé d’une dizaine de pièces de 88 mm, barre le passage sur la dernière crête avant Falaise. Des notes de briefing sont capturées sur un officier canadien tué, lesquelles indiquent clairement l’axe d’offensive allié. La feinte n’a pas pris. De nuit, des patrouilles atteignent la route de Falaise à Saint-Pierre-sur-Dives. Toutefois, les Allemands résistent toute la journée du lendemain 15 août avec l’acharnement du désespoir47. Pendant ces événements, la 1re division blindée polonaise parvient à franchir la Dives à Jort, ce qui constitue un exploit. En somme, une assez bonne journée pour la 1re armée canadienne.

Le 16 août, la 2e division d’infanterie canadienne attaque brusquement Falaise par l’ouest et surprend la petite garnison allemande. Au soir, toute la ville est aux mains des Canadiens, à l’exception de l’École normale qui ne cède que le lendemain du fait de la résistance acharnée de cinquante Hitlerjugend fanatisés, seuls trois survivants sont capturés. Comme la situation est favorable, le général Simmonds décide que la 4e division blindée a désormais Trun pour objectif, en conjonction avec les Polonais. Le général Crerar ordonne son Ier corps vers Lisieux tout en le renforçant de la 7e division blindée britannique.
Les deux pinces de la tenaille alliée ne sont plus désormais séparées que par 19 kilomètres.

Les Allemands

« Cette journée a été la plus atroce de ma vie » — Adolf Hitler48.
S’exprimant le soir du 15 août 1944 en conférence avec ses officiers, le Führer a vu tous ses ordres de la journée contrariés par les événements, les uns après les autres47. La grande affaire du jour avait été le début de l’opération Anvil-Dragoon, le débarquement de Provence dans le sud de la France. L’ouverture d’un troisième front49 à l’Ouest marque un tournant dans la bataille de France. Ce même jour, les mauvaises nouvelles du front normand n’ont cessé de s’accumuler. Les jours précédents, l’ensemble de la 7e armée se trouvait encore à l’ouest de l’Orne avec les restes d’une quinzaine de divisions. Hitler espérait encore contre-attaquer une nouvelle fois en direction d’Avranches. Il refusait jour après jour toutes les demandes de repli. Mais comment admettre qu’une contre-attaque de vingt divisions soit lancée à nouveau, alors que loin derrière, « l’ennemi s’affaire à nouer le nœud coulant avec lequel il va l’étrangler » 50? Finalement en fin de journée, Hitler renonce à cette opération sans espoir de succès, et accepte, sous la pression des événements, de replier ses troupes derrière l’Orne. Mais n’est-il pas trop tard ?
Le 16 août, le maréchal von Kluge, juste avant son départ, donne l’ordre de retraite générale à la 7e armée11. Dès son arrivée, le maréchal Model confirme immédiatement l’ordre de son prédécesseur, et le complète en incluant le groupement blindé Eberbach. La situation dans la poche devient difficile du fait de la raréfaction des voies de retraite. Seuls quatre ponts restent accessibles pour le franchissement de l’Orne51. Cette concentration de colonnes est une aubaine pour l’aviation alliée qui se jette sur ces cibles faciles. Rappelons que la grande majorité des moyens de transport allemands de cette époque est encore largement hippomobile. Les chevaux sont victimes de ces combats et leurs cadavres remplissent littéralement certaines zones des combats. Les rares forces encore actives à la disposition du général Hausser effectuent quelques combats de retardement qui permettent de contenir les Américains au sud. La situation est bien plus grave face aux Canadiens.

Vers un Stalingrad en Normandie ? 17 au 21 août 1944

Pour rappel, la bataille de Stalingrad d’octobre 1942 à janvier 1943 avait provoqué l’annihilation complète de la 6e armée allemande du maréchal Paulus. Les Allemands y perdirent définitivement environ 230 000 hommes, plus le matériel d’une douzaine de divisions et la capture d’un maréchal et de 25 généraux. Peut-on établir un parallèle entre cette véritable victoire stratégique soviétique et la bataille de Falaise ?

Hésitations alliées

Vissé sur les directives de l’opération Overlord, le commandement allié suit le plan Cossac de 1943 qui prévoit une progression relativement lente mais systématique vers l’Allemagne52. Une frontière imaginaire existe entre les Américains et les Anglais, laquelle ne doit pas varier, même devant les événements favorables de début août 1944. Le général Bradley décide, de ce fait, de ne pas effectuer d’effort important au delà d’Argentan, afin de pousser rapidement vers la Seine53. Dans l’esprit du stratège américain, il revient à la 1re armée canadienne de fermer la poche. D’autant que « la majorité des forces de la 7e armée allemande avait dû s’échapper », pense-t-il. Aussi, une partie du XVe corps américain54 est-il dirigé vers Dreux dès le 15 août. La 2e division blindée française et la 90e division d’infanterie sont laissées face à Argentan en flammes, toujours occupée par la 116e division blindée du groupement Eberbach.

Le 16 août, le maréchal Montgomery appelle le général Bradley pour lui proposer que les Canadiens et les Américains se rencontrent sur une zone entre Trun et Chambois55. Immédiatement, Patton donne l’ordre aux 80e et 90e divisions d’attaquer entre Argentan et le Bourg-Saint-Léonard en direction de Chambois afin de couper la route de Falaise à Gacé. Mais la résistance acharnée des débris de la 116e division blindée allemande met en échec l’action de la 90e division américaine. Ce qui permet aux Allemands d’évacuer plusieurs unités tout au long de la nuit du 16 au 17 août 1944.
Au nord, la 1re armée canadienne repasse à l’attaque le 17 août. La 4e DB canadienne et la 1re DB polonaise sectionnent la 21e division blindée allemande56, et foncent droit devant en direction de Trun par un large mouvement tournant qui prend les Allemands par surprise57. Malgré la violence de l’attaque et la détermination des troupes alliées, Trun résiste encore une journée.

Les Allemands résistent efficacement

Au soir du 17 août 1944, la nasse renferme encore la 7e armée allemande, une part de la 5e armée blindée ainsi que le groupement blindé Eberbach, qui semblent tous sur le point d’être capturés. Seuls deux corps d’armée de la 5e armée blindée restent hors du piège. Ainsi, ce sont 100 000 Allemands qui sont encore entassés dans la poche58. L’analyse américaine, concluant à une évacuation quasi-totale de la poche par les Allemands autour du 15 août, était donc fausse59. Quoi qu’il en soit, en fin de journée, le franchissement de l’Orne par la 7e armée allemande est achevé avec les plus grandes difficultés.
Le 18 août, le maréchal Model, nouveau commandant en chef à l’Ouest, prévoit une contre-attaque du IIe corps blindé SS depuis Vimoutiers vers Trun. Ceci pour laisser encore une porte de sortie au maximum d’unités allemandes encerclées60.
Pendant ce temps, les Canadiens investissent Trun. Un détachement du régiment des Argyll & Sutherland Highlanders of Canada de la 4e division blindée canadienne, parvient à prendre pied à Saint-Lambert-sur-Dive plus au sud, à mi chemin entre Trun et Chambois61. Les Canadiens peuvent dès lors, observer les mouvements de retraite allemands sur l’une des dernières routes encore ouverte. Cette route passe sous les feux de l’artillerie canadienne et de l’aviation, qui réalisent un carnage62. Il reste encore à ce moment les débris de 20 divisions allemandes dans la poche63.

Le 19 août, une partie de la 1ère DB polonaise du général Maczek occupe Mont-Ormel, la très importante cote 262, qui commande l’ensemble du secteur. L’objectif de l’autre partie de sa division est Chambois, afin de fermer la poche une bonne fois pour toutes. Les combats sont très meurtriers, le village étant attaqué sur trois côtés. Mais les Allemands réussissent à résister une partie de la journée. Le village est attaqué une nouvelle fois par le sud, par des éléments de la 90e division d’infanterie américaine épaulés par le groupement tactique Langlade de la 2e DB française. La résistance allemande cède en fin d’après-midi, et les deux armées alliées font enfin leur jonction. Les Polonais et les Américains ont réussi à éviter toute méprise et tombent dans les bras les uns des autres64. Mais la poche n’est pas encore hermétiquement close.

Et les Polonais ferment la poche

Mais les Allemands refusent toujours de céder. Le 20 août, le maréchal Model lance sa contre-attaque décidée deux jours plus tôt. Depuis cette décision, les dernières possibilités pour les Allemands de s’échapper avaient disparu (Trun, Saint-Lambert-sur-Dives et Chambois). Or, comme les Alliés semblent occuper leurs objectifs de manière assez légère, l’opération pourrait avoir de bonnes chances de succès. En fait, ce plan n’a plus aucune réalité puisque, dans le temps écoulé, à la fois Trun et Chambois ont été renforcés par les Alliés. Impossible d’espérer dégager ces villages. L’assaut se reporte donc plus à l’est, sur Mont-Ormel. 

Les unités polonaises du 10e régiment blindé et du 8e régiment d’infanterie légère65 qui l’occupaient, sont rapidement isolées. Mais les Polonais, eux-mêmes encerclés, résistent farouchement pendant deux jours entiers. Des parachutages de vivres et de munitions assurent la continuité de cette résistance. La contre-attaque du IIe corps blindé SS permet à plusieurs milliers d’hommes de passer la Dives à gué, et de s’extraire de la poche. Mais, c’est la dernière tentative allemande de dégagement de ses troupes encerclées. Désormais, la porte est close.
Le 21 août, le sort en est bien jeté. Les unités allemandes encore en état à l’extérieur de la poche de Falaise font mouvement de retraite vers la Seine, dont certains passages en amont et en aval de Paris sont déjà occupés par les pointes motorisées alliées66. Celles qui restent à l’intérieur n’ont plus d’autre solution que de se rendre en masse aux Alliés.

Le bilan

Une victoire stratégique alliée incontestable

Stratégiquement, c’est une victoire importante. Deux armées allemandes sont très affaiblies, l’espace géographique est brutalement occupé et rien ne semble pouvoir arrêter la furia des divisions du général Patton. Déjà, les patrouilles motorisées britanniques et américaines gagnent des têtes de pont sur la Seine, et Paris se soulève en attendant l’arrivée des chars libérateurs. En trois semaines de combats depuis la percée d’Avranches, les données de la bataille de France ont totalement changé. Les Alliés reprennent l’initiative, et les Allemands, bousculés, ne sont plus en mesure d’opposer une quelconque résistance organisée. Une victoire rapide des Alliés en Europe semble possible.

Une victoire opérationnelle contrastée

Qu’ont fait les Alliés de la brillante percée de Patton à Avranches le 31 juillet ? Sur un plan opérationnel, ils ont été incapables de refermer la poche que les Allemands ont eux-mêmes constituée en contre-attaquant à Mortain.
La poche pouvait-elle être fermée plus tôt ? Oui, disent les historiens pratiquement à l’unanimité67. Et les mêmes sont dubitatifs quant aux causes de cette incapacité. Il y a eu ici une défaillance, un moment de doute, que les Allemands ont utilisé à leur avantage.
D’une manière générale, les Alliés semblent avoir surestimé la puissance de leur aviation d’appui au sol. Certes, elle est responsable d’une forte proportion des pertes allemandes de la poche, mais n’a pu empêcher l’évacuation des armées allemandes.
Globalement, deux tiers de la VIIe armée sont parvenus à sortir de la nasse66, même si une bonne partie de l’armement lourd et des véhicules a dû être abandonnée.

Bilan humain et matériel

Il ne sera sans doute jamais possible de dresser un bilan exact des pertes allemandes de cette bataille. Les hypothèses les plus courantes font apparaître environ 5 000 à 6 000 morts, 30 000 à 40 000 prisonniers et une perte matérielle estimée à 5 000 véhicules68. Nous voilà loin d’un Stalingrad en Normandie. Les atermoiements alliés auraient permis la fuite d’environ 100 000 Allemands.
Certains auteurs ont pu contester ces chiffres, jugés bas69. Mais la résistance ultérieure des Allemands, et la contre-attaque des Ardennes ont montré que les Allemands avaient pu extraire une bonne partie de leurs unités, et surtout de leur encadrement. Seul un cinquième des commandants de corps et généraux de division ont en effet été capturés70.
Les Canadiens enregistrèrent le plus lourd tribut allié avec près de 18 000 morts. Les Polonais ont été très éprouvés dans cette bataille avec 1 500 morts pour la seule 1re division blindée. D’une manière générale, les forces américaines ont eu des pertes mineures, n’ayant pas porté l’effort principal de la bataille.
Controverses liées à la bataille de la poche de Falaise[modifier]

Le demi-échec relatif des Alliés68 dans cette bataille a donné lieu à certaines joutes, parfois vindicatives pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Divers points ont été évoqués par mémoires interposés des acteurs concernés.
Lenteurs britanniques ?[modifier]
Le reproche constant fait à Montgomery71,72 dans la campagne de France de 1944 est sa lenteur d’action73 et son manque de mordant74. L’examen des faits montre une propension effective du général Montgomery à ne pas pousser à l’extrême ses forces. Il a toujours affirmé que cela avait été pour ménager ses hommes. Le souvenir des boucheries de la Première Guerre mondiale était encore vivace dans les années 1940. Par ailleurs, il est clair à l’examen du déroulement de la bataille de Normandie, que la 2e armée britannique a fait face aux meilleures unités de la Wehrmacht, et à pratiquement toutes les divisions blindées allemandes. Ce qui a eu pour effet de contrarier toute velléité offensive britannique. Ce reproche est donc toujours discuté aujourd’hui.

Manque de vision stratégique américaine ?

Le reproche a aussi été fait au général Bradley de ne pas avoir poursuivi son offensive au delà d’Argentan autour du 15 août 1944. Il aurait eu en effet potentiellement l’occasion de percer radicalement dans le dos des armées allemandes, en concentrant l’intégralité du XVe corps américain de part et d’autre d’Argentan. Au lieu de cela, il a laissé Patton diviser les forces du général Haislip72. Il aurait voulu courir deux lièvres à la fois : encercler les Allemands et gagner des têtes de pont sur la Seine. Il aurait aussi respecté à la lettre les frontières inter-armées définies à l’avance, et aurait refusé de les transgresser, de peur que les armées alliées ne s’entretuent en se rencontrant. Enfin, il se serait basé sur des informations non fiables indiquant que dès le 15 août, la grande majorité des unités allemandes avaient déjà quitté la nasse. Ce qui ne faisait plus de l’encerclement une priorité.
Nombreux sont les historiens qui stigmatisent cette attitude du général américain, considérant que les Alliés ont manqué une occasion importante de capturer l’intégralité des armées allemandes coincées dans la poche. D’autant qu’une vision plus large des choses, avec l’adoption du plan Montgomery d’encerclement sur la Seine, avait des chances de succès. La responsabilité américaine semble ici engagée75.

Faible enthousiasme de la division Leclerc ?
Un autre reproche fait aux Alliés, et, ici, particulièrement aux Français, consiste dans le peu d’allant dont aurait fait preuve le général Leclerc devant les demandes d’engagement de la 2e DB à Argentan76. Patton et Bradley se firent l’écho d’un acte de désobéissance du général Leclerc au général Haislip, afin de préserver sa division. En effet, dès le 15 août, les Français envisageaient de foncer sur Paris pour libérer la capitale qui se préparait à l’insurrection77. L’exemple de celle de Varsovie et de sa répression meurtrière par les troupes nazies sous l’œil passif des Russes est dans tous les esprits à ce moment-là.
De leur côté, les défenseurs de Leclerc affirment que c’est la division des forces du XVe corps qui a empêché la capture d’Argentan et la fermeture rapide de la poche, et non pas la prétendue mollesse d’une seule division.

Notes et références
1. ↑ Major L. F. Ellis, Victory in the West, p. 267.
2. ↑ La moyenne de progression quotidienne est de 500 m.
3. ↑ a et b Martin Blumenson, La Libération, p. 651.
4. ↑ Chester Wilmot, La lutte pour l’Europe, p. 257.
5. ↑ Général Paul Hausser, Activité de la VIIe armée allemande du 1 au 5 août 1944
6. ↑ Martin Blumenson, La Libération p. 486.
7. ↑ Olivier Wieviorka, Histoire du débarquement, p. 340.
8. ↑ John Keegan, Six armées en Normandie, p. 281.
9. ↑ Postes occupés avant lui respectivement par Rommel et von Rundstedt
10. ↑ a, b, c et d Antony Beevor, D.Day et la bataille de Normandie, p. 499-502.
11. ↑ a et b Max Hastings, Overlord, p. 302.
12. ↑ John Keegan, Six armées en Normandie, p. 290.
13. ↑ Chester Wilmot, Lutte pour l’Europe, p. 228.
14. ↑ John Keegan, op. cit.
15. ↑ Hans Eberbach, Panzergruppe Eberbach
16. ↑ Chester Wilmot, La lutte pour l’Europe
17. ↑ Ken Ford, Falaise 44, p. 24.
18. ↑ a et b John Keegan, Six armées en Normandie
19. ↑ a, b, c et d Martin Blumenson, La Libération
20. ↑ Panzer Lehr, 5e division de parachutistes, 17e Grenadiers blindés SS, 77e, 91e, 243e, 275e et 352eDI. Source : Paul Hausser, MS-B#179
21. ↑ Chester Wilmot, La lutte pour l’Europe, p. 262.
22. ↑ Max Hastings, Overlord, p. 277.
23. ↑ Martin Blumenson, La Libération, carte IX
24. ↑ En mai 1940, l’objectif dans la bataille de France avait été l’encerclement et avait été totalement réussi, comme on le sait. Par contre, en juin-juillet 1941, les Allemands avaient été placés devant le même dilemme après les percées blindées de Guderian et Kleist : pousser directement sur Moscou ou encercler, notamment à Kiev et Smolensk. En tentant de faire les deux, le commandement allemand avait échoué finalement.
25. ↑ Major Ellis, Victory in the West, p. 429.
26. ↑ Simonds était le général canadien le plus expérimenté, car il avait commandé deux divisions, une en Sicile et l’autre en Italie, avant de prendre le commandement du 21e corps canadien en janvier 1944.
27. ↑ Max Hastings, Overlord, p. 301.
28. ↑ Chester Wilmot, La lutte pour l’Europe, p. 258.
29. ↑ Olivier Wieviorka, Histoire du débarquement, p. 329.
30. ↑ La paternité du plan d’encerclement est controversée, Bedell Smith affirmant que Bradley et Eisenhower en parlèrent déjà ensemble le 8 août.
31. ↑ Olivier Wieviorka, Histoire du Débarquement, p. 288.
32. ↑ Chester Wilmot, La lutte pour l’Europe p. 274.
33. ↑ Max Hastings, Overlord, p. 176.
34. ↑ Martin Blumenson, La Libération, p. 717.
35. ↑ Général L. Freiherr von Luettwitz, l’attaque d’Alençon par la 2. Panzerdivision
36. ↑ 2e Panzer, Leibstandarte, 116e Panzer, 9e Panzer, Panzer Lehr, 708e DI
37. ↑ Forte d’environ 3 000 à 4 000 hommes, 25 à 30 chars
38. ↑ Général L. Freiherr von Luettwitz,l’attaque d’Alençon…, op. cit.
39. ↑ Martin Blumenson, La Libération, p. 720.
40. ↑ Martin Blumenson, La Libération, p. 731.
41. ↑ Ce que la reconnaissance aérienne alliée n’avait pas confirmé
42. ↑ Max Hastings, Overlord, p. 290.
43. ↑ Major L. F. Ellis et al., Victory in the West
44. ↑ un blindé surnommé Kangaroo
45. ↑ Chester Wilmot, La lutte pour l’Europe, t. 2, p. 275.
46. ↑ 500 grenadiers et 15 chars.
47. ↑ a et b Major L. F. Ellis et al., Victory in the West, p. 431.
48. ↑ À relativiser car Hitler était coutumier de ce type de généralité définitive. Dans Martin Blumenson,La Libération, p. 753.
49. ↑ Il existait un front Italien depuis 1943.
50. ↑ John Keegan, Six armées en Normandie, p. 286.
51. ↑ Au Mesnil-Hermei, Sainte-Croix-sur-Orne, Putanges et un passage à l’ouest de Montgaroult.
52. ↑ John Keegan, Six armées en Normandie, p. 292.
53. ↑ Martin Blumenson, La Libération, p. 732.
54. ↑ 5e DB et 79e DI américaines
55. ↑ Martin Blumenson, La Libération, p. 735.
56. ↑ Hans von Luck, Panzer Commander, p. 204.
57. ↑ Chester Wilmot, La lutte pour l’Europe, t. 2, p. 278.
58. ↑ Chester Wilmot, La lutte pour l’Europe, t. 2, p. 280.
59. ↑ Martin Blumenson, La Libération, p. 740.
60. ↑ Major L. F. Ellis et al., Victory in the West, p. 444.
61. ↑ Ken Ford, Falaise 44, p. 73.
62. ↑ Le major Curie, son commandant, reçoit la première Victoria Cross de l’armée canadienne en Europe de l’Ouest pour son action à Saint-Lambert-sur-Dive.
63. ↑ John Keegan, Six armées en Normandie, p. 306.
64. ↑ John Keegan, Six armées en Normandie, p. 308.
65. ↑ Soit 1 500 hommes et 80 chars.
66. ↑ a et b Chester Wilmot, La lutte pour l’Europe, t. 2, p. 282.
67. ↑ Nota : Wilmot, Keegan, Hastings, Blumenson, Ford, Wievioka
68. ↑ a et b Olivier Wieviorka, Histoire du débarquement en Normandie, p. 337.
69. ↑ Eddy Florentin, Stalingrad en Normandie
70. ↑ Martin Blumenson, La Libération, p. 807.
71. ↑ Lire les mémoires de Patton et Bradley.
72. ↑ a et b Antony Beevor, D.Day et la bataille de Normandie, p. 520-521.
73. ↑ Antony Beevor, D.Day et la bataille de Normandie, p. 513.
74. ↑ C’est en partie en réponse à cette critique qu’il lance l’opération Market-Garden en septembre 1944.
75. ↑ Martin Blumenson, La Libération, p. 862.
76. ↑ Antony Beevor, D.Day et la bataille de Normandie, p. 497-498.
77. ↑ Antony Beevor, D.Day et la bataille de Normandie, p. 531-532.

source wikipedia

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 Chronologie de la Seconde Guerre mondiale

27 janvier 2013

Poche de Lille (1940)

Classé sous — milguerres @ 16 h 09 min

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Poche de Lille (1940)

La poche de Lille a résisté du 25 mai au 31 mai 1940 à l’encerclement de l’armée allemande commandée par le général Waeger durant la bataille de France.

Poche de Lille (1940) poche_10

Le groupement de l’armée française, chargé de la défense de Lille, sous les ordres du général Molinié établit son quartier général à Haubourdin et fit placer :
• Le général Alphonse Juin avec la 15e Division d’Infanterie Motorisée au Faubourg des Postes à l’entrée de la ville.
• Loos est tenu par la 1re Division d’Infanterie Motorisée commandée par le général Léon Jenoudet,
• L’est d’Haubourdin par la 2e division Nord-Africaine du général Pierre Dame
• L’ouest d’Haubourdin par la 5e division Nord-Africaine du général Mesny.
• Les débris de la 1re division Marocaine, durement éprouvée par les combats des jours précédents se placent à Lambersart sous les ordres du général Mellier avec une poignée de soldats britanniques du génie.

Les poches de résistance regroupent 35 000 à 40 000 soldats, soit 30 bataillons, 12 groupes d’artillerie, et 5 groupes de reconnaissance.

Le 28 mai en fin de matinée, après la capture du général Kuhn, dans le Faubourg des Postes, porteur des plans d’attaques allemands qui prévoient que les trois Panzer Divisionnen (4e , 5e et 7e) attaqueront le front ouest, la 7e division le nord, la 253e le nord-est, la 217e le sud-est et la 267e division le sud, le général Molinié et ses officiers, organisent alors une tentative de sortie. C’est un carnage. Le capitaine Philippe de Hauteclocque, avec l’accord de son supérieur, réussira à traverser les lignes allemandes et à rejoindre le 4 juin les positions françaises plus au sud sur le canal Crozat.

Les munitions épuisées, des centaines de morts civils et militaires, de blessés, les points de résistance cessent le combat les uns après les autres le 31 mai.

http://i14.servimg.com/u/f14/17/85/94/04/th/fleche26.gifA Haubourdin, les Allemands, sans nécessité et après la bataille, massacreront une partie des prisonniers nord africains.

Conséquences

Le général Molinié et le colonel Aizier négocient jusqu’à minuit une reddition dans l’honneur pour les défenseurs de Lille et de ses faubourgs.

Le samedi 1er juin sur la Grand Place les troupes françaises ainsi que quelques Anglais défilent en armes devant les Allemands et quelques civils sortis des abris1.

Le 2 juin, Adolf Hitler reprocha au général Waeger d’avoir marqué une pause dans sa progression vers Dunkerque et d’avoir rendu les honneurs aux Français. Il fut limogé sur le champ. Churchill dans ses mémoires estima que les défenseurs de Lille donnèrent cinq jours de répit à l’opération Dynamo (citation du livre du Colonel Rémy). « These Frenchmen, under the gallant leadership of general Molinié, had for four critical days contained no less than seven German divisions which otherwise could have joined in the assaults on the Dunkirk perimeter. This was a splendid contribution to the escape of their more fortunate comrades of the BEF » (Winston Churchill, The Second World War. vol. II. Their Finest Hour, Cassel & Co., 1949, p. 86).

note :

1 – ↑ (de) Der Spiegel, 16.05.1962 [archive]
source wikipedia

http://i14.servimg.com/u/f14/17/85/94/04/th/fleche26.gifA APPRONFONDIR : A Haubourdin, les Allemands, sans nécessité et après la bataille, massacreront une partie des prisonniers nord africains. ???

 

Je n’ai trouvé aucune trace qui relate ce massacre avec plus de précisions

 

seulement …
La honte noire (celle des Allemands…!) …
tiré de :
http://www.lyceelyautey.org/marocomb/articles.php?lng=fr&pg=70
LA RESISTANCE HEROIQUE DE LA PREMIERE DIVISION MAROCAINE A GEMBLOUX : LES 14 ET 15 MAI 1940

Christophe TOURON, professeur d’Histoire-Géographie au Lycée Lyautey de Casablanca (1995-2007) et au Collège Royal à Rabat (2003-2007). …/…

Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, la propagande allemande se déchaîne contre les troupes coloniales françaises, présentées comme une masse de brutes conditionnées par les Français. Parallèlement un service de propagande, créé en 1934, courtise le monde arabe et surtout les mouvements nationalistes, en les encourageant à la révolte. Ce qui n’empêche pas la presse nazie de dénoncer, le 30 mai 1940, « cette sale racaille de couleur, sentant tous les parfums d’Arabie, contre laquelle doit se battre le brave soldat allemand ».

En 1940, le souvenir de la « Honte noire », entretenu par la propagande nazie, reste donc présent chez de nombreux soldats allemands. Relatant la capture de prisonniers marocains en Belgique, en mai 1940, le caporal chef Matthias, cité précédemment, conclut son témoignage, publié en 1941 dans un journal de la Wehrmacht, en disant « (…) que sur pied, les gaillards puent comme la peste ! » Manière peu respectueuse d’évoquer des hommes qui ont été aussi braves à Gembloux. Ces propos illustrent le mépris, voire le dégoût de l’ennemi pour ces combattants « indigènes », qui suscitent également peur et méfiance.

Dans ce contexte de haine raciale, de crainte et de revanche, les Allemands se montrent à plusieurs reprises sans pitié pour les combattants de l’armée française originaires d’Afrique du Nord et des colonies.

Ainsi, les premiers instants de captivité se révèlent fatals pour des centaines de tirailleurs sénégalais et quelques dizaines de combattants marocains, en dépit des protections prévues par la convention de Genève pour tout prisonnier de guerre. Le sergent Ennergis, tirailleur marocain fait prisonnier à Lille, fin mai 1940, rapporte ce témoignage poignant : « J’ai vu des Allemands fusiller sur place des Sénégalais. Beaucoup de mes camarades marocains l’ont été aussi parce que les Allemands savaient que nous étions volontaires, contrairement aux Algériens qui étaient des appelés. Je n’ai eu la vie sauve que grâce à mon jeune âge, en faisant croire aux Allemands que les Français avaient voulu enrôler de force mon père et que j’avais pris sa place pour le sauver. »

Outre le préjugé racial des Allemands, les 18 000 soldats marocains capturés doivent en effet assumer leur enrôlement volontaire, source d’hostilité supplémentaire de la part de certains militaires nazis lorsqu’ils en sont informés.

Le 30 mai 1940, à Febvin-Palfart dans le Pas-de-Calais, 32 combattants marocains prisonniers sont lâchement assassinés, dans des conditions obscures, par des soldats SS (abréviation de « Schutzstaffel », échelon de protection, les SS constituent une organisation militarisée et fanatisée du parti nazi). Ces prisonniers semblent avoir été tués alors qu’ils se trouvaient en transit. Exténués par une marche forcée et refusant peut-être d’aller plus loin, « (…) les malheureux durent creuser leur tranchée avant d’être exécutés, puis jetés pêle-mêle dans leur tombe, enchevêtrés les uns dans les autres. Ils furent recouverts par le dernier que les monstres exécutèrent, sa funèbre besogne terminée, et abandonnèrent sur le terrain face contre terre (…) Ils appartenaient au 254e régiment d’artillerie divisionnaire. 32 corps furent extraits de la tranchée et 15 seulement furent identifiés (…) Tous portaient le coup de grâce avec la nuque fracassée (…) ». C’est ainsi que le maire du village de Febvin-Palfart, rapporte ce drame, en 1971, au cours de l’inauguration d’un monument communal élevé à la mémoire de ces soldats marocains, victimes de la barbarie nazie.

Les marches qui mènent les prisonniers « indigènes » vers les camps de regroupement peuvent ainsi se révéler périlleuses, comme l’illustre aussi le témoignage d’Ousman Aliou Gadio, un tirailleur sénégalais : « On nous a capturé le 20 juin au matin, ils nous ont emmenés à Lyon, on a trouvé là-bas les Français, les Marocains, les Algériens, tout le monde dans un bâtiment, un hangar. On est resté là quatre jours et ils nous ont dirigés sur Dijon, alors on a marché à pied. Ils ont tué 7 marocains avant d’arriver à Dijon. Tous ceux qui ne pouvaient plus marcher, ils tiraient sur lui (…) ».

UNE CAPTIVITE EPROUVANTE DANS LES FRONTSTALAGS DE 1940 A 1944

Après leur victoire sur la France, les Allemands continuent de focaliser une partie de leur propagande sur les troupes « indigènes » de l’armée française, en des termes toujours aussi défavorables. C’est notamment le cas d’un reportage photos en couleurs, publié dans un numéro de la revue Signal, qui montre des prisonniers maghrébins en train d’égorger une vache selon les rites musulmans puis se partageant la viande. Gestes anodins mais mis en scène de telle sorte qu’ils doivent susciter l’aversion du lecteur, conforté par les commentaires de la revue : « Notre correspondant a pris une vue de l’abattage et du repas, qui donnent une idée des mœurs des troupes coloniales françaises. »

Redoutant les maladies tropicales et la contamination raciale, les autorités du Reich nazi décident de ne pas transférer ces soldats « indigènes » sur leur territoire, comme c’est alors le cas pour les autres détenus militaires français. Pour ne pas « souiller le sol allemand », les prisonniers maghrébins, noirs africains ou indochinois sont donc internés pour la plupart en France, dans des camps appelés Frontstalags. Ceux qui ont été envoyés initialement en Allemagne ou en Pologne sont transférés à leur tour dans ces lieux de détention, où les conditions de vie se révèlent très éprouvantes.

En effet, le ravitaillement y est souvent déplorable malgré les envois de colis postaux organisés par des œuvres caritatives comme l’œuvre des Secours aux prisonniers de Guerre qui est créée dès juillet 1940 au Maroc. Houcine Benyahia, tirailleur au 1er RTM, garde en mémoire ses « mauvais souvenirs [de captivité], comme lorsque nous étions 7 prisonniers à nous partager un seul pain au repas ! » Les hommes internés dans les Frontstalags doivent survivre dans un dénuement total, exposés aux mauvais traitements de leurs gardiens et à des travaux agricoles ou industriels exténuants. Les mauvaises conditions d’hygiène et la tuberculose aggravent les souffrances quotidiennes. Enfin, les balles allemandes s’ajoutent parfois à cette oeuvre de déshumanisation…

Au Frontstalag n° 231, à Airvault dans les Deux-Sèvres (à 50 km de Poitiers), l’un des médecins français, qui séjournent au camp, révèle le drame dont il a été le témoin : « Des tirailleurs marocains ayant tenté de s’évader s’empêtrèrent dans les barbelés. Surpris par les sentinelles, celles-ci, au lieu de les reprendre et alors qu’ils imploraient grâce, les assassinèrent sans pitié à coups de revolver et de mitraillettes. Le soir, c’est 3 ou 4 cadavres que les médecins français eurent à enlever dans les fils de fer (…) Au cours des obsèques, le rite musulman fut pour leurs gardiens, une occasion de divertissement sadique et de prises de photos. » Lorsque l’armée allemande évacue ce camp, elle laisse, enfouis sous les débris des baraquements, les corps de 26 combattants marocains morts durant leur détention ! Emue, la population locale offre à chacun de ces malheureux une sépulture décente, en attendant l’inauguration, en 1945, d’un monument et d’une nécropole nationale en leur mémoire.

Au début de l’année 1943, les prisonniers « indigènes » de l’armée française connaissent une nouvelle injure à leur statut, puisque l’Allemagne remplace leurs gardiens allemands, réquisitionnés pour combattre les Soviétiques sur le front est… par leurs anciens compagnons d’armes de l’armée française, obéissant au régime collaborateur de Vichy !

En fonction du bon vouloir des autorités allemandes, la population française offre une aide active et fraternelle à ces prisonniers, en leur apportant des vivres, des soins et un peu de réconfort. Certains facilitent même les évasions des Frontstalags.

De nombreux soldats d’Afrique du Nord et des colonies, qui ont fui leur captivité, rejoignent alors les rangs de la Résistance française intérieure contre les forces d’occupation allemande. On compte, par exemple, une cinquantaine d’Africains dans le maquis du Vercors. Forts de leur expérience militaire antérieure, ces soldats maghrébins, d’Afrique noire ou d’Indochine, sont d’un soutien précieux pour les maquis des Forces françaises intérieures (FFI). Ils s’illustrent par leur courage et leur dévouement dans les coups de force contre l’occupant, allant parfois au bout de leur destin.

C’est ainsi que le 19 août 1944, dans le sud-ouest de la France, le soldat Lahcene ben Oukrine, le sergent Mohamed ben Tayeb et le caporal Saïdi Salah, membres des FFI, tombent héroïquement sous les balles allemandes. Leurs dépouilles reposent de nos jours dans une des Nécropoles nationales dédiées à la Résistance française, à Chasseneuil-sur-Bonnieure en Charente (à 35 km d’Angoulême).

Leurs compagnons d’armes, restés prisonniers dans les Frontstalags, sont libérés pour la plupart en 1944, au fur et à mesure de l’avancée des Alliés. Ils sont alors regroupés dans des centres de transit afin de retrouver leur foyer. Mais cette libération ne marque pas toujours la fin du calvaire pour les soldats « indigènes ». En effet, les conditions sanitaires de leur hébergement provisoire demeurent souvent mauvaises, du fait de l’incurie des services qui en ont la charge. Enfin lors du retour au pays, il arrive que l’attitude de l’administration coloniale à l’égard de ces ex-captifs rappelle qu’ils restent des sujets de la France et non des citoyens français à part entière. Ce traitement inégal atteint son paroxysme dans le drame malheureux de Thiaroye au Sénégal, le 1er décembre 1944 : dans un climat houleux, des dizaines de tirailleurs sénégalais tombent alors sous les balles françaises pour avoir réclamé leur arriéré de solde, correspondant à leur période de détention dans les Frontstalags !

La captivité des 18 000 soldats marocains de « l’an 40 » et des dizaines de milliers d’autres combattants « indigènes » de l’armée française n’a pas connu d’épilogue aussi tragique.
Mais elle est restée dans son ensemble une épreuve redoutable, voire fatale, du fait des terribles souffrances morales et physiques infligées à ces « prisonniers de couleur » dans les Frontstalags.

Christophe TOURON, professeur d’Histoire-Géographie au Lycée Lyautey de Casablanca (1995-2007) et au Collège Royal à Rabat (2003-2007).

 

Réaction de  JJ

http://militaires-d-hier.forumgratuit.org/t3916-poche-de-lille-1940#27824

Attention aux manipulations, politiques ou autres, dans cette malheureuse affaire de Thiaroye. Si la France n’a pas lieu d’être fière de cet épisode, il faut quand même relativiser les choses.
Je possède un bon dossier sur ce sujet et, à sa lecture, on constate que les choses ne sont pas aussi simple que relatées dans l’exposé de Monsieur Touron.
L’administration coloniale, mais pas seulement elle, s’est certes montrée maladroite en faisant des promesses inconsidérées, mais il faut savoir que:
- cette affaire se passe en décembre 1944. A cette époque, la guerre n’est pas terminée, et la France est dans un état qui est loin d’être brillant. Elle dépend, pour ses relations maritimes, du pool de transport mis en place par les anglo-saxons. Le rapatriement des Tirailleurs n’est pas la priorité de cet organisme, c’est la raison du délai imposé à cette opération. C’est une des causes du mécontentement de ces hommes
- pour les Tirailleurs, faits prisonniers en 1940, la France a perdu la face, et ils ont pu constater la « supériorité » de l’armée allemande
- les autorités allemandes leurs ont remis des Marks, mais aussi beaucoup de Francs français. Hors ces deniers étaient faux (méthode classique chez les Allemands, voir l’affaire Cicéron). Les Marks seront changés en Métropole contre des Francs. Mais, à l’arrivée à Dakar, le trésor refuse l’échange des faux Francs contre des billets de la banque centrale de l’AOF. Ce qui provoque la fureur des Tirailleurs…
- dans un but de désorganisation de l’armée coloniale, c’était encore la guerre, les Allemands, en plus de la distribution de fausse monnaie, avaient formé des « meneurs », qui se révéleront impossible à raisonner
- beaucoup de ces hommes avaient réussi à se procurer des armes, et commencé à en faire usage
- enfin, suprême maladresse de l’administration, au lieu de faire encadrer les tirailleurs par des officiers et sous-officiers de l’armée coloniale, qui savaient leur parler, et qu’ils respectaient, on les à remis entre les mains de gendarmes.
Il ne faut donc pas s’étonner de la mauvaise tournure qu’ont pris les évènements. Il est arrivé un moment ou la situation est devenue ingérable, et ou il à fallu ouvrir le feu (limité, 500 coups ont été tirés, mitrailleuse et fusils). Bilan 35 tués, et autant de blessés. Terrible, mais bien loin des affirmations délirantes de certains, et du film « Camp de Thiaroye », ou les auteurs font un parallèle avec Dachau, et qui se termine par un bain de sang, 1280 tués…
34 mutins seront condamnés, le 5 mars 1945, à des peines de prison, mais les 12 encore enfermés seront graciés deux ans plus tard par le Président Vincent Auriol.
JJ

 

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 Chronologie de la Seconde Guerre mondiale

La Campagne des 18 jours

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La Campagne des 18 jours

http://i14.servimg.com/u/f14/17/85/94/04/th/fleche26.gifLa Bataille de la Lys

La Campagne des 18 jours 851120

tdg00110

Georges Romain : télégraphiste au 13ème régiment de ligne raconte …

Au matin du 10 mai 1940, les troupes allemandes du führer Adolf Hitler envahissent la Belgique. Toute résistance est balayée du canal Albert à la Meuse, forçant l’armée belge à se replier derrière l’Escaut puis la Lys. Du 23 au 28 mai les Belges se battront avec acharnement, ne concédant que quelques kilomètres de terrain jusqu’à la capitulation décidée par le roi Léopold III.

à voir dans : http://www.tvcom.be/index.php/emissions/temoins-de-guerre/4806

851120

 

 

Un soldat wallon à la bataille de la Lys (23/27 mai 1940)
José Fontaine
Toudi mensuel n°69, octobre-décembre 2005

http://www.larevuetoudi.org/fr/story/un-soldat-wallon-%C3%A0-la-bataille-de-la-lys-2327-mai-1940De Waalse regimenten die hier aan de Leie dapper vochten spreken dan ook vaak en terecht over.
La Lys sanglante (http://users.pandora.be/Historia_Belgica/leieslag.htm)

Les sources flamandes sur la bataille de la Lys, comme celle que nous mettons en exergue soulignent le plus souvent la vaillance des régiments wallons sur la Lys, tout en insistant et ajoutant (ce qui indique bien la réalité des choses), le fait que plusieurs régiments flamands se battirent, eux aussi, courageusement. On sait que sur la totalité de la campagne des dix-huit jours Hervé Hasquin a montré que plus de la moitié des 6000 soldats qui périrent, étaient des soldats wallons alors que la Wallonie ne formait en 1940 qu’un tiers de la population belge1 Francis Balace estime que ce décompte a quelque chose de morbide2. Il ne devrait cependant pas ignorer que le nombre de morts d’un régiment, pour les techniciens de l’histoire militaire, c’est tout simplement un indice de la volonté de combattre de l’unité considérée. Le soldat de Jemappes auquel il est fait allusion dans ce titre, est mon père, Ferdinand Fontaine (1916-1966), dont je tente de resituer l’itinéraire durant la campagne des dix-huit jours. Si sa figure est présente dans les lignes qui suivent, son personnage n’est étudié que marginalement : on y essaye de situer sa place dans un contexte général qui retient principalement l’attention. Contexte qui a été étudié aussi pour comprendre une personne dont j’ignorais bien des «détails» de son insertion dans la grande histoire de la Wallonie et de l’Europe. En particulier le régime qu’il a subi du fait de sa capture le 26 mai 1940 à la bataille de la Lys qu’on est tenté de nommer une bataille wallonne, ce que la phrase néerlandaise en exergue peut suggérer: «Les régiments wallons qui ici, à la Lys, combattirent avec vaillance» (et le reste de la citation est: «parlent souvent et à juste titre de la Lys sanglante.», les derniers mots en français dans le texte).

Les troupes sur le front de la Lys

Le Professeur Henri Bernard estime que l’Etat-major belge aurait dû choisir, le 21 mai, un autre site que celui de la Lys pour mener la batailLe d’arrêt qu’il était dans son intention de mener face à l’avance des troupes allemandes3. Nous y reviendrons. On pourrait dire que dès la prise d’Eben-Emael le 11mai 1940, le premier dispositif belge de défense est bousculé gravement et qu’il y a lieu de se retirer sur la ligne K-W (approximativement d’Anvers à Wavre), ligne qui se prolonge jusqu’à la position fortifiée de Namur, des troupes françaises étant planifiées pour boucher les trous entre Wavre et Namur. Ce dispositif comme le montre F. Balace (op.cit.), abandonne d’emblée une grande partie du territoire wallon à l’ennemi puisque l’armée belge est retirée derrière la Meuse dès le 10 mai. La chute d’Eben-Emael oblige à un nouveau recul par rapport au premier retrait effectué dès le déclenchement des hostilités

Les troupes de la Position fortifiée de Liège se replient effectivement vers la Position Fortifiée de Namur qu’occupe Ferdinand Fontaine le 10 mai (Floriffoux puis Marchovelette). Les autres troupes cantonnées derrière le Canal Albert font retraite vers Gand et l’Escaut. Du 10 au 15 mai, la Position Fortifiée de Namur attend l’ennemi. De durs combats ont lieu à Temploux engageant une première fois les Chasseurs ardennais qui déplorent de nombreux morts dès le 12 mai.

Mais la Position Fortifiée de Namur est rapidement obligée, dès le 15 mai, de faire également retraite vers l’Escaut parce que l’armée française n’a pu empêcher le franchissement de la Meuse quelques kilomètres plus au sud à Houx (Leffe, Bouvignes, Dinant) et en France à Sedan4. Seules les garnisons des forts comme à Liège resteront sur place, capables de gêner les mouvements des troupes allemandes au loin et livrant un combat héroïque, parfois même au-delà de la capitulation.

Ferdinand Fontaine quitte Marchovelette (près de Namur), le 15 au soir en camion. Il gagne Mons le 16 où il peut encore embrasser ses parents (à Jemappes), mais la famille de ma mère, alors sa fiancée (résidant à Nimy à l’autre bout de Mons), a déjà pris la route de l’exode5. Le 17, il est à Deinze, le 18 à Vinkt, le 19, il rejoint la 4e Compagnie du 13e de Ligne à Sint-Eloïs-Vijve (le village voisin de Wielsbeke, mais sur l’autre rive de la Lys où parviendront les Allemands). Il y demeure jusqu’au 21. Le 22, dès Midi, il s’installe à Wielsbeke sur la gauche de la Lys ou sa rive ouest (les Allemands attaquent par l’est ou la rive droite). Ferdinand Fontaine, vu la réorganisation du Régiment, est affecté à la 1ère Compagnie du Ier Bataillon du 13e de Ligne sous les ordres d’un homonyme sans lien de parenté, le lieutenant Fontaine. Cette compagnie de 150 hommes se divise en trois pelotons, le premier occupant en partie le très grand parc de Wielsbeke et la route qui mène à Sint-Baafs-Vijve, tout au long de la Lys sous les ordres de l’adjudant Lambert où se trouve F. Fontaine, le second un peu en retrait sous les ordres du sous-lieutenant Majoie, le troisième retranché dans Sint-Baafs-Vijve proprement dit, sur la Lys également, sous les ordres du sous-lieutenant d’Aspremont-Lynden6. Les bombardements commencent le 23 et se poursuivent le 24, le 25, avec surtout un bombardement intensif le matin du 26 mai.7

La défaite de la France se dessine

Sur le front général, les divisions blindées allemandes dès le franchissement de la Meuse le 13 et le 14 se ruent sur Abbeville qu’elles atteindront le 21 mai, coupant ainsi les armées alliées en deux. Le sentiment existe dans les rangs du commandement français, dès le 13 ou le 14, que la bataille de France est perdue8. Le 16, Gamelin déclarera qu’il ne peut plus assurer la sécurité de Paris. C’est le 15 mai que la 8e Division (13e de Ligne, 19e de Ligne et 21e de Ligne), fait retraite vers l’Escaut dans des conditions relativement difficiles, non en camion comme Ferdinand Fontaine (qui accompagne des unités de défense des forteresses), mais à pied (en passant par Charleroi, Soignies…)9. Elle finira par s’installer derrière la Lys le 22 mai. Cette Division est une Division wallonne comme celle qui est à sa droite, la 3e Division (1er Régiment de Ligne, 12e Régiment de Ligne, et 25e Régiment de Ligne). Comme celle qui est à sa gauche également, soit la 2e Division de chasseurs ardennais (4e, 6e et 5e chasseurs ardennais)10. À la gauche de la 2e Division ardennaise se situe la 4e Division, une Division flamande qui se rendra quasiment sans combattre le 25 mai, sous «l’impulsion» du 15e Régiment de Ligne. Plus loin encore vers Deinze, Nevele, Landegem, la 1ère Division de Chasseurs ardennais prendra en quelque sorte le relais de cette division flamande et livrera un violent combat à Vinkt, resté célèbre11.

[Notons qu'un Régiment de Ligne compte 4.000 hommes, une Division 3 Régiments plus un Régiment d'artillerie et un Bataillon du génie.]
Juste en aval de Coutrai, et en amont

En aval de Coutrai la 1ère Division (flamande) est submergée par l’attaque allemande le 23 mai, en combattant courageusement. La 3e Division (wallonne) résiste aussi très courageusement, mais doit se retirer le 24 tard le soir (un monument à Kuurne, non loin de Coutrai honore cette unité, et en particulier le 12e de Ligne, toujours célébré localement chaque année). Elle est relevée par la 10e Division composée de soldats recrutés en Hainaut et commandés par le général Pire. Pire tiendra la ligne Ledegem-Isegem (un peu en retrait de la Lys) énergiquement12. Elle est relevée aussi par la 9e Division et aussi par une autre unité (wallonne aussi, sauf erreur de notre part), le 2e Corps de Cavalerie, enfin par la 15e Division. La 9e Division et la 10e Division se tiennent à partir du 25 mai sur la rive droite du canal de Roulers à la Lys (qui rejoint la Lys un peu en-dessous de Wielsbeke). De l’autre côté du canal se tient le 13e de Ligne bombardé dès le 23 mai. Une attaque lancée par les Allemands contre ce régiment échoue le 25 mai13. Le lendemain, les Divisions allemandes attaquent en force le 13e de Ligne. Le centre du Régiment avec les pelotons commandés par les sous-lieutenants Ruhwedel , Laperches et Maquestiau est attaqué par le IIe Bataillon du 475e Régiment d’infanterie allemande14. Les combats sont d’une rare violence dans le centre de Wielsbeke, mais, vers 11h15, ces pelotons du Régiment wallon sont submergés (les Allemands sont huit fois plus nombreux). Il y aura près de soixante morts dans le 13e de Ligne le 26 mai (dont une quarantaine à l’endroit où se battent les trois pelotons nommés). Le IIe Bataillon poursuit sa route vers le centre de Wielsbeke, suivi par le IIIe puis, en un mouvement tournant, revient vers la Lys où combat encore la 1ère Cie du 13e Régiment avec les trois pelotons commandés respectivement par l’adjudant Lambert, le sous-lieutement Majoie et le sous-lieutenant d’Aspremont Lynden15. Le peloton Lambert commandé aussi par le CSLR (Candidat Sous-Lieutenant de réserve), Ferdinand Fontaine est pris à revers, ses rangs sont disloqués et la compagnie est en partie capturée16. Le CSLR F. Fontaine se rend «avec tous ses hommes»17, mais une autre partie du peloton parvient à s’échapper pour se retrancher avec les débris du régiment derrière la rivière Mandel, un peu en retrait de la Lys18. Le peloton d’Aspremont Lynden ne recevra jamais l’ordre de retraite et reste dans St Baafs-Vijve, la localité en aval de Wielsbeke où il sera vraisemblablement fait prisonnier. Plus loin sur la Lys en allant vers Gand (notamment à Oeselgem), plusieurs éléments du 19e de Ligne sont également faits prisonniers. Au soir du 26 mai une contre-attaque du major Leclercq avec des éléments du 21e Régiment de Ligne notamment, repousse les Allemands sur la rive droite du Canal de Roulers-Coutrai19. Mais ces troupes (de la 8e Division) sont arrivées à la limite de leurs possibilités de résistance, et leurs rangs sont fort clairsemés (nombreux morts, blessés ou prisonniers).

Les chasseurs ardennais et les chasseurs à pied

La résistance des chasseurs ardennais sur la Lys au-delà des positions du 19e de Ligne est aussi forte, le 396e Régiment d’infanterie allemande est repoussé par le 4e Régiment de Chasseurs ardennais. Le 27 mai, tandis que le 4e Régiment de Carabiniers, le 1er Régiment de Chasseurs à Cheval prouvent leur courage sur le Canal de la Dérivation à Knesselaere, les 1er et le 3e Régiments de chasseurs ardennais re­poussent 3 Régiments allemands et contre-attaquent à plusieurs reprises à Vinkt. Il y a près de 200 morts dans les rangs allemands et, malheureusement, les troupes allemandes, en proie à la psychose du franc-tireur, fusillent une centaine d’habitants de ce petit village flamand.

Faisant parler le commandant Hautecler, Philippe Destatte20 souligne que de Nevele à Arsele, le front est tenu uniquement tenu par des unités wallonnes. En fait c’est de Nevele à Menin que la Lys a été tenue majoritairement par des régiments wallons, du 23 au 27 mai, sur une soixantaine de km, en remontant la Lys de Menin à Nevele : les 1er, 12e et 25e de Ligne (3e Division) [Courtrai/Wielsbeke], les 13e, 19e et 21e de Ligne (8e Division) [Wielsbeke-Zulte], les 1ers, 2e et 3e Chasseurs ardennais (1ère Division de Chasseurs ardennais) [Zulte-Deinze] les 4, 5e et 6e Régiments de Chasseurs ardennais (2e Division de chasseurs ardennais) [un peu en retrait de la Lys de Nevele à Aarsele], les 3e, 5e et 6e Chasseurs à pied (10e Division) [puis en retrait après l'effondrement de la 1ère et de la 3e Division, de Ledegem à Isegem], les régiments wallons du 2e Corps de Cavalerie et du 1er Corps de Cavalerie (aussi en aval de Courtrai). Cette vingtaine de Régiments wallons étirés sur 50 kilomètres, firent face, tour à tour, mais toujours inférieurs en nombre, à l’assaut de 7 divisions allemandes21 se dirigeant principalement sur la Lys proprement dite entre Nevele (un peu au sud de Gand) et Menin (où commence le front anglais).

Une mise en cause de la conduite belge des opérations

Quand on lit le récit des combats (notamment des récits dactylographiés, des notes brèves prises sur le vif, par exemple celles de F.Fontaine), on éprouve très fort le sentiment que ces soldats ne se battaient pas « pour l’honneur » (comme le dit Francis Balace), mais pour gagner. Ces soldats n’ont rien non plus de militaristes, les textes pacifiques et pacifistes du merveilleux Francis Walder se retrouvent en beaucoup de ces témoignages (F. Walder était lui-même un officier supérieur, il obtint le prix Goncourt pour son roman Saint-Germain ou la négociation qui est un plaidoyer pacifiste). Mais ces gens ne pouvaient supporter l’invasion allemande. Il y a toute une réflexion du Professeur Henri Bernard sur la conduite de la guerre en 1940. Le Professeur Henri Bernard, qui fit la campagne des dix-huit jours, qui entra dans la Résistance, qui est un monarchiste convaincu, regrette cependant la manière dont la politique de neutralité a été appliquée jusque sur le terrain des opérations militaires. Pour ce Professeur à l’Ecole Royale Militaire, la bataille d’arrêt décidée sur la Lys n’était pas une bonne décision22, et elle était dictée par la politique de neutralité adoptée par la Belgique sous la pression du roi et de la Flandre en 1936. Elle n’était pas une bonne décision car la Lys n’est pas une coupure suffisante. Cette rivière n’est pas très large (vingt mètre, trente tout au plus), ses berges ne la surplombent pas, il arrive qu’elle soit bordée d’habitations dans lesquelles l’assaillant peut se mettre à couvert avant de passer sur la rive gauche. Pour Henri Bernard, la raison d’être du choix de la Lys plutôt que l’Yser avec ses inondations, son front moins étendu, comme en 1914, c’est la volonté de ne pas se lier trop aux alliés. (voir également la note 21)

Il tente d’ailleurs d’excuser Léopold III en soutenant que celui-ci, obsédé par l’exemple de son père, n’a jamais voulu que l’armée belge puisse combattre autre part que sur le sol belge en raison du principe de la neutralité. Alors que la France en 1914-1918 – le territoire français – a servi de mille manières aux opérations de l’armée belge, et qu’Albert Ier envisageait favorablement de s’y replier23. Il estime même que, étroitement liée aux Alliés, l’armée belge aurait pu combattre plus longtemps et rembarquer, au moins en partie, avec les Anglais. Il évalue à 100.000 hommes l’armée belge que l’on aurait pu former en Angleterre.

Patriote belge, il a aussi le courage de considérer que la bataille de la Lys n’a pas joué un rôle immense dans le rembarquement à Dunkerque24. L’armée belge aurait pu en jouer un bien plus utile en se retirant sur l’Yser en coordination avec les Français et les Anglais, ce qui fut à un moment envisagé et même accepté. (voir note 21) Il combat l’idée qu’Hitler aurait permis la retraite par Dunkerque pour «ménager l’Angleterre» en vue d’une éventuelle paix séparée. Sur terre, les Français et les Anglais résistèrent encore une semaine après la capitulation belge. Dans les airs et sur mer, sur la Manche, l’Angleterre n’était pas du tout dans la même situation que sur le Canal Albert ou sur la Meuse à Sedan25. Simplement parce que l’aviation anglaise était bien plus proche de ses bases que l’aviation allemande. Le rembarquement de Dunkerque démontre bien des défauts dans l’armée allemande de 1940 dont Bernard dit même qu’elle n’était pas si bien préparée, qu’elle n’avait pas de plans affinés pour l’Ouest etc. Homme d’honneur attaché à Léopold III, le Professeur Henri Bernard estime aussi que, réellement, la capitulation de l’armée belge a mis les Alliés devant le fait accompli et a été décidée aussi parce que l’on ne désirait plus agir en coordination avec les armées française et anglaises qui se sont battues encore six jours après la capitulation belge. L’argument souvent utilisé selon lequel le réduit national (derrière la Lys ou derrière l’Yser), était à ce point encombré de réfugiés qu’il devenait impossible d’y manœuvrer lui semble spécieux. En effet, plusieurs divisions belges ont traversé ce territoire (après le 24 ou le 25 mai), et ont pu rapidement gagner le front sur la Lys de même d’ailleurs qu’une division française, c’est-à-dire, au total, des dizaines de milliers d’hommes.
Une réflexion historique

La réflexion d’Henri Bernard va plus loin. Il estime qu’il y avait dans les démocraties une faiblesse profonde de la volonté de résistance à Hitler. Il se fonde d’ailleurs pour l’appuyer sur certaines remarques de Walthère Dewez avant le déclenchement du conflit, ce grand résistant chrétien finalement tué par les nazis à la fin de l’Occupation, qui n’admettait pas que les démocraties et en particulier celle de son pays traitent avec un régime niant l’humain. Il cite aussi Bonhoeffer comparant Hitler avec le monstre de l’Apocalyspe, et cela dès 193926. Henri Bernard met en cause aussi la littérature patriotique belge qui soutient que la défaite de l’armée belge a été occasionnée par l’impuissance française à endiguer le passage de la Meuse par les divisions blindées allemandes les 13 (Houx, près de Dinant) et 14 mai (Sedan). En effet, la première victoire allemande le 10 mai 1940, c’est la prise du Fort d’Eben-Emael, prise qui aurait pu être évitée selon Henri Bernard qui témoigne d’une remarque qui lui fut adressée par un officier suisse en 1939, faisant remarquer que la superstructure du Fort était une très belle piste d’atterrissage pour planeurs, ce qui se produisit et explique le chute du fort. Cette observation fut transmise en haut-lieu où elle fut dédaignée.

Il signale aussi, cette fois en pensant au passage de la Meuse par les blindés allemands, à Houx (Dinant) et Sedan, qu’une poignée de chasseurs ardennais parvinrent à arrêter les divisions blindées allemandes de manière étonnante : pendant six heures à Bodange, devant la Sûre (à la frontière luxembourgeoise à la hauteur de Saint-Hubert), les 60 (soixante) hommes du commandant Bricart; pendant trois heures à Chabrehez, plus au nord, entre Vielsalm et l’Ourthe, 90 hommes du 3e Régiment de chasseurs ardennais. Ces divisions blindées se dirigeaient vers Sedan et Dinant. Étant donné ce que 150 hommes dépourvus d’artillerie et d’armes antichars ont pu faire, qu’auraient pu faire les deux divisions ardennaises avec leur artillerie? Et en coordination avec les armées françaises? En outre, il fallut que l’armée allemande déploie trois bataillons (trois mille hommes) et un groupe d’artillerie pour venir à bout des 60 hommes de Bodange. Or la rapidité avec laquelle les Allemands parvinrent sur la rive est de la Meuse à Sedan et Dinant est l’élément décisif qui leur permit de franchir ce fleuve et de gagner la bataille de France dès les premiers jours du conflit.27

Il ne s’agit pas d’écrire l’histoire avec des «si». Il faut peut-être plutôt combattre un certain fatalisme ou déterminisme. La victoire allemande des premiers jours de mai 1940 n’était pas une chose assurée. Par exemple, les chasseurs ardennais avaient été créés pour défendre le pays à la frontière. La stratégie de l’armée belge prescrivait leur retrait complet, et les 150 hommes dont nous venons de parler, n’avaient tout simplement pas reçu cet ordre de repli. Or ils ont effectivement ralenti considérablement l’armée allemande, la disproportion des forces étant à ce point démesurée que les éléments allemands en contacts avec la Compagnie Bricart à Bodange (3 bataillons, soit 3000 hommes et un groupe d’artillerie), s’efforcèrent de cacher la faiblesse numérique de leurs adversaires ardennais à leurs chefs. Une série d’erreurs ont été commises, côté français, dans l’utilisation des blindés comme l’avait prédit le général de Gaulle.

L’histoire n’a pas à se refaire avec des «si». Mais puisque la défaite de 1940 n’avait rien d’inévitable, on ne peut pas tout à fait admettre non plus le raisonnement de Jo Gérard-Libois et José Gotovitch qui, lorsqu’ils parlent des passages à l’ennemi de certaines troupes flamandes, ajoutent aussitôt, pour dédramatiser l’affaire, que ces comportements n’auraient rien modifié à la suite des événements, ce qui est nier leur gravité. Et toute la question soulevée de la résistance et de l’esprit de résistance à Hitler.
La détermination des troupes wallonnes

Dans Pages d’Histoire (sans lieu ni date mais on peut obtenir ce texte au musée du 12e de Ligne à Spa), Georges Ernotte, secrétaire de la Fraternelle du 12e de Ligne cite longuement des notes rédigées par le colonel commandant le 12e de Ligne qui tient le front sur la Lys entre Coutrai et Wielsbeke, ce régiment étant le plus proche de Coutrai avec le 25e puis le 1er de Ligne jusqu’à Wielsbeke où se tient le 13e de Ligne (de la 8e Division). Dans la nuit du 24 au 25 mai, cet officier supérieur, profondément admiratif de la conduite de ses hommes, qui ne dort plus depuis plusieurs jours, est invité à se reposer derrière le front. Il ne parvient pas à trouver le sommeil et passe en revue les erreurs tactiques qu’il a commises, notamment de rester sur la rive opposé aux Allemands en terrain nu face aux bâtiments occupés par l’ennemi sur la rive droite de la Lys, de ne pas faire assez intervenir l’artillerie etc. Il est assez curieux d’opposer ces réflexions à une série de notes prises par des témoins ou historiens civils locaux de Kuurne et Wielsbeke notamment qui estiment au contraire, de leurs points de vue de civils, que si les régiments wallons avaient su les capacités militaires de l’armée allemande, ils n’auraient tout simplement pas combattu : «Hadden onze soldaten geweten dat ze met twee povere divisies de mokerslagen van vijf in zegeroes verkerende Wehrmacht Divisionen zouden moeten opvangen, dans was de moed hen zeker in de schoenen gezonken.»28

Pour l’ensemble de ces régiments wallons qui vont être capturés par l’armée allemande ou qui le sont déjà, va alors commencer cinq années de longue captivité, les prisonniers flamands étant, eux, assez rapidement libérés. La France clairement blessée à mort dès le 14 mai, reçoit le coup de grâce quand les blindés allemands coupent les Alliés en deux le 21 mai à Abbeville. Après le rembarquement des Anglais à Dunkerque et de beaucoup de Français (en tout près de 370.000 hommes), achevé le 4 juin, la France ne tiendra plus que 13 jours. Les Allemands y pénètrent profondément, débordant la Somme, puis la Loire. Le 17 juin, le nouveau président du Conseil, le Maréchal Pétain, demande un armistice aux Allemands qui sera signé quelques jours plus tard. L’esprit de Résistance se réfugie à Londres et prend la voix d’un général de brigade fraîchement promu et qui va être dégradé par les autorités de son pays puis condamné à mort : le général de Gaulle, qui lance son fameux appel le 18 juin.

Léopold III demeure à Laeken, en principe sans activités politiques, mais tentant plusieurs projets avec les forces politiques, sociales et intellectuelles restées au pays, rencontrant Hitler avec qui il souhaite publier un communiqué commun ce que le chef allemand refuse. Pour certains prisonniers wallons la captivité pourra être très rude psychologiquement, mais physiquement supportable sauf lorsque, comme pour le CSLR Ferdinand Fontaine, tombe une condamnation (pour insubordination), à être envoyé à un camp de punis comme ce fut son cas début 44. Il fut interné à Graudenz (forteresse allemande au nord de la Pologne actuelle sur la gauche de la Vistule et qui se dit maintenant Griudzatz), dont Pierre Gascar a pu écrire: «Le régime dans la forteressse de Graudenz comme dans ses filiales, est à peu près le même que dans les camps de concentration. La nourriture quotidienne consiste en 200 grammes de pain et une écuelle de soupe claire. Les prisonniers n’ont pas le droit de recevoir des colis individuels et les vivres de la Croix-Rouge ne sont pas distribués (Quelques distributions espacées auront lieu à partir de 1943). Le courrier se réduit le plus souvent à une seule lettre par mois.»29 Après avoir effectué durant toute l’année 44 de lourds travaux de terrassements, Ferdinand Fontaine, alors à Blechhammer, à 30 km d’Auschwitz, est emmené par les Allemands 500 km en arrière devant l’avance des troupes russes, une marche qui durera un petit mois (21 janvier/17 février), sous la neige et le vent, par des t° qui peuvent descendre jusqu’à – 30°. Le 17 février 1945, il parvient à Pirna (près de Dresde) et à partir de là son régime s’adoucit. Mais ses compagnons et un médecin français diagnostiquent un état général extrêmement mauvais, tant sur le plan physique que psychologique, caractérisé par un oedème de carence, symptôme de dénutrition. Et c’est dans les environs de Dresde qu’il sera libéré par les Russes, le lendemain de la capitulation allemande, le 9 mai. Les quelques lignes que j’ai voulu écrire ci-dessus se veulent un geste de fidélité au souvenir de mon père, mort il y a près de quarante ans, qui – combat et captivité – ne me dit jamais rien de tout ceci (ou quasiment): fait courant qui attise le désir de savoir.

Et un hommage à l’engagement des régiments wallons sur la Lys qui préfigure la Résistance en Wallonie, cette Résistance qui, chez nous – ou ailleurs – est la plus belle page de toute l’histoire humaine.
On se reportera à l’article Régiments flamands et wallons en mai 1940 qui revoit toute l’étude ci-dessus d’une manière plus large, complète et achevée.

1. Hervé Hasquin, Historiographie et politique en Belgique, Editions de l’ULB et IJD, Bruxelles-Charleroi, 1996, p.203, note 46.
2. Francis Balace dans Histoire de la Wallonie, Privat Toulouse, p.297.
3. Henri Bernard, Panorama d’une défaite, Duculot, Gembloux, 1984.
4. Paul Berben et Bernard Isselin, Les panzers passent la Meuse, Laffont, Paris, 1967.
5. Archives familiales, notamment une lettre de F.Fontaine du 31 mai 1940 datée de Saint-Trond et parvenue à sa fiancée fin août 1940.
6. Colonel BEM, A. Massart, Historique du 13e de Ligne, Centre de documentation historique des forces armées, Bruxelles, 1982, voir le Croquis XI, p. 362.
7. Agenda 1940 de F.Fontaine et A.Massart, op. cit.
8. Les Panzers pasent la Meuse, op.cit.
9. A.Massart, op. cit. Ferdinand Fontaine fit cette retraite en camion comme il l’indique dans sa lettre du 31 mai 1940.
10. Henri Bernard, Panorama d’une défaite, p. carte n° 5, p. 121. De Fabribeckers, La campagne de l’armée belge en 1940, Rossel, Bruxelles, 1978, carte n°12. Une carte qui figure les positions du 23 mai est consultable aussi sur le site flamand : http://users.pandora.be/Historia_Belgica/leieslag.htm.
11. Cette défection est signalée par Hervé Hasquin qui ne parle que d’un bataillon (op.cit. p.203), par Jo Gérard-Libois et Jo Gotovitch, L’an 40, CRISP, 1970, p. 97. parle d’un régiment (le 15e de Ligne). Henri Bernard, Panorama d’une défaite, Duculot, Gembloux, 1984 note 7, p. 94, accuse « deux régiments » de Ligne de cette Division. Des défections graves eurent lieu aussi sur le Canal Albert et dans la défense de Gand impliquant deux divisions, la 16e et la 18e Division de Ligne. Le général van Overstraten dans Léopold III prisonnier, Didier-Hattier, Bruxelles, 1986 accuse non seulement le 15e de Ligne mais aussi le 7e et le 11e de Ligne de la 4e Division (p. 27). Il met aussi en cause des unités combattant sur le canal de la dérivation qui prolonge la Lys et la ligne de la défense de la Lys vers le nord puis vers la mer et estime que les Allemands ont choisi d’attaquer en des points où ils pouvaient compter sur des sympathisant flamands (voyez p.36), comme à Zommergem (la 12e Division), au sud d’Eekloo sur le canal de la dérivation. Les défections, en particuliers de certains régiments flamands, ne sont pas douteuses.
12. Henri Bernard, op.cit.
13. A.Massart, op. cit., p.129.
14. A. Massart, p. 135, croquis XI et XVI
15. A. Massart, pp. 139 et suivantes. Les archives familiales permettent de dire que le le CSLR F.Fontaine servait dans la 1ère Compagnie et la lettre du 31 mai 1940 (j’ai été fait prisonnier «le long de la Lys à Wielsbeke»), indiquent qu’il combattait dans le peloton commandé par l’adjudant Lambert.
16. Le fait que le peloton de F.Fontaine ait été pris à revers est une information qui est attestée par la tradition familiale, mais confortée par le récit de Frans Taelman ancien professeur à l’Institut supérieur pédagogique de Courtrai dans son article Mei 1940 : de eerste Duitsers in Sint-Baafs-Vijve, in Leie Sprokkels, Jaarboek 1991, édité par le Juliaan Claerhout-kring, Wielsbeke, 1991, pp.103. Taelman explique que dans le parc d’Enghien, derrière les positions du peloton Lambert, dans l’un des premiers coudes de la Waterstraat, il a aperçu soudain (il voyage en vélo le lendemain des combats soit le 27 mai), «enkele gesneuvelede Belgische soldaten liggen», quelques cadavres de soldats belges et explique (ce qui nous paraît logique) que « Hun dekkingsposten waren naar het zuiden, naar de Leie, gericht en de vijand was uit het westen opgedoke.» : «Leurs positions étaient orientées vers le sud et vers la Lys et l’ennemi surgit de l’ouest » (c’est-à-dire du Parc de Wielsbeke et sur les arrières du peloton de l’adjudant Lambert).
17. Lettre de F.Fontaine du 31 mai 1940, déjà citée.
18. A.Massart, op. cit.
19. A. Massart, op. cit., p.141. Philippe Destatte, Ceux-ci se sont battus vaillamment, pp. 9-16 in Les combatants de 40, Hommage de la Wallonie aux prisonniers de guerre, IJD, Namur, 1995, p. 13. Voir aussi de Fabribeckers, op. cit.
20. Philippe Destatte, op. cit. pp. 13-14.
21. Ibidem pour ce chiffre.
22. Henri Bernard, Panorama d’une défaite, pp. 117-123.
23. Ibidem, p. 99.
24. Ibidem, p. 155.
25. Ibidem, p. 153.
26. Ibidem, p. 47, Bonhoeffer était un théologien protestant qui mourra dans les geôles nazies.
27. Ibidem pp. 90-91.
28. Marie-Christine Martens, Mei 1940, de zware beproeving, in Leie Sprokkels, Jaarboek 1991, pp. 51-82. Je traduis ainsi la phrase : «Si nos soldats avaient su qu’avec deux pauvres divisions, ils allaient devoir recevoir les coups de massue de cinq divisions allemandes marchant avec l’ivresse de la victoire, leur courage se serait enfoncé dans leurs souliers.»
29. Pierre Gascar, L’histoire de la captivité des Français en Allemagne, 1939-1945, Gallimard, Paris 1967, cité par Jean-Chlarles Lheureux, Graudenz la forteresse de la mort lente, UIPFGA, Capendu, 1985. Préface de Jacques Chaban-Delmas.

http://www.larevuetoudi.org/fr/story/un-soldat-wallon-%C3%A0-la-bataille-de-la-lys-2327-mai-1940

 

 

Régiments flamands et wallons en mai 1940
José Fontaine
Toudi mensuel n°70, janvier-février-mars 2006
http://www.larevuetoudi.org/de/node/252

Histoire de Belgique et de Wallonie

Un événement qui n’est pas raconté n’a pas eu lieu (Hannah Arendt)

Léopold III et Albert Ier [...] s’en tiennent strictement à l’idée que les devoirs de la Belgique l’obligent non à se survivre comme telle, mais à s’acquitter de ses devoirs envers ses garants, devoirs considérés comme limités à la défense militaire de son territoire, dans le sens le plus étroit du terme. Il faut d’ailleurs noter que, dans les deux cas, cette interprétation limitée de l’indépendance nationale ne concordait pas avec les réactions d’une partie importante de l’opinion publique. (Robert Devleeshouwer, Critique Politique, 1979)

Il y a la mémoire qui accuse. Celle qui veut rétablir la vérité, mais n’est pas vengeresse. (L’histoire est à nous, Rossignol, 2005)

Les deux guerres mondiales ont à ce point marqué l’Europe qu’elles continuent à déterminer son destin et le destin de ses nations. Il ne faut pas non plus oublier qu’en ce qui nous concerne, les deux guerres ont très profondément déchiré l’histoire de la Belgique.

« Très profondément » parce que la monarchie a voulu deux fois diriger l’effort de la nation en guerre en prenant le commandement de son armée. L’affaire royale consécutive à la capitulation de mai 1940 marque en un sens tout notre 20e siècle. Certes, Léopold III a abdiqué en juillet 1951. Mais il a conservé quelques parts de pouvoir dans l’ombre de son fils, au moins jusqu’en 1961, année durant laquelle il est encore dans l’entourage de Baudouin Ier qui trempe dans l’assassinat de Lumumba1. Le silence auquel s’étaient engagés les partis politiques après l’insurrection wallonne de 1950 dure au moins jusqu’en 1975, année durant laquelle Jean Duvieusart, Premier Ministre lors des événements les plus graves de notre histoire intérieure, publie une série de notes compilées sur sa présence à la tête du gouvernement durant les troubles2.

La BRT lance une série d’émissions De Nieuwe Orde en 1982. A travers une interview de Robert Poulet diffusée en avril, Léopold III est mis en cause. Il écrit alors au Premier Ministre pour lui demander si l’accord pour ne pas rallumer les polémiques sur l’affaire, accord signé en 1950 par les partis politiques, tient toujours. Le Premier Ministre lui en donne acte. Il y a eu une petite crise politique. Un journaliste de la RTBF demanda à Francis Delpérée si l’émission de la BRT était « légale » (sic). La publication du livre posthume de Léopold III Pour l’histoire ne clôture pas les polémiques même si, à la télévision, beaucoup d’historiens plaident en faveur de la sagesse des hommes politiques capables d’éviter le pire à la fin du mois de juillet 19503. Même si la Belgique se défait, même si la monarchie a perdu bien de son influence depuis la mort de Baudouin Ier la structuration de la nation belge autour de ses rois demeure un fait de longue durée capital.

Un premier point d’incandescence : le gouvernement wallon de 1950

En 1979, j’avais tenté de voir clair dans la tentative de former à Liège un gouvernement wallon provisoire en 1950 4. Il me semblait que cette tentative permettait de se saisir de certains éléments de la crise nationale belge en l’un de ses plus hauts points d’incandescence, instants où, intuitivement, nous sentons bien que les structures historiques et sociologiques profondes des nations se donnent à voir. Les études que j’ai pu faire sur ce thème ont été publiées en 1979 dans La Cité, en 1980 dans De Morgen. J’ai pu en témoigner à la BRT en 1982, émission qui a été traduite à la RTBF en 1984. Dans Les faces cachées de la monarchie belge (1991), André Schreurs m’a donné la permission de publier des écrits de son père qui attestent de la tentative séparatrice de juillet 1950. Enfin l’Encyclopédie du mouvement wallon parue en 2001 comporte un article intitulé Gouvernement wallon de 1950.5 Jusqu’à présent, c’est davantage le côté politique de l’affaire royale – la rupture de Wijnendaele, la réunion de Limoges, les activités du roi pendant la guerre bien révélées par Velaers et Van Goethem6, la rupture de l’opinion de gauche avec Léopold III dès 1945, bien sûr aggravée en juillet 1950 – qui avait retenu mon attention.

Un deuxième point d’incandescence : les régiments flamands de mai 40

Le simple fait de travailler sur la vie de mon père m’a amené à tenter de comprendre les combats très courts sur la Lys auxquels il a été mêlé du 23 au 26 mai. De là, j’ai tenté d’y voir un peu plus clair sur la bataille de la Lys. Philippe Destatte a mis en évidence en 1995 et en 1997 la vaillance des régiments wallons et s’est étendu quelque peu sur certaines défections de régiments flamands7. Il note aussi, en 1997, qu’il n’y a pas d’étude d’ensemble du comportement des différents régiments durant la courte campagne de mai 1940. C’est peut-être cela qui m’a amené à chercher de plus en plus passionnément la manière d’en réaliser une. Je me contenterai dans le texte qui va suivre de synthétiser le comportement de l’infanterie des grandes divisions de cette arme du 10 au 28 mai. De cette analyse que j’ai pu réaliser en lisant une grande partie de la littérature la plus conformément belge sur les dix-huit jours, je conclus qu’une majorité des divisions flamandes a fait défection ou, du moins, manqué gravement de combativité. Ce sont ces défections qui ont été à l’origine de la capitulation du 28 mai 1940 ou à tout le moins du caractère hâtif de cette capitulation qui découvrait les armées alliées en train de tenter le rembarquement de Dunkerque. Ces faits ne sont nullement niés par la littérature historique la plus conforme et même par des documents approuvés par Léopold III : « dans les dernières heures, des unités se rendirent à l’ennemi sans ordre… »8 Pourtant dans toute la discussion sur l’affaire royale, il n’est que peu question de l’aspect militaire de la controverse. A vrai dire, depuis mai 1940, soit en 66 ans, si, à maintes reprises, en ordre dispersé, dans maints ouvrages (en fait : tous en parlent mais à mots couverts, en le repoussant dans les notes, en minimisant les choses (etc.) comme Jean Vanwelkenhuyzen9), il est question de ces défections, elles ne sont réellement traitées que dans un seul texte parmi tous ceux auxquels j’aie eu accès. Il y a en effet deux pages de la Revue des chasseurs ardennais signée par le Commandant Hautecler dans son premier numéro de 1980 Le manque de combativité des régiments flamands. En 2001 encore, Serge Moureaux (Léopold III, la tentation autoritaire, Luc Pire, Bruxelles, 2002), expliquait la difficulté d’y voir clair en cette période de notre histoire pourtant si cruciale, nous essayerons aussi de dire pourquoi.

Première réponse brève à deux objections

Avant d’en venir aux faits que nous voudrions traiter ici, je voudrais prévenir plusieurs objections.

Il n’entre nullement dans mes intentions d’aborder ce sujet délicat pour mettre en balance le « courage » des soldats wallons et la « lâcheté » des soldats flamands.

La capitulation de mai 1940 a souvent été justifiée par des raisons humanitaires ou pacifistes : Léopold III aurait songé à « épargner » le sang de ses soldats « à l’exemple de son père ». A cela il faut répondre que l’intention royale (si elle est celle qu’on dit !) procède d’une vision moins pacifiste ou « humanitaire » qu’égoïste ou nationaliste : elle reporte sur d’autres que nous la nécessité de combattre l’hitlérisme et elle est une sorte d’insulte aux 14.000 résistants fusillés et tués, principalement wallons. En plus, il n’est pas si évident que cela que ce roi ou son père aient été si soucieux « d’épargner la vie de leurs soldats » : les morts dans l’armée anglaise de 1914-1918 sont équivalents à ceux de l’armée belge (10% des mobilisés), ceux des armées allemande et française ont des pertes supérieures (15 et 17%). Il suffit de consulter à ,cet égard l’Encyclopédie de la Grande Guerre. Quel démenti simple à l’idée d’un Albert Ier soucieux d’épargner le sang de ses soldats !

La question de l’influence de ces défections sur les événements est à discuter. José Gotovitch et Jo-Gérard-Libois (L’an 40, Crisp, Bruxelles, 1970, p.97) estiment qu’ils n’ont eu aucune influence, estimant inévitable la défaite, notamment à cause de la supériorité technique de l’armée allemande – ce qu’Eric Simon conteste dans cette même revue. En outre, si la défection des régiments flamands pourrait ne pas avoir eu d’influence sur la bataille de mai 40 à l’ouest, cette défection a déterminé aux dernières heures si cruciales, la conduite de la guerre en Belgique. Et même si ce n’était pas le cas (mais nous pensons que si !), le comportement de ces régiments mérite d’être interrogé dans la perspective de la question nationale en Belgique.

Une question cruciale

Les Wallons sont dans un rapport assez faux à leur propre histoire, leur mémoire, leur identité. On pourrait dire que l’histoire à travers laquelle on juge souvent de l’actualité dans notre pays, est l’histoire des injustices commises à l’égard de la Flandre sur le plan culturel ou linguistique. Combien de fois n’entend-on pas dire que les Wallons auraient dû « accepter » le bilinguisme en 1932 ou que seuls les Flamands font « l’effort » de connaître « les deux langues » ? Il a même pu arriver que le Plan Marshall de redressement wallon soit jugé à l’aune de sa crédibilité en Flandre. Encore tout récemment Francis Van De Woestijne, dans La Libre Belgique du 6 février 2006, p.21 pense que le redressement wallon a comme tâche de « freiner les ardeurs séparatistes » de la Flandre ! Ce qui voudrait dire que si les tendances séparatistes n’existaient pas, les chômeurs wallons n’auraient plus qu’à subir leur sort ? Dont d’ailleurs, une certaine Flandre se délecta de les rendre longtemps coupables, par vaine revanche ? Que des journaux francophones obéissent à cette logique stupéfie.

Ces façons de présenter les choses sont dommageables, parce qu’elles n’instruisent qu’à charge en ce qui concerne les Wallons. On pourrait montrer que des indices sérieux existent du fait que les Wallons ont pu penser que le vote de la loi imposant l’unilinguisme en Flandre en 1921 (obtenue par un vote Flamands/Wallons), était aussi, quelle que soit la légitimité du combat flamand, une manière de rompre un contrat national portant sur une langue commune que les Wallons ne possédaient pas tous (loin de là !), en 1830. La loi sur la flamandisation de l’armée en 1938 a pareillement été imposée par la loi du nombre10. Imposer l’unilinguisme en Flandre, la population la plus nombreuse, impliquait d’imposer aux Wallons la connaissance d’une autre langue encore que celle qu’ils s’efforçaient de parler, le français. Mais les Wallons ne parlaient pas encore tous le français, et beaucoup usaient d’une autre langue (le wallon), dont ils n’ont pas songé à imposer l’existence, ce à quoi ils ne seraient pas parvenus (Bovesse a tenté de légiférer à cet égard sans succès), pas plus que les Flamands ne seraient parvenus à le faire de leur côté s’ils avaient été, comme nous, minoritaires. Sur les champs de bataille, deux ans plus tard, le pacte, à notre sens, s’est bien plus gravement déchiré.
Une autre objection : histoire, guerre, paix

Il est clair que ces événements sont vieux de 66 ans. Mais il est clair aussi que, selon le mot d’Arendt, ces événements, jusqu’ici, n’ont pas existé parce qu’ils n’ont jamais été vraiment racontés. Kapferer a montré que la Guerre est l’épreuve à laquelle se mesure mieux la profondeur de l’angoisse humaine devant la Mort, non seulement la Mort individuelle, mais aussi la Mort collective. Il le montre à travers la fameuse rumeur dite du « cadavre dans l’auto » où se colportent ces histoires où l’on lit une sorte d’adhésion inconsciente de ceux qui les racontent à l’idée barbare du meurtre rituel. La voici. Un autostoppeur arrête une voiture sur la route d’Orléans à l’été 1938 et dit au conducteur qu’il peut lui donner la preuve qu’Hitler mourra à l’automne : l’automobiliste arrêté va rencontrer plus loin un accident, devoir charger un blessé pour l’emmener à l’hôpital. Quelques kilomètres plus loin, le blessé mourra dans l’auto. Ceux qui colportent cette rumeur précisent ensuite que tout se passe selon les dires de l’autostoppeur. La même histoire est racontée en Allemagne et partout. Avant 1914, il ne s’agit plus d’une voiture, mais d’une calèche.

Au fond de ce récit, il y a la structure et la réalité du sacrifice humain : le plus grand sacrifice à offrir aux dieux pour obtenir d’eux en échange, la faveur suprême : ici que la guerre n’ait pas lieu par supposition que la mort du Chef ennemi l’empêcherait. Cette rumeur mesure bien le profond désarroi face à la Guerre pour que l’esprit humain en arrive à régresser à ce point vers la religion la plus barbare, celle qui admet les sacrifices humains.Mettons-nous en tête que, dans des circonstances semblables, voir des personnes sur qui l’on comptait pour résister à la Mort, s’effondrer, voir trahir, a traumatisé l’opinion de Wallonie, indépendamment de l’héroïcité ou non des choses.

Le souvenir de 1914

John Horne et Alan Kramer ont parlé dans un livre, récemment traduit en français, du mythe des francs-tireurs en août 1914 dont rien ne fonde la réalité, mais dont toute l’armée allemande finit par se convaincre sincèrement, phénomène que les deux auteurs rapprochent de la Grande peur dans la France révolutionnaire. En moins d’un mois, avec leur peur à eux au ventre, les soldats de l’armée impériale, exécuteront dans une centaine de villes et villages en Wallonie (autant vaut dire : partout), plus de 5000 civils, dont des femmes, des enfants en bas âge et des vieillards. 15.000 maisons seront détruites, des villages et des villes (comme Dinant) rasés. Les atrocités débordent aussi sur la Flandre et la France, mais c’est la Wallonie qui – cela est peu souvent souligné – en subit l’essentiel (70% des 7000 morts civils et des 20.000 maisons détruites ou incendiées tous pays confondus, cela en quatre semaines, les massacres se poursuivant à un rythme plus lent en septembre et octobre).11

Cette peur s’enracine côté allemand, dans les souvenirs des francs-tireurs français de la guerre de 1870, dans la phobie conservatrice des insurrections populaires, idéologie du commandement de l’armée impériale. Et les massacres de 1914 déterminent l’un des phénomènes les plus troublants de mai 1940 : l’exode massif des populations civiles vers la France, entraînant des millions d’hommes et de femmes vers la Méditerranée. J’avoue que, né pourtant après la guerre, conscient de l’obligation des hommes à y aller, j’étais persuadé, avec l’inconscience historique des petits enfants, que je devrais moi aussi me plier à cette épreuve où l’on affronte la Mort. Il se fait que scolarisé à Dinant – 674 civils massacrés, avec un grand-père paternel à Jemappes – 10 civils fusillés – et à Nimy – 13 civils fusillés mais aussi des simulacres d’exécutions auxquels fut soumis mon grand-père -, j’ai cru aussi à cette inéluctabilité de la guerre broyeuse de civils innocents, croyance en partie fondée, puisque en 1914 toute la Wallonie souffrit des exactions (une centaine de localités – dont la plupart des grandes villes – réparties sur l’ensemble du territoire). Ce fut, je crois, ma première angoisse de la Mort. La gravité des défections flamandes doit se lire dans ce contexte. De nombreux officiers et soldats wallons en eurent conscience. J’avoue que, jusqu’ici, tout en sachant ces défections, je ne m’imaginais pas leur ampleur, me sentant incapable de croire à des événements aussi graves, partageant le scepticisme de maints contemporains à l’égard de ces faits semblant sortir de l’imagination wallingante de François Simon au Congrès national wallon de 1945. Et pourtant…

Mais revoyons bien ceci : l’événement n’ayant quasiment pas été raconté n’existe pas. N’existant pas au niveau de la conscience claire, il demeure cependant présent dans une sorte d’inconscient collectif qui, avec mille autres facteurs (les prisonniers, la Résistance etc.), détermine sans doute l’âpreté des événements de juillet 1950. Des événements qui sont eux-mêmes ensuite censurés. Il est peut-être donc temps d’essayer de sortir tout cela de l’ombre où se débat et s’asphyxie peu à peu notre mémoire collective. Nous n’avons même pas la possibilité d’avoir une histoire nationale (wallonne), autocritique puisque nous n’en avons pas. Ou peu. Comment nouer de vrais rapports avec les Flamands si gisent au fond de nous tant de reproches non formulés sur des événements dont le fil conducteur court jusqu’à aujourd’hui?
Composition des divisions d’infanterie le 10 mai 1940

Pour simplifier l’exposé, nous mettrons ici l’accent sur les divisions d’infanterie, signalant éventuellement l’intervention d’autres armes. Francis Balace qui ne nie pas les défections flamandes de l’infanterie ni leur gravité, souligne qu’un grand nombre de régiments d’artillerie divisionnaire étaient des régiments flamands et que l’artillerie a joué un rôle important dans la campagne des 18 jours de même que les deux Divisions de cavalerie comprenant tant des régiments wallons que flamands. C’est une nuance importante que nous tenons à souligner avant de commencer.

Une division est composée de trois régiments d’environ 4000 hommes, d’un régiment d’artillerie et d’un bataillon du génie, soit 17.000 hommes. Les régiments d’artillerie sont en général des régiments flamands et l’artillerie a joué le rôle que nous venons de dire. Avec ces 20 divisions et les deux divisions de cavalerie, nous avons à peu près les deux tiers de l’armée belge, soit un peu moins de 400.000 hommes sur les 600.000 hommes de 1940. Il existe aussi des troupes d’armée, artillerie ou génie, l’aviation, la marine, les régiments wallons d’artillerie de forteresse dans les forts de Liège et de Namur, les Unités spéciales de défense de forteresse (USF), à Liège, Namur et Anvers les régiments légers (gendarmerie), la DTCA (Défense terrestre contre aéronefs), les régiments cyclistes, d’autres troupes. Les régiments wallons de forteresse combattront vaillamment, parfois même au-delà de la capitulation.

Sur les 20 Divisions d’infanterie, neuf sont uniquement composées de régiments flamands : 1ère DI, 2e DI, 4e DI, 11e DI, 12e DI, 13e DI, 14e DI, 16e DI.

Trois autres sont composées de deux régiments flamands et d’un régiment wallon : la 6e DI, la 7e DI, la 18e DI. La 6e DI est constituée par le 1er Grenadiers et le 9e de Ligne (flamands) et le 1er Carabiniers (wallon), la 7e DI est constituée des 2e Grenadiers et 18e de Ligne (flamand), du 2e Carabiniers (wallon), la 18e DI des 3e Grenadiers et 39e de Ligne (flamands), et du 3e Carabiniers (wallon).

Les huit divisions wallonnes sont la 3e DI, la 5e DI, la 8e DI, la 10e DI, la 15e DI, la 17e DI, la 1ère et la 2e Division de Chasseurs ardennais (Cha). Pour résumer d’une autre façon: 12 divisions flamandes (dont 3 avec un régiment wallon soit l’équivalent de 11 divisions), huit divisions wallonnes (+ l’équivalent d’une division). Ou encore, dans l’infanterie : 33 régiments flamands, 27 régiments wallons.
1ère DI+2e DI+ 4e DI + 11e DI+12eDI +13eDI +14eDI +16eDI Neuf Divisions flamandes
6e DI + 7e DI + 18e DI Trois Divisions flamandes avec 1 régiment wallon sur les 3
3e DI+5eDI+8eDI+10eDI+15eDI+17eDI+1ère+2eDCha Huit Divisions wallonnes

Les Divisions numérotées de 1 à 6 sont des Divisions de soldats professionnels (« d’active »), les Divisions de 7 à 12 sont des Divisions dites de première réserve, les Divisions de 13 à 18 sont des divisions de deuxième réserve, moins bien équipées, dont la formation militaire est moins bonne, dont les soldats appartiennent à des classes plus anciennes. Les deux Divisions restantes sont les Divisions de chasseurs ardennais dont la 1ère est motorisée et dont le fonctionnement diffère quelque peu des autres divisions. Les chasseurs ardennais feront preuve d’une extraordinaire combativité du début à la fin de la campagne.12

Position de ces divisions le 9 mai au soir

Le 10 mai la position de ces Divisions d’infanterie est la suivante : la 17e DI, la 13e DI, la 12e DI, la 15e DI, la 9e DI, la 6e DI, la 14e DI, la 1ère DI, la 4e DI, la 7e DI, la 3e DI – soit 11 Divisions – sont en position derrière le Canal Albert et du Canal antichars d’Anvers (au sud de ceux-ci) et s’échelonnent dans cet ordre d’Anvers à Liège.

Il y a deux autre Divisions en position au nord du Canal Albert, l’une à l’est d’Anvers (la 18e DI), l’autre au nord d’Hasselt (la 11e DI).
Trois autres divisions sont en position à l’ouest de Gand (16e DI), à l’ouest de Bruxelles (5e DI) et l’est (10e DI) de Bruxelles.
Trois au sud de Liège : entre l’Ourthe et la Meuse (2e DI), entre la Méhaigne et la Meuse ou entre Andenne et Namur (la 2e Cha), à Namur (la 8e DI).
Une division stationne tout au long de la frontière avec le Grand-Duché, la 1èreDivision de Chasseurs ardennais13.

Pour le résumer encore sommairement, 13 divisions sont à la garde du Canal Albert (et Canal antichars d’Anvers),
17 DI + 13 DI + 12 DI + 15 DI + 9 DI + 6 DI + 14 DI + 1 DI + 4 DI + 7 DI + 3 DI + 18 DI + 11 DI
trois à l’intérieur du pays entre Gand, Bruxelles et Louvain :
16 DI + 5 DI + 10 DI
trois entre Liège et Namur et à Namur
2 DI + 2Cha + 8DI
une à l’ouest du Grand-Duché de Luxembourg (au long de toute sa frontière)
1 Cha

Combats du 10 mai, première défection d’une division flamande

Le 10 mai au matin l’armée allemande attaque les positions belges sur le Canal Albert et à Eben -Emael. Ce fort réputé imprenable est détruit par des soldats allemands parvenus en planeurs sur sa superstructure et qui le font sauter en y introduisant des charges creuses : il se rend le 11 mai. La 7e DI qui occupe des positions de part et d’autre du fort est en grande partie détruite : le 2e Grenadiers, par exemple, régiment flamand est pratiquement anéanti, son chef le Colonel Herbiet est capturé. Dix officiers sont tués dont deux chefs de bataillon, en tout 207 soldats. Le reste est capturé ou blessé, seuls 600 hommes peuvent être évacués vers la France. Le régiment flamand du 18e de Ligne subit un sort aussi sévère de même que le 2eCarabiniers, régiment wallon. Ensemble, les trois régiments ont 7000 prisonniers, des morts, des blessés : la 7e DI a quasiment disparu. Nous suivons ici principalement Eric Simon dans Le rapport des forces entre la Heer et l’Armée belge en, mai 1940, mais aussi quelques autres ouvrages outre ceux déjà cités (Bernard, Michiels, de Fabriebeckers etc.)14

Il faut distinguer cet anéantissement de la 7e DI de celui de la 14e DI flamande dont 5.000 hommes se rendent à Paal le 13 mai lors du retrait vers la ligne KW, le reste étant jugé inapte au combat et parqué sur l’Yser. Eric Simon explique cette première reddition de troupes flamandes par un retrait trop rapide de la 6e DI, mais considère cette reddition comme différente d’autres captures et par exemple de celles de la 7eDI. D’autres auteurs (Bernard, Michiels) sont tout aussi sévères à l’égard de la conduite ou de la valeur de cette 14e DI flamande.

Face au Luxembourg, l’opération de planeurs allemands à Nives et Witry permet de faire quelques prisonniers dans les deux divisions ardennaises (des permissionnaires), mais empêche aussi que l’ordre de repli touche les compagnies ardennaises stationnées à Bodange et Chabrehez qui, sans artillerie, sans armes anti-chars vont arrêter très longuement, avec quelques dizaines d’hommes, 4 Divisions blindées allemandes. La Compagnie du Commandant Bricart à Bodange tiendra pendant huit heures et il faudra trois bataillons allemands soit 3.000 hommes plus un groupe d’artillerie pour la réduire. Les combats de Bodange et Chabrehez confirment le sentiment d’Eric Simon sur la prétendue supériorité de l’armée allemande en 1940. Si quelques dizaines d’hommes ont arrêté l’un des principaux efforts allemands qui allait être décisif sur la bataille à l’ouest (les 4 Divisions blindées franchissent la Meuse les 13 et 14 mai à Sedan annonçant la défaite française), qu’aurait accompli la 1ère Division ardennaise toute entière avec sa mobilité, son artillerie, ses armes antichars ? Or la vitesse de la progression des quatre divisions allemandes traversant le Luxembourg a déterminé l’effondrement français de Sedan. Certes l’usage des planeurs et des parachutistes à Eben-Emael et aux ponts de Vroenhoven et Veldvezelt a donné à bien des combattants l’impression inverse d’une invincibilité de l’armée allemande, non sans raisons, mais des raisons qui à notre sens n’infirment cependant pas la thèse d’Eric Simon.15

Retrait sur la ligne KW

Les régiments en place sur le canal Albert vont donc se retirer progressivement derrière la principale ligne de défense, la fameuse ligne KW (Koningshoyckt-Louvain-Wavre – Koningshoyckt est un village près de Lierre soit à une bonne dizaine de km d’Anvers). Luc Devos écrit : « La ligne KW avait rendu à l’armée belge la confiance que beaucoup d’unités avaient perdue après la percée rapide du canal Albert. Flanquées par les armées alliées et protégées par d’excellentes formations d’artillerie, les troupes étaient prêtes, au matin du 16 mai, à s’opposer à une attaque allemande massive. Mais celle-ci ne se produisit pas ; au lieu de cela, les soldats eurent à entendre qu’ils devaient quitter leurs positions et se retirer vers l’ouest… »16 Sur la ligne KW elle-même, les Anglais combattaient aux côtés de l’armée belge, et au nord de Wavre, entre cette ville et Namur, les Français. Dès le 15 au soir, cependant, les troupes belges stationnées dans la Position fortifiée de Namur (PFN), qui y avaient été rejointes par les troupes de la Position Fortifiée de Liège (PFL), déjà abandonnée, durent à leur tour l’abandonner, les Allemands ayant franchi la Meuse avec l’infanterie puis les blindés au sud de Namur, à Houx, Leffe et Dinant ainsi que plus au sud encore à Sedan. Cette brèche dans le front français ne pouvait plus être colmatée. Comme les divisions stationnées derrière la ligne KW, les troupes belges stationnées à Namur durent faire mouvement vers la ligne Canal de Terneuzen—Gand—Escaut en amont de Gand (soit vers Audenarde). La rupture du font français à Dinant et Sedan donna à maintes personnes le sentiment que la bataille de France était perdue, les blindés allemands se ruant vers la mer (qu’ils atteindraient le 20 mai coupant ainsi les troupes alliées du Nord des troupes alliées du sud). Ces deux replis successifs (du Canal Albert à la ligne KW puis de celle-ci à la position « Escaut »), allaient affaiblir les soldats contraints à de longues marches et entraîner de lourdes pertes de matériels ou une grande fatigue notamment pour les 4e DI et 2e DI flamandes, mais aussi pour les régiments wallons venant de Namur vers la position « Escaut ». « Le 20 mai » écrit Luc Devos « après dix jours de guerre, l’armée belge s’était entièrement retirée derrière l’Escaut de Gand à Audenarde et le canal Gand-Terneuzen. Des grandes villes belges, seules Gand et Bruges n’étaient pas encore occupées. »17

Sur la Lys et le canal de la dérivation : quatre autres défections flamandes

croqui10
Légende: Lille/Calais est tenu par les Alliés (voir la carte + haut.). La ligne Menin-Courtrai-Deinze (Deynse sur la carte)-Ecklo (Eecloo)-Mer du Nord, par l’armée belge, sur la Lys puis le canal de la dérivation, puis au Nord par des divisions de cavalerie plus au nord et à l’est du canal Léopold II. L’armée belge est composée de D.I. (divisions d’infanterie et leur numéro), de Ch.A.( deux divisions de chasseurs ardennais et leur numéro), des divisions de cavalerie à l’est du canal Léopold II.

Le 21 mai, lors d’une conférence entre les chefs des armées alliées, il fut question de retirer l’armée belge sur l’Yser. Mais finalement elle s’établit pour une bataille d’arrêt derrière la Lys et le Canal de la Dérivation, formant de Menin à Heist sur le littoral flamand, un arc de cercle d’environ 90 km. Durant le retrait de la position, « Escaut » , le 23 mai, de nombreux soldats de la 13e DI flamande se rendent en masse. Cette grande unité ne sera quasiment plus alignée. Elle disparaît ce jour-là comme unité combattante puisqu’elle ne sera plus vraiment mise en contact avec l’ennemi par le commandement18. Le 23 mai, à Gand, sous la pression de la population, d’étranges événements se produisent qui voient certaines avant-gardes allemandes pénétrer jusqu’au cœur de la ville. La population fait pression sur les troupes de la 16e DI et de la 18e DI pour se rendre. La 16e DI se composent de trois régiments flamands, le 37e de Ligne, le 41e de Ligne et le 44e de Ligne. Les trois-quarts du 41e de Ligne se rendent aux Allemands (soit environ trois mille hommes), le 44e de Ligne semble demeurer plus consistant et sera remis en ligne plus tard. Le 37e de Ligne est submergé dans des combats cette journée-là et ce régiment de faible combativité ne réapparaîtra plus. La 18e DI est composée du 3e Carabiniers (régiment wallon), dont certains éléments sont désarmés également, du 3e Grenadiers et du 39e de Ligne (régiments flamands). On ne voit plus guère apparaître le 3e Grenadiers après le 23 mai. Les auteurs (Bernard, Taghon), parlent de 8 à 10.000 prisonniers dans les rues de Gand. Eric Simon (toujours dans Le rapport des forces entre la Heer et l’Armée belge…), évalue le nombre de soldats de la reddition massive des régiments de la 16e DI, des 39e de Ligne et 3e C (mais ne cite pas le 3e Grenadiers), à 6.000 hommes, mais ne dit rien de la 18e DI. Disons qu’en présence de ces chiffres divers, on a le sentiment qu’après la défection des régiments flamands de la 14e DI, de la 13e DI, on assiste à nouveau à des redditions en masse de régiments flamands (ou de parties de ceux-ci), qui nous semblent quasiment équivaloir aux effectifs d’une Division, de plus de deux régiments au minimum. De toute façon, il ne sera plus désormais question dans les combats ni de la 14e DI, ni de la 13e DI ni vraiment de la 16e DI, un peu plus de la 18e DI. A noter que les archives de lieutenant André Deplanque, que nous publions à la suite de cet article donnent aussi une version de cette reddition de Gand.19

La reddition en masse la plus grave se produit deux jours plus tard, le 25 mai, dans le secteur de la 4e DI composée des 7e, 11e et 15e de Ligne face à Deinze sur le canal de la dérivation en prolongement de la Lys. Henri Bernard et le Général Van Overstraeten expliquent que la reddition du 15e de Ligne a entraîné pratiquement celle du 11e de Ligne et même celle du 7e de Ligne. Eric Simon évalue à 7.000 les prisonniers résultant de cette reddition en masse, mais ce sont 7000 soldats sur les 12.000 fantassins que compte une Division d’Infanterie20. Félicien Rousseaux dans Ma deuxième guerre, éditions de Belgique, 1941, témoin contesté par JO Gérard-Libois et José Gotovitch, donne une version de cette reddition que ne contredit nullement la version de Van Overstraeten ni celle des témoignages consignés par André Delplanque. Sur la base de ces trois témoins (les officiers Rousseaux et Delplanque, le Conseiller militaire du roi), on peut avoir le sentiment que la 4e DI a disparu. Il est à noter aussi que lors de cette reddition, selon André Delplanque, un officier flamand et un officier wallon tirèrent en direction des soldats passant à l’ennemi, officiers ensuite abattus par les soldats flamands : Peter Taghon dans Mai 40, La campagne des dix-huit jours, Duculot, Paris et Louvain-la-neuve, 1989, pp.177-178 écrit ceci : « Le 15e de Ligne n’existe pratiquement plus. Le Cap-Cdt Locks veut encore déclencher une contre-attaque, avec sa 7e Cie, mais il est abattu ainsi que le lieutenant Mutsaert, dans des circonstances particulièrement suspectes. » Cette remarque nous semble confirmer la version du Lieutenant Delplanque, au moins en partie.

Bilan au 25 mai, nouvelles défections

On peut donc considérer qu’avec la disparition quasi complète de cette division, nous avons ce 25 mai, sur les 20 divisions d’infanterie que compte l’armée belge, 4 Divisions flamandes (14e, 13e, 16e et 4e Division), qui ont fait défection ou qui ne combattront plus par inaptitude. Le 26 mai, lors d’une attaque plus au nord sur le canal de la dérivation, 2000 hommes du 23e de Ligne de la 12e DI vont se rendre massivement (Eric Simon Le rapport des forces… op.cit. ). Et, dans les heures qui suivent, les autres régiments de cette division vont se débander de telle façon (déserter la nuit notamment), que le chef de l’EMG considère que le 27 mai, la 12e DI « n’a pratiquement plus d’infanterie » (O.Michiels op. cit. p. 235 ).

Dès le 25 mai des éléments du 16e de Ligne de la 9e DI vont se rendre sans combattre selon le Colonel Massart, qui parle d’une seule compagnie (la 5e du 16)21. Selon le témoignage du Lieutenant Delplanque que nous reproduisons en annexe de cet article, il s’agirait en fait de tout un bataillon dès le 25 mai. Par la suite (voir Oscar Michiels), le 16e de Ligne va s’effilocher au fur et à mesure que d’autres compagnies se rendent également. Le Commandant Hautecler (dans le numéro de la Revue des chasseurs ardennais, n° 1, 1980 déjà cité) estime qu’un autre régiment de cette 9e DI flamande – le 17e de Ligne – a fait preuve de peu de combativité. L’Historique de l’Armée belge écrit, pour le matin du 26 mai : « A la 9e DI, tôt dans la matinée, l’ennemi précédé de drapeaux blancs franchit en force le canal de la Mandel » (op. cit. p.140), ce qui laisse penser que ces soldats flamands, cette fois, ne se rendent certes pas, mais reculent sans combattre.

Au total on a donc vu se défaire par manque de combativité, inaptitude au combat ou « trahison » (au sens technique du vocabulaire militaire), 6 divisions flamandes sur les 9 divisions composées seulement de régiments flamands.

Ce sont les divisions flamandes suivantes : la 14e DI le 13 mai, la 13e DI le 23 mai, la 16e DI le 23 mai, la défection totale de la 4e DI le 25 mai, la débandade totale de la 12e DI les 26 et 27 mai, la débandade progressive de la 9e DI du 25 au 27 mai. Soit six divisions flamandes sur les neuf :

4e DI + 12e DI + 13e DI + 14e DI + 16e DI Six Divisions flamandes sur Neuf

A cela doivent s’ajouter les redditions partielles observées à Gand dans la 18e DI. Il faut rappeler en outre que deux divisions flamandes ont été détruites en combattant héroïquement : la 1ère DI et la 7e DI. Les régiments flamands de la 6e DI sont jugés peu combatifs par Eric Simon dans un article à paraître dans le Bulletin d’information du CLHAM en mars 2006.
L’armée du 27 mai : une infanterie belge devenue wallonne

Il reste donc en ligne le 27 mai au soir une division partiellement flamande en ordre (la 6e DI qui compte un régiment wallon), de même que deux autres divisions flamandes (2e et 11e DI). Plusieurs divisions wallonnes – certaines fortement usées – combattent toujours : les deux divisions de Chasseurs ardennais, la 5e DI de chasseurs à pied, la 10e DI de chasseurs à pied et 2 régiments de chasseurs à pied de la 17e DI, enfin la 15e DI. En outre, il demeure encore quelques éléments au combat de la 8e DI et même de la 3e DI, soit l’équivalent, pour l’infanterie en tout cas, de plus de 6 DI wallonnes et de moins de 3 DI flamandes. Compte non tenu d’autres unités que les unités des DI proprement dites, on a l’impression que lorsque Léopold III décide d’envoyer un parlementaire aux Allemands dans l’après-midi du 27 mai, il est à la tête d’une armée principalement wallonne. Car, tandis que la plupart des régiments wallons luttent encore, même s’ils sont en partie détruits pour certains, les 2/3 des fantassins flamands ne sont plus là, soit parce que leur unité a été détruite en combattant, soit parce qu’ils sont inaptes au combat, soit parce qu’ils se sont rendus massivement, soit parce qu’ils ne tirent plus tout en restant en ligne.
La défection des régiments flamands hâtent la capitulation belge, leur nature

La capitulation belge s’imposait-elle à la date où elle a eu lieu ? Beaucoup d’auteurs estiment que la continuation des combats était impossible comme le Général Michiels par exemple ou Jean Van Welkenhuyzen. D’autres comme Henri Bernard estiment qu’il y aurait eu lieu de se lier plus intimement aux alliés anglais et de se retirer sur l’Yser (d’ailleurs dès le 22 mai), que les Français et les Anglais tinrent encore 7 jours dans le réduit de Dunkerque. Le Général Wanty imagine une autre possibilité: « Peut-être l’initiative de la reddition aurait-elle pu être laissée aux commandants de la division ou du corps, voire de petites unités, et non pas être imposée en bloc à l’ensemble de l’armée par un acte solennel. L’impact psychologique et politique eût été bien moins défavorable au pays, avec des conséquences en chaîne incalculables. »22. Le Général Van Overstraeten pense lui qu’il aurait encore fallu tenir un jour encore au moins. On sait que le 27 encore, à Knesselaere, le 1er et 4e Régiment de Cyclistes (des régiments wallons, mais notre article ici ne visent que les 20 DI proprement dits), renforcés de quelques petites unités flamandes de cavalerie, infligèrent une défaite grave aux Allemands (plus de 100 prisonniers), de même que les Chasseurs ardennais à Vinkt (près de 200 morts allemands, plus de 1600 blessés).

Henri Bernard met en cause également les clauses de la capitulation qui prévoyaient en fait une série de conditions qui sont contraires à l’honneur militaire comme d’ouvrir les routes aux Allemands jusqu’à la mer et de livrer le matériel sans le détruire. Le soulagement des militaires à qui cette capitulation épargna la mort pose problème, car c’était reporter sur d’autres les sacrifices nécessaires pour vaincre l’hitlérisme. Mais il y a au fond de cette réaction tout l’esprit néfaste de la politique de neutralité, politique de repli sur soi, et d’une certaine couardise. En outre, le roi Léopold III a confié à son secrétaire particulier le Comte Capelle, à son Conseiller militaire Van Overstraeten , la démoralisation causée chez lui et à l’intérieur de l’Etat-Major de l’Armée par les défections de régiments flamands. C’est une des raisons avancées par Léopold III dans son livre blanc pour hâter la capitulation. Francis Balace écrit qu’elle repose sur la crainte que le roi avait que la conduite contrastée des régiments flamands et wallons ne pousse les Allemands à la même politique séparatiste qu’en mai 1940. « Ce qui est également important dans la pensée du roi » affirme-t-il « c’est de ne pas permettre à l’ennemi de tirer argument des défections de certaines unités, on aura compris qu’il s’agissait de certains bataillons de régiments flamands, pour mener une politique favorisant le séparatisme et niant le fait belge. »23 F.Balace, Fors l’honneur. Ombres et clartés sur la capitulation belge, in Jours de Guerre, t. 4, Jours de défaite, II, pp. 23-24, Crédit Communal, Bruxelles, 1991. Balace estime que Léopold III a décrit au Compte Capelle, non pas seulement la défection de petites unités, mais de régiments : « des régiments entiers se rendaient, l’armée belge devait demeurer dans l’ordre » (le Livre Blanc du secrétariat du roi Léopold III, déjà cité p.24, s’exprime presque de la même manière). Van Overstraeten décrit un Léopold III démoralisé dont la confiance a été sapée par les tergiversations des alliés, mais aussi « les défections d’unités flamandes ». (Van Overstraeten Dans L’étau, op. cit. p.350). La consultation de trois juristes Devèze, Pholien, Hayoit de Termicourt signale que « durant les dernières heures des unités se rendirent à l’ennemi sans ordre et que, hélas, certains officiers même manquèrent à leur devoir », termes que cite F.Balace, mais que l’on retrouve dans Le Livre blanc publié par Léopold III en 1946.

 

Autocensure, censure

Si par exemple, Hervé Hasquin a publié dès 198024 des chiffres chiffres globaux démontrant le manque de combativité des troupes flamandes, il n’en va pas de même d’autres auteurs. Par exemple, Jean Vanwelkenhuyzen dans Quand les chemins se séparent (op.cit.), cite des « notes inédites » du Comte Capelle rapportant que le roi lui avait dit : « Déclarer qu’il fallait se faire tuer jusqu’au dernier, c’est de la folie. Un soldat consent à mourir quand il est soutenu et quand son sacrifice peut servir le pays. Mais, dans les conditions indiquées, continuer à se battre c’eût été insensé : des régiments entiers se rendaient à l’ennemi. L’armée belge devait demeurer dans l’ordre, elle ne pouvait mourir dans la débandade. » Nous avons déjà parlé de son extrême discrétion dans le même ouvrage concernant les redditions de troupes flamandes dont « l’impression du moment » tend à exagérer la portée. Mais il y a aussi un autre aspect: censurer de tels événements (ou s’autocensurer à leur propos).

Il n’existe pas un seul texte un peu continu, prenant comme sujet le manque de combativité ou la reddition volontaire d’une bonne moitié sinon même des fantassins flamande regroupés dans les 20 DI (ni ouvrage ni article, sauf un seul à notre connaissance, celui de G.Hautecler en 1980, 2 pages dans la Revue des chasseurs ardennais).

La question de savoir s’il s’agit de simples bataillons ou de régiments est oiseuse. La reddition en masse de trois bataillons sur les 4 du 41e de Ligne à Gand, le 23 mai, ne constitue pas effectivement « un régiment entier », mais c’est presque cela. De même le nombre de soldats désarmés à Gand la même journée et que Peter Taghon évalue à 8 ou 10.000, c’est celui équivalent à la composition de 2 ou 3 régiments d’infanterie au moins. Le passage à l’ennemi du 15e de Ligne le 25 mai au matin est bien celui d’un « régiment entier » entraînant par son mouvement les deux autres (et quasiment toute la 4e DI). Quant au 23e de Ligne de la 12e DI, c’est la moitié du régiment qui se rend le 26 mai, mais peu à peu les soldats de toute cette division désertent les combats pendant la nuit à un tel point que, bien longtemps après les événements, le Chef d’Etat-Major Général, O.Michiels, estime que sinon le 26, en tout cas le 27, cette Division « n’a plus d’infanterie ». Nous avons parlé des problèmes de la 14e Division dont un des colonels, le colonel Dothée estime que les deux autres régiments ne se sont pas battus. On a aussi évoqué la 13e DI qui, après les problèmes rencontrés le 23 mai, ne réapparaît plus vraiment dans les combats. G.Hautecler ou Eric Simon parlent, l’un, de plus de 25.000 soldats flamands se rendant en masse, l’autre de plus de 21.000. Certes ces redditions correspondent, en nombre, à l’équivalent de moins de 7 régiments (sur les 33 régiments flamands intégrés dans les DI que comptent l’armée belge).

Mais ces défections en entraînent d’autres, cette réticence à combattre rendent en fait non opérationnelles, à coup sûr (du 13 au 27) : six DI flamandes (la 14e, la 13e, la 4e, la 12e, la 16e), avec une partie de la 18e DI et surtout la 9e DI (elle se rend ou ne se bat plus).
Défection et manque de combativité

On peut évaluer la combativité des différentes DI de l’armée belge en mai 1940. 6 DI flamandes ont fait preuve d’une combativité nulle ou très faible, celles pour lesquelles on peut parler de défection quasiment complète (reddition ou inaptitude au combat) :

4e DI + 12e DI + 13e DI + 14e DI + 16e DI + 9e DI Six Divisions flamandes sur Neuf

La combativité de la 18e DI (partiellement flamande sauf son régiment wallon) est médiocre, de même que celle de la 6e DI partiellement flamande (sauf son régiment wallon). Trois divisions flamandes peuvent être jugées avoir combattu courageusement : la 11e DI, la 1ère DI et la 2e DI. La 11e DI et la 2e DI ont tenu le canal de la dérivation pendant la bataille de la Lys, contre-attaquant plusieurs fois. La 1ère DI a défendu la Lys au sud de Courtrai.

1ère DI, 2e DI, 11e DI Trois Divisions flamandes sur 9

Les régiments wallons de chasseurs à pied des 5e DI et 10e DI ont tous et toujours tenu fermement le front qu’ils avaient reçu l’ordre de défendre de même évidemment que les deux Divisions ardennaises qui ont été citées plusieurs fois à l’ordre du jour de l’armée : les 1er et 3e Chasseurs ardennais ont même obtenu une lourde victoire le 27 mai contre les Allemands à Vinkt. Les régiments de la 8e DI (13e – cité à l’Ordre du Jour de l’armée le 26 mai – les 21e et 19e), ont tenu solidement la Lys du 23 au 26 mai. Même éreintée par les combats, largement affectée par les morts, les blessés et les captures notamment du 26 mai, durant le franchissement de la Lys, et alors qu’elle était déjà usée par sa retraite de 90 km depuis Namur, la 8e DI a continué à se battre pour ne vraiment fléchir qu’aux dernières heures du 27 mai. La 3e DI, fortement éprouvée par sa retraite depuis Liège et par les combats terribles au nord dc Courtrai le long de la Lys, parvient encore à former des dizaines de groupes de combat (de 1500 à 2000 hommes), qui seront incorporés à des divisions en ligne. La 15e DI, pourtant division de deuxième réserve (donc mal équipée), se bat bien mieux que certaines divisions d’active ou de première réserve. Certaines de ces divisions continueront à combattre même après l’heure fixée pour la capitulation sans condition par le général allemand le 28 mai à 4h. du matin. Il est bien sûr inutile de rappeler la combativité des 1ère et 2e Divisions de Chasseurs ardennais. On a donc huit divisions wallonnes sur 8 qui ont fait front aux Allemands jusqu’au bout :
3e DI+5e DI+8eDI+10e DI+15eDI+17eDI+1èreCha+2eCha Huit divisions wallonnes sur huit [Cha = Chasseurs ardennais]

Rappelons que la 18e DI, la 7e DI et la 6e DI ont deux régiments flamands sur 3. Les comportements de leurs 6 régiments flamands mais aussi de plusieurs des 3 régiments wallons sont considérés comme moyens par Eric Simon (article à paraître en mars)

Luc Devos pense qu’il faut invoquer la question de la langue (à côté d’autres déficiences comme le ravitaillement, le camouflage, la dotation en munitions), pour certains régiments un peu déficients de la 7e DI : « Les gradés étaient principalement d’origine francophone, tandis que la majorité de la troupe était néerlandophone. Les contacts n’en étaient donc pas facilités, mauvaise compréhension, et interprétation erronée faisaient partie du quotidien. »25

Il y a eu aussi l’idée – typique de la politique de neutralité – que l’armée belge ne faisait pas la guerre comme les Alliés, mais uniquement pour défendre son territoire et rien d’autre, ce qui est une exacerbation des sentiments d’Albert Ier en 1914. Jean Stengers estime avec beaucoup d’autres que les Alliés français et anglais n’ont pas été clairement et préalablement mis au courant de la capitulation du 28 mai. Elle a bien failli hypothéquer le rembarquement des Alliés à Dunkerque auquel Henri Bernard aurait voulu voir les troupes belges participer (mais l’armée belge en Angleterre aurait été à 70% wallonne ?). L’argument selon lequel une résistance de l’armée belge aurait nui aux réfugiés encombrant l’arrière du front est contredit par Henri Bernard. Il estime que la mobilité des unités de l’armée à l’arrière du front n’a pas été vraiment entravée par la présence de ces réfugiés. Après la percée allemande de part et d’autre de Courtrai, réalisée le 24 mai au soir, on a vu monter en ligne, dans les trois jours qui restaient, un grand nombre de Divisions de l’arrière et traverser avec rapidité ce territoire prétendument encombré. Soit de 70 à 100.000 hommes : la 10e DI, la 9e DI (certes proches de Courtrai), la 2e Division de Cavalerie (venant de la Flandre zélandaise), la 15e DI (venue du littoral), une partie de la 6e DI (venue du canal de la dérivation) et enfin la 60e DI française qui traversa toute la Flandre occidentale le long du littoral du 27 mai au 28 mai. Enfin, Hitler avait interdit le bombardement des villes flamandes.
Les causes des redditions et faiblesses flamandes

Autant de très nombreux officiers et soldats wallons ne pouvaient que s’indigner des redditions ou de la mollesse des combattants flamands, autant nous devons tenter de comprendre – sans juger – les raisons des comportements flamands. Mais il faut à la fois comprendre les raisons des comportements flamands et … les raisons pour lesquelles les Wallons ne pouvaient pas les comprendre. C’est la seule façon d’être vraiment autocritique.

Certes, comme Eric Simon l’écrit, la 14e DI a été mal employée, la 13e DI était épuisée (lors de son écroulement), par une marche forcée depuis Anvers. Mais des divisions wallonnes ont été soumises aux mêmes efforts et à des aléas analogues. Pour expliquer les raisons des comportements flamands, par contraste avec la vaillance de la plupart des divisions wallonnes, il faut évoquer la mémoire de 1914. Il faut le faire tant en ce qui concerne les combats sur l’Yser que les atrocités allemandes d’août 1914 qui ont durement et principalement frappé les habitants de la Wallonie, les plongeant dans l’horreur, même si les Wallons n’étaient pas alors visés en tant que tels (contrairement aux bombardements allemands de 1940 qui ne visèrent que les villes wallonnes, selon l’ordre exprès d’Hitler, mais les soldats n’en eurent sans doute que peu ou pas connaissance). On pourrait dire que les Wallons ont gardé la mémoire de l’Yser et des massacres d’août 1914, ce qui ne les dispose pas bien à l’égard des Allemands et les stimule à la Résistance. Les Flamands ont moins de souvenirs atroces de 1914 et par ailleurs, la mémoire de la guerre est chez eux la mémoire d’un mépris de leur langue par l’autorité militaire, le souvenir des tristes conditions de vie du soldat, ce qui lie le tout à la montée d’un nationalisme flamand au départ démocrate et émancipateur. Certes, le pacifisme et la condamnation de la guerre existent aussi côté wallon. Mais il ne contredit pas nécessairement le patriotisme et cela sera encore plus vrai en mai 1940. D’autant que l’idéologie qui se déploie derrière l’armée allemande n’est pas ignorée de tous.

Georges Hautecler, l’auteur du seul article sur cette question que nous ayons pu trouver, met l’accent de manière progressiste et sociale sur la dureté du régime des soldats mobilisés en 1940, ainsi que des sous-officiers, mal payés, dont les ménages ne bénéficient que d’indemnités dérisoires. Alors que les officiers réservistes sont payés comme leurs homologues de l’active. Il insiste aussi sur la propagande allemande qui a travaillé selon lui la 4e DI et la 9e DI. Mis en face du chiffre donné par G.Hautecler de « plus de 25.000 soldats flamands s’étant rendus », Richard Boijen dans De taalwetgeving in het belgische leger met en cause : la Dynastie, la direction de l’armée, le Parti libéral et le mouvement wallon qui ont tout fait pour freiner la flamandisation de l’appareil militaire.26

On peut accepter l’explication de Richard Boijen, mais il faut admettre aussi que les soldats et officiers wallons, qui ont pu percevoir ces redditions, n’y ont pas compris grand-chose. Il leur est plus que probablement apparu qu’un combat linguistique ne pouvait interférer dans la résistance à un agresseur comme l’Allemagne, tant celle de 1914 que celle de 1940, même compte non tenu des atrocités connues de 1914 et de celles qui se révéleraient après 1940, mais dont beaucoup n’ignoraient quand même pas la possibilité : ce régime raciste était connu. IL ya plus : l’Allemagne impériale ou hitlérienne, par ses deux agressions injustifiables contre la Belgique, ne pouvait-elle apparaître, aux yeux des Wallons de 1940 (mais aussi des Flamands ?), comme coupable d’atteintes aux droits de l’homme et des peuples infiniment plus graves que les vexations linguistiques ? Certes, ces vexations, le peuple flamand y lisait, liée à l’humiliation nationale, l’humiliation des dominés, en général, alors que, en Wallonie, la condition de dominés (d’ouvriers, de paysans ou de soldats selon la formule célèbre), était perçue non à travers le prisme nationaliste, mais à travers l’analyse sociale ou socialiste en général. Ajoutons à cela que l’unilinguisme voté en 1921 par la Flandre ou la flamandisation de l’armée en 1938 s’imposèrent à la faveur de la majorité numérique détenue par les Flamands au Parlement national belge. On ne le dit jamais assez : le fait que les Flamands aient choisi de défendre leur langue propre était sans doute légitime, mais était aussi une manière d’imposer aux Wallons, encore mal francisés, la connaissance, au-delà du français, qu’ils commençaient à peine à pratiquer, du wallon, dont ils usaient encore largement, d’une langue, le flamand ou le néerlandais, dont on ne savait pas qu’elle allait être au programme national, dont on ne voyait pas pourquoi elle devait y figurer. De plus cette langue fut imposée sans le consentement wallon (1921, 1938, 1962). Le prix payé par les Wallons à cet égard ne cesse de grossir, pour des injustices qu’ils n’ont pas commises ou dont on peut relativiser la gravité.

Les Wallons – et pas seulement les cadres comme on le dit souvent – ont pu anticiper sur les conséquences de cette obligation et s’en irriter comme d’une vexation inutile, s’en effrayer aussi. Même si c’est la bourgeoisie qui imposa le français comme seule langue officielle en 1830, on peut estimer que le choix de cette langue faisait partie d’un contrat national implicite que les votes – Flamands contre Wallons – de 1921 (unilinguisme en Flandre), et de 1938 (flamandisation de l’armée), venaient déchirer. Les Wallons étaient à l’époque (le demeurent ?), des « nationalistes belges » (au sens neutre du mot « nationalisme »), par conséquent dans l’attente logique que se maintienne une langue commune (qui n’était pas leur langue à tous loin de là en 1830 et même longtemps après), pour se parler au sein d’un même pays.

Ce « nationalisme belge » des Wallons peut expliquer que les visites du roi aux armées avant 1940, même dans les régions très à gauche comme la région liégeoise, n’aient pas créé d’incidents, alors qu’ils n’en alla pas de même lors de la visite à certaines unités flamandes comme, précisément, la 4e DI. Face à l’Allemagne hitlérienne, et malgré la politique de neutralité, en raison de tous les souvenirs de 1914 (atrocités et Yser), il nous semble juste de dire que la Wallonie voulait résister, ce que prouve d’ailleurs ensuite sa participation majoritaire à la Résistance militaire et intellectuelle (la presse clandestine). Nous n’admettons pas bien le doute de Francis Balace sur la volonté de se battre en Belgique en général, doute qu’il émet souvent. Ou même l’idée (qui vient du général Michiels), que les Wallons se battirent « pour l’honneur ». Cela, c’est une idée de militaire de carrière. Les soldats wallons sur la Lys se battirent parce qu’ils avaient l’espoir ou la rage d’arrêter les Allemands. Tout ce que nous venons de rappeler et la conduite des régiments wallons en mai 1940 prouve bien la volonté de résistance de la population en Wallonie, comme l’enthousiasme au moment de l’entrée des armées françaises les 10 et 11 mai.

Ce qui est grave, c’est le peu de cas que Léopold III a fait de cette volonté de résistance en capitulant à la fois militairement, le 28 mai 1940 – décision hâtive – et politiquement ensuite durant les années d’occupation.
La fausse leçon du passé figé

Nous ne savons si l’histoire « donne des leçons », mais il y a au moins une fausse leçon que donne la perception du passé, figé, par essence, c’est l’idée d’un déterminisme absolu de l’histoire, le sentiment que les choses qui se sont produites ne pouvaient se dérouler autrement et que l’avenir est à considérer également comme écrit d’avance.

L’intérêt de l’article d’Eric Simon qui précède celui-ci est de venir briser une des premières lignes de défense des apologètes du chef de l’armée belge, Léopold III. On prétend qu’il aurait vu clair dès avant même la guerre et en tout cas avec le franchissement de la Meuse par les blindés allemands à Dinant et Sedan les 13 et 14 mai. A-t-il vu clair ou n’était-il que sceptique et défaitiste comme son père ? Les prévisions qu’il faisait n’étaient-elles pas réalisées aussi en fonction de la volonté de s’exposer le moins possible à la nécessité d’une résistance en général, et d’une résistance à Hitler en particulier, ce qu’illustre évidemment la politique de neutralité qu’il avait choisie en 1936 ?

Eric Simon va même plus loin et s’étonne que, en mai 1940, l’armée belge n’ait pas pris l’initiative de contre-attaques sur le flanc allemand des divisions se ruant vers la France. D’autant plus que la doctrine belge, élaborée par le général Nuyten, lui prescrivait d’opérer ces contre-attaques en cas de supériorité numérique sur l’adversaire, ce qui a été le cas durant plusieurs jours du mois de mai27. Il y a là sans doute une volonté de ne pas mécontenter l’Allemagne qu’on retrouve lors de la capitulation ou lors du placement de ces pancartes par des officiers de l’Etat-Major, le 27 mai à la frontière franco-belge, derrière l’Yser, ICI BELGIQUE, dans l’espoir d’éviter une charge de blindés allemands, soulignant que la « Belgique » n’était pas indissolublement jointe aux alliés28.
Plus grave que la divergence entre Wallons et Flamands

Il y a plus que le contraste entre le manque de combativité des régiments flamands et la vaillance des régiments wallons, c’est le fait que l’état d’esprit des soldats wallons était vraiment antithétique du pessimisme et du défaitisme de l’Etat-Major de l’armée et du roi, son commandant en chef. Déjà en 1914, le roi Albert Ier ne fit pas la guerre dans le même état d’esprit que l’opinion publique. Car il estimait qu’il ne devait se battre que par respect des engagements internationaux et non par ce réflexe patriotique qui est le fait des gueux selon Péguy (« Depuis les cités grecques et même avant, les Cités sont défendues par les gueux et livrées par les riches, car les riches n’ont que des biens temporels à perdre tandis que les gueux ont à perdre ce bien : l’amour de la patrie. »). C’est ici qu’il faut rappeler la citation en exergue de Robert Devleeshouwer.29

Le désaccord profond entre le roi et le gouvernement à Wijnendaele en découle. Il est possible que les ministres se faisaient des illusions sur la capacité de résistance de la France, mais on se fait parfois aussi des « illusions » (le mot est-il même bien choisi ?), par volonté de résister et de combattre. Cette volonté existait chez les soldats wallons. On peut comprendre qu’une majorité des soldats flamands ne la partageaient pas ou moins, mais ce n’était pas nécessairement pour les mêmes raisons que celles du roi…

Si le monde populaire en Flandre n’avait guère de sympathie pour une résistance de l’armée (la reddition de Gand le montre), pour des raisons directement pacifistes, sociales et flamandes, la réticence du roi à résister à l’hitlérisme et à l’Allemagne relevait de l’inquiétude pour son pouvoir. Les raisons avancées de type humanitaires (ménager les soldats, songer aux réfugiés qui pouvaient pâtir des combats), ou militaires (l’armée allait se disloquer), cachent le fait que le roi poursuivait une politique de neutralité liée à son maintien au pouvoir. On le voit bien aussi au fait qu’il ait eu si peur que la conduite contrastée des régiments flamands et wallons n’entraîne les Allemands à une politique favorable à un séparatisme qui l’aurait exclu.

Ce sont des raisons différentes qui ont poussé les Wallons à accepter l’autorité des cadres de l’armée et les Flamands à la rejeter peu ou prou. Mais derrière cela, il est absurde de considérer que les Wallons pouvaient se trouver mieux que les Flamands d’une armée demeurée d’esprit francophone. Parce que la flamandisation de l’armée entraînait aussi sa wallonisation et ne présentait aucun avantage pour les soldats wallons. Chantal Kesteloot estime absurdement que les Flamands ont bâti leur identité sur des souvenirs de dominés, et les Wallons sur des souvenirs de dominants.

C’est faux. Les Wallons ont pu éprouver en 1921 et 1938 la rupture d’un contrat national. En mai 1940, ils ont été vaincus dans des circonstances rendues plus pénibles encore parce qu’ils pensaient pouvoir compter sur un partenaire flamand qui démontra de graves défaillances face à la plus terrible expérience de l’humanité qu’est la guerre, surtout quand, après l’angoisse et la peur, on est du côté des vaincus et par quel barbare ennemi ! Et quand les quolibets des camarades de combats flamands, même officiers, en rajoutent à une défaite humiliante (voir plus loin le témoignage d’André Delplanque).

Les cris séparatistes du Congrès National Wallon d’octobre 1945 n’expriment pas la joie honteuse de vainqueurs ni la revanche de dominants. Ils expriment la détresse de ceux qui au pire moment de la vie d’une Nation s’aperçoivent qu’elle n’existe plus parce que ceux sur qui ils croyaient pouvoir compter s’esquivent. On s’interroge sur les traces que laisse encore aujourd’hui en France la défaite de juin sans voir que les Wallons – en tout cas eux – ont bu à la même coupe de l’humiliation, de la peur et de la trahison (celle du roi, celle des Flamands, car elle fut perçue comme cela). Il y eut cette amertume de ne pas pouvoir partager l’épreuve de la défaite avec une partie des Flamand. A tout cela s’ajoutera une Résistance menée par le petit peuple de Wallonie encore une fois en contradiction avec le roi des Belges et les dominants de ce pays. Qui fut une autre rupture du contrat national. Et le maintien des prisonniers de guerre en Allemagne, la libération des Flamands, nouveau sentiment de trahison en défaveur de singuliers « dominants », étrangers par leur classe à la bourgeoise francophone flamande et bilingue.

Refoulement, autocensure et mensonges : dire la vérité, toute la vérité

Tant la rupture de 1921 et de 1938 (l’imposition du néerlandais comme langue nationale), que la rupture de mai 1940 – l’opposition dans la conduite face à l’ennemi des régiments flamands et wallons – font partie d’un refoulé de l’histoire. Hannah Arendt a dit à juste titre qu’un « événement qui n’est pas raconté n’a pas eu lieu ». La rupture avec Léopold III est plus éclatante, elle n’a pas été oubliée, mais, d’une part, elle est sans cesse contrariée par les thuriféraires omniprésents de la Dynastie et, par ailleurs, l’une de ses sources en est largement ignorée : l’étrange campagne des dix-huit jours.

L’histoire, comme toute science, est la recherche des causes des phénomènes. Quand ces causes nous échappent, nous ne comprenons plus le passé ni le présent ni l’avenir. Ulcérés par le retour du roi en 1950, les Wallons parvinrent à le chasser en reprenant les armes morales et matérielles de mai 1940 et de la résistance. Mais les Flamands furent à leur tour ulcérés de voir leur majorité contredite par un peuple insurgé, dont ils assimilèrent la victoire à celle de la bourgeoisie francophone, étrangement.

En ce sens, les grèves de 1960-1961, qui reproduisent à certains égards, mais pour d’autres motifs, le schéma de l’insurrection de juillet 1950, parce qu’elles furent réprimées et n’aboutirent pas vraiment, peuvent être considérées comme la revanche de la Flandre sur 1950. C’est après 1961 que celle-ci va parfaire ses conquêtes linguistiques et à nouveau en les imposant (vote des lois de 1962, Flamands contre Wallons, annexion des Fourons, Walen Buiten de 1968). La logique que la Flandre va imprimer à ce combat va peu à peu inciter ses adversaires à faire prévaloir sur les revendications économiques et sociales de la Wallonie, une solidarité francophone mal définie et qui semble avoir la préséance sur l’affirmation wallonne.

Si un nationalisme belge mal assumé et mal dépassé a fini par éteindre en nous la mémoire de ce que François Simon nomma à la tribune du Congrès National wallon de 1945 « [les] choses effroyables que nous avons vécues en 1940 [...] [les] trahisons de la Lys et du Canal Albert », c’est parce que nous n’arrivons pas à nous assumer et que la propagande belge nous y aide. Mais pas seulement. Il y a aussi l’autocensure. J’avoue que ce qu’il reste en moi de nationalisme belge a longtemps hésité à parler de la contradiction entre les régiments flamands et wallons de mai 1940, alors que, tout bien réfléchi, croire que faire le silence sur cela c’est ménager les Flamands est faux.

On ne bâtit rien sur les refoulements et les mensonges. Ne substituons pas au mensonge belge un mensonge francophone accroché à une solidarité qui n’est pas assez définie. Il n’y aura de Wallonie ouverte et réconciliée avec elle-même et avec Bruxelles et la Flandre que si nous nous disons la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C’est ce que j’ai essayé de faire ici même pourtant en rappelant une vérité déplaisante : le fait que les troupes flamandes de mai 1940 ont, non pas toutes certes, mais en grand nombre, et majoritairement, sans savoir ce qu’elles provoquaient chez l’autre peuple, en estimant que ni la Guerre, ni la Belgique n’en valaient la peine, laissé tomber leurs compatriotes wallons face à la Mort, face à Hitler.

« Un événement qui n’est pas raconté n’a pas eu lieu. » Il n’était pas trop tard d’essayer qu’il le soit. Souvent, pour les questions de langue, pour leurs difficultés sociales, pour le fait qu’on ait passé outre à leur avis en 1950 et maintenant parce que nous sommes en difficulté économique, les Flamands nous reprochent nos « injustices », voire même, comme, récemment, un éditorialiste flamand dans Le Soir, nous reprochent de « ne pas connaître leur histoire ». Il y a trop de gens qui considèrent comme acquis le fait que la domination du français en Belgique a été purement et seulement une « injustice ». Il y a trop de gens qui, encore plus absurdement, considèrent que ce sont les Wallons qui l’ont commise. Ecoutez les raisonneurs : pour eux tout cela serait acquis. Cela ne l’est pas !Tant de Wallons croient juste de leur emboîter le pas ! Ils ne savent rien des vraies et claires raisons pour lesquelles les Wallons n’ont pas à se culpabiliser. Ni de ne pas connaître le néerlandais. Ni de subir des difficultés économiques. Ni d’avoir été les principaux « injustes » vis-à-vis des Flamands. Ils ne voient pas que c’est se comporter de manière coupable, comme des vaincus, de n’admettre que les raisons des autres et donc leur pouvoir à la manière pétainiste de juin 1940. Se réconcilier, n’est pas se soumettre, mais se confronter. Cela manque aux Wallons comme aux Flamands. Le 28 mai 1940 (défection des régiments flamands), et le 31 juillet 1950 (tentative de formation d’un gouvernement wallon au cœur de l’émeute), la crise nationale belge se lit bien en deux moments paroxystiques.

Il faudra se serrer la main, mais après une vraie explication.

1. Comme le montre le livre de Ludo De Witte, L’assassinat de Lumumba, Karthala, Paris, 2000.
2. Jean Duvieusart, La question royale, crise et dénouement, Bruxelles, 1975.
3. Léopold III, Pour l’histoire, Racines, Bruxelles, 2001.
4. Le gouvernement provisoire wallon de 1950
5. José Fontaine, Le gouvernement wallon de 1950, in La Cité, mai 1979, Toen Wallonië bijna een Republiek was, in De Morgen, juin 1980, in La Cité, juillet 1990, sous ce même titre dans Les faces cachées de la monarchie belge, TOUDI n° 5, Contradictions n° 65-66, Quenast-Walhain, 1991et l’article Gouvernement wallon de 1950 in l’Encyclopédie du mouvement wallon, Institut Destrée, Namur, 2000, pp. 740-742.
6. Velaers et Van Goethem, Leopold III. Het Land. De Koning, De Oorlog, Lannoo-Tielt, 1994.
7. Philippe Destatte, Ceux-ci se sont battus vaillamment in Les combattants de 40. Hommage de la Wallonie aux Prisonniers de Guerre, Institut Destrée, Namur 1995, pp.9-16, L’identité wallonne, Institut Destrée, Namur 1997, pp. 193-195.
8. Jean Stengers dans Léopold III et le Gouvernement, Duculot, Gembloux, 1980 le souligne fortement, voyez pp.30-31. Il cite le Général Van Overstraeten, Dans l’étau, Paris, Paris, 1960, p.351. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur cette appréciation. Livre Blanc publié par le Secrétariat du roi, Bruxelles, 1946 p.144.
9. Jean Van Welkenhuyzen, Quand les chemins se séparent, Duculot Gembloux, 1988, 2e Partie La Vérité Inverse, note 40, p. 395. Il conteste que ce soit des « régiments entiers » comme on le dit en 1940 (voir infra), et parle de batillons. Mais les bataillons constituent des régiments, les régiments des divisions etc.
10. Richard Boijen, De taalwetgeving in het Belgische Leger, Musée royal de l’armée, Bruxelles, 1992. Il estime, p.316 que les lois linguistiques ont toujours été votées à une large majorité par la Chambre et que la différence entre votes wallons et flamands atteint rarement plus que 10% alors que le vote de l’unilinguisme flamand en 1921 comme les lois linguistqiues de 1962 ont, au contraire, votées par une majorité de parlementaires flamands contre pratiquement tous les députés wallons.
11. John Horn, Alan Kramer, 1914, atrocités allemandes, Tallandier, Paris, 2005. Les auteurs donnent un relevé précis de ces atrocités et en particulier celles commises en Wallonie du 5 août au 5 septembre pp. 477-484, calculs qu’il faut corriger par les remarques des auteurs p.96, plusieurs incidents de meurtres de civils ou de destruction de leurs maisons pouvant être plus isolés.
12. Des renseignements à ce sujet peuvent être trouvés dans plusieurs ouvrages comme ceux de Raoul van Overstraeten (sur lesquels nous reviendrons), Henri Bernard, Jean Van Welkenhuyzen, Léopold III, Peter Taghon, Philippe Destatte etc. Mais plus précisément sur l’ordre de bataille de l’armée belge et l’appartenance linguistique des régiments, nous avons consulté Histoire de l’armée belge de 1830 à nos jours, Centre de documentation historique des forces armées, Bruxelles, 198, Tome II De 1920 à nos jours. On y découvre en particulier l’ordre de bataille, p.61, et l’appartenance linguistique de 21 des 60 régiments regroupés dans les 20 Divisions d’infanterie – DI -) p.61, régiments d’active ou de première réserve. Nous avons consulté aussi André L’Hoist La guerre 1940 et le rôle de l’armée belge, Ignis, Bruxelles, 1940, qui donne un aperçu de l’appartenance linguistique des 6 DI d’actives (de 1à 6), des 6 DI de première réserve (de 7 à 12), et des deux divisions de Chasseurs ardennais, soit 42 des 60 régiments d’active. Francis Balace dans Quelle armée pour la Belgique ? in Jours de guerre, ajoute des éléments comme la composition des divisions mixtes (comptant 2 régiments flamands et 1 régiment wallon), telles la 6e DI, la 7e DI et la 18e DI (où les trois régiments de carabiniers sont des régiments wallons). Il fait aussi des remarques sur certains problèmes linguistiques comme ceux du 15e de Ligne ou du 23e de ligne, la conduite honorable des régiments flamands d’artillerie etc. Ces renseignements accumulés sont regroupés aussi par Luc A.Lecleir, L’infanterie, filiations et traditions, Bruxelles, 1973, qui indique l’origine des régiments versés dans les DI en 1940. Nous avons aussi pu vérifier ces informations auprès de l’historien Eric Simon que nous citons dans cet article et qui en signe un autre dans cette revue.
13. Ces positions sont décrites dans plusieurs ouvrages. Celui d’Oscar Michiels (Chef de l’Etat Major Général en mai 1940), 18 jours de guerre en Belgique, Berger-Levrault, Paris 1947, décrit pp. 17-46 diverses positions de l’armée belge avant 1940 et en fin de compte (pp. 40-46) les positions de l’ensemble des troupes de l’armée belge le 9 mai au soir (croquis p. 41). De Fabriebeckers décrit ces positions dans La campagne de l’armée belge en 1940, pp. 70 et suivantes (avec des cartes et schémas à la fin du volume). De même qu’Henri Bernard, Panorama d’une défaite, Duculot, Gembloux, 1984, ouvrage abondamment cité dans l’article sur la bataille de la Lys que nous avons publié dans le numéro précédent de la revue. Enfin Eric Simon dans Coup d’œil sur la campagne de l’ouest (Partie III), évalue Le rapport des forces entre la Heer et l’Armée belge en mai 1940 (la « Heer » est l’armée de terre allemande) dans le Bulettin d’information du Centre Liégeois d’Histoire et d’Archéologie Militaire, Octobre-Dcémebre 2005, Tome IX, fascicule 8, pp. 25-44.
14. Un site internet consacré au 2e Régiment de Grenadiers (7e DI) : http://home.tiscali.be/mertense/gm2.htm, André Vandersande, Les carabiniers au cœur du combat, Collet, Bruxelles, 1985, P.Joseph Schaumans, Oorlogsbevelnissen. De eerste meidagen 1940 – Bruggehoodfd Velwezelt, Itterbeek, 1995 (ce livre est écrit par un sous-officier du 18e régiment de ligne).
15. On lira aussi les réflexions d’Henri Bernard (op.cit.), de de Fabriebeckers (op.cit.), de Philippe Destatte (op.cit.) et les réflexions de Lucien Champion, La guerre du sanglier, Coillet, Bruxelles, 1990, pp.34-35.
16. Luc Devos, La Belgique et la Deuxième Guerre Mondiale, Racine, Bruxelles, 2004, p.79.
17. Luc Devos, ibidem, p.80. Pour ces événements, voir aussi Oscar Michiels, Henri Bernard et Paul Berben et Bernard Isselin, Les panzers passent la Meuse, Laffont, Paris, 1967.
18. Eric Simon ne donne pas de chiffres sur le nombre de soldats qui se rendent mais les considèrent comme appartenant au 33e et 34e de Ligne (13e DI). Le Général Van Overstraten estime que ces deux régiments sont responsables du franchissemnt du canal de Terneuzen par l’ennemi le 23 mai, voir Dans l’étau, Plon, Paris, 1960, p.307 (il ne cite pas le numéro de la division mais par recoupement on peut comprendre qu’il s’agit de la 13e DI). La 13e DI n’est plus signalée par Oscar Michiels (op.cit.), comme participant aux combats.
19. On peut consulter, outre Oscar Michiels (op. cit. p.149), Henri Bernard (op.cit.) Peter Taghon, La reddition de Gand, légende et vérité in Jours de Guerre, n°2, 1991, pp. 115-123 et (ouvrage non consulté) Peter Taghon Gent, mei 1940, Historica, Gand, 1986.
20. Outre Henri Bernard, on doit citer ici le général van Overstraten dans Léopold III prisonnier, Didier-Hattier, Bruxelles, 1986, p. 27 qui accuse non seulement le 15e de Ligne mais aussi le 7e et le 11e de Ligne de la 4e Division.
21. Le Colonel BEM, A. Massart, Historique du 13e de Ligne, Centre de documentation historique des forces armées, Bruxelles, 1982, signale (p.118), la reddition de la 5e Compagnie du 16e de Ligne sur le flanc droit du 13e de Ligne.
22. Général Emile Wanty, Le milieu militaire belge de 1914 à nos jours, Tome II, Musée royal de l’armée et de l’histoire militaire, Bruxelles, 1999, p.255.
23. F.Balace, Fors l’honneur. Ombres et clartés sur la capitulation belge, in Jours de Guerre, t. 4, Jours de défaite, II, pp. 23-24, Crédit Communal, Bruxelles, 1991.
24. Hervé Hasquin, Historiographie et politique en Belgique, Editions de l’ULB et IJD, Bruxelles-Charleroi, 1996, p.203, note 46. Van Welkenhuyzen, op. cit. Duculot, Gembloux, 1988, p.131
25. Luc Devos, op. cit., p. 51.
26. Richard Boijen, De taalwetgeving in het belgische leger, op. cit.
27. Eric Simon, Coup d’œil sur la campagne de l’ouest (Partie III), Le rapport des forces entre la Heer et l’Armée belge en mai 1940, op. cit., p.38
28. C’est ainsi qu’Henri Bernard interprète cet étrange comportement.
29. Robert Devlesshouwer, a écrit : « En 1830, les forces politiques qui font la Belgique n’imposeront sa survie qu’à la condition que l’Europe y consente. Et les puissances finissent par y consentir, à condition que la Belgique soit à nouveau aliénée en partie. Avant son indépendance, elle (si elle était destinée à être) est aliénée par sa soumission à des pouvoirs étrangers qui la gouvernent. Après, elle n’existe que dans la mesure où elle est dépossédée de ses initiatives extérieures. C’est à cette composante négative de son existence qu’Albert Ier (lors de la première guerre mondiale) et Léopold III (lors de la seconde) répondent quand ils s’en tiennent strictement à l’idée que les devoirs de la Belgique l’obligent non à se survivre comme telle, mais à s’acquitter de ses devoirs envers ses garants, devoirs considérés comme limités à la défense militaire de son territoire, dans le sens le plus étroit du terme. Il faut d’ailleurs noter que dans les deux cas, cette interprétation limitée de l’indépendance nationale ne concordait pas avec les réactions d’une partie importante de l’opinion publique. » Quelques questions sur l’histoire de Belgique, in Critique Politique n° 2, Bruxelles, 1979, pages 5-38, p. 24.

Une publication du Centre d’études wallonnes et de République

 

 

 

http://i14.servimg.com/u/f14/17/85/94/04/th/fleche26.gifLa campagne des 18 jours

source wikipedia

http://i14.servimg.com/u/f14/17/85/94/04/th/fleche26.gif

La campagne des 18 jours débuta le 10 mai 1940 avec l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes. Elle aboutit à la capitulation du 28 mai 1940.

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Les six premiers jours de la campagne : les panzers passent la Meuse

Campagne des 18 jours
Date 10 – 28 mai 1940

Lieu Belgique
Issue Victoire allemande
Belligérants
Reich allemand
Royaume de Belgique
République française
Royaume-Uni
Pays-Bas
Commandants
Fedor von Bock
Léopold III

 

 

 

La prise d’Ében-Émael et la Résistance des Chasseurs ardennais

En mai 1940, le conflit entre la France et l’Angleterre contre l’Allemagne dure depuis septembre 1939. L’écrasement de la Pologne par l’Allemagne, consommée dès octobre 1939, a entraîné l’alliance du Commonwealth britannique avec l’Empire français. Ces deux puissances engagées dans la campagne de Norvège font de cette guerre ce que l’on appelle déjà la Deuxième Guerre mondiale, alors que, le 9 mai 1940, le Danemark est occupé par l’Allemagne.
Depuis 1936, la Belgique, restée neutre, a profité de sa situation de non-belligérance pour bâtir une défense militaire aussi forte que possible contre l’Allemagne dont on appréhende l’attaque.

La 10 mai 1940, au moment de l’attaque allemande, la Belgique est parvenue à mobiliser un total de 17% de la population masculine de 18 à 40 ans, soit 8% de la population totale du pays. Il s’agit de pourcentages supérieurs à ceux des mobilisations de la France et de l’Angleterre. L’armée belge compte alors 650 000 mobilisés sur pied de guerre depuis septembre 1939 auxquels doivent s’ajouter 50 000 miliciens (conscrits) de la classe de 1940 plus les 40 000 espérés pour 1941 et plus de 200 000 jeunes de 16 à 20 ans dont les sursitaires pour 1939 et 1940 ainsi que 89 000 sursitaires et ajournés des années précédant 1939. Mais la précipitation des événements militaires qui allaient se produire à partir du 10 permit seulement de concrétiser une partie de cette levée en masse dont plusieurs dizaines de milliers de recrues sont envoyées en France avec l’accord du gouvernement de ce pays.

En plus 10 000 gendarmes sur pied militaire viennent s’ajouter aux mobilisés effectifs. En fait, un peu moins de 700 000 hommes sont répartis le long d’un grand arc de cercle qui s’étend de l’Escaut à l’Ardenne sur 500 kilomètres. L’armée belge se compose alors de :
• 6 divisions actives d’infanterie,
• 6 divisions d’infanterie de première réserve,
• 6 divisions d’infanterie de deuxième réserve,
• 2 divisions de Chasseurs ardennais, dont une division motorisée,
• 2 divisions de cavalerie motorisée,
• 5 régiments d’artillerie d’armée,
• 1 brigade de cyclistes frontière,
• 1 brigade de cavalerie portée,
• 2 régiments légers de gendarmerie,
• 3 régiments d’aéronautique,
• 2 régiments de défense terrestre contre avions,
plus les formations de troupes des services d’armée, des services territoriaux et des civils au service de la défense (fonctionnaires du ministère de la Défense nationale, personnel infirmier réquisitionné mais non mobilisé, policiers chargés du maintien de l’ordre à l’arrière).
Au début de ce qui sera la campagne des 18 jours de l’armée belge, se produisent deux faits contrastés qui relèvent des surprises de la guerre. Tout d’abord, le Fort d’Ében-Émael, réputé imprenable est pris le 11 mai, après 24 heures de résistance, grâce à l’emploi de charges creuses utilisées par des parachutistes déposés sur la superstructure du fort par des planeurs remorqués par avion depuis l’Allemagne. La nouvelle de la chute du fort porte un coup terrible au moral de l’armée belge.

À l’autre extrémité du pays, la division des Chasseurs Ardennais manifeste une combativité qui surprend les Allemands. Les Chasseurs ont été créés seulement depuis quelques années par conversion du 10e régiment de ligne considéré comme une des meilleures troupes de l’armée belge, déjà en 1830 et, surtout en 1914-18.

Surprenante résistance : Bodange, Martelange, Léglise, Witry, Chabrehez, Bastogne.

Le 10 mai, dans la nuit, sur la base de renseignements venus des attachés militaires belges et hollandais à Berlin, on sait que l’Allemagne va attaquer les Pays-Bas et la Belgique. L’alerte est donnée. Dans le Luxembourg belge, des mouvements inquiétants à la frontière et au Grand-Duché de Luxembourg confirment le bien fondé de l’état d’alerte. Aussi, le général Keyaerts, commandant en chef des Chasseurs ardennais, donne-t-il l’ordre de procéder, dans toute la province de Luxembourg, aux destructions prévues de longue date pour enrayer toute attaque. À 3 heures 45 du matin, les ponts sautent et les obstacles s’abattent sur les routes, complétant les chicanes construites en des points cruciaux du réseau de communication. En vertu d’une large délégation de pouvoirs qui donne aux Chasseurs ardennais la capacité d’entamer les opérations de la défense avancée de la province s’ils l’estiment nécessaire, le général n’a pas attendu l’ordre du grand quartier général belge. En plus de cette résistance, les Allemands doivent éliminer des barrages érigés par le génie belge, contourner des ponts détruits et construire des passerelles1. Un seul pont, celui de Butgenbach, près de Malmedy, échappe à la destruction à cause de citoyens belges d’origine allemande ralliés à l’Allemagne nazie qui guident un commando allemand qui parvient à désamorcer la charge explosive 2. L’offensive allemande débute alors que l’ambassadeur d’Allemagne à Bruxelles n’a même pas encore présenté l’ultimatum allemand au gouvernement belge.

Quand le jour se lève à Martelange, Chabrehez et Bodange, les Allemands tentent de passer sur des routes sinueuses à deux bandes de largeur parsemées de ponts sautés, d’épais murs et d’entonnoirs et environnées de champs de mines qui rendent dangereuses les tentatives de contournement des obstacles3. A la frontière belgo-luxembourgeoise, une petite compagnie de 50 chasseurs ardennais applique la consigne qui est de tenir la position à la condition de ne pas se laisser encercler. Les chasseurs s’opposent à des blindés précédés par une infanterie d’assaut. Ils résistent4, bloquant la masse des blindés qui accomplissent de ce côté la véritable offensive allemande visant le secteur de Sedan. Les canons des chars n’ont pas raison des massives fermes ardennaises et, pendant huit heures, le commandant Bricard et ses hommes résistent en appliquant la consigne en vertu de laquelle il était ordonné de résister tant qu’on ne recevait pas d’ordre de repli. Et cela même si le silence téléphonique pouvait faire craindre que les lignes soient coupées par l’ennemi. Cependant, les commandants locaux pouvaient prendre sur eux d’autoriser le repli de toute troupe qui se trouverait en risque majeur d’être faite prisonnière. Mais ce n’est qu’après la mort du commandant Bricard que les chasseurs rescapés de Bodange décrocheront pour rejoindre les lignes belges campées en deuxième échelon, au sortir des forêts. De fait, la 1re Division de chasseurs ardennais stationnait tout le long de la frontière, entre la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg, avec des détachements d’artillerie étalés en deuxième échelon en avant de la Meuse. À Martelange, la résistance des Chasseurs sera commémorée, après la guerre, par un monument représentant un sanglier, l’emblème des Chasseurs Ardennais, en position d’attaque.

L’état major allemand, constatant la résistance, pour lui, inattendue, des Chasseurs ardennais, ainsi que les difficultés de franchissement du dédale ardennais parsemé d’embûches (ponts sautés, chicanes sur les routes, etc…) 5 décida d’improviser un raid sur les arrières belges, décision prise par Hermann Göring maréchal de la Luftwaffe dès le 10 mai6. Ce genre d’improvisation -dans le style qu’illustreront les commandos anglais- ne correspondant pas à l’esprit de planification rigoureuse de l’attaque du 10 mai 1940, il en résultera un manque de rigueur face aux imprévus qui empêchera l’opération de réussir à cent pour cent7. Cent avions légers Fieseler Storch sont rassemblés dans des brefs délais. Ce sont des appareils de liaison capables d’atterrir sur des terrains accidentés, comme des champs, mais non prévus pour des missions de transport de troupes en zone de combats. Ils transportent chacun deux combattants en plus du pilote. Il s’agit de prendre les Belges à revers. La manœuvre est baptisée Niwy du nom des localités prévues pour les atterrissages, Nives et Witry. Mais l’opération va échouer partiellement car les avions ne sont pas armés et ne peuvent affronter le feu ennemi.

Aussi, confrontés à des tirs belges venus du sol, plusieurs appareils se déroutent-ils par des manœuvres d’évitement à basse altitude. Il en résulte que plusieurs pilotes sont désorientés et que quelques avions s’écrasent au sol et brûlent en dehors des terrains prévus qui avaient été sélectionnés en étudiant les cartes belges d’état-major que les Allemands possédaient depuis l’avant-guerre. Les rescapés coupent des lignes téléphoniques et arraisonnent des voitures civiles dans le but de se déplacer vers Witry, comme prévu, à l’origine8. Surgissent alors des troupes belges de second échelon de la ligne de défense Libramont-Neufchâteau accompagnées de chars T-15. Les Allemands fuient vers Witry. C’est là qu’arrive une deuxième vague de Fieseler Storch grâce à laquelle les « commandos » allemands peuvent repousser une deuxième attaque belge. Mais le but originel du raid n’est pas atteint, n’ayant pu entraver les itinéraires par lequel les Belges allaient faire retraite. Les « commandos » allemands foncent alors vers Fauvillers pour y joindre les troupes de la Wehrmacht qui venaient de vaincre la résistance des Chasseurs Ardennais de Bodange.

Pendant ce temps, les Français venus du Sud pourront s’installer, les 10 et 11 mai, le long de la Meuse, en territoire belge. Mais ils ne pourront empêcher la traversée du fleuve les 11 et 12 mai. Dans le reste de la province du Luxembourg, les Chasseurs ardennais appliquent la tactique qui leur a été enseignée. Ainsi, dans le sud de la province, après avoir détruit les ponts et créé des obstacles de toutes sortes, ils avaient l’ordre de se retirer en effectuant des tirs de couverture, laissant la place à des unités françaises, en accord avec l’état-major français. À Chabrehez, la résistance ardennaise utilise les fermes et des fortins en béton tout comme à Bastogne où le caporal de réserve Cadi se fait tuer dans son fortin bien qu’un blindé léger des chasseurs soit parvenu à mettre hors de combat quatre chars allemands avec son canon de 74. Dans les autres parties du Luxembourg belge, les feux d’interdiction et les destructions préparées à l’avance retardent l’avance allemande dont les troupes ne pourront se regrouper devant Sedan que les 11 et 12 mai en vue de la percée décisive. Les blindés légers français, étant entrés en Ardenne belge, dès le 10 ont pu reculer en bon ordre, mais en perdant la moitié de leur effectif, devant des panzers supérieurs par le nombre et la qualité de leurs cuirasses.
Finalement, les Allemands ne pourront attaquer vers Sedan que le 12. La résistance des Chasseurs Ardennais et l’échec partiel de l’opération Niwy (Nives-Witry) avaient accordé un léger répit aux Français du général Huntziger du secteur de Sedan.

Les panzers passent la Meuse, la bataille de la Lys

La surprenante résistance de Bodange obligea les allemands, pour réduire cette poignée d’hommes, à mettre en ligne trois mille soldats appuyés par un groupe d’artillerie et cela durant huit heures de combat, alors que les 50 soldats ardennais ne disposaient ni d’armes antichars, ni de leur artillerie divisionnaire (motorisée) qui servait en fait d’appui à la 7e DI en place sur le Canal Albert9. Cette résistance inattendue entraîna un retard d’une journée dans l’application du plan allemand d’attaque des Français à Sedan. Ce n’est que les 12 mai que la Wehrmacht put réussir à pénétrer les défenses de l’armée française des Ardennes qui, pourtant, avait eu deux jours pour se préparer. Aussi, l’attaque des Allemands vers la Meuse (en direction de Sedan et Dinant) leur permettra, en raison de la défense médiocre des divisions françaises en Ardenne et sur la Meuse à Sedan et Dinant de couper les forces alliées en deux en parvenant à Abbeville, sur l’Atlantique, le 21 mai.

Pendant la percée victorieuse des Allemands à Sedan, sur le front belge, le fort d’Ében-Émael tombait après 24 heures à la suite d’une attaque de commandos déposés par des planeurs et utilisant un nouveau type d’explosif. Le sacrifice d’escadrilles belges et anglaises bombardant les ponts du canal Albert ne suffit pas à enrayer l’avance allemande, un pont ayant échappé à la destruction et les Allemands ayant édifié un pont préfabriqué. D’autre part, un pont était tombé intact entre les mains de la Wehrmacht dans le Limbourg hollandais à la suite de la retraite précipitée de l’armée néerlandaise, ce qui découvrait l’armée belge sur sa gauche. Les Chasseurs ardennais participent à ces combats du canal Albert avec leurs propres unités d’artillerie. À ce moment, le plan belge était, depuis l’arrivée du général Champon, envoyé militaire du général Gamelin à l’État-major belge, d’obéir au plan du commandant en chef français. Et celui-ci donne l’ordre d’avoir à se retirer derrière une ligne de défense allant d’Anvers à Wavre où l’armée belge pourrait faire face avec les alliés franco-anglais. Le trou entre Wavre et Namur avec sa position fortifiée, était à combler par des troupes françaises. Une importante bataille de blindés est menée du 12 au 14 mai à Hannut, puis dans les environs de Gembloux. Mais depuis que les panzers ont passé la Meuse en perçant les défenses françaises, il n’y a pas moyen de reconstituer un front continu allié et les Belges se retrouvent isolés à Namur dont la position fortifiée doit être abandonnée par le VII CA belge le 15 mai à la suite du retrait du V CA français commencé le 12 sans prévenir l’État-major belge qui sera mis devant le fait le 1510. Ensuite, les armées française, anglaise et belge ne peuvent tenir la ligne Anvers-Wavre. L’armée belge tient trois jours sur la Dendre, puis effectue le repli vers l’Escaut avec les Français. Il est alors décidé que l’armée belge doit mener une bataille d’arrêt que l’on appellera la bataille de la Lys, (mais certains auteurs militaires belges estiment, comme le fit le général Weygand le 21 mai, qu’il aurait mieux valu se battre sur l’Yser (comme en 1914), coupure plus facile à défendre).

La capitulation du 28 mai, la bataille de Dunkerque

La faiblesse au combat de certaines divisions d’infanterie flamandes et la reddition de certaines d’entre elles expliquent, a posteriori, la crainte de commandement belge de voir la combattivité de l’armée belge se caractériser sur une base wallons-flamands car on pouvait identifier l’appartenance flamande des unités depuis la réforme de 1938 qui scindait l’armée belge selon des critères linguistiques. Il y a aussi, pour expliquer la dureté de la pression de la Wehrmacht, la volonté des généraux allemands pressés de prouver qu’ils peuvent faire aussi bien que leurs collègues du sud avec le « coup de faucille » à travers l’Ardenne.
Le front belge de la Lys est percé au milieu de la journée du 27 mai, au bout de cinq jours de combats. D’autre part, les troupes anglaises abandonnent la droite de l’armée belge pour retraiter précipitamment en vue de se rembarquer à Dunkerque. Dès ce moment, le roi et l’État-major belges se sentent abandonnés, ainsi que le relatera l’attaché militaire anglais auprès du roi Léopold III, l’amiral sir Roger Keyes. Celui-ci attestera qu’il s’est agit d’une manœuvre imposée au général en chef, lord Gort par une décision du gouvernement anglais. Et Keyes de citer une phrase de lord Gort qui mérite d’être appelée une parole historique : « Les Belges vont-ils nous prendre pour des salauds ? »11
Dès ce moment, Léopold III, qui s’estime trahi, envisage de capituler malgré l’opposition de son conseiller militaire, le général Raoul Van Overstraeten (cf. bataille de la Lys). Le roi prévient le roi d’Angleterre par une lettre personnelle qu’il fait porter à Londres et avise le général en chef français de l’armée du nord, le général Jean Blanchard que l’armée belge est au bord de l’effondrement, isolée et bientôt à court de munitions. Le message est capté par le service français d’écoute radio du colonel Thierry12. Paul Reynaud, premier ministre français prétendra plus tard que le roi Léopold III ne prévint pas ses alliés. (Mais c’est Reynaud qui n’était pas au courant de la réalité comme l’a prouvé sa stupeur, le 15 mai, quand il dû reconnaître, devant Churchill qu’il ignorait que le haut commandement français n’avait plus de réserves). Les forts de l’Est de la Belgique, dont certains continuent à combattre, (le dernier – le fort de Tancrémont- Pépinster résiste même jusqu’au 29 mai, par ignorance de l’acte de reddition du 28), seront inclus dans les exigences allemandes par un ordre spécial du roi Léopold III. Celui-ci décide de rester en Belgique, se considérant prisonnier comme ses soldats, contre l’avis du gouvernement qui fait retraite en France (après la défaite française, il gagnera Londres). L’armée belge cesse le combat le 28 mai à 4h. du matin après que le roi ait donné son accord au général Raoul Van Overstraeten pour soustraire à l’emprise allemande les soldats français de la 60e division en les faisant conduire dans des camions belges vers le 16e corps français, à Dunkerque.
Ce qui reste de l’armée belge est capturé en sa quasi totalité, un peu plus de 500 000 hommes. Mais les Français et les Britanniques vont défendre un périmètre autour de Dunkerque jusqu’au 4 juin et gagner cette bataille de Dunkerque qui permettra le rembarquement d’une partie des troupes britanniques et de nombreux Français. Mais les prisonniers seront tout de même au nombre d’un million avec un nombreux matériel. Pour le professeur Henri Bernard, une meilleure liaison avec les Alliés aurait permis à l’armée belge de tenir plus longtemps et de faire passer au Royaume-Uni jusqu’à l’équivalent de 5 ou 6 divisions13.
Bilan
Côté belge, la campagne des dix-huit jours a coûté la vie à environ 6 300 militaires belges, sans compter les blessés négligés par les Allemands et qui décéderont plus tard dans des hôpitaux belges. Le sort des militaires belges ne fut pas certain dès la capitulation, car les Allemands ne savaient pas encore ce qu’ils allaient faire d’eux. Des hommes qui avaient été faits prisonniers pendant les combats étaient parqués dans des camps provisoires mal gardés et éparpillés à travers la Belgique et une notable partie d’entre eux parvint à fuir, surtout tout au début de leur incarcération, 150 000 approximativement. Le reste fit l’objet d’un tri opéré par les Allemands pour sélectionner les hommes qu’ils considéraient comme des spécialistes nécessaires pour faire fonctionner l’industrie, l’administration et les transports en commun du pays occupé qu’ils comptaient bien utiliser à leur profit. À ce titre, un peu plus de 300 000 hommes furent libérés. Parmi eux, un certain nombre d’officiers qui allaient être obligés de pointer régulièrement au siège d’un office de contrôle nommé « OTAD ». Le reste des militaires belges, plus ou moins 215 000, fut transporté en Allemagne, en train ou en bateau. Les officiers furent internés dans les Oflags (Offizierslager), principalement à Prenzlau, Tibor et Luckenwalde. Les autres militaires furent envoyés dans les stalags (Stamm-lager camp de base).
Dans le cadre de la Flamenpolitik, Hitler décida la libération des miliciens, sous-officiers et officiers de réserve néerlandophones. De nombreux miliciens francophones, dont pratiquement tous les Bruxellois, réussirent à passer le test linguistique et perçurent le Entlassungsschein leur permettant de regagner leur foyer. Au total, cette sélection à base ethnique entraîna la libération de 79 114 prisonniers selon un décompte allemand. Mais 30 000 militaires de carrière néerlandophones, y compris des officiers qui manifestaient un patriotisme qui heurtait les Allemands, restèrent prisonniers jusqu’à la fin de la guerre. Il resta donc un peu plus de 105 000 militaires belges dans les camps jusqu’à la fin de la guerre. D’autre part, 770 prisonniers parvinrent à s’évader au fur et à mesure des années et 12 476 malades graves furent rapatriés dans le cadre d’accords patronnés par la Croix-Rouge internationale, mais 1 698 prisonniers moururent en cours d’internement.

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Opération Weserübung

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L’Allemagne touche Le Danemark et la Norvège

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Opération Weserübung

L’opération Weserübung était le nom de code allemand désignant l’attaque par l’Allemagne nazie du Danemark et de la Norvège, marquant le début de la campagne de Norvège. Weserübung signifie « exercice sur la Weser » au sens propre ou, dans le domaine militaire, « opération Weser ». La Weser est une rivière allemande.
Aux petites heures du 9 avril 1940 – Wesertag (« Jour Weser ») – l’Allemagne envahissait le Danemark et la Norvège, opération menée ouvertement comme une manœuvre préventive allant à l’encontre de l’occupation planifiée et ouvertement discutée de ces deux pays par une force franco-britannique. Juste avant l’arrivée de leurs troupes, des envoyés allemands informèrent les gouvernements des deux pays que la Wehrmacht devait venir « protéger la neutralité de leurs pays » contre l’agression franco-britannique. Dans les faits, les nombreuses différences de climat, de localisation et de géographie entre les deux pays rendirent leurs invasions très différentes.
L’heure prévue de débarquement fixée à la flotte d’invasion – le Weserzeit (l’« Heure Weser ») – était de 5 h 15 du matin heure allemande, 4 h 15 à l’heure norvégienne.

 

 

Opération Weserübung oparat10

Au début du printemps 1939, l’amirauté britannique commença à considérer la Scandinavie comme un théâtre potentiel d’opérations dans l’optique d’un conflit armé avec l’Allemagne. Le gouvernement britannique était réticent à s’engager dans un conflit terrestre à nouveau sur le continent, pensant qu’il s’agirait alors d’une réédition de la Première Guerre mondiale. Il commença donc à échafauder un projet de stratégie de blocus afin d’affaiblir indirectement l’Allemagne. L’industrie allemande était fortement dépendante des importations de minerai de fer provenant des régions minières au nord de la Suède, et une grande partie de ce minerai était expédié en Allemagne par le port norvégien de Narvik. Le contrôle de la côte norvégienne permettrait ainsi de resserrer le blocus autour de l’Allemagne.

En octobre 1939, le chef de la Kriegsmarine allemande, le grand-amiral Erich Raeder, discuta avec Hitler des dangers causés par la présence éventuelle de bases anglaises en Norvège et la possibilité pour l’Allemagne de se saisir de ces bases avant que le Royaume-Uni ne soit en mesure de le faire. La Marine appuyait sur le fait que l’occupation de la Norvège permettrait le contrôle des espaces maritimes attenants et qu’elle pourrait servir de base de départ pour de futures opérations contre l’Angleterre. Néanmoins, à ce moment-là les autres entités de la Wehrmacht n’étaient pas intéressées par le projet, et Hitler publia seulement une directive dans laquelle il faisait état que l’effort principal serait produit lors d’une offensive terrestre sur les Pays-Bas.

Vers fin novembre, Winston Churchill, en tant que nouveau membre du British War Cabinet, proposa de miner les eaux norvégiennes. Cela forcerait les convois de minerai à venir naviguer dans les eaux internationales de la mer du Nord, où la Royal Navy était en mesure de leur barrer la route. Toutefois, sa proposition fut repoussée par Neville Chamberlain et Lord Halifax, du fait de leur crainte d’une réaction adverse à l’encontre des pays neutres comme les États-Unis. Après le déclenchement de la guerre d’Hiver entre l’Union soviétique et la Finlande en novembre 1939, la situation diplomatique fut changée, Churchill proposa à nouveau son plan de minage, mais il fut encore rejeté.

En décembre, le Royaume-Uni et la France commencèrent sérieusement à envisager de l’aide en Finlande. Leur plan consistait en l’envoi d’une force, devant débarquer à Narvik au nord de la Norvège, et à traverser la Suède et la Finlande. Évidemment, ce plan leur aurait permis par là même d’occuper les gisements de fer en Suède. Le plan reçut le soutien tant de Chamberlain que d’Halifax. Ils comptaient dans ce cas sur le soutien et la coopération de la Norvège, qui faciliterait sans doute les clauses de droit international. Néanmoins, les sévères avertissements qu’avait auparavant envoyés le Royaume-Uni tant à la Norvège qu’à la Suède résulta en de fortes réactions négatives de la part des deux pays. Les plans d’expédition se poursuivirent, mais sa justification tomba à l’eau en mars, lorsque cessèrent les hostilités entre la Finlande et l’Union soviétique.

Planning de l’opération

Conscient de la menace que les Alliés faisaient planer sur son approvisionnement en minerai de fer, Hitler ordonna à l’OKW de se lancer dans un plan préliminaire concernant l’invasion de la Norvège dès le 14 décembre 1939. Le plan préliminaire avait pour nom de code Studie Nord et ne faisait appel qu’à une seule division.

Entre le 14 et le 19 janvier 1940, la Kriegsmarine étudia une version étendue de ce plan. Elle mit en avant deux facteurs essentiels de l’assaut à venir. D’abord, que l’effet de surprise serait un facteur très important pour le succès de l’opération, afin de limiter la menace d’une résistance organisée de la part d’une résistance norvégienne (et d’interventions britanniques). Le second élément consistait en l’utilisation des navires de guerre allemands les plus rapides plutôt que de simples bateaux de la marine marchande, relativement lents, pour le transport des troupes. Cela permettrait d’occuper tous les objectifs rapidement et simultanément, alors que les navires de transport n’avaient qu’un rayon d’action limité.

Ce nouveau plan faisait appel quant à lui à un corps d’armée entier, comprenant une division de montagne, une division aéroportée, une brigade d’infanterie mécanisée et deux divisions d’infanterie. Les objectifs des débarquements de ces forces seraient :
• la capitale norvégienne, Oslo, ainsi que les centres de population attenants, Bergen, Narvik, Tromsø, Trondheim et Stavanger.
Ce plan comprenait également la capture rapide des rois du Danemark et de Norvège, dans l’espoir que cela contribuerait à une reddition rapide des deux pays.
Le 21 février 1940, le commandement des opérations fut confié au général von Falkenhorst. Il avait combattu en Finlande durant la Première Guerre mondiale et, de ce fait, était conscient des particularités de la guerre dans le froid polaire. Néanmoins, il n’aurait sous ses ordres que les troupes terrestres, malgré le désir émis par Hitler d’un commandement unifié de toutes les armes.

Le plan d’attaque final fut baptisé du nom de code opération Weserübung (« Exercice sur la Weser ») le 27 janvier 1940. [/L’opération serait menée sous le commandement de la 21e armée et la force d’attaque comprendrait la 3e division d’infanterie de montagne et 5 divisions d’infanterie, dont aucune de ces dernières n’avaient connu leur baptême du feu. La première vague consisterait en trois divisions, les autres devant suivre dans une deuxième vague. Trois compagnies de parachutistes auraient pour mission d’occuper les terrains d’aviation. La décision d’envoyer également la 2e division d’infanterie de montagne ne sera prise que par la suite.

À l’origine, le plan prévoyait d’envahir la Norvège et de prendre le contrôle des terrains d’aviation danois par la voie diplomatique.
Toutefois, Hitler fit paraître une nouvelle directive le 1er mars 1940 ordonnant l’invasion pure et simple des deux pays. Cette décision fut inspirée suite aux demandes répétées de la part de la Luftwaffe relatives à ses besoins de capturer les bases de chasseurs danois et les sites de surveillance aérienne. Le XXIe corps fut constitué pour l’invasion du Danemark, composé de deux divisions d’infanterie et la 11e brigade motorisée. L’opération complète serait sous la garde du Xe corps aérien, composé de quelque 1 000 avions de types variés.

Invasion du Danemark

 

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Stratégiquement parlant, le Danemark ne revêtait pas une grande importance aux yeux des Allemands, hormis comme base de départ pour leurs opérations ultérieures en Norvège, ainsi qu’évidemment comme pays frontalier de l’Allemagne qui devait être contrôlé d’une manière ou d’une autre.
Petit et relativement plat, le pays constituait un terrain idéal pour les opérations militaires allemandes, et la petite armée danoise n’avait que peu d’espoir en cas de résistance armée. Néanmoins, aux petites heures du 9 avril, quelques troupes danoises engagèrent le combat avec les Allemands, ce qui leur occasionna quelques dizaines de victimes.

Après qu’un millier d’hommes eurent débarqué dans le port de Copenhague, un détachement de la garde royale engagea le combat avec les assaillants.
Juste après les premiers coups de feu, plusieurs formations de bombardiers Heinkel He 111 et Dornier Do 17 survolèrent la ville. Face à la menace explicite de la Luftwaffe bombardant la population civile, le gouvernement danois capitula en échange de l’assurance qu’il garderait une indépendance politique pour ce qui était des questions de politique intérieure. Cela déboucha sur l’unique occupation relativement clémente de la part des Allemands, tout particulièrement jusqu’à l’été 1943, ainsi que par un début des arrestations et déportations de Juifs danois relativement tardif (seulement une fois que la majorité d’entre eux avaient été avertis des menaces qui pesaient sur eux, et se trouvaient en chemin pour trouver asile en Suède). Finalement, moins de 500 Juifs danois furent déportés, et moins de 50 d’entre eux perdirent la vie en camp de concentration, sur une population d’avant-guerre évaluée à 8 000.

Bien que le Danemark et le reste de la Scandinavie n’aient que peu d’importance militaire, ces pays avaient une grande importance selon les plans économique, stratégique et idéologique. Ainsi, le docteur Werner Best, second plénipotentiaire allemand, déclara : « Le Danemark apporta un soutien économique substantiel à l’Allemagne grâce à son agriculture. Il constituait également un intermédiaire important avec la Suède ».

 

 

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Les sites de débarquement des troupes allemandes pendant la phase initiale de l’opération Weserübung

Invasion de la Norvège
Motivations – Ordre de bataille

La Norvège était importante pour l’Allemagne, et ce pour deux raisons principales : elle pouvait constituer une importante base pour ses unités navales, y compris ses U-boots, lui permettant ainsi de harceler les convois alliés dans l’Atlantique Nord d’une part et, d’autre part, de protéger ses cargaisons de minerai de fer en provenance de Suède via le port de Narvik. La longue et sinueuse ligne côtière du nord constituait en outre un terrain parfait pour le lancement d’attaques de U-boots à l’encontre de la marine marchande britannique. L’Allemagne était en effet fortement dépendante des livraisons de minerai suédois et s’inquiétait à juste titre de la menace que les Alliés faisaient peser sur cette voie d’approvisionnement.

L’invasion de la Norvège fut confiée au XXIe corps d’armée du général Nikolaus von Falkenhorst, disposant des unités principales suivantes :
• la 136e DI, la 69e DI, la 169e DI, la 181e DI et la 214e DI.
• deux régiments de la 3ème division de montagne.
La force d’invasion initiale fut transportée par différents groupes de navires (Kampfgruppen) de la Kriegsmarine :
1. Les croiseurs de bataille Scharnhorst et Gneisenau en couverture éloignée, accompagnés de dix destroyers transportants 2 000 hommes des troupes de montagne sous le commandement du général Eduard Dietl à destination de Narvik ;
2. Le croiseur lourd Admiral Hipper et quatre destroyers avec à leurs bords 1 700 hommes à destination de Trondheim ;
3. Les croiseurs légers Köln et Königsberg, le navire d’exercice pour l’artillerie Bremse, le transport de troupes Karl Peters, deux torpilleurs et cinq vedettes lance-torpilles, transportant 1 900 hommes de troupe pour Bergen ;
4. Le croiseur léger Karlsruhe, trois torpilleurs, sept vedettes lance-torpilles avec 1 100 hommes à destination de Kristiansand ;
5. Le croiseur lourd Blücher, le croiseur lourd (précédemment cuirassé de poche) Lützow, le croiseur léger Emden, trois torpilleurs et 8 dragueurs de mines transportant 2 000 hommes pour Oslo ;
6. Quatre dragueurs de mines avec 150 hommes pour Egersund.

 

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Navires de la Kriegsmarine à Narvik en 1940.

Brève chronologie

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Carte du fjord d’Oslo indiquant la position d’Oscarsborg

• En fin d’après-midi du 8 avril 1940, le Kampfgruppe 5 est repéré par le navire de gardes-côtes norvégien Pol III. Pol III est mis hors de combat. Son capitaine, tué dans l’opération, constitue la première victime norvégienne de la guerre.
• Ironiquement ou presque, le croiseur lourd allemand Blücher est coulé dans le fjord d’Oslo le 9 avril par des canons allemands de la marque Krupp de 280 mm, vieux de 48 ans (dénommés Moses et Aron), installés dans la forteresse d’Oscarsborg en mai 1893, et par des torpilles tout aussi anciennes :
• Les vaisseaux allemands remontaient le fjord menant à Oslo, atteignant le resserrement de Drøbak (Drøbaksundet). Tôt le matin du 9 avril, les canonniers de la forteresse d’Oscarsborg tirèrent sur le bateau de tête, le Blücher, qui avait été pris dans le feu des projecteurs vers 5 h 15. En deux heures, le vaisseau, incapable de manœuvrer du fait de l’étroitesse du fjord, fut coulé avec 600 à 1 000 hommes. La menace désormais avérée que constituait la forteresse retarde suffisamment longtemps la flotte d’invasion pour permettre de prendre des mesures d’urgence, qui se traduiront par la fuite relatée plus bas.
• Les parachutistes allemands atterrissent près des aéroports d’Oslo Fornebu, de Kristiansand Kjevik et de Stavanger Sola, cette dernière constituant la première attaque de parachutistes de l’histoire. À noter que l’un des pilotes de la Luftwaffe à Kjevik était Reinhard Heydrich.
• Du fait du naufrage du Blücher dans les resserrements du fjord d’Oslo, la famille royale ainsi que le Parlement (y compris le gouvernement) échappent aux forces d’invasion allemandes. Le roi Haakon refuse de déposer les armes ; il s’ensuit la bataille de Midtskogen, protégeant la fuite du roi ; bombardements de Elverum et de Nybergsund. La famille royale, les membres du Parlement et le trésor national fuient vers le Nord afin d’échapper aux Allemands.
• Les villes de Bergen, Stavanger, Egersund, Kristiansand S, Arendal, Horten, Trondheim et Narvik sont attaquées et occupées dans un délai de 24 heures.
• Baroud d’honneur héroïque, mais absolument inefficace, des frégates de gardes-côtes norvégiens Norge et Eidsvold à Narvik. Les deux bateaux sont torpillés et envoyés par le fond avec de nombreux hommes d’équipage.
• Première et seconde batailles navales de Narvik opposant la Royal Navy à la Kriegsmarine.
• Quisling annonce son coup d’État à la radio. Son gouvernement restera non reconnu par le Parlement et par le roi. Cela justifie pleinement le rattachement au côté allié de la Norvège durant la Seconde Guerre mondiale. L’hostilité de la population norvégienne conduira Hitler à renvoyer Quisling une semaine plus tard.
• Les Allemands capturent Narvik et y font débarquer les 2 000 hommes des troupes d’infanterie de montagne, mais une contre-attaque navale britannique menée pendant plusieurs jours par le vieux cuirassé HMS Warspite accompagné d’une flottille de destroyers permit de couler dix destroyers allemands après qu’ils eurent été à court de munitions et de carburant.
• Bombardements dévastateurs des villes d’Åndalsnes, Molde, Kristiansund N, Steinkjer, Namsos, Bodø, Narvik ; ces bombardements avaient soit un but stratégique, soit un but psychologique (semer la terreur parmi les populations civiles).
• Campagne principale des Allemands au nord d’Oslo, menée avec du matériel dernier cri ; face à eux, les soldats norvégiens, équipés d’un armement datant du tournant du siècle, aux côtés de troupes britanniques et françaises, arrêtent momentanément leur avance à Namsos en avril 1940 avant de se rendre. Ces faits constituent les « premiers combats terrestres opposant l’armée de terre britannique et la Wehrmacht durant la seconde Guerre mondiale ».
• Combats terrestres à Narvik : les Norvégiens et les troupes alliées (Français, Polonais) sous le commandement du général Carl Gustav Fleischer accomplissent la « première opération tactique victorieuse contre la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale » mais les Alliés opèrent une retraite malencontreuse (cf. infra) ; combats à Gratangen.
• Le « dernier bastion » : la forteresse d’Hegra (Hegra festning, ou fort Ingstadkleiven) soutient le siège imposé par les Allemands jusqu’au 5 mai. Ce fait est d’une grande importance pour les besoins de la propagande alliée, tout comme les opérations de Narvik.
• Le roi Haakon, le prince héritier Olav et le Parlement appareillent de Tromsø le 7 juin (à bord du croiseur britannique HMS Devonshire) à destination du Royaume-Uni afin de représenter la Norvège en exil (le roi rentrera à Oslo cinq ans après, à la même date) ; la princesse royale Märtha et ses enfants, s’étant vus refuser l’asile par leur Suède natale, quitteront plus tard Petsamo en Finlande afin de vivre leur exil aux États-Unis.
• La Norvège capitule (bien que les forces armées norvégiennes continuèrent à combattre les Allemands jusqu’à leur capitulation en Norvège le 8 avril 1945) le 10 juin 1940, deux mois après le Wesertag.

Dans le grand Nord, les troupes norvégiennes, françaises et polonaises, soutenues par la Royal Navy et la RAF, poursuivirent le combat contre les Allemands pour le contrôle de Narvik (seul port norvégien d’importance permettant les envois de minerai de fer suédois durant toute l’année, le port suédois de Luleå étant bloqué par les glaces pendant les mois d’hiver).

Les Allemands furent repoussés hors de la ville le 28 mai, mais du fait de la dégradation de la situation dans le reste du continent européen, les troupes alliées furent rembarquées durant l’opération Alphabet et les Allemands reprirent le contrôle de la ville le 9 juin, alors également vide d’habitants suite aux bombardements massifs effectués par la Luftwaffe.

L’opération Weserübung n’impliquait pas d’assaut militarisé à l’encontre de la Suède (pratiquement neutre) – il n’y en avait pas besoin. En contrôlant la Norvège, le détroit du Danemark et la plus grande partie du littoral de la mer Baltique, le Troisième Reich encerclait la Suède par le nord, le sud et l’ouest.

À l’est, l’Union soviétique, héritière de l’ennemi héréditaire russe de la Suède comme de la Finlande, était encore à cette époque en bons termes avec Hitler depuis le Pacte germano-soviétique. Concernant la Finlande, seul un petit nombre de Finlandais prirent part à la lutte contre les Allemands au sein d’unités d’ambulance. Enfin, le commerce maritime de la Suède et de la Finlande était totalement sous le contrôle de la Kriegsmarine.

De ce fait, l’Allemagne fit pression sur la Suède afin qu’elle lui permit de faire transiter par son territoire du matériel militaire et des permissionnaires. Le 18 juin 1940, les deux parties parvinrent à un accord. Les soldats devaient circuler non armés, et leurs déplacements ne devaient pas contribuer à un mouvement d’unité. Au total, 2,14 millions de soldats allemands et plus de 100 000 convois militaires allemands traversèrent la Suède jusqu’à l’arrêt officiel de ces voyages le 20 août 1943.
En août 1940, la Finlande accepta de garantir l’accès de la Wehrmacht à son territoire. Initialement destinés au transit de troupes et de matériel militaire vers l’extrême nord de la Norvège, ces convois eurent bientôt pour but des bases allemandes mineures installées le long de la voie de transit, qui pourraient bientôt grossir en vue de la préparation de l’opération Barbarossa.

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Le minerai de fer était extrait à Kiruna et à Malmberget et acheminé par le rail aux ports de Luleå et de Narvik.
(Frontières de 1920-1940.)

source wikipedia

 

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 Chronologie de la Seconde Guerre mondiale

5 janvier 2013

Bizerte et son nouveau port

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Une histoire : Bizerte et la France

La Tunisie et la Grande Guerre

La Tunisie au gré des conflits

Ch. Maumemé

Attaché au Service géographique de l’armée

Bizerte et son nouveau port

In: Annales de Géographie. 1895, t. 4, n°17. pp. 464-479.

doi : 10.3406/geo.1895.5729

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1895_num_4_17_5729

 Ch. Maumemé à travers ce récit fait une éloge sur la région de Bizerte, avant la période du protectorat. Bizerte et son lac n’évoqueront que des projets de guerre… Bizerte, aux sites pittoresques… devient aux yeux du monde, un site stratégique… de guerre… Je vous laisse le plaisir d’imaginer Bizerte vers les années 1890… si vous la connaissez aujourd’hui … vous penserez certainement comme moi… elle aurait du rester un site naturel. Ce récit est le début de l’implication de Bizerte, de la Tunisie, au sein de conflits qui ne la ou les concernaient pas … que nous aurons l’occasion d’évoquer à travers d’autres documents, articles, récits. Hayet 

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Au moment où les grands travaux commencés à Bizerte il y a neuf ans sont terminés ou le port vient être ouvert aux navires et la ville jointe Tunis par une voie ferrée peut-être est-il pas sans intérêt étudier Bizerte à son double point de vue de port de guerre et de débouché commercial du Nord de la Tunisie de fixer la physionomie avait celte ville tunisienne lorsque nous sommes arrivés physionomie qui efface de jour en jour examiner aussi dans leurs détails les travaux qu’ils feront effectués, la Compagnie du Port et qui en feront à bref délai la place la plus considérable de la côte Afrique

Un coup d’œil sur la carte de la Méditerrannée et la valeur de cette position nous frappera immédiatement : Bizerte est située à l’issue d’une des très rares échancrures qui entaillant la falaise barbaresque permettent de pénétrer facilement dans l’intérieur de la Tunisie

Au contraire sur tout autre point de cette inhospitalière côte du Nord escarpée et battue de la mer on se trouve dés abord en face de massifs montagneux hérissés de rochers et coupés de ravins et où les populations indigènes sont encore à l’heure actuelle presque étrangères les unes aux autres par suite des difficultés de communications

Une large dépression dont le lac de Bizerte et le lac Achkel, (Garaat Achkel) occupent l’embouchure, s’étend jusqu’au Sud de Mateur prolongée encore par la fertile vallée de Oued Tine.

De Mateur vers le Sud-Ouest des pentes douces s’élèvent jusqu’au plateau de Beja ; on arrive ainsi sans avoir eu à franchir d’obstacles naturels la vallée moyenne de la Medjerdah et les deux territoires que l’on traversés sont les plus riches du Nord de la Tunisie, riches en fourrages en céréales et en troupeaux

D’autre part la petite vallée de Oued Chaïr affluent de l’Oued Joumine ouvre un passage facile au milieu des collines et met ainsi en communication à Mateur avec la basse vallée de  la Medjerdah

C’est du reste cette trouée que suit la voie ferrée Tunis-Bizerte tout récemment inaugurée

Le lac de Bizerte et le cirque d’embouchure de la Medjerdah forment deux vastes dépressions séparées l’une de l’autre par un petit seuil montagneux très peu épais et dont altitude atteint à peine 57 mètres au col d’AÏN Rhelal

Elles déterminent entre elles la longue île d’el Alia qui se bifurque sur Ras Zebid et Porto Farina tandis qu’une langue de dunes et d’atterrissements se prolongent en face de Bizerte limitant le lac au Nord et ne laissant qu’un mince chenal d’écoulement de ses eaux

Toute cette île est couverte de cultures travaillée par les Maures andalous dont elle fut jadis le centre de cantonnement, elle est jalonnée de gais villages dont les maisons blanches s’étagent au-dessus de forêts d’oliviers dévalant vers la mer :  Metline longue agglomération serpentine de maisons communiquant ensemble sans autre rue qu’un ravin qui la contourne. Ras el Djebel dont les minarets effilés s’aperçoivent de loin alternant dans air avec les têtes épanouies des palmiers.  Rafraf dont les coteaux couverts de vignes produisent les raisins les plus estimés de toute la Tunisie

Les descendants des Andalous habiles cultivateurs ?  entretiennent de ravissants jardins abrités du vent où le soleil mûrit en abondance des fruits délicieux et superbes oranges, mandarines, citrons grenades, abricots, pommes, figues et raisins

Il faut considérer que Bizerte met les côtes de France à 6 heures de moins que Tunis et que les arrivages de primeurs en seront d’autant facilités.

Tout ce ravissant coin de terre de la presqu’ île de Porto-Farina qui malgré sa fécondité a  été jusqu’à présent un des plus délaissés de la Tunisie, trouvera à Bizerte son débouché naturel lorsque les

services de paquebots devenus plus fréquents par sulte de l’ouverture du port et les chargements à quai permettront l’ exportation régulière et rapide de toute cette production en partie inutilisée

Je n’ai pas parlé de la région même de Bizerte où la colonisation est déjà portée et où un seul domaine atteint environ 10000 hectares1

Des cultures de toutes sortes y sont faites par les indigènes des bois d’oliviers couvrent les collines et bordant le lac,  mirent leurs frondaisons dans ses eaux bleues oasis lumineuses au milieu desquelles brillent sous le soleil les maisons blanches de Zarzouna de Menzel Abderrahman ou de Menzel Djemil

Bizerte possède en outre aux portes de la ville une source d’immenses richesses :c’ est la pêche de son lac colossal vivier où les poissons peuvent se reproduire en toute sécurité étant jamais inquiétés tant qu’ ils restent dans ce réservoir naturel.

D’ innombrables familles de daurades et de mulets de soles et anguilles de turbots et de rougets vivent dans ses eaux et pourraient y atteindre la vieillesse enviée des carpes de Fontainebleau si leur humeur inquiète ne les poussait à la mort

Ces poissons que des profanes pourraient juger placides et sédentaires sont tout au contraire de tempérament fort nomade et certaines époques de l’année leur goût pour les voyages se traduit par des migrations en masses. Chaque espèce a sa date de départ , à peu près invariable et ce terme arrivé se dirige en escadrons serrés vers la sortie du lac pour gagner la mer.  Les pêcheurs connaissant cette loi naturelle à laquelle obéissent les poissons, se sont et cela parait-il depuis la plus haute antiquité servis de cette observation pour les capturer . Le procédé qu’ ils emploient à Bizerte est assez curieux et mériterait être décrit tout au long mais le récit d’une de ces pêches vraiment miraculeuses ne rentre pas dans le cadre de cette élude ; contentons-nous d’en indiquer à grands traits le principe et à en constater les résultats utiles à connaître au point de vue commercial

A la sortie du premier goulet par lequel le lac épanche dans la mer immenses barrages sont dressés d’un bord à l’autre. Ces barrages construits d’une façon particulière portent le nom de hordigues

Un vieux pêcheur posté non loin de ces barrages est chargé de surveiller en permanence les manoeuvres des habitants da lac.

Ce raïs ou capitaine des pêcheurs est un homme d’expérience et de vue perçante qui sait en outre à peu d’écart près à quel moment de la lune passe la daurade, par quels courants se montre le mulet, quel temps choisira la brème

Lorsqu’il voit les familles se grouper pour quitter leurs demeures, il fait un signal et aussitôt accourent tous les pêcheurs de la ville. Les filets sont tendus et une immense battue s’exécute au cours de laquelle on prend en moyenne, 10 à 12 000 poisons.

Dans L’année on compte treize pêches correspondant treize passages différents .

D’après la statistique officielle de la Compagnie du Port , la pêche par les barques et dans les réservoirs du 1er janvier au 31 décembre 1892 se chiffre par la quantité de 305200 poissons pesant ensemble 365395 kilos

Les chiffres donnés par le Service de la navigation et des ports sont plus élevés encore et accusent une moyenne de 500 000kilos

Cela représente approximativement 750000 piastres soit 430000 francs

Encore faut-il compter une perte énorme par suite des difficultés de transport du poisson

En effet la ville de Bizerte consomme à peine un vingtième de la pêche le reste est expédié à Tunis (70 kilomètres) et ce transport se faisait jusqu’à présent à dos de mulets

On peut se figurer quel doit être le déchet pendant les mois d’été avec une température moyenne de 30° de chaleur

Jusqu’en 1890 la pêche du lac fut affermée par l’état tunisien des adjudicataires qui moyennant une redevance environ 270000 piastres en devenaient fermiers pendant trois années consécutives ; cette adjudication comprenait en même temps la pêche en mer dans les eaux de Bizerte et dans celles de Porto-Farina

En 1890 par le traité passé entre la Direction des travaux publics tunisiens et MM Hersent-Gouvreux la pêcherie du lac fut attribuée à la Compagnie concessionnaire du port de Bizerte

Les pêcheries se trouvèrent ainsi pendant un moment menacées de destruction car la lagune sur laquelle était leur emplacement devait d’une part être coupée pour le passage du chenal et d’autre part recevoir les déblais provenant des dragages pour former l’assiette de la ville future

On ne pouvait faire abandon en pure perte des revenus considérables de ces pêcheries ; aussi seront-elles reportées en arrière au delà de la pointe de Cebra

Un grand barrage en filets de fer sera tendu d’une rive à l’autre ne laissant en son milieu qu’une portière mobile de 35 mètres de long pour assurer le passage des vaisseaux

Quant au mode de  pêche des essais d’un nouveau genre ont été faits et tout porte à croire que cette industrie entre les mains d’une compagnie riche et intelligente se perfectionnera et donnera un rendement supérieur encore à celui que les Arabes peu soucieux du progrès en tiraient jusqu’à présent

Ne quittons point les parages du lac sans parler un phénomène physique observé déjà par les anciens décrit par Pline le Jeune et par Ptolémée et ont dû pour leurs travaux étudier de très près les ingénieurs de la Compagnie du Port ; ce sont les courants alternatifs et en sens inverses qui animent le lac.Tantôt les eaux de la mer entrent dans le lac et tantôt ce sont les eaux du lac qui se déversent à la mer avec un courant très rapide.  Ce phénomène est extrêmement complexe indépendamment des marées qui agissent sur lui d’une façon régulière ; il est régi bien plus puissamment par deux influences essentiellement variables : les vents et la quantité de pluie tombée dans le bassin de réception du lac Ces deux forces en outre se combinent ou se combattent suivant les cas

 Les vents dominants pendant l’hiver sont ceux de l’Ouest or on a observé d’une façon générale que par ces vents ce sont les eaux de la mer qui entrent dans le lac pourtant il arrive souvent que par ces mêmes vents les eaux du lac sortent avec une grande rapidité. C’ est alors le réservoir principal d’alimentation du lac qui est la Garaat Achkel  est en trop-plein par suite des apports considérables que lui font après les hivers pluvieux ; les innombrables torrents qu’il reçoit et dont l’Oued Sedjenan l’Oued Tine et l’Oued Joumin sont les plus importants

Je pense donc qu’on arrivera point à  préciser dans quelles limites peuvent varier et ces courants et leurs différentes vitesses arrivées dans le canal à certaines époques de l’année

On parviendra certainement à amoindrir leur rapidité et empêcher de gêner en quoi que ce soit la circulation dans le canal mais ces courants de vitesses variables et les ensablements dont ils sont certainement une des causes seront les obstacles avec lesquels le port de Bizerte aura le plus à compter dans l’avenir

A l’époque où la France s’y installa, Bizerte avait de valeur au point de vue purement pittoresque Adossée des collines boiséesd’oliviers, entourée de murs à créneaux allongée vers la mer dont a séparait seulement un liséré de sables d’or était l’une des plus jolies cités orientales qu’on pût voir Deux larges canaux coulant au ras des maisons blanches traversaient la ville reflétant dans leurs eaux bleues les minarets ajourés et balançant doucement les mahonnes amarrées aux quais demi écroulés ; par-dessus ces canaux, de petits ponts d’un seul arceau, réunissaient le quartier insulaire au quartier continental : celui-ci renfermait les souks , les cafés arabes et au sommet la Kasbah dominant la mer et la ville de ses hautes murailles étagées formidables jadis, aujourd’hui simplement décoratives

Bizerte méritait encore à ce moment le surnom de Venise d’ Afrique car c’est au Rialto et au Pont des Soupirs que faisaient penser ces canaux enjambés par des ponts en dos d’âne et les ruelles tortueuses se ramifiant à l’infini.

C’était  à la vérité une Venise plus petite sans grands monuments mais possédant de la lumière bleue dans son ciel et dans ses eaux claires de l’air sur ses terrasses, de la gaieté dans ses groupes d’Arabes et dans son petit port rempli de barques, et une certaine grandeur sévère dans ses longues rues voûtées pleines d’ombre fraîche et de silence

Mais telle qu’elle était alors Bizerte avait aucune valeur ni commerciale ni militaire

L’ importance considérable que cette ville est appelée à prendre ne pouvait lui venir qu’autant elle serait aux mains d’une puissance civilisée capable d’aménager son lac intérieur pour la création d’un vaste port

Ce lac d’une superficie de 30000 hectares possède sur une étendue de plus de 6000 des fonds d’une dizaine de mètres il est en- outre entouré d’une enceinte de collines qui le dérobent aux vues du large et en même temps abritent des vents

C’ est une rade fermée assez spacieuse pour que les escadres réunies du monde entier puis y évoluer à l’aise

Mais il en fallait de beaucoup que ce lac fût immédiatement utilisable et que Bizerte pût même être un petit port de commerce

Des obstacles considérables s’y opposaient : le lac en effet ne se déversait dans la mer que par un canal étroit :  le chenal large de plus de huit cents mètres sur un parcours de sept kilomètres et ayant en cette première partie des allures de fleuve tropical se rétrécissait tout à coup barré par la ligne de dunes côtières et dans cet étranglement, les fonds sur plus d’1 kilomètre de longueur atteignaient même pas 2 mètres

La partie de ce canal qui à l »Est de la ville servait de port Bizerte était ensablée et les quais tombaient en ruines : quant  à la vieille jetée qui partait de la pointe de la Kasbah, la mer avait fait brèche en maintes endroits

Seules les mahonnes tunisiennes osaient se risquer jusqu’à Bizerte, encore n’était-ce que dans la belle saison car une barre était formée à l’ entrée de la passe produisant pendant tout hiver des brisants dangereux ; quant aux bateaux mar chands il leur fallait mouiller au large dans une rade peu tenable par les vents qui soufflent une partie de année

Bizerte avait pourtant été autrefois un port d’une certaine importance comme en témoignaient ces diverses constructions,  quais et jetées mais tout cela fut ruiné par les bombardements successifs que

cette ville barbaresque eut à subir de la part des puissances chrétiennes et suivant la coutume orientale rien ne fut jamais réparé probablement depuis 1770, année où le comte de Broves amiral français avait bombardé puis incendié Bizerte

Le bey Ahmed lui-même ce grand constructeur, le Louis XIV tunisien n’avait rien fait pour relever Bizerte , ayant porté tous ses soins sur Porto-Farina dont il voulait faire le port militaire de la Régence

Cet état de délabrement dura longtemps encore après notre occupation ;  pendant les premières années rien ne fut tenté en faveur de Bizerte bien qu’on eût vanté souvent les avantages de sa situation et que l’amiral Aube, durant son passage au ministère de la marine eût réclamé l’établissement d’un port de guerre en ce point .

Nous pouvons avouer aujourd’ hui que le mauvais vouloir latent des autres puissances de l’Angleterre et de Italie et la crainte exagérée de complications diplomatiques, furent pour beaucoup dans cette lenteur à entreprendre des travaux d’une utilité aussi incontestable ;

Après avoir fait un coup d’audace en s’emparant de la Tunisie, la France eut peur un moment et n’osa point agir en propriétaire dans sa conquête

En 1885 seulement on décida qu’une station de torpilleurs serait établie à Bizerte

Le service maritime commença l’année suivante, une restauration partielle des quais, des dragages furent faits pour ouvrir la barre, désensabler le port et le rendre praticable des navires de 3 mètres de tirant eau ; mais ces travaux furent conduits comme une simple réparation d’ouvrages dont on voulut tirer parti sans aucun plan pour constituer une oeuvre nouvelle

Malgré les dragages , les courants ramenaient sans cesse les sables : on perdit ainsi trois années et il fallut se résoudre à prolonger la jetée de la Kasbah de façon à  protéger l’entrée de la passe

C’est alors que la Société Gouvreux-Hersent-Lesueur vint proposer au gouvernement tunisien d’exécuter ces travaux à forfait.

L’ entreprise leur fut adjugée en décembre 1888 moyennant le prix forfaitaire de 120000 francs la jetée Nord devait être poussée à 250 mètres en mer

Déjà dès le mois avril 1883 M. Abel Gouvreux avait remis à M. Gambon ministre résident à Tunis un avant-projet pour ouverture d’un port à Bizerte, mais cette première tentative n’avait pas eu de résultat effectif.

Ce ne fut  qu’au cours de cette entreprise en 1889 que MM Gouvreux-Hersent purent effectuer des études et reconnaissances pour évaluation des travaux nécessaires à la mise exécution de leur projet de port conçu dès les premiers temps de notre occupation en Tunisie.

Des sondages sur un réseau très serré furent pratiqués dans la bande littorale choisie pour le passage du futur canal ainsi que dans la partie de la baie de Cebra où des dragages sont à prévoir dans l’ avenir

Ces sondages faits à 10 mètres de profondeur permirent de reconnaître que le terrain était presque partout favorable aux dragages à exception d’une petite masse de calcaires qui malheureusement se trouve sur le tracé du canal

Il fallut rechercher des carrières de pierre capables de fournir les matériaux nécessaires aux constructions à faire en mer. On reconnut deux gisements importants un à AÎN Roumi nommée depuis AÏN Meriem au nord de Bizerte, l’autre au Djebel Makiouf sur la rive sud de l’avant-lac

Ces études complétées par des observations sur le régime de la mer, de la plage maritime, et des courants alternatifs des deux lacs furent poussées avec assez d’activité pour que le traité de

concession pût être signé dès le 11 novembre 1889 entre la Société concessionnaire et la Direction des travaux publics tunisiens

D’après ce contrat , les travaux devaient être terminés en 1895 et le nouveau port devait comprendre

(1)Nous devons tous ces intéressants renseignements sur les travaux du Port de Bizerte amabilité de Couvreus autres détails techniques ont ëté empruntés

la Note sur le port de Bizerte de Ingénieur Resal note insérée au Bulletin de la Compagnie du poride Bizerte juillet 1893)

 

 deux jetées de 1000 mètres de longueur s’avançant jusque dans les fonds de 13 mètres

Un chenal accès de la mer au lac creusé à 8 mètres de profondeur avec 100 mètres de largeur à la ligne d’eau et 64 mètres au plafond

Des quais auxquels pourront accoster les navires pour opérer directement leur chargement ou déchargement dans les wagons

Un mouillage pour de nombreux navires dans la baie de Cebra à  l’entrée du lac

Par contre le traité garantissant aux concessionnaires l’exploita tion du port futur leur assurait la propriété des pêcheries du lac, ainsi que celle des terrains gagnés par eux sur les eaux ; sur ces terrains doit être bâtie la ville européenne

Les travaux du port furent commencés immédiatement et se greffèrent sur les travaux en cours dont ils furent la continuation.  

La jetée du Nord actuellement terminée après un travail de huit ans est enracinée sur l’ancien môle de la Kasbah Elle  à 4000 mètres de long et est dirigée vers Est vers la pointe du cap Zebid qui enserre du côté de l’Orient, le golfe de Bizerte

Pour amener à pied d’oeuvre les énormes blocs qui constituent cet ouvrage, une voie ferrée été créée

reliant la jetée la carrière AÏN Meriem, aux environs de laquelle est formé un véritable village d’ouvriers

La deuxième jetée celle du Sud comporte également 1000 mètres de long . Son musoir doit être aussi dans les fonds de 13 mètres à  420 mètres du musoir de la jetée Nord, les deux jetées couvrant

ainsi une nappe de plus de 100 hectares ; c’ est dans cette zone où l’on espère obtenir un calme suffisant que débouche par les courbes de 9 mètres le canal reliant le lac à  la mer ; l’axe de ce canal dirigé au Nord-Est, bissecte ouverture entre les deux jetées et passe au Sud-Est de la ville à environ 550 mètres de la porte dite Bab Tunis

Le long de sa rive Nord se trouvent les quais ; une fois achevé, ils auront une longueur de 200 mètres.

De l’autre côté vers le lac, le canal trouve à son issue un élargissement de 700 mètres environ qui est l’entrée de la baie de Cebra

C’est dans cette baie en eaux calmes que pourront relâcher les navires qui ne pénétreront pas jusqu’au lac ; les fonds supérieurs à 6 mètres occupent dans cette rade intérieure abritée des vents, une surface de plus de 70 hectares et les quais pourront être, lorsque l’importance prise par le port le nécessitera, prolongés autour de cette baie dont les bords seront rectifiés en conséquence

Au Nord des quais entre le canal et les murailles s’ élèvera ou plutôt s’élève chaque jour pierre à pierre, la Bizerte européenne celle qui sera la Bizerte de l’avenir tandis que l’ ancienne celle des Andalous abandonnée à ses habitants arabes ou maltais se délabrera de plus en plus mutilée vive malheureusement par le vandalisme savant des ingénieurs auxquels elle a été livrée et qui ont dû (malgré eux je voudrais le croire) démolir les jolis ponts en dos âne et combler

les canaux de la Venise africaine

Il y a pourtant malgré ces quelques mutilations que je déplore, une idée très féconde dans cette création d’une deuxième ville à côté de l’ ancienne. Ce procédé est infiniment supérieur à celui qu’ on eût autrefois suivi en tâchant d’approprier la ville de Bizerte à La situation actuelle par démolition ou expropriation d’une partie de ses quartiers. Un ouvrage fait en vue d’un but déterminé, répond toujours mieux si médiocre soit-il, que l’adaptation d’une oeuvre déjà existante et qui fut faite jadis dans un but tout différent.  

Aux besoins nouveaux d’une civilisation, il faut des installations nouvelles. Cette manière de créer une ville de toutes pièces à côté de celle qu’on ne peut plus utiliser est de beaucoup préférable. Elle permet aux deux civilisations de se développer côte à côte sans que l’une étouffe l’autre, chacune

pouvant tirer de sa voisine les avantages que celle-ci comporte

Le temps n’ est-il pas là en fin de compte pour faire justice entre elles en ne laissant subsister que la meilleure ?  Mais je voudrais su’on respectât tout en les améliorant au point de vue de l’hygiène les villes anciennes ne fût-ce que pour marquer aux yeux des générations suivantes, les étapes de histoire.

Ne serions-nous pas heureux de retrouver actuellement et embrasser d’un même coup d’oeil les civilisations qui se sont succédées sur ce sol africain, les ruines de l’Hippone Diaryte des Romains à  côté de la ville punique qu’elle a remplacée et à  leur suite la Benzert arabe et la Bizerte française

Cette idée me semble implicitement comprise dans le principe du Protectorat sinon dans le mot lui-même.

Tunis a progressé de cette façon depuis le premier pas de notre occupation : la ville arabe n’a en rien été endommagée et à son côté est créée et se développe chaque jour la ville européenne.

Cette digression m’a écarté quelque peu de la question des travaux

La ville nouvelle ai-je dit ,s’élève sur cette partie qui autrefois était le goulet maintenant comblé, par lequel le lac se déversait dans la mer. Un vaste terre-plein existe en effet  aujourd’hui sur toute

cette étendue. En comparant les états de lieux ancien et actuel,  on reconnaît que plus de 50 hectares de terres auront été sorties des eaux et que des fonds de mètres auront été comblés Le volume des dé blais effectués pour le passage du canal a été en effet de 2 millions 20 mille mètres cubes enlevés par deux dragues capables de produire deux mille mètres cubes de dragages par jour. Tous ces déblais rejetés dans l’ancien goulet de la pointe Nord de la baie de Sebra au long des murailles de Bizerte, ont ainsi formé peu à peu l’assiette de la nouvelle ville. Sur ces terrains créés hier , on a déjà bâti en commençant par les maisons les plus utiles à une cité naissante : ce sont naturellement les hôteliers restaurateurs et marchands de vin qui ont ouvert la marche, suivis de près par les fonctionnaires pour ceux-ci et pour les différents services publics, gendarmerie, justice, église,contrôle civil ,etc. etc. le gouvernement tunisien s’est fait réserver des emplacements

Toutes les constructions qui seront faites sur ces terrains seront exonérées de tous impôts pendant les dix premières années de leur mise en usage : excellent moyen pour constituer rapidement

un centre de population commerçante

Le tableau suivant faisant ressortir le nombre de tonnes de marchandises entrées à Bizerte

au cours des dernières années montrera la progression ascendante

du trafic de cette ville avant même l’ouverture du port

1890 ……. 498 tonnes

1891 ……. 761

1892 ……. 13346

1893 ……. 16 864

Le procédé employé pour créer les terrains sur lesquels reposera la future ville mérite d’être décrit

Un système appelé débarquement flottant est installé sur deux bateaux plats sufffsamment écartésl’ un de l’autre pour qu’un chaland chargé puisse passer entre eux et  y effectuer le déchargement de son contenu. Ces deux bateaux plats logent l’un la machine motrice avec ses transmissions, l’autre une pompe et sa locomobile ; ils supportent en outre à une certaine hauteur le beffroi d’une drague avec sa chaîne à godets

Une large gouttière, à laquelle on donne une longueur allant parfois jusqu’à 40 mètres a son origine au sommet de ce beffroi, un peu au-dessous du déversement des godets, son autre extrémité aboutissant au-dessus du fond à combler et le dominant de plusieurs mètres

Ce système flottant est amarré près du bord à  remblayer

Les godets puisent dans le chaland les déblais de dragages, les élèvent au récepteur de la gouttière et les y déversent . L’eau envoyée par la pompe chasse alors ces matières le long de ce couloir disposé suivant une certaine inclinaison

Elles glissent rapidement jusqu’à l’extrémité où elles se projettent avec une force égale à  leur masse multipliée par le carré de leur vitesse de chute ; elles amoncellent se superposent et se tassent elles mêmes étant à peu près liquides. La majeure partie des eaux qu’elles contiennent s’écoule, l’évaporation fait le reste

Un vrai terrain alluvions est ainsi créé d’alluvions artificielles est vrai et bien plus rapidement déposées que des alluvions naturelles mais une manière analogue et offrant une solidité égale, celle des couches géologiques que des eaux libres auraient stratifiées

Ce genre de procédé qui avait été inauguré à Suez fut modifié par MM Hersent et Couvreux pour leurs travaux de régularisation du Danube et ceux du canal de Gand où il donna excellents résultats

Employé à Bizerte, il a permis d’ obtenir des remblais suffisamment consistants pour que des bâtiments importants : ateliers, gare de chemin de fer, hangars des quais, gendarmerie etc. etc. fussent immédiatement construits

En vue du développement que peut prendre cette future ville de Bizerte, il a fallu prévoir son alimentation en eau : des recherches faites dans la partie montagneuse de l’île el Alia ont amené la découverte de sources capables de fournir une quantité eau amplement suffisante à la consommation moyenne probable. Les conduits d’amenée auront jusqu’à Bizerte une longueur d’ une quinzaine de kilomètres et passeront en siphon à 25 mètres au-dessous du pla fond du canal

La route de Tunis à Bizerte par le Fondouk , route suivie par les diligences contourne le lac au Nord et passant par Menzel Djernil est obligée de traverser le canal près de son embouchure. Un large bac mû par la vapeur réunit les deux rives depuis qu’on a commencé les travaux du port

Mais cette route de terre sera de plus en plus délaissée grâce au chemin de fer qui relie depuis peu de temps Tunis à Bizerte ; Cette voie se détachant de la ligne Bone-Tunis a la hauteur de Djedeïda, longe à l’Ouest la plaine basse de la Medjerdah franchit AÏN Rhelal, le seuil de collines qui sépare les deux dépressions dont j’ai parlé au début et par la vallée de Oued Ghaïr, descend sur Mateur, borde à l’Est le lac Achkel passe l’Oued Tindja sur un pont métallique et aboutit à Bizerte non loin des quais de la gare étant à peu près au centre de la future ville

Les trains doivent mettre deux fois par jour Tunis en communication avec Bizerte et parcourir en deux heures et demie les 73 kilomètres qui séparent ces deux villes

Construite par la Société des Batignolles, la ligne a été livrée dans le courant octobre 1894, à la Compagnie Bône-Guelma

Certes on aura dans les premiers temps au moins quelques mécomptes avec cette voie faite en hâte dans des terrains marécageux et qui auraient au contraire exigé des précautions particulières

Mais enfin la voie existe et pourra s’améliorer

La route de terre de Mateur à Bizerte qu’elle emprunte en partie perdra ainsi de son utilité :une nouvelle route amorcée aujourd’hui la doublera en quelque sorte mais en se rendant de Mateur à Bizerte par l’Ouest du lac Achkel de façon à longer la base du pays des Mogods

Ce territoire des Mogods un des plus sauvages de la Tunisie, compte 9000 habitants Le pays est couvert de hautes broussailles au milieu desquelles par places, les Mogods cultivent du maïs

De récentes recherches ont fait reconnaître quelques gisements miniers : fer et calamine et il est probable vu la nature du sol qu’ on en découvrira encore bien d’ autres

Cette particularité jointe à l’excellence du terrain pour la culture du maïs et du tabac donnera-t-elle dans l’avenir quelque valeur à cette région .Je le croirais volontiers après les nombreuses ruines romaines qu’on y rencontre et qui prouvent qu’elle a eu son époque de prospérité : mais elle est jusqu’à présent restée fermée par suite des difficultés naturelles de ses mon tagnes coupées en tous sens par de profonds ravins. La vallée de Oued Sedjenan est la seule trouée qui permette d’y pénétrer. Encore cette unique voie d’accès est-elle barrée pendant la majeure partie de l’année par des boues liquides et profondes qui au mois avril couvrent toute cette rive du lac, empêchent totalement le passage des vallées et isolent par suite, les Mogods dans leur labyrinthe

La route traversera cet oued prés de son embouchure dans le lac Achkel au-dessous du marabout de Sidi bou Guebrin (Homme aux deux tombeaux) dans un des endroits les plus pittoresques et les plus poétiques qu’il soit possible de rencontrer, mais aussi des plus foncièrement bourbeux.  Il me reste de mes courses d’ hiver en ce pays, l’impression d’un engloutissement presque permanent : le sol s’effon drait chaque instant sous les pas des animaux qui entraient par fois au poitrail ou même y chaviraient de telle sorte qu’il fallait en atteler deux autres après le naufragé pour extraire des fondrières

Si on veut que cette route nouvelle réalise son but et rattache effectivement les Mogods à Bizerte, il sera nécessaire de faire de longues chaussées surélevées pour éviter l’enlisement

Je ne veux pas quitter cette partie du pays sans parler plus longue ment que je ne l’ai fait au début, du territoire de Mateur. C’ est dans un cercle de montagne, une plaine immense dont le centre est

occupé par le lac Achkel tandis que du milieu du lac émerge une colossale pyramide, le Djebel Achkel, île étonnante hérissée de rochers et de broussailles habitée par des troupeaux de buffles gou vernés pour le compte du domaine beylical par un fonctionnaire tuni sien, le « caïd des buffles ».

Le piton escarpé complètement isolé dans son lac, domine majestueusement les eaux élevant sa pointe aiguë à 500 mètres au-dessus de leur surface De toute la ceinture de montagnes qui borde l’horizon à  une distance considérable, on aperçoit cette masse étrange qui prend suivant la lumière et l’éloignement, les nuances les plus variées des colorations éclatantes ou sombres tour à tour.

Cette plaine très basse n’ est à proprement parler que le rebord de la cuvette dont le lac de Bizerte occupe le fond. C’est pendant une partie de l’année su(une véritable mer intérieure remplie par les eaux des pluies et celles qu’amènent les ravins de ce gigantesque cirque.

Elle conserve lorsque les eaux baissent, un limon fertile qui en fait pour les céréales et les fourrages une des plus riches zones du Nord de la Tunisie en même temps qu’un splendide pays élevage.

Dès le commencement de mai, de longs convois de mahonnes traversant le lac Achkel gagnent par Oued Tindja le lac de Bizerle où elles viennent apporter les fourrages de Mateur

Vers le milieu de la plaine la petite ville arabe de Mateur toute blanche au bord de ses jardins verts, adossée d’une minuscule colline qui rompt à peine la monotonie plate du pays, est un des centres de

transactions les plus importants du Nord de la Tunisie. Trois grands marchés ont lieu chaque semaine où les bœufs, les moutons, les chevaux et les grains se vendent en quantités indépendamment de tous les autres produits servant à l’alimentation et aux usages arabes.

Toutes les tribus des environs viennent à ce marché.

Un grand nombre de fermes européennes parmi lesquelles il faut citer celle d’un Anglais Smith,  établi dans le pays longtemps avant notre arrivée, se sont déjà installées dans la plaine de Mateur que je crois appelée au plus brillant avenir comme centre de colonisation.

Par étude de la région dont elle est le débouché naturel et par examen des grands travaux qui y ont été faits, nous avons pu nous convaincre que Bizerte deviendra sous peu un port de commerce considérable doté de tous les perfectionnements que peuvent exiger des transbordements et chargements rapides

Mais là n’est pas le seul but à atteindre, il en est un plus important encore.

Postée comme une vedette en bordure de la grande route qui met l’Europe en relations avec l’Orient en particulier , l’Angleterre avec les Indes, Bizerte doit être un des points les plus formidables de la Méditerranée car si Gibraltar tient l’entrée de la route ‘Orient , Bizerte commande le deuxième défilé resserré entre les côtes de Sardaigne, de Tunisie et de Sicile où s’engage cette route.  Il est extraordinaire que rien jusqu’à présent n’ait encore été fait dans ce but

Peut-être et je l’espère a-t-on prévu et se propose-t-on d’effectuer les travaux nécessaires mais je le répète rien n’a  été fait en dehors de la création d’une station de torpilleurs

Le canal en effet, ne comporte d’après les conventions entre les Travaux publics tunisiens et la Compagnie du Port qu’une profondeur de 8 mètres atteinte actuellement .

Il est à penser que ce n’est là qu’un acheminement et à souhaiter que, une fois le port ouvert au commerce,le canal soit creusé à la profondeur nécessaire pour que les cuirassés puissent pénétrer au lac : celui-ci doit être la rade militaire : il est en somme la vraie raison de la valeur de Bizerte car il offre à notre marine la meilleure base d’opération pour courir sus à  tout adversaire qui tenterait de franchir le canal de Sicile. Qu’une escadre française puisse être concentrée dans cette rade intérieure ses croiseurs éclairant au large peu d’heures après avoir été renseignée sur l’approche de l’ ennemi, elle aura coupé les communications entre Malte et Gibraltar. La menace seule de cette éventualité si grave pour elle, suffirait probablement pour écarter Angleterre d’une coalition contre nous.

Et Bizerte tient cette menace enfermée dans son lac

Nous pouvons d’autre part nous rendre compte par le simple examen de la carte que les ports de France, de Corse, et même d’Algérie sont trop éloignés de la route des vaisseaux pour la menacer efficacement : en outre aucun port d’Algérie n’ est fermé

Sans ajouter d’autres considérations d’ordre politique et qui ne rentrent point dans ce cadre, ces seules raisons géographiques réclament impérieusement que Bizerte devenue port de commerce, soit en outre organisée et cela dans le plus bref délai en port de guerre.

Des travaux essentiellement militaires s’imposent tels que la création d’arsenaux et de cales pour les réparations de navires.  Les bords du lac devront en certains points, être rectifiés. Une portion notamment de son pourtour semble indiquée non seulement par la nature elle-même mais encore par les travaux qu’y firent les Romains. Sur la rive Sud-Ouest entre la Koubba el Arbaïn (sépulture des 40 marabouts) au lieu nommé hennchir Sbedah sur prèsde 1200 mètres, les bords du lac furent autrefois taillés ; des restes de quais et de môles construits en énormes blocs sont encore visibles

Les fonds de 9 mètres viennent jusqu’à 300 mètres des berges ; il aurait donc que des dragages relativement insignifiants à aire en cette partie pour permettre aux navires d’arriver aux établissements militaires construits dans la zone que je viens d’indiquer

Cette merveilleuse rade est à déjà demi fermée par la ceinture de collines qui la couvrent des vues du large des batteries défendant la passe, termineront cette fortification naturelle du côté de la mer mais

il importera en outre et cela en vue d’un mouvement tournant qui pourrait être tenté par Tunis, de la compléter du côté de l’intérieur par l’établissement de petits ouvrages dont les positions sont indiquées par le terrain lui-même et par les passages qui traversent cette circonférence de collines.

Bizerte ville de commerce pourra s’enrichir à l’aise et sans crainte sous la protection de son lac, port deguerre, camp maritime retranché, qui offrira aux flottes de France un point d’appui inattaquable

 

Capitaine MAUMEME

Attaché au Service géographique de l’armée

 

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