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3 avril 2015

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Classé sous — milguerres @ 16 h 45 min

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Quelques livres choisis

1914 Broché – 8 novembre 2012

de Jean-Yves LE NAOUR

En 1914, l’obsession de la guerre hante l’Europe. Avant même que l’attentat de Sarajevo n’allume la mèche de la poudrière balkanique, elle occupe les esprits, s’affiche à la une des journaux, s’invite dans les conversations et les discours politiques. Sans que l’on n’y croie vraiment. Pourtant, en quelques jours à peine, le monde bascule dans un engrenage qui va le broyer. La guerre s’impose comme la plus rapide des solutions pour conduire à l’émancipation des nationalités et à l’avènement d’un nouveau monde. Mais la boîte de Pandore est ouverte et la machine infernale lancée : pendant quatre longues années, la guerre deviendra mondiale, totale et terroriste. A la lumière de la recherche la plus récente, conjuguant les approches diplomatiques, militaires, sociales et culturelles, Jean-Yves Le Naour nous fait revivre l’année 1914 au plus près de la façon dont les contemporains l’ont vécue. Ce premier volume d’une série ambitieuse renouvelle en profondeur l’histoire de la Grande Guerre. Historien du XXe siècle, professeur en classes préparatoires, Jean- Yves Le Naour est l’auteur de nombreux ouvrages, dont récemment chez PerrinLes Soldats de la honte qui a reçu le Grand Prix du livre d’histoire Ouest-France-Société Générale et le prix de l’Académie de médecine Jean-Charles Sournia.

 

1914, le destin du monde Poche – 6 mars 2014

de Max GALLO

À Paris, gare de l’Est, en ce diman­che 2 août 1914, c’est la mobi­li­sa­tion géné­rale. Il y a bien­tôt cent ans, le samedi 1er août, l’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie, l’alliée de la France. L’Empire austro-hon­grois est, dès le 28 juillet, entré en guerre contre la Serbie. L’engre­nage des allian­ces, des ulti­ma­tums, des mobi­li­sa­tions, entraîne les nations dans sa méca­ni­que san­glante. Berlin est soli­daire de Vienne. Paris, lié à Londres, sou­tient Saint-Pétersbourg. En quel­ques heures, toutes les gran­des gares euro­péen­nes res­sem­blent à la gare de l’Est. Tous ces hommes qui par­tent, inno­cents, incons­cients, n’ima­gi­nent pas que des cen­tai­nes de mil­liers d’entre eux vont mourir ou être bles­sés avant que l’année 1914 se ter­mine, et que cette guerre, qui devait être brève et locale, devien­dra la Première Guerre mon­diale.

 

Le Jour le plus meurtrier de l’histoire de France: 22 août 1914 (Anglais) Relié– 9 octobre 2013

de Jean-Michel Steg

27 000 Français sont tués le 22 août 1914, le jour le plus sanglant de l’histoire de France. C’est quatre fois plus qu’à Waterloo, autant que durant les huit années de la guerre d’Algérie. Avant même la bataille de la Marne, Verdun ou le Chemin des Dames. Où donc ces hommes ont-ils disparu ? Dans quelles circonstances ? Un nombre de tués en une seule journée, sans précédent dans l’histoire de France et sans exemple depuis, ne peut être une simple bizarrerie statistique. C’est l’ambition de ce travail d’apporter quelques explications. Ce cataclysme meurtrier au tout début du conflit traduit-il les conséquences de choix individuels et collectifs, tactiques, stratégiques ou organisationnels erronés, ou tout simplement malheureux ? Comment les militaires en viendront-ils à accepter que, face à la létalité du feu au XXe siècle, le soldat ne peut plus mener la guerre dressé sur le champ de bataille, comme il le faisait depuis l’Antiquité, mais doit désormais combattre enterré et dissimulé ? Pour le savoir, il faut suivre Jean-Michel Steg dans les Ardennes belges le matin 22 août 1914.

Étudiant à l’EHESS, Jean-Michel Steg travaille depuis trente-cinq ans dans le monde de la finance.

 

1914 Les atrocités allemandes : La vérité sur les crimes de guerre en France et en Belgique Poche – 6 octobre 2011

de John Horne  (Auteur), Alan Kramer  (Auteur), Hervé-Marie Benoît (Traduction)

D’août à octobre 1914, près de 6 500 civils belges et français ont été intentionnellement
assassinés, des centaines de villages ravagés par l’armée allemande. Comment la peur des francs-tireurs et de la résistance civile, mythe né pendant la guerre franco-prussienne de 1870, a-t-elle
conduit les soldats allemands à des crimes systématiques et de grande ampleur ? Quelle fut
l’influence des « atrocités » sur la propagande des deux camps, contribuant à donner au conflit le
sens d’une « croisade contre la barbarie » ? Comment ce thème, d’abord élément central du discours allié sur la « culpabilité allemande » et le jugement des criminels de guerre, a-t-il fini par rencontrer un scepticisme général, dès les années vingt ? Ce livre magistral sur un crime de guerre, son instrumentalisation et sa place dans la mémoire des belligérants trouve toute son actualité alors que le sort des civils en temps de guerre et la portée de la justice internationale demeurent des sujets brûlants.

Introduction à l’histoire de notre temps : Tome 3, le XXe siècle, de 1914 à nos jours Poche – 20 février 2014

de René Rémond  (Auteur)
Comprendre son temps est impossible à qui ignore tout du passé ; être un contemporain, c’est aussi avoir conscience des héritages, consentis ou contestés. Etudier hier en fonction d’aujourd’hui – et même de demain -, tel est précisément le propos de ce livre, tiré d’un cours professé à l’Institut d’études politiques. Quelle est l’importance de la guerre de 1914 ? Qu’est-ce que le fascisme ? Quelles sont les origines de la guerre froide ? Qu’est devenu le monde au XXe siècle ? A ces questions et à cent autres, ce troisième volume apporte des réponses claires et rigoureuses. Sans préoccupation érudite, cet ouvrage permettra à chacun de réviser des notions demeurées imprécises et d’acquérir les bases historiques indispensables à l’intelligence de notre époque

Putain de guerre !, Intégrale : 1914-1918 Relié – 29 janvier 2014
de Jacques Tardi (Auteur)

Le temps de respirer et de raconter notre guerre aux petits-enfants n’était pas encore venu. D’ailleurs, aurions-nous envie d’en causer de cette immonde tuerie, de ce suicide collectif, totalement à vomir ?

Paroles de poilus : Lettres et carnets du front (1914-1918) Broché – 16 octobre 2013
de Jean-Pierre Guéno
Ils avaient dix-sept ou vingt-cinq ans et étaient palefreniers, boulangers, colporteurs, ouvriers ou bourgeois. Ils devinrent soudainement artilleurs, fantassins, brancardiers… Voyageurs sans bagages, ils durent quitter leur femme et leurs enfants, revêtir l’uniforme mal coupé et chausser les godillots cloutés… Sur huit millions de mobilisés entre 1914 et 1918, plus de deux millions de jeunes hommes ne revirent jamais le clocher de leur village natal. Plus de quatre millions subirent de graves blessures. Huit mille personnes ont répondu à l’appel de Radio France visant à collecter les lettres, jusqu’ici éparpillées, de ces poilus. Cet ouvrage en présente une centaine. Des mots écrits dans la boue et qui n’ont pas vieilli d’un jour. Des mots déchirants, qui devraient inciter les générations futures au devoir de mémoire, au devoir de vigilance comme au devoir d’humanité…

6 janvier 2013

Pour en finir avec le moral des combattants (André LOPEZ)

Classé sous — milguerres @ 20 h 08 min

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 voir également : Dossier sur les Mutineries de 1917

 Pour en finir avec le moral des combattants (André LOPEZ)

article extrait du document pdf -> http://www.crid1418.org/doc/textes/Loez_moral.pdf

En avril 1935, le maréchal Pétain prononçait devant l’Académie des Sciences morales et politiques une conférence intitulée « La crise morale et militaire de 1917 »1.
Il y évoquait les mutineries de l’armée française (une « maladie du moral »2) à travers le vocabulaire habituellement utilisé par l’armée, dont une des préoccupations majeures durant le premier conflit mondial fut bien de surveiller et de soutenir le « moral » des combattants. Ce même vocabulaire est encore utilisé par des historiens, qui cherchent à décrire la nature, les hauts ou les bas du « moral » durant la Grande Guerre.

Comme toute notion englobante que l’on fait parler au singulier – l’opinion, la nation, le peuple – le terme de « moral » est pourtant justiciable de sérieuses critiques. Comment définir, approcher, mesurer ce « moral », derrière l’apparente évidence du terme ? Peut-on vraiment reprendre sans distance une catégorie de la pensée militaire, et l’intégrer à des discussions scientifiques ? Ne peut-on utiliser des outils d’analyse plus pertinents, au vu de la complexité croissante des débats sur la ténacité combattante ?

Pour répondre à ces questions, on procèdera en trois temps, d’abord par une analyse des manières dont on évoque le « moral » durant la Grande Guerre, puis par un tour d’horizon des usages du terme dans l’histoire militaire, enfin par une critique des mésusages de la notion appliquée aux combattants français de 1914-1918. Comme le titre de cette contribution le suggère, on espère montrer qu’elle est artificielle et dispensable.

LE « MORAL », UNE PRÉOCCUPATION ESSENTIELLE DES MILITAIRES

Si le mot préexiste évidemment à la Grande Guerre, il devient un élément habituel du langage des combattants aux tranchées. Tout comme le « cafard » peut désigner n’importe quelle affection psychologique, la dépression, l’angoisse ou l’ennui, le « moral » est alors un terme passe-partout qui sert à qualifier l’état d’esprit de la troupe.

Un « bon moral » est alors comme l’envers du « cafard ».
Au 96e RI, l’adjudant Bellet constate ainsi en 1915 que le départ en permission « produit un merveilleux effet sur le moral des soldats »3.
Plus largement, le « moral des soldats » et celui de la nation sont des préoccupations essentielles pour ceux qui conduisent la guerre. D’abord, de façon très générale, pour les commentateurs du conflit qui n’ont de cesse d’exalter le « bon moral » des Français et d’annoncer la « démoralisation » de l’adversaire, dans leurs discours qu’ils espèrent performatifs : « Notre artillerie a des effets démoralisants foudroyants » écrit Albert de Mun dans L’Écho de Paris, le 18 août 1914. Il ajoute, un mois plus tard :
les Allemands sont abattus, les Français sont joyeux. Les blessures des Allemands sont presque toutes graves, quelques-unes terribles ; celles des Français, pour la plupart sont légères. Différence profonde, dans l’état moral et dans les effets de l’armement4.

Toute la guerre durant, les idéologues et les chefs politiques et militaires s’attachent ainsi à scruter et soutenir l’état moral de la troupe et de la nation.
Une circulaire du général Joffre se veut vigilante sur la « bonne tenue morale du pays » en octobre 1916 5.
Le député Abel Ferry écrit de même en septembre 1917 : « Le succès de Verdun raffermit le moral de la nation et de l’armée » 6.
Si le moral doit être raffermi à cette date, c’est que tous pensent avoir traversé une « crise morale » en mai-juin 1917. C’est alors que la préoccupation du « moral » est à son comble, et d’abord pour les militaires.
En effet, dans le langage de l’encadrement, le « moral » est une chose à surveiller, à mesurer, à quantifier.

Dans la foulée des mutineries, l’État-major de la IIe armée prescrit aux officiers de « suivre et surveiller d’une façon incessante les fluctuations de l’état moral de leur troupe comme ils surveillent son état matériel, son alimentation etc. »7

Dès lors les archives regorgent de dossiers sur la « situation morale de l’armée »8, « l’état moral de la troupe »9, de « comptes-rendus sur le moral »10.
Dès 1916, a été créé un service (puis Bureau) du « moral »11 chargé, entre autres, de contrôler le courrier des soldats, et perfectionnant progressivement ses instruments de saisie du « moral ».
Cette étude du moral par l’armée ne relève pas, bien sûr, de la recherche improvisée en psychologie : c’est de contrôle social qu’il s’agit.
Pour les militaires, connaître le « moral », c’est prévenir les désobéissances, et savoir si l’on dispose de troupes capables de combattre (« bon moral ») ou dont l’efficacité militaire sera plus douteuse (« mauvais moral »), quelles qu’en soient les raisons.
On note au passage que cette catégorie de pensée gomme la dimension politique de certaines dispositions d’esprit : vouloir que la guerre se termine n’est pas une opinion légitime, mais un signe ou un symptôme de « mauvais moral ».

Un mouvement politique et social comme les mutineries de 1917 est ainsi renvoyé du côté de la psychologie ou de la pathologie 12.

En dépit de ces efforts pour observer le « moral » en 1914-1918, le terme ne fait pas l’objet d’une réflexion rigoureuse. D’un usage courant et même évident pour les contemporains, il a toujours une dimension de généralité, lorsque les observateurs entendent le décrire pour tout un régiment ou pour le pays entier.

Il relève au fond des approximations psychologisantes alors en vigueur, sur le tempérament des peuples et l’excitabilité des foules.
Un général écrit au lendemain des mutineries :
Il est à remarquer que l’effervescence qui s’est produite a été très rapide. Avec la mobilité des imaginations françaises, elle peut n’être que passagère, et l’état moral peut redevenir pleinement satisfaisant 13.
Le moral, ici, n’est pas vraiment conçu comme la résultante de multiples états psychologiques eux-mêmes complexes, mais comme l’humeur fluctuante d’un organisme unique. On retrouve tout au long de la guerre de telles réductions du « moral » à un qualificatif unique (« bon », « mauvais », « haut », « bas ») pour des collectifs nombreux (armées, divisions, régiments…).
Ainsi, dès la période du conflit, on remarque l’imprécision et le caractère d’insatisfaisante généralité du terme, qui est davantage lié aux soucis pratiques et politiques de l’armée – disposer de troupes à même de combattre et non affectées par des idées subversives – qu’à une saisie fine du social et des psychologies en guerre.
On doit ajouter à ces incertitudes sémantiques les modes d’appropriation complexes du mot par les combattants. Leurs façons de concevoir le « moral » ne correspondent pas parfaitement à celles de leurs chefs.

Lors des mutineries, observatoire privilégié permettant de saisir de nombreux discours sur ce terme, deux soldats révoltés l’emploient ainsi dans un sens opposé. Le premier souscrit encore à la conception militaire qui associe l’indiscipline à un « mauvais moral » :
« Comme moral ça va très mal nous ne voulons plus rien savoir et ça braille il faut voir ça ça fait du vilain des émeutes dans toutes les rues enfin on ne demande qu’une seule chose la fin de cette guerre « 14.

Mais dans un autre extrait de courrier contrôlé, le terme est employé à fronts renversés, un combattant se félicitant de la désobéissance et y associant, à l’inverse de ce qu’écrivent alors tous les officiers, un « bon moral » :
« Je t’assure que le moral est bon on ne veut plus remonter aux tranchées;dimanche le colonel a pleuré de voir qu’il n’était plus le maître et ça va de plus en plus fort je t’assure que les officiers ne nous embêtent plus « 15.
Pour ce soldat, au moins, les mutineries ne sont en rien une « crise du moral » : plutôt un moment où on savoure le renversement des hiérarchies.
Le rétablissement de la discipline rétablit, pour finir, l’acception courante du terme, lorsqu’il faut réparer ou soutenir ce « moral » qui a semblé faillir :
Nous avons eu des conférences par le Capitaine, le lieutenant, le Chef de Bataillon.
Ils veulent remonter le moral très bas et surtout nous faire entrevoir les funestes conséquences qui pourraient résulter 16.

Au total, il apparaît bien que le « moral » en 1914-1918 est une notion extrêmement imprécise, qui relève de plusieurs registres : l’évidence d’un vocabulaire combattant qui oppose le « moral » au cafard ; l’emphase d’un discours patriotique qui exalte le « moral » français par opposition à la démoralisation adverse ; l’inquiétude des chefs militaires pour qui maintenir un « bon moral » correspond à un souci d’efficacité militaire et de lutte contre la subversion. L’ensemble dessine un schéma social simplificateur faisant alterner les « ébranlements » et les « redressements » du moral17.
Les usages historiens de cette notion sont-ils plus rigoureux ?

Il existe de fortes continuités professionnelles entre les militaires et les historiens militaires 18. C’est pourquoi ces derniers sont très nombreux à reprendre, dans leurs analyses, le vocabulaire de l’armée et de la hiérarchie sans plus de recul ou de réflexion. Le Dictionnaire d’art et d’histoire militaire comporte ainsi un article « moral », lequel ne définit jamais le terme, mais entend en suivre les incarnations à travers les âges, des armées de César aux poilus de 1914, s’attachant à la lutte « curative et préventive » contre les « crises du moral » 19. On reste, au vrai, dans le domaine de la pathologie.

Un dictionnaire anglo-saxon a le mérite de reconnaître, au début de sa notice : « Morale, an imprecise term »20. Il définit du moins la notion en indiquant qu’il s’agit d’un « état d’esprit » assurant l’efficacité militaire. Un dernier ouvrage de référence le souligne également :
Le moral, défini de façon générale, est un état d’esprit qui encourage ou empêche l’action. Les plus grands chefs militaires ont toujours compris que le moral reflète l’état mental, moral et physique
de leurs troupes. […] Des troupes au bon moral peuvent opérer et même réussir contre toute attente, dans toutes sortes de conditions. Un mauvais moral peut entraîner l’échec, même lorsque la victoire semble probable 21.

On retrouve ici deux des éléments clés préalablement mis en évidence : la saisie du « moral » vient des chefs militaires eux-mêmes, et ce « moral » est un facteur d’efficacité militaire. Il faut remarquer l’absence, une fois encore, d’éléments clairs de saisie et de définition. On ne fait que réactualiser, ici, un constat déjà dressé par un sociologue en 1944, alors que la préoccupation du « moral » était également à son comble, mais que sa définition était tout aussi peu rigoureuse :
[Il y a] peu d’accord sur la nature du moral, mais tous les auteurs semblent s’accorder sur le fait que c’est une bonne chose, à acquérir, à consolider, à promouvoir 22.

Un grand nombre de travaux consacrés à la Grande Guerre adoptent un tel mode de fonctionnement, en se donnant pour objet le « moral », entendu comme une évidence et dans l’optique du commandement, sans jamais réfléchir à la pertinence du terme en tant qu’instrument de saisie du social. Le cas est très fréquent dans l’historiographie anglophone où le « morale » fait partie des catégories bien ancrées et assez peu discutées de l’histoire militaire23. Une thèse récente sur les régiments irlandais de la Grande Guerre qui porte le « morale » dans son titre ne prend pas la peine de définir le terme ni de justifier son emploi, et utilise en lecture directe les chiffres de condamnation de la Justice militaire pour savoir si le moral est « bon » ou « mauvais ». On ne pourrait reproduire plus fidèlement les représentations des contemporains, et surtout des militaires 24.

En France, il existe une même continuité entre la préoccupation du « moral » durant la guerre, son évocation dans l’après-guerre par les mémorialistes et les commentateurs (tels Pétain en 1935), et les premiers travaux des historiens s’intéressant aux combattants. Jean-Noël Jeanneney étudiait, en 1967, « l’opinion » et le « moral » des soldats d’après les rapports du contrôle postal25. La juxtaposition de ces deux termes, sur laquelle on reviendra, se retrouve dans le titre de deux thèses de doctorat soutenues en 1986 et 2009, consacrées, l’une au « moral » d’une année (1916), et l’autre au « moral » d’une armée (la IVe)26. Ces travaux s’inscrivent pour partie dans le cadre d’une inlassable interrogation qui parcourt l’historiographie française : « Comment ont-ils tenu ? » Il n’est pas certain que la question soit bien posée27. Il est, en revanche, flagrant que l’étude du « moral » ne peut prétendre y répondre.

LE « MORAL », UN INSAISISSABLE ARTEFACT
Examinée de près, la manière dont les chercheurs entendent approcher le « moral » des soldats de la Grande Guerre présente en effet d’insurmontables faiblesses méthodologiques et conceptuelles.
Le premier problème concerne les instruments de saisie de ce « moral » supposé. C’est le contrôle postal, institution de surveillance des courriers progressivement mise en place, qui est la source fondamentale des travaux sur le « moral »28. Ils s’appuient à la fois sur les extraits de lettres cités dans les rapports, et sur les conclusions de ceux-ci, qui donneraient accès à « l’opinion » et au « moral » des soldats français, pour la période (1916-1918) où ce contrôle est établi. Ils soutiennent que cette source, en raison de la quantité des lettres lues (entre 1/40 et 1/80 du total des courriers des unités, contrôlées environ une fois par mois chacune) peut être considérée comme « représentative », dans des comparaisons explicites avec le modèle des sondages d’opinion 29.

Mais ce que masquent ces analogies30, c’est la différence de nature radicale entre des sondages, consistant en des réponses à des questions explicitement posées, et un contrôle, c’est-à-dire une surveillance, opérant par sélection d’un petit nombre d’extraits dans des écrits privés (les lettres des soldats). La visée de l’instrument n’est nullement la saisie représentative des opinions, mais le contrôle social. L’institution fournit ainsi aux contrôleurs chargés de lire le courrier des grilles de lecture très détaillées, visant à repérer les sujets de mécontentement, à déceler les signes d’antimilitarisme ou au contraire de « confiance en la victoire », et à scruter les prises de position politiques. L’ensemble doit conduire à dire si le moral d’un régiment est « Très bon, bon, neutre, médiocre ou mauvais » 31.

On mesure tout l’écart entre ce dispositif, lié à la surveillance des militaires et à la volonté de disposer de troupes fiables pour les opérations, et celui des sondages reposant sur la libre réponse (anonyme, explicite, volontaire et en temps de paix) à des questions. Au-delà, de nombreux travaux ont montré qu’il existait des biais au contrôle postal, en raison de stratégies d’écriture des combattants32. L’autocensure, répandue mais impossible à quantifier, conduit déjà à douter de sa valeur pour saisir « l’opinion ». Surtout, la structure même des échanges épistolaires influe sur leur contenu : tout comme il est évident que des soldats ne raconteront pas leurs infidélités à leurs épouses (rendant difficile d’accès l’étude de la sexualité des combattants), ils ne livrent pas nécessairement leur « opinion » sur la guerre en raison des liens sociaux et affectifs qui conduisent à se conformer publiquement, qui plus est dans des lettres susceptibles d’être lues par l’armée, à des modèles de comportement valorisant le « devoir ». Les lettres des soldats ne sont pas des réponses
à nos questions, mais des matériaux à analyser et dont il faut, à chaque fois, reconstruire le contexte33.
Mais il existe un biais plus profond de la source. Son jugement sur le « moral » repose en fait sur l’interprétation que les contrôleurs font d’un petit nombre de lettres dont la tonalité porte explicitement sur les questions politiques et sur la guerre elle-même. Ce sont ces courriers qui sont en partie reproduits dans les rapports sous forme d’extraits généralement brefs. Lorsqu’ils sont virulents ou nombreux à critiquer la guerre, le moral est dit « mauvais » ; inversement, lorsque les contrôleurs trouvent assez de lettres utilisant le vocabulaire du patriotisme, le moral est « bon » ou « très bon ». Cette construction du « moral » par les contrôleurs, et, à leur suite, par les historiens, laisse toutefois de côté un élément fondamental : la plupart des correspondances ne disent rien du « moral ».

En écrivant, en effet, les soldats n’ont pas pour but de nous livrer des matériaux sur leurs opinions et leur rapport à la guerre, ou encore les raisons pour lesquelles ils ont « tenu ». Leurs lettres sont, et c’est facilement compréhensible, souvent dénuées de réflexions et de constructions discursives abouties. De nombreux rapports des contrôleurs du courrier eux-mêmes le mentionnent et permettent de le comprendre, comme au 4e régiment d’artillerie en mai 1917, période pourtant bien agitée :
Il est impossible de donner une impression sur le moral de ces batteries, la correspondance est complètement dénuée d’intérêt, les hommes qui semblent être dans un secteur particulièrement tranquille sont silencieux sur tout ce qui concerne la guerre et se bornent à donner des nouvelles à leurs familles34.
S’agit-il d’un cas isolé ? Citons un autre contrôleur du courrier, dans l’infanterie cette fois, en octobre 1916 :
Les neuf dixièmes des lettres ne disent rien du tout et représentent la masse docile, dévouée, patiente et silencieuse. On se préoccupe toujours vivement des travaux agricoles, des vendanges, etc. [...] Dans quelle mesure de pareils textes [pacifistes] représentent-ils un état étendu des esprits, c’est ce qu’il est difficile de décider. Pour le contrôleur qui les recueille épars ça et là, entre cent ou deux cents lettres insignifiantes, ils demeurent à l’état d’exception35.
On retrouve ce problème au moment des mutineries de 1917, au 109e RI qui a connu un « incident » mais ne laisse pas pour autant saisir son « moral » :
800 lettres sur mille ne disent rien, sur 200 qui relatent l’incident une trentaine à peine donnent une appréciation, les autres s’abstiennent par crainte de la censure. Il est donc difficile de donner une idée générale exacte ; le moral peut être en réalité plus mauvais que la correspondance le laisse supposer36.
Le « moral » peut en effet être « plus bon » ou « plus mauvais » : au-delà de la minorité de courriers exploitables (suivant les grilles de lecture déjà très orientées de l’armée), on n’en sait rien et on ne peut rien en savoir.
D’une incroyable richesse apparente par la profusion d’extraits qu’il comporte sur d’innombrables rapports accumulés en denses piles sur papier pelure, le contrôle postal ne dit pourtant rien, et ne saurait rien dire, d’une « opinion » générale. Et ce d’abord parce que tout le monde n’a pas d’« opinion » au sens politisé et réfléchi que ce terme implique37 ; ensuite parce que la fonction primordiale du courrier, en particulier pour la plus grande partie des combattants issus des milieux sociaux les plus dominés, n’est pas du tout de formuler et de livrer des « opinions » mais de maintenir des liens, sociaux, matériels, affectifs. En lisant les témoignages et les extraits de lettres du contrôle postal pour y trouver des « opinions » au fondement d’un « moral », les historiens plaquent sur les hommes des tranchées un modèle, socialement situé et sociologiquement peu répandu, de l’individu libre de délibérer, de commenter et de se déterminer sur les événements qu’il traverse.

Se pose ensuite la question de la montée en généralité. Il faudrait interroger de façon détaillée les opérations par lesquelles on passe du « moral » de quelques soldats à celui d’un régiment, d’une division, d’un corps d’armée, d’une armée, puis de l’ensemble des combattants. Le singulier toujours adopté pour décrire ce « moral » ne laisse pas d’intriguer, au vu des ambiguïtés des modes de saisie qu’on a exposées. Plus étonnant encore, le moral devient une chose qu’on commente, qu’on qualifie et qu’on dissèque à l’infini, faisant exister dans une même phrase des appréciations contradictoires et ésotériques : « bon moral et moral affaibli » ; « bon moral et moral indéterminé » ; « bon moral entre vigueur apparente et fragilité sous-jacente » ; « bon moral dont la trame s’effiloche » ; « bon moral anémique » ; « poussée du moral indéterminé ». Dans un frappant mimétisme avec le langage des officiers de 1914-1918, le « moral » est évalué comme une chose à la fois multiple et unique, évoqué au singulier mais toujours pour désigner un collectif – plusieurs centaines de milliers d’hommes, au sein de la IVe armée, dans les exemples qui précèdent.

Par ces montées en généralité, on postule en fait, implicitement, qu’il existerait un moral « moyen » fait d’une somme puis d’une division des « opinions » et du « moral » de milliers d’individus.
Plutôt que d’opérations de recherche et de conceptualisation, ces qualifications relèvent de procédés rhétoriques, faisant alterner, parfois immédiatement, « hésitations puis affirmation du moral » 39. On le voit nettement dans le passage qu’Annick Cochet consacre à « l’attitude générale d’acceptation des sacrifices » : après avoir cité de nombreux extraits de lettres déplorant la « boucherie » de la guerre, elle en cite d’autres qui manifestent leur compréhension ou leur acceptation des pertes en vue de la victoire40. Mais juxtaposer ces deux types d’extraits (précisément ceux, défavorables et favorables, que la grille de lecture des contrôleurs du courrier vise à produire) ne dit rien d’une opinion « moyenne » ou intermédiaire qui finirait par « accepter » les pertes. En effet, ce ne sont pas les mêmes soldats qui passent d’une attitude à une autre, mais bien deux manières de voir cet aspect de la guerre, différentes et irréconciliables, et qu’il est de plus impossible de quantifier.

Ces façons de faire, consistant à produire un « moral » moyen donnant une cohérence apparente aux discordances et aux nuances du réel, prennent en fait leur origine dans les travaux consacrés à « l’opinion publique », cette autre entité collective qu’on fait parler au singulier41. Ainsi s’explique le lien, dans les titres des travaux cités, entre le « moral » et l’opinion » : leurs méthodes sont calquées sur celles qui servent à dire quelle était « l’opinion » des Français sous Vichy ou en 191442. Or, ces travaux, à l’image des descriptions artificielles de « l’opinion » produites par les commentateurs politiques au moment des élections, ont reçu de fortes critiques, lesquelles n’ont pas été assez entendues ni discutées par les historiens43.

Il serait ainsi nécessaire de se pencher de nouveau sur les méthodes très discutables par lesquelles une enquête unanimement jugée exemplaire, celle que Jean-Jacques Becker a consacrée à l’entrée en guerre de 1914, entend reconstruire « l’opinion »44. Les notes des instituteurs décrivant la mobilisation, sur lesquelles repose le coeur de l’étude, sont écrites, au plus tôt, plus d’un mois et demi après les événements qu’elles relatent après la peur de l’invasion et le soulagement, début septembre, de la bataille de la Marne45. Loin d’une transcription directe de l’événement, n’est-on pas déjà dans une reconstruction ? De plus, leurs auteurs ne sont pas des enregistreurs neutres et passifs de la réalité mais des fonctionnaires solidaires de l’effort de guerre, acteurs directs de la mobilisation. On ne peut pas plus prendre leurs mots comme des indications de la réalité d’une « opinion » qu’on ne peut prendre les appréciations des officiers comme des évocations plausibles du « moral ».

Au-delà de ces problèmes de méthode, c’est la pertinence même d’une étude du « moral » et de l’« opinion » qu’on doit discuter. De façon assez prosaïque, d’abord, en relativisant l’importance dans la Grande Guerre de ce « moral » que chacun s’attache à découvrir. S’il suffisait d’un « bon » moral pour l’emporter, la France aurait peut-être gagné la bataille des frontières, faisant se terminer la guerre fin août 1914, et la Belgique n’aurait pas subi d’invasion. Inversement, si le « mauvais moral » était facteur de défaite, l’Italie, dont les soldats brutalisés par leurs supérieurs affichent un état d’esprit désastreux, n’aurait pas été parmi les vainqueurs ; et la Russie serait sortie de la guerre bien avant 191846. On a montré ailleurs que si les mutineries de 1917 ne débouchaient pas sur une sortie de guerre des soldats français, ce n’était pas parce que leur « moral » s’était repris ni parce qu’ils avaient voulu « tenir », mais parce que leur mouvement privé de relais s’était délité sous l’effet des stratégies de coercition et de temporisation de l’armée47.

Plus largement, de très nombreux exemples, dont les plus célèbres sont Louis Barthas ou Etienne Tanty, montrent qu’on peut faire la guerre quatre années durant sans jamais avoir un « bon moral » : en étant antimilitariste et pacifiste, pour le premier ; désespéré et dégoûté pour le second48. Il importe assez peu que ces individus soient ou non « représentatifs » : pas plus que les autres soldats, ils n’ont le choix. Leur « mauvais moral » ne se traduit pas par une moindre ténacité ni une participation plus faible à la guerre – à l’inverse d’autres combattants affichant un « moral » à toute épreuve jusqu’au moment où ils saisissent une occasion de « s’embusquer ».
Ces observations ont été formalisées et systématisées, d’abord par une immense littérature de sociologie militaire qui montre sans équivoque que les soldats combattent moins en fonction d’opinions et de représentations que de liens sociaux avec leurs camarades49 ; ensuite par des études précises sur la Première Guerre mondiale qui ont éclairé la ténacité combattante et insisté sur les structures sociales encadrant les hommes du front, assurant leur obéissance, quel que soit leur « moral » 50.
En définitive, s’il faut abandonner la notion de « moral », ce n’est pas seulement parce qu’elle est la reprise directe des catégories militaires relevant du contrôle social et de la surveillance des soldats, mais surtout parce qu’elle conduit inévitablement à une régression psychologique. Rapporter la ténacité des combattants à un « moral », c’est faire comme si la participation à la guerre était affaire d’humeur ou d’opinion. C’est faire fi de l’évidence et de l’inertie du conflit, auquel, en France du moins, nul n’a le choix de participer ou non. C’est faire fi des rapports sociaux qui relient les combattants à l’arrière et à leurs camarades, et qui assurent, qu’ils aient « bon » ou « mauvais » moral, leur ténacité. C’est faire fi de l’institution militaire qui encadre ces hommes et s’inquiète de leur « moral » avant tout pour traquer la subversion et gérer des stocks de troupes plus ou moins performantes au combat. Si l’on veut faire l’histoire des combattants de la Grande Guerre, et non reproduire les croyances de leurs chefs, il est temps de dire que le « moral » des soldats n’existe pas.

NOTES
1. Philippe Pétain, « La crise morale et militaire de 1917 », Actes et écrits, Paris, Flammarion, 1974 [1935], p. 121-182, p. 123.
2. Ibid.
3. Pierre Bellet, cité dans Rémy Cazals et André Loez, Dans les tranchées de 1914-2018, Pau, Cairn, 2008, p 51.
4. Albert de Mun, L’Écho de Paris, 16 sept 1914.
5. Emmanuelle Cronier, L’échappée belle : permissions et permissionnaires du front à Paris pendant la Première Guerre mondiale, thèse, Université de Paris-I, sous la dir. de Jean-Louis Robert, 2005, p. 105.
6. Abel Ferry, Carnets secrets 1914-1918, Paris, Grasset, 2005, 17 septembre 1917.
7. Service Historique de la Défense (SHD), 19N305, note (non datée) de la IIe armée pour les commandants de corps d’armée.
8. SHD 19N528.
9. SHD 24N364, parmi de nombreux autres exemples.
10. SHD 24N2771.
11. SHD 16N1485 et suivants.
12. Cf. André Loez, 14-18 Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2010.
13. SHD 18N37 Rapport de Maistre, commandant la VIe armée, au général commandant le Groupe d’armées nord, 18 juin 1917.
14. SHD 16N1393, contrôle postal du 298e RI, 30 juin 1917.
15. Ibid.
16. Ibid., 2 juillet 1917. Voir aussi les « causeries morales » des chefs dans de nombreuses unités comme le 217e RI (SHDT 19N672, rapport du chef de bataillon commandant le 217e RI, 6 juin 1917).
17. Les Armées Françaises dans la Grande Guerre, tome V, vol 2, chapitre IV : « L’ébranlement et le redressement du moral dans l’armée française », p. 187-221.
18. Cette continuité prend sa source dans les emplois de commentateurs et consultants de presse que trouvent, durant le conflit même, de nombreux officiers. Elle continue d’être illustrée par des auteurs issus de l’armée, dont les travaux font autorité, dans les années 1930 (le capitaine Basil Liddell Hart), 1960 (général Gambiez et colonel Suire, Histoire de la Première Guerre mondiale, Paris, Fayard, 1968, 2 vol.) ou 2000 (général André Bach, Fusillés pour l’exemple, 1914-1915, Paris, Tallandier, 2004 ; lieutenant-colonel Rémy Porte, La mobilisation industrielle : premier front de la Grande guerre ?, Saint-Cloud, 14-18 éditions, 2006).
19. André Corvisier, Dictionnaire d’art et d’histoire militaire, p. 594-598, article « Moral des troupes ».
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20. James C. Bradford (éd.), International encyclopedia of military history, New York et Londres, Routledge, 2006, vol. II, p. 902 : « Morale, an imprecise term, refers to a state of mind. Composed of courage, self-confidence, enthusiasm, and willingness to withstand adversity, morale is a key psychological factor that often offsets advantages in numbers, weapons, and even leadership. »
21. Mark K. West, « Morale, Troop », The Oxford Companion to American Military History, en ligne : http://www.mywire.com/a/Oxford-Companion-American-Military-History/Morale-Troop/9523316/ . consulté le 30 janvier 2010 : « Morale, generally defined, is a state of mind that either encourages or impedes action. The greatest combat commanders have always understood that morale reflects the mental, moral, and physical condition of their troops. These conditions, in turn, directly relate to the troops’ courage, confidence, discipline, enthusiasm, and willingness to endure the sacrifices and hardships of military duty. Troops with high morale can operate, even succeed against high odds, in all kinds of conditions. Poor morale can lead to failure, even when odds favor victory. At a basic level, good morale allows soldiers to overcome fear. »
22. Raymond L. Hightower, « A Sociological Conception of Morale », Social Forces, Vol. 22, n° 4, mai 1944, p. 410-415. L’auteur critique ensuite les usages psychologiques de la notion et en propose une définition qui cadre avec les préoccupations de la sociologie fonctionnaliste : le « moral » dépend du degré d’intégration des individus dans des institutions, dont il permet de mesurer « l’état de santé ».
23. Ainsi, dans un volume récent, on trouve trois articles qui relèvent de cette catégorie : Hew Strachan, « The Morale of the German Army 1917-18 » ; Irina Davidian, « The Russian Soldier’s Moral from the Evidence of Tsarist Military Censorship » ; John Gooch, « Morale and Discipline in the Italian Army, 1915-18 », in Hugh Hugh Cecil, Peter Liddle, Facing Armaggeddon, The First World War Experienced, Londres, Leo Cooper, 1996.
24. Timothy Bowman, Irish Regiments in the Great War : Discipline and Morale, Manchester et New York, Manchester University Press, 2003.
25. Jean-Noël Jeanneney, « Les archives du contrôle postal aux armées (1916-1918). Une source précieuse pour l’histoire contemporaine de l’opinion et des mentalités », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XV, janvier-mars 1968, p. 209-233, qui prolonge un mémoire de DES consacré au « moral » des combattants.
26. Annick Cochet, L’opinion et le moral des soldats en 1916 d’après les archives du contrôle postal, Thèse de doctorat, Université Paris-X, 1986 ; François Lagrange, Moral et opinions des combattants français durant la Première Guerre mondiale d’après les rapports du contrôle postal de la IVe armée, Thèse de doctorat, Université Paris-IV, 2009.
27. André Loez, 14-18 Les refus…, op. cit., chap. I.
28. On peut savoir gré à François Lagrange (thèse citée) de proposer de très utiles éléments d’histoire de cette institution et des contrôleurs eux-
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mêmes. Le contrôle postal apparaît comme une « planque » particulièrement prisée des militaires issus des milieux les plus aisés : 60 % des lecteurs d’une commission de contrôle sont issus de la « sphère du privé (négociants, employés de banque, comptable, courtier en assurance, propriétaire) ». Ibid., p. 33.
29. J.-N. Jeanneney, art. cit. ; F. Lagrange, thèse citée, p. 38.
30. Qui surestiment manifestement le degré de crédit et de scientificité à accorder aux sondages d’opinion comme instrument de compréhension et de saisie du social, mais c’est un autre problème. Cf. Alain Garrigou, L’ivresse des sondages, Paris, La découverte, 2006, et surtout Pierre Bourdieu, « L’opinion publique n’existe pas », Les temps modernes, n° 318, janvier 1973, p. 1292-1309, repris dans Questions de sociologie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984, p. 222-235.
31. F. Lagrange, thèse citée, p. 27.
32. Voir Martha Hanna, « A Republic of Letters : The Epistolary Tradition in France during World War I », The American Historical Review Vol. 108, n 5, déc. 2003 ; Rémy Cazals et Frédéric Rousseau, 14-18, le cri d’une génération, Toulouse, Privat, 2003.
33. Rémy Cazals, « Non on ne peut pas dire : “à tout témoignage on peut opposer un autre” », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 91, juillet-septembre 2008, p. 23-27.
34. SHD 16N1426, contrôle postal du 4e RA, 14 mai 1917.
35. Rapport de contrôle postal, 2e armée, 13 octobre 1916, cité par A. Cochet, thèse citée, p. 116 et 314-5.
36. SHD 16N1418, contrôle postal du 109e RI, 5 juin 1917.
37. Cf P. Bourdieu, art. cit.
38. F. Lagrange, thèse citée, p. 353, 527, 884, 908, 932 et 957.
39. Ibid., p. 132.
40. A. Cochet, thèse citée, p. 286 et suiv.
41. Cf. Brigitte Gaïti, « L’opinion publique dans l’histoire politique : impasses et bifurcations », Le Mouvement Social, 2007/4, n° 221, p. 95-104, et P. Bourdieu, art. cit.
42. Filiation indiquée par F. Lagrange, thèse citée, p. 50. L’auteur se livre à un énorme effort pour définir le « moral », ouvrant tous les dictionnaires et citant tous les débats doctrinaux parmi les militaires, sans pouvoir conclure autrement qu’en constatant la complète imprécision du terme, qui reste « flou » (p. 101). Ce qui ne l’empêche pas d’y consacrer ensuite des centaines de pages comme à une chose qu’on pourrait réellement étudier.
43. B. Gaïti, art. cit.
44. Jean-Jacques Becker, 1914. Comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, Presses de la FNSP, 1977 ; voir les remarques critiques d’Yves Pourcher, « Les clichés de la Grande Guerre. Entre histoire et fiction », Terrain, n° 34, 2000, p. 143-158, et André Loez, « Si cette putain de guerre pouvait finir ». Histoire et sociologie des mutins de 1917, Thèse, Université Montpellier-III, 2009, p. 72 et suivantes.
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45. Ces instituteurs répondent à une directive d’Albert Sarraut du 18 septembre 1914 ; certaines réponses sont en fait écrites en 1915, 1916 ou 1917. Voir les archives numérisées du département de la Charente, et la commune de Nersac, par exemple : <http://www1.arkhenum.fr/ad16_cahiers/> (consulté le 14 mars 2010).
46. Dans un article récent, Hew Strachan relativise utilement les dimensions psychologiques de la ténacité combattante, insistant sur l’importance de l’entraînement et de la répétition des gestes et des situations de danger : « Training, Morale and Modern War », Journal of Contemporary History, Vol. 41, n° 2, avril 2006, p. 211-227.
47. A. Loez, 14-18 Les refus…, op. cit.
48. Louis Barthas, Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918, Paris, La Découverte, 1997 ; Étienne Tanty, Les violettes des tranchées. Lettres d’un Poilu qui n’aimait pas la guerre, Paris, France bleu/Italiques, 2002.
49. Voir la grande enquête The American soldier, présentée par exemple dans Robin M. Williams, « The American soldier : several wars later », Public Opinion Quarterly, vol. 53, 1989, p. 155-174.
50. Frédéric Rousseau, La guerre censurée, une histoire des combattants européens de 14-18, Paris, Seuil, coll. « Points », 2003 ; François Cochet, Survivre au front. Les poilus entre contrainte et consentement, Saint-Cloud, 14-18 éditions, 2005.

 

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31 décembre 2012

Les mutins de 1917 André LOPEZ

Classé sous — milguerres @ 12 h 13 min

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Dossier sur les Mutineries de 1917

Les mutins de 1917  André LOEZ

extrait de l’article

Une nouvelle histoire des mutineries de 1917
vu par Romain Ducoulombier

http://www.laviedesidees.fr/Une-nouvelle-histoire-des.html

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8

L’annexe de la thèse d’André Loez relative à cette sociologie des mutins

ETUDE COMPLETE REALISEE AUTOUR DU LIVRE de André LOEZ
14-18

Refus de la guerre

Une histoire des mutins
Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8
documents et articles tirés de http://www.crid1418.org/doc/mutins. 

Les mutins de 1917  André LOPEZ mutins10
Ce livre étudie, pour la première fois, les mutins de 1917 eux-mêmes. En saisissant les pratiques et les discours protestataires au moment même où l’événement surgit, dans son intensité première, lorsque des mutins manifestent, chantent l’Internationale, envisagent de « marcher sur Paris », l’ouvrage replace les mutineries au cœur de la Grande Guerre, dont il permet de renouveler le récit.
Ainsi, dans les débats sur la guerre et la ténacité des combattants, il entend apporter une pièce manquante, à travers l’unique événement qui constitue, en France, une rupture frontale de l’obéissance et du consensus. Mais l’étude des mutins, de leurs gestes et de leurs mots, ne conduit pas à réactiver l’opposition simpliste du « patriotisme » et du « pacifisme ». Le livre redonne ainsi toute leur place aux hésitations des soldats, partagés entre dégoût du conflit et impératif du devoir ; aux incertitudes des officiers, entre désarroi et sévérité ; et à la force de l’institution militaire brièvement défiée. Il permet de repenser le refus de guerre, en retrouvant la difficulté de l’action collective dans le cadre improbable d’une armée en campagne. Cette étude des mutins est aussi l’histoire d’un échec, qui éclaire les logiques et les limites des mouvements sociaux les plus contemporains. C’est enfin l’histoire d’une répression, qui permet de comprendre l’arrière-plan des débats actuels sur la réhabilitation de ceux qui furent fusillés.
Retrouver les mutins, c’est comprendre la guerre en miroir, à travers les mots et les actes de ceux qui la refusèrent.

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8thèmes ci-dessous extraits et publiés à partir de : http://www.crid1418.org/doc/mutins.

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Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8-Annexe à télécharger au format .pdf (tableaux, sources, bibliographie, documents).
http://www.crid1418.org/espace_scientifique/ouvrages/Loez_mutins_anx.pdf
Cette annexe comporte quatre parties :
I. Tableaux (p. 2)
A. La connaissance des mutineries de 1917
B. Les témoins des mutineries
C. La sociologie des mutins
D. Les manifestations des mutins
E. Les écrits des mutins
F. La mesure de l’indiscipline et sa répression
II. Sources (p. 18)
Analyse des sources
Liste des sources consultées (dont les témoignages)
III. Bibliographie (p. 41)
1. Instruments de travail et cadres d’analyse
2. Histoire générale
3. Histoire et sociologie des mouvements sociaux
4. Première Guerre mondiale
5. Année 1917 et mutineries françaises
IV. Documents et témoignages (p. 66)
A.. Rapports militaires sur les mutineries
B. Textes et documents des mutins de 1917.
C. Récits des mutineries

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8-Entretien de l’auteur avec la Lettre du Chemin des Dames (.pdf)
en savoir plus en téléchargeant le pdf ci-dessous :
http://www.crid1418.org/doc/actu/Loez_mutins_entretien.pdf
« J’ai cherché à largement donner la parole à ces soldats »…./….

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8-Entretien de l’auteur avec La Raison (pdf)
en savoir plus en téléchargeant le pdf ci-dessous :
http://www.crid1418.org/doc/actu/entretien%20la%20raison.pdf

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8-Recension dans Le Mouvement social (par Antoine Prost)
http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1642
André Loez, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, 2010
Revenir sur l’histoire des mutins après Guy Pédroncini, Len Smith et Denis Rolland ne manque pas d’ambition1. André Loez en a les moyens et il nous livre un ouvrage de première importance. Passons sur la clarté du plan et la fluidité de l’écriture. Passons sur l’ampleur de la documentation qu’attestent 94 pages de notes : outre les archives du commandement, des conseils de guerre, de la justice militaire, du contrôle postal, l’auteur a labouré celles des acteurs et les témoignages publiés2. L’important est sa problématique, qui renouvelle l’historiographie de la Grande Guerre.

Alors que les motivations des soldats étaient au centre du débat, André Loez tourne le dos à cette approche psychologique. Il est assez vain « de chercher dans les consciences des ‘raisons’ de tenir et de combattre, dans la mesure où aucun autre choix n’est disponible » (37). Il y a la guerre, un événement qui s’impose à tous, une évidence collective à laquelle les individus s’adaptent. Ils n’ont pas le choix. Ce « fait national » est « de part en part un fait social, irréductible à la psychologie et à la culture ou au patriotisme des seuls individus » (43). On semble ici congédier l’histoire culturelle, au profit d’une histoire sociale renouvelée.

Du coup, la question se déplace. Avant de chercher des raisons aux mutins, il faut comprendre pourquoi le choix d’une révolte est devenu possible au printemps de 1917. L’échec du Chemin des Dames n’est pas une explication suffisante : 22 unités seulement sur les 85 touchées par les mutineries avaient été engagées le 17 avril, tandis que 19 étaient au repos complet et 8 dans un secteur calme. La 5e DI, où la mutinerie fut spectaculaire, était en réserve. La dénonciation des attaques inutiles et la lassitude de la guerre apparaissent beaucoup plus tôt. La désobéissance des soldats ne relève donc pas d’une démotivation passagère et vite surmontée, mais elle révèle que « d’autres choix et d’autres conduites sont devenues possibles et pensables, en raison d’une inflexion des cadres sociaux et symboliques de l’obéissance » (56).

De nombreux événements construisent en effet une représentation de l’avenir où il devient envisageable que la guerre puisse prendre fin : avec la révolution russe, l’entrée en guerre des États-Unis, le recul allemand sur la ligne Hindenburg, l’espoir suscité par les préparatifs du Chemin des Dames, l’impression de flottement au sommet de la hiérarchie lors de la nomination de Pétain, la perspective d’une paix n’est plus absurde. Elle prend plus de consistance avec les grèves de mai et surtout le congrès socialiste de Stockholm auquel le parti français décide le 28 mai de se rendre, avant que le gouvernement ne refuse des passeports à ses délégués le 4 juin. L’exemple vite connu des premiers refus d’obéissance donne des idées. Nous sommes alors à l’apogée des mutineries.

A. Loez étudie attentivement celles sur lesquelles nous sommes le mieux renseignés. C’est tout un continuum de désobéissance, qui va de l’altercation avec un officier au projet de marche sur Paris. Le mouvement lui semble sous-estimé, car il a découvert, grâce notamment aux JMO, 27 mutineries jusque là ignorées, et deux de plus encore entre la rédaction de son livre et celle de son annexe. D’autre part, les sources françaises ne mentionnent pas 8 mutineries signalées par le commandement allemand qui, contrairement à ce qu’on croit souvent, les a connues. Il analyse la chronologie et la géographie du mouvement, comme la sociologie des mutins. Les employés de commerce ou de banque, les instituteurs, les représentants de commerce sont sur-représentés, tandis que les professions socialement dominées sont sous-représentées. Les mutins sont plus jeunes, moins souvent mariés et plus souvent parisiens que les non-mutins. Il étudie la façon dont les mutins s’organisent, ce qu’il appelle l’improvisation de la désobéissance. La conscience d’une transgression absolue et périlleuse de l’ordre militaire les incite à rendre leur action présentable. La violence envers les officiers est limitée à une douzaine de cas sur 80 pris en compte.

Reste évidemment la question du sens des mutineries. A. Loez refuse ici « la posture du chercheur omniscient qui sait lire et narrer le grand texte de l’histoire » (364). Qu’est-ce qui permet à l’historien de décider que telles paroles plutôt que telles autres livrent le sens véritable de l’événement ? De quel droit arbitrerait-il entre ces deux mutins d’un même régiment dont l’un explique : « On ne nous donne pas les permissions qui nous sont dues ni le repos qu’on nous a promis » tandis que l’autre affirme : « Il faut faire la paix à tout prix ; se battre comme ça, c’est idiot » (366). Les versions unifiées des mutineries, qui les présentent comme une grève pour des revendications matérielles, ou au contraire comme un mouvement pacifiste, reposent sur une généralisation abusive à partir de citations choisies pour les conclusions qu’elles autorisent. L’indispensable critique des témoignages doit tenir toujours compte des contextes d’énonciation, et ne pas détacher les discours des pratiques. Il y a là, sans qu’A. Loez la systématise, une réflexion épistémologique sur les limites des citations dans l’administration de la preuve en histoire. Nous ne pouvons pas savoir ce que pensaient, ce que ressentaient des centaines de mutins dont seuls quelques uns ont parlé et dont, de surcroît, la parole a été construite en fonction de la situation et des interlocuteurs : camarades présents, officiers ou juges du Conseil de guerre. L’attribution d’une pensée ou d’un discours, d’un sens unifié, aux soldats constitués en entité collective est arbitraire. Au demeurant, de quel droit postuler que tous les participants d’une action collective partagent les mêmes motivations ?

Refusant donc de privilégier le sens porté par certaines paroles plutôt que par d’autres, A. Loez les prend toutes en compte, avec une attention fine aux termes utilisés. La palette en est étendue, de ceux qui minimisent les mutineries : chahut, tapage, chambard, grabuge, rouspétance, à ceux qui en soulignent la gravité : révolte, grève, ou révolution, en un sens spécifique : « nous sommes en révolution ». En s’attachant simultanément à la diversité des pratiques, il définit ainsi quatre types de mutins : les tapageurs, pour qui la mutinerie est une sorte d’exutoire passager ; les grévistes, de bons soldats injustement traités ; les citoyens qui réclament leurs droits ; les militants, qui se mobilisent pour la fin de la guerre. Il ne faut donc pas se laisser enfermer dans l’alternative patriotes ou pacifistes : la réalité est beaucoup plus complexe et mouvante. Mais une constante demeure : la nécessité, pour les mutins, de construire la légitimité de leur action, ce qui les conduit à se situer à l’intérieur de l’espace politique de la République et à développer un égalitarisme intense.

La remise en ordre suit. A. Loez révise le rôle de Pétain. Celui-ci n’a pas été nommé pour mettre fin aux mutineries : sa nomination intervient le 15 mai, alors que le gouvernement ne connaît pas encore la crise qui débute à peine et dont il est saisi à la fin du mois. Pas davantage Pétain ne donne l’ordre de cesser les offensives : le 19 mai, il prescrit des attaques à objectifs limités, déchaînées brusquement, certes économes en infanterie, mais visant à poursuivre l’usure adverse. C’est bien plutôt la crise d’obéissance et la nécessité de rétablir d’abord l’ordre militaire qui l’obligent à renoncer aux attaques. D’autre part, il n’hésite pas à faire fusiller des mutins ; il obtient même (directive du 12 juin) la suspension des transmissions à l’autorité civile pour recours en grâce. Certes, quelques jours plus tard, il atténue cette sévérité en demandant de ne pas oublier qu’il s’agit de « nos soldats » qui se battent depuis trois ans, mais il reprend en mains les unités en mariant améliorations concrètes, exhortations, et rappel de la légitimité de la règle militaire. Les permissions satisfont les droits légitimes des poilus tout en dispersant provisoirement les éventuels mutins, ce qui facilite doublement le retour à l’ordre. Simultanément, le contexte se modifie, la perspective d’une fin possible de la guerre a court terme se dissipe, et les soldats rentrent dans le rang parce qu’ils n’ont pas d’autre choix.

Le titre de l’ouvrage : « les refus de la guerre » résume bien la thèse d’A. Loez. Il montre comment, dans une situation qui s’impose à la collectivité toute entière, l’institution politique, sociale et militaire fait faire la guerre à des hommes qui la refusent. De nombreux témoignages attestent la précocité et la réalité de ce refus, mais la généralisation d’A. Loez me semble excessive : le refus n’épuise pas la réalité qui est plus complexe, et parfois contradictoire. A. Loez n’aborde pas le comportement des troupes de première ligne, bien qu’il y signale une mutinerie. Faut-il en conclure que ces troupes ne refusaient pas la guerre ? Rien ne le permet, et pourtant elles continuent à la faire. C’est donc que le refus coexiste avec d’autres sentiments, car le refus de la guerre est bien, lui aussi, un sentiment qui inspire des actes et des paroles, ou si l’on préfère, une attitude. Un an plus tard, les ouvriers étudiés par J.-L. Robert cessent leurs grèves quand Ludendorff perce le front : ils ne veulent pas être ceux par qui le malheur arrive.3 N’y a-t-il pas, chez les soldats, la même conscience d’une responsabilité devant la collectivité, les proches, les amis ? Imposée certes par le contexte : c’est la guerre, on n’y peut rien, mais elle n’en crée pas moins des obligations. Y a-t-il le même refus, en août et septembre 1914 ? A. Loez ne le soutient pas, même s’il juge vain d’explorer les sentiments quand la situation commande. Mais la situation ne façonne-t-elle pas aussi des émotions, des sentiments ? Et que serait une histoire sans émotions et sans sentiments ? A. Loez le sait parfaitement, et il leur fait en réalité leur place, après avoir mis en garde contre le risque d’y voir des causes alors que ce sont pour lui plutôt des effets. En quoi son livre est bien une histoire totale de la guerre : sociale, politique, militaire, mais aussi culturelle.
Antoine Prost
1 Guy Pedroncini, 1917, Les mutineries de l’armée française, Paris, Julliard, 1968 ; Léonard V. Smith, Between Mutiny and Obedience. The Case ot the French Fith Infantry Division during World War I, Princeton, Princeton University Press, 1994 ; Denis Rolland, La grève des tranchées. Les mutineries de 1917, Paris, Imago, 2005.
2 Les sources et la bibliographie figurent, avec la liste des mutineries retenues, dans une annexe de 86 pages consultable sur internet.
3 Jean-Louis Robert, Les Ouvriers, la Patrie et la Révolution. Paris 1914-1919, Les annales littéraires de l’Université de Besançon, n° 592, Série historique n° 11, 1995.

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8-Recension sur Nonfiction.fr (par Pierre Chancerel)
http://www.nonfiction.fr/article-3563-une_relecture_des_mutineries_de_1917.htm
Une relecture des mutineries de 1917
L’histoire des mutineries de 1917 a engendré une importante littérature historique. Rupture évidente de la cohésion nationale, l’événement, même s’il est limité dans le temps, symbolise à lui seul la fin de l’Union sacrée. On pourrait croire que tout a été dit sur le sujet et pourtant André Loez apporte un éclairage nouveau sur ces événements. L’ouvrage est intéressant à plus d’un titre. D’abord, parce qu’il renouvelle le questionnement sur les mutineries. Ensuite, plus généralement, son travail est l’occasion d’une réflexion plus générale sur les sources historiques, leur silence et leur sincérité, et sur le travail de l’historien en général. Au fil de la lecture, on est frappé par la grande rigueur de l’auteur, qui lui a permis de prendre en compte toutes les dimensions de ces mutineries et l’a conduit à s’intéresser à l’ensemble des mutins, et pas seulement aux plus cultivés d’entre eux.

L’ouvrage est étayé par une solide documentation. Il inaugure sans doute une nouvelle époque, dans laquelle l’exemplaire papier est complété par des ressources en ligne. Ainsi, des annexes au livre sont disponibles sur Internet, sur le site du Crid 14-18 (Collectif international de Recherches et de débat sur la guerre de 1914-1918). Ces documents sont constitués de tableaux qui recensent les différentes mutineries et les sources dont on dispose. Ils établissent également des données statistiques sur l’identité des mutins et de la répression qu’ils ont subie. Plus traditionnels, une bibliographie et un guide des sources figurent dans l’annexe en ligne, ce qui permet d’alléger le livre.

Toutes les composantes des mutineries ont été réexaminées. Pour commencer, les mutineries sont insérées dans le temps long. André Loez revisite l’historiographie récente de la Première Guerre mondiale. Il en vient à rejeter les explications traditionnelles du conflit. Pour lui, les soldats ne se sont pas battus par consentement, ou par patriotisme, pas plus qu’à cause du poids de la contrainte que l’autorité militaire ferait peser sur eux en cas de révolte. Il dépasse cette opposition et propose, au contraire, une nouvelle clé, une « hypothèse sociologique » , selon laquelle on ne fait la guerre tout simplement parce qu’on n’a pas le choix, aucune autre alternative valable n’existe pour les combattants. Dans une société qui exalte la virilité et le courage, déserter ou refuser la guerre est tout simplement impossible. André Loez montre que les soldats s’adaptent peu à peu au conflit et à sa durée. S’instaure un « rapport ordinaire à la guerre » , selon lequel être soldat devient un métier et génère de nouvelles habitudes, de nouvelles pratiques. Dans ces conditions, on espère la fin de la guerre, sans pouvoir la penser formellement. Chaque événement extérieur n’est espéré que dans la mesure où il peut abréger le conflit et mettre un terme aux terribles conditions de vie des combattants. Les refus d’obéissance sont toujours isolés et ne sauraient remettre en cause la guerre dans son ensemble.
Pierre CHANCEREL

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8-Réponse aux critiques de Leonard Smith dans le Journal of Military History (vol 75-1, janvier 2011, format pdf)
Texte paru dans le volume 75, n°1, du Journal of Military
History, janvier 2011, p. 350-351, en réponse au compterendu
écrit par Leonard V. Smith dans le n°74-4 d’octobre
2010, p. 1301-1303….
en savoir plus en téléchargeant le pdf ci-dessous :

http://www.crid1418.org/doc/textes/loez_smith_jmh.pdf

sources
http://www.laviedesidees.fr/Une-nouvelle-histoire-des.html
http://www.crid1418.org/doc/mutins
http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1642
http://www.nonfiction.fr/article-3563-une_relecture_des_mutineries_de_1917.htm

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Dossier sur les Mutineries de 1917

 

Une nouvelle histoire des mutineries de 1917

Classé sous — milguerres @ 0 h 57 min

 

 

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Dossier sur les Mutineries de 1917

 

Une nouvelle histoire des mutineries de 1917

vu par Romain Ducoulombier

http://www.laviedesidees.fr/Une-nouvelle-histoire-des.html

article disponible sous document pdf : http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20100421_ducoulombier.pdf

L’historiographie de la Grande Guerre est arrivée à l’heure des refus [1] : la publication de l’ouvrage d’André Loez consacré aux mutineries françaises de 1917 confirme ce basculement. Depuis le livre pionnier de l’historien Guy Pedroncini en 1967, cet événement-symbole a souvent été considéré comme marginal, éphémère et inconséquent : s’il n’était pas le fruit d’un complot pacifiste, il s’agissait, selon Guy Pedroncini, non pas d’un « refus de se battre », mais d’un « refus d’une certaine manière de le faire » [2]. Par la suite, la mémoire collective a figé les mutins dans un consensus compassionnel, vivement mis en lumière par le discours de Lionel Jospin à Craonne en 1998 [3].

Avec une rigueur et une clarté remarquables, André Loez se tient à distance de ces interprétations consacrées. Il réfute de manière convaincante les conclusions de Pedroncini et ouvre par là de nouvelles perspectives pour une socio-histoire globale des refus de guerre entre 1914 et 1918, en rupture avec l’anthropologie culturelle du conflit constituée autour de l’hypothèse du « consentement ».

La crise de désobéissance de l’armée française en 1917

Les mutineries d’avril-juin 1917 ne sont pas un événement mineur et marginal pendant le conflit. Avec la mise en évidence de vingt-sept mutineries supplémentaires – pour un total de 111 mutineries dans 61 divisions –, la portée directe de l’événement se trouve élargie : pour obtenir ce chiffre, André Loez a écarté en effet la centaine d’incidents comptabilisés par Guy Pedroncini ou Denis Rolland [4], qui renvoient à des faits dont on ne sait presque rien, pour y ajouter ces nouveaux désordres révélés par l’archive et le témoignage. On ergotera sans doute sur l’étendue du mouvement, qu’une documentation nécessairement lacunaire ne peut rendre dans toute son ampleur. Ce serait manquer le cœur de la démonstration d’André Loez : les mutineries forment en réalité le noyau d’un « halo » d’indiscipline qui traverse l’armée française au printemps 1917. Les désertions et les permissions prolongées se multiplient : dans les cinq divisions étudiées par l’auteur, le nombre des désertions a doublé à la mi-mai 1917, et même triplé à la fin mai et au mois de juin (p. 209). Dans la 77e Division d’infanterie (DI), 15 % de l’effectif a quitté « illégalement » le front : les limites de la désobéissance de la fin du printemps 1917, lors duquel s’ébauche un mouvement d’auto-démobilisation comparable à celui qu’expérimentent les armées russe ou allemande, s’en trouvent redessinées. En fait, c’est la vague des désobéissances collectives qui impose l’arrêt des offensives jusqu’à l’automne, contre le souhait de Pétain devenu généralissime à la veille des événements.

Les mutineries, par ailleurs, s’inscrivent dans un « continuum d’indiscipline » (Timothy Parsons [5]) qui traverse le conflit dès son origine. Il ne faut donc pas avoir une lecture linéaire des événements du printemps 1917 : il ne s’agit pas d’une démobilisation suivie, après son échec, d’une remobilisation patriotique. C’est le sens même du terme de « refus » qui doit en effet être repensé. Il ne s’agit pas d’entendre par là un rejet motivé, politiquement articulé du sens de la guerre : le pacifisme ne forme que l’extrémité la plus élaborée d’un vaste éventail de prises de parole. Ces refus se situent au contraire au croisement de deux logiques : une logique de réticence à la guerre, et une logique de recours illégal à l’indiscipline. Refuser la guerre, c’est bien « vouloir qu’elle se termine, ne plus vouloir y participer, mettre en pratique cette volonté » (p. 545). Le refus de guerre peut donc prendre la forme du désordre incohérent, de la manifestation bruyante et sans suite, ou au contraire devenir pétition, cortège, marche sur Paris : on ne saurait pour autant en disqualifier les formes les plus anodines.

Les mutineries : un mouvement social en temps de guerre

Les mutineries constituent, au sein de l’institution massive qu’est l’armée française de 1917, un mouvement social en temps de guerre : elles peuvent donc être pensées à l’aide d’une sociologie des mouvements sociaux improbables ou émergents, que l’auteur maîtrise avec une grande rigueur. Elles se déploient cependant dans le contexte particulier du conflit de 1914, pendant lequel les manifestations et les prises de parole publiques, qu’elles soient hostiles ou non à la guerre, sont strictement surveillées : par définition, les mutineries sont transgressives, même si leurs effets ont pu être limités. Le fait qu’elles se produisent au printemps 1917 – et non avant ou après cette date – tient néanmoins à l’accumulation précipitée d’événements qui les précède : c’est la modification cumulative de la structure des opportunités perçue par les acteurs qui leur procure le sentiment de pouvoir agir. Cette interprétation nouvelle réclame donc de reconstituer avec précision la chronologie des événements, pour en restituer l’enchaînement précis, mais aussi de dresser une sociologie de la cohorte improvisée des mutins.

Pourquoi les soldats se mutinent-ils ? Le plus souvent, les mutineries éclatent en raison de la perception d’une menace prochaine – d’attaque ou de remontée aux tranchées – ou de la contagion d’un autre mouvement transmise par la rumeur. Le « mode de raisonnement indiciaire » des soldats (p. 178) favorise la consolidation de l’inquiétude. En 1917, l’arrière est en effet devenu porteur d’angoisse dans des proportions jusque-là inédites : des rumeurs catastrophistes circulent à la faveur des grèves qui éclatent à Paris et en province, mais qui reflueront avant que les mutineries n’aient atteint leur apogée – du 30 mai au 7 juin 1917. L’inquiétude collective portée par la rumeur s’est nourrie de la série d’événements accumulés de part et d’autre de l’offensive Nivelle et de son échec au Chemin des Dames, avec lequel s’est refermé l’espoir de l’offensive « finale ». L’annonce du repli allemand de mars 1917, la publication des propositions de paix bolcheviques le 14 mai, le début de la campagne de reportages sur la Russie révolutionnaire dans Le Petit Parisien le 20 mai, les grèves parisiennes et l’attente de la conférence internationale socialiste de Stockholm, qui devait permettre à une Internationale rassemblée de formuler un vœu de paix : tous ces événements forment un faisceau qui donne aux soldats le sentiment d’une possible « fin » en faveur de laquelle prendre la parole pourrait peser. Dès lors, la nomination de Pétain comme généralissime, le 15 mai, est parfois perçue par la troupe comme un signe, non pas de rétablissement, mais de flottement dans l’armée.

Un mouvement analogue, mais inverse, préside à la rétraction des mutineries : le refus des passeports pour Stockholm, sous la pression de Pétain, et le discours du président du Conseil le 1er juin qui rejette tout compromis de paix privent le mouvement de toute issue plausible, tandis que la reprise en mains progressive de l’institution militaire étouffe sa dynamique. La fin des mutineries s’apparente au délitement ordinaire des mouvements sociaux de temps de paix, dans un contexte contraire (p. 502).

Le rôle de Pétain

La reconstitution de la chronologie précise des mutineries dissipe ce qui reste encore – peu de chose, à vrai dire – de l’aura du Pétain de 1917. Deux idées reçues continuent d’entourer le rôle de ce dernier : celui-ci aurait été nommé pour stopper les mutineries ; il aurait fait preuve, dans cette entreprise, d’une certaine mansuétude pour les soldats mutinés. En réalité, le généralissime n’a pas été appelé pour « rétablir l’ordre », puisqu’il est nommé plusieurs jours avant que le gouvernement ne soit informé du mouvement mutin, les 26 et 27 mai. La limitation du nombre d’exécutions n’est pas non plus à mettre à son actif : la répression est moins modérée qu’encadrée et freinée par le pouvoir politique (p. 516). C’est Pétain, au contraire, qui a rétabli début juin les modalités d’une justice d’exception, identique à celle qui avait régné au début de la guerre : les conseils de guerre spéciaux, supprimés en avril 1916, sont rétablis pour quelques semaines au cours desquelles 57 soldats sont exécutés [6]. Mais la répression – prison, travaux forcés – est réelle et ne saurait être réduite à ces fusillés pour l’exemple, à défaut des « meneurs » bien difficiles à identifier.

Le passage à l’action est le fait d’un nombre minoritaire de soldats : l’auteur, par conséquent, ne conteste nullement le fait que les mutins forment un groupe limité d’individus. De nombreux historiens en ont tiré argument pour conclure que les mutineries n’étaient qu’un mouvement limité et marginal de contestation ; en réalité, l’engagement et le refus sont toujours et partout l’exception numérique (p. 200). Les mutineries ne se distinguent donc pas d’autres mouvements sociaux. Reste donc à tenter de dresser une sociologie détaillée du groupe des mutins.

Une sociologie des mutins

L’auteur reconnaît que l’exercice est difficile, par manque de sources. Il s’appuie cependant sur un corpus considérable de 1 757 individus puisés dans cinq divisions [7], répartis entre 443 « mutins » (condamnés pour des manifestations contre le conflit pendant les mutineries) et 1 314 « non-mutins » (jugés pour divers faits de désobéissance tout au long de l’année 1917). La proportion d’hommes déjà condamnés dans les deux groupes est presque identique : les mutins ne sont donc pas de « fortes têtes » ou de « mauvais soldats » déjà condamnés. L’appartenance à un département occupé par l’ennemi ne prémunit nullement contre la participation au mouvement mutin. La présence des « Parisiens » y est plus forte, sans doute du fait de la possession partagée d’un savoir-faire revendicatif mieux diffusé dans la capitale. Les mutins, par contre, sont des « jeunes » : plus de 50 % d’entre eux appartiennent aux classes 1914 à 1917. Ils n’ont donc pas connu « 1914 », moment de cristallisation de l’argumentaire de la guerre défensive française, et ont été socialisés dans une troupe traversée par un discours diffus du refus. La composition socioprofessionnelle du groupe mutin est également révélatrice : les ouvriers en sont quasiment absents, de même que les professions les plus dominées socialement – charretiers, terrassiers ou journaliers. Ce sont, parmi les combattants exposés, les plus instruits et les moins dominés qui passent à l’action ; la présence d’instituteurs exclusivement parmi les mutins est elle aussi significative. La propension à la mutinerie est d’autant plus forte que le sentiment d’enfermement dans une guerre à perpétuité peut s’exprimer de manière socialement articulée.

Par le recours à la sociologie, l’auteur prend ses distances avec les interprétations qui font de la volonté et de la conscience individuelles le ressort des actes et des pratiques collectives. Une armée en guerre est une institution de masse qui demande à être étudiée comme telle. Il n’est donc pas nécessaire de vouloir la guerre pour devoir la faire : les États modernes ont en effet développé leur puissance en mobilisant leurs citoyens, plus ou moins contre leur gré. Les soldats ont donc été contraints de justifier leur présence au front, sans jamais disposer de la possibilité réelle de s’y soustraire. Être soldat est un statut involontaire, provisoire et partiel (p. 27). L’auteur, à la suite de Gérard Noiriel, se défie par conséquent de la manière avec laquelle de nombreux historiens imputent au populaire des sentiments patriotiques dont l’existence n’est pas massivement attestée par l’archive : il existe au contraire, selon André Loez, un rapport ordinaire au conflit qui ne suppose pas une adhésion volontaire et articulée au système de sens imposé, pour l’essentiel, par les élites pour justifier la guerre.

On ne saurait oublier, cependant, que la mise en œuvre par les États de techniques de mobilisation collective s’est précisément opérée, jusqu’à la veille de la guerre de 1914, sous la forme de la nationalisation des masses. La structuration par l’État d’une population diverse au moyen d’une identité nationale qui permet à un peuple inventé de se percevoir comme un sujet de l’histoire est un processus institutionnel et symbolique extrêmement puissant qui enserre les individus. Sans le nommer explicitement, André Loez en rappelle à plusieurs reprises les principaux dispositifs : l’institution scolaire et une théologie nationale formulée par les intellectuels et les détenteurs du pouvoir culturel. Certes, les formes d’adhésion qu’il suscite ne peuvent être réduites à un consentement volontaire et explicite : on ne divorce pas d’une armée en guerre. Mais cette nationalisation des masses ne saurait rester entièrement impensée, quand bien même il s’agirait d’échapper à une conception réductrice de celle-ci. C’est le mystère de la mobilisation de 1914 : les individus reconnaissent, pour l’avoir trop méconnue et tacitement acceptée, l’existence d’une entité qui légitime l’acte de tuer et réclame le sacrifice anticipé de soi. Il en reste quelque chose, en 1917, quand avorte ce mouvement social inachevé.

Si la guerre est un secret que seuls les combattants connaissent, la paix n’est pas leur affaire : selon André Loez, ce ne sont pas eux, ni en Russie ni ailleurs en Europe, qui ont décidé de l’issue du conflit – ni d’aucun autre d’ailleurs –, quelles que soient la radicalité de leur mouvement et l’ampleur de leur indiscipline. La légitimité écrasante de la guerre défensive française les a condamnés à attendre la victoire, pour que soit remboursée une dette incommensurable exigée d’un État sur lequel, en vérité, leurs « droits » magnifiés par Clemenceau en 1919 étaient bien faibles.

 

Pour citer cet article :
Romain Ducoulombier, « Une nouvelle histoire des mutineries de 1917 », La Vie des idées, 21 avril 2010. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Une-nouvelle-histoire-des.html

Notes

[1] Romain Ducoulombier, « La guerre des profiteurs et des embusqués », La Vie des Idées, 11 novembre 2008.

Temps d’héroïsme et de sacrifice des combattants, la Grande Guerre est aussi l’occasion pour d’autres citoyens de s’enrichir ou de se soustraire à leur devoir patriotique. Deux livres récents se penchent sur la place des profiteurs et des embusqués dans l’imaginaire social du temps de guerre et sur la répression de ces pratiques jugées scandaleuses.
pour en savoir plus , téléchargez document pdf : http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20081111_ducoulombier.pdf

 

 

[2] Guy Pedroncini, Les Mutineries de 1917, Paris, PUF, 1967, p. 312-313.

[3] Philippe Olivera, « Le mutin derrière le fusillé, ou le silence durable de l’acteur », in André Loez, Nicolas Mariot (dir.), Obéir/Désobéir. Les mutineries de 1917 en perspective, Paris, La Découverte, 2008, p. 416-432.

[4] Denis Rolland, La Grève des tranchées. Les mutineries de 1917, Paris, Imago, 2005.

[5] Timothy Parsons, The 1964 Army Mutinies and the Making of Modern East Africa, Londres, Praeger, 2003.

[6] 26 soldats sont condamnés pour des manifestations « collectives » de désobéissance, les autres à titre seulement « individuel ». On peut débattre par conséquent de l’appartenance des seconds au groupe des fusillés pour actes de mutinerie.

[7] L’annexe de la thèse d’André Loez relative à cette sociologie des mutins est disponible  dans :  Les mutins de 1917  André LOPEZ   (page créée à partir de  http://www.crid1418.org/doc/mutins. )

http://www.laviedesidees.fr/Une-nouvelle-histoire-des.html

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L’année 1917 et ses mutineries

 vu par :


 

1-    Les causes

 

Une nouvelle histoire des mutineries de 1917 Carte

 

 

1917, imaginez ces soldats, dans la boue, le froid, sous les bombardements des obus ! La même routine incessante et horrible, en quatre ans les terrains d’affrontements ont changés, les équipements également mais pas leurs conditions de vie. De plus, les permissions sont suspendues : le soldat n’a plus aucun lien avec l’arrière, mêmes les lettres sont ouvertes et censurées. Les soldats se trouvent livrés à eux mêmes avec un commandement défectueux qui ne contribue pas a remonter le moral des troupes, un sentiment d’oubli vis-à-vis de l’arrière naît. Par-dessus cela s’ajoute l’échec désastreux de l’attaque du chemin des dames, la troupe n’y voit plus que massacre et attaques inutiles : les soldats n’ont plus aucune perspective de voir la guerre s’arrêter.

Tous ces facteurs s’additionnaient, provoquant une montée de la grogne parmi les hommes au front.

 

 

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2-    Les différentes formes de mutineries

 

La principale forme de mutinerie observée est le refus par la troupe de monter au front malgré les ordres émanant de l’état major.  Les soldats acceptaient de conserver les positions, mais refusaient obstinément de participer à de nouvelles attaques vouées à l’échec ou ne permettant pas de gagner que quelques centaines de mètres de terrain sur l’adversaire.

Nous trouvons également des contestations notamment sous formes de chansons : les soldats se manifestèrent à plusieurs reprises en chantant l’internationale ou en brandissant des drapeaux rouges. D’autres désertent ou se mutilent dans l’espoir d’échapper au front.

 

 

Le premier de ces actes d’indiscipline collectifs éclata dans un régiment engagé devant les monts de Champagne, le 17 Avril 1917. Puis, douze jours plus tard, sur le même front, un nouvel incident toucha une autre unité. Cependant, l’incident le plus grave se déroula dans la 41eme division, où, les 1er et 2 juin 1917, 2000 hommes insultèrent le général qui tenait de les calmer et lui arrachèrent ses étoiles aux cris de « Assassin ! Buveur de sang ! A mort ! Vive la révolution» !

 

Exemple de désertion rencontré dans le journal de marche de la 88e Brigade d’infanterie :

 

 

 mutineries

 

Extrait du Journal de Marche Officiel de la 88e Brigade d’infanterie :

« Le Bataillon DENOYER relève en 2e ligne  un bataillon du 42e RI ; 111 Hommes du bataillon SERGENT manquent au rassemblement du bataillon.

Dans la nuit, violent bombardement des boyaux d’accès et des premières lignes.

Pertes : 1 officier tué, (Ss lieutenant Tajasque)

            11 tués, 26 blessés, 3 disparus »

 

 

3-    Les moyens de répression

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Dès la fin de l’offensive du chemin des dames, Nivelle est remplacé par Pétain. Ce dernier parvient à calmer en partie ces contestations : Il améliore le sort des soldats en rétablissant les permissions et adopte une stratégie défensive ce qui limite les pertes en Hommes. Pétain ordonne l’arrêt des coûteuses attaques de consolidation qui avaient suivi l’offensive nivelle. Dans le même temps il s’appliquait à améliorer la vie quotidienne du soldat.

Cependant afin de réprimer ces mutineries, de nombreux poilus furent sanctionnés : 3,500  condamnations dont 1381 condamnations aux travaux forcés ou à de longues peines de prison et 554 condamnations à mort dont une cinquantaine furent effectives.

Pétain usa de pragmatisme afin de calmer ces mouvements revendicatifs : il se rendit lui-même au sein des régiments afin de parler aux Hommes et de leur redonner courage comme en atteste cet extrait du Journal de Marche officiel de la 18eme division d’Infanterie :

 

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« 2 Juillet. Le général Pétain voit à Fismes les officiers de la DI. Le mouvement de relève commence. La 18e DI devient relever »

Des émissaires furent envoyés dans les différents régiments afin de s’assurer du bon déroulement des opérations de guerre et de la discipline des Hommes. Comme en atteste ce document :

Extrait du Journal de Marche Officiel du 3e corps d’armée :

«Le 3 Juin 1917. Un peloton de gendarmes a cheval sous les ordres du commandant PAIRETTE se rend à Berzy-le-sec (Aisne) où il passa la nuit ; il est chargé de prendre le contact des mutins des 370e régiments d’infanterie près de Missy au bois, et de limiter le mouvement pacifiste »

sources :
http://www.laviedesidees.fr/Une-nouvelle-histoire-des.html
http://laguerre14-18.webnode.fr/les-dossiers/les-mutineries-de-1917/

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Dossier sur les Mutineries de 1917

30 décembre 2012

Lettres, carnets, journaux, récits de guerre

Classé sous — milguerres @ 11 h 43 min

 

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Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8

 Lettres, carnets, journaux, récits de guerre

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Lettres et carnets : témoignages des « poilus »

Carnets, journaux et récits de guerre

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Carnets, journaux, récits de guerre

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Lettres, carnets, journaux, récits de guerre

Carnets, journaux, récits de guerre

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8

« Les carnets de guerre de louis Barthas , tonnelier,1914-1918″


Ce jour, 5 juin, fut un des plus sanglants de cette stérile bataille d’Artois.
Le communiqué français du lendemain affirmait que notre artillerie avait lancé cinq cent mille projectiles et, j’en appelle à ceux qui se trouvaient dans cet enfer, l’artillerie allemande nous en envoya bien autant.
Un million de coups de canon dans vingt-quatre heures! et sur une surface de quelques kilomètres carrés seulement.
Sur ce chiffre fantastique d’obus lancés de tout calibre, cinquante, cent mille peut-être tombèrent dans le bois où nous nous trouvions.
Sans arrêt des éclats sifflaient dans les airs avec des miaulements bizarre, aigus, plaintifs, bourdonnant, s’abattant parfois en pluie de fer. Nous restâmes toute cette journée étouffante de juin blottis les uns contre les autres, hébétés, l’esprit engourdi, le cerveau serré par une extrême tension nerveuse ; de temps en temps, d’un abri à l’autre nous nous appelions, nous demandant réciproquement si personne n’était blessé. C’est vraiment un miracle qu’au milieu de cette avalanche de ferraille aucun de nous n’ait eu une égratignure.
Si sceptique que l’on soit, on est obligé de se demander si en certaines circonstances on n’est pas protégé par des forces mystérieuses, surnaturelles, qui veillent sur nous.

Edition La découverte

http://tnhistoiredocuments.tableau-noir.net/pages/les_carnets_de_guerre.html

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8

Extrait d’un journal de guerre d’un soldat en 1914

 « A 7 heures, la relève arrive ! Mais en sortant des tranchées, nous sommes fusillés comme des lapins. Notre camarade Fersit est tué raide. Revenons en arrière. Toute la journée, ça tire et à la tombée de la nuit surtout où l’ennemi nous reprend sa tranchée. Canons, mitrailleuses, charges à la baïonnette, rien ne manque et nous perdons environ une compagnie. Cinq des copains ont été faits prisonniers. A la nuit, tout cesse et on entend au loin les plaintes des blessés impossibles à secourir […]. »

Journal de guerre, 4 décembre 1914, front des Vosges.


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Le baptême du feu

 « Soudain les sifflements stridents nous précipitent face contre terre, épouvantés. La rafale vient d’éclater au-dessus de nous. Les hommes à genoux, recroquevillés, le sac sur la tête, se soudent les uns contre les autres.

La tête sous le sac, je jette un coup d’œil sur mes voisins : haletants, secoués de tremblements nerveux, la bouche contractée par un affreux rictus, tous claquent des dents. Cette attente de la mort est terrible. Le caporal, qui a perdu son képi me dit :

« Ah ! ben, vieux, si j’avais pensé que c’était ça la guerre, si ça doit être tous les jours comme ça, j’aime mieux être tué tout de suite… »

Notre premier contact avec la guerre a été une surprise rude. Dans leur riante insouciance, la plupart de mes camarades n’avaient jamais réfléchi aux horreurs de la guerre. »

Galtier-Boissière, cité par Marc Ferro, « La Grande Guerre », NRF.

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Carnets, journaux, récits de guerre lmimginvPaul Meunier. Verdun
Sur les nouvelles, relevées dans la presse. Est-ce ce que l’on peut mentir à ce point là ? Ici le soldat était tellement trompé, qu’il lit les journaux avec la conviction que ce qu’on lui raconte est faux. Situation stabilisée, l’attaque boche a échouée piteusement, leurs colonnes sont bourrées d’enthousiasme, de récits de combat, de ces ineptes bons mots de poilus inventés par des spécialistes.
Ils lisent au grand cœur les exploits de nos héros, la joie de mourir, l’ivresse exquise du corps à corps.
Les innombrables bienfaits de la guerre régénératrice, leur bourrage de crâne apparaît insensé à ceux qui savent.
Leurs lecteurs sont-ils des nouveaux-nés légèrement arrièrés où des vieillards débiles ?
La guerre n’est point telle qu’on la voie sur les couvertures des revues et les affiches de cinéma.
J’ai vu brûler Verdun, J’ai vu les batailles sanglantes, horribles, les blessés qui râlaient, des morts sur lesquels on marchait. J’ai vu des souffrances sans nom , des hommes jour et nuit sous le soleil et sous la pluie, J’ai vu partout la désolation, la ruine, la boue, le sang des copains souffrir de tout, fatigue, faim, soif, blessure.
Vous trouvez ça beau vous ?
Verdun c’est l’enfer.
Çà ne se raconte pas. Ca se vit.
On aura tout vu, c’est l’antre béant où le rat mort, ces visages livides, et ces corps gelés. Sur les cadavres, la vermine, une odeur épouvantable que nous ne connaissions pas.
Toutes ces horreurs sans nom qui nous environnent ne sont rien à côté de celles qui se préparent.
Quelle atmosphère d’affolement, d’inouï et de jamais vu.
Où sommes nous?
Paul Meunier. Verdun
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L’enfer de Verdun (1916)

Voici ce que raconte le capitaine d’infanterie Charles Delvert qui défendit Verdun en juin 1916:

1er juin. L’aspect de la tranchée est atroce. Partout les pierres sont ponctuées de gouttelettes rouges. Par places, des mares de sang. Dans le boyau, des cadavres raidis couverts d’une toile de tente. Une plaie s’ouvre dans la cuisse de l’un deux. La chair, déjà en putréfaction sous le grand soleil, s’est boursouflée hors de l’étoffe et un essaim de grosses mouches bleues s’y presse.

A droite, à gauche, le sol est jonché de débris sans nom. Boîtes à conserve vides, sacs éventrés, casques troués, fusils brisés, éclaboussés de sang. Une odeur insupportable empeste l’air. Pour comble, les Boches nous envoient quelques obus lacrymogènes qui achèvent de rendre l’air irrespirable. Et les lourds coups de marteau des obus ne cessent de frapper autour de nous.

Samedi 3 juin. Il y a près de soixante-douze heures que je n’ai pas dormi. Les Boches attaquent de nouveau au petit jour (2 h 30). Nouvelle distribution de grenades. Hier, on m’en a vidé vingt caisses, il faudra être plus modéré.

Du calme, les enfants ! Laissez-les bien sortir ! On a besoin d’économiser la marchandise. A vingt-cinq pas ! Tapez-leur dans la g… ! A mon commandement. Feu!

Et allez donc !

Un craquement d’explosions. Bien ensemble, bravo ! Une fumée noire s’élève. On voit les groupes boches tournoyer, s’abattre. Un, deux se lèvent sur les genoux et s’esquivent en rampant. Un autre se laisse rouler dans la tranchée, tant il est pressé.

Quelques-uns progressent cependant vers nous, pendant que leurs camarades restés      dans la tranchée et leurs mitrailleurs nous criblent de balles. En rampant, un Boche arrive même jusqu’à mon réseau. On lui envoie une grenade en pleine tête.

A 3 h 30 ils en ont assez et rentrent dans leur trou.

Cité par A. Ducasse, J. Meyer et G. Perreux, Vie et mort des Français, 1914-1918, Hachette.        
http://tnhistoirexx.tableau-noir.net/pages12/enferverdun.html
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Un survivant de Verdun témoigne

 « Mardi 29 février 1916.

L’attaque allemande de Verdun a continué, formidable. C’est la grande offensive tant annoncée (…). Le carnage est immense. La débauche des projectiles d’artillerie est incroyable : 80 000 obus en quelques heures, sur un espace de 1 000 mètres de long et 3 à 400 mètres de profondeur. Trois millions d’obus en quelques jours. On se demande comment des êtres vivants arrivent à se maintenir et à combattre dans pareil enfer (…).

Vendredi 21 août.

Près d’un million d’hommes sont tombés là, sur ce front minime. Des centaines de milliers de tonnes d’acier et d’explosifs ont été déversées sur ce sol. Le résultat est nul (…). »

Le journal de guerre du docteur Marcel Poisot.

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La peur avant l’attaque
 « Il est 10 heures : à l’heure H… (11 heures moins dix), le commandant vient d’envoyer aux officiers sa montre et l’ordre écrit. La compagnie attaquera l’élément de tranchée dit tranchée des Hongrois compris entre les points A et C sur le plan directeur. Et voilà, c’est fini, l’ordre d’attaque est arrivé ; les hommes taillent des gradins dans le parapet pour sauter tout à l’heure. Je sais bien que nous sommes venus ici pour prendre Douaumont[1] ; ce n’est un mystère pour personne qu’il va falloir une fois de plus exposer sa chair ; on le sait, les hommes le savent tous. Et pourtant, pourtant jusqu’à maintenant, jusqu’au passage de cette montre, de ce pli que j’ai eu dans les mains, que j’ai donné à l’agent de liaison pour qu’il le porte au lieutenant, ma pauvre tête a douté, a espéré… Quoi ? je n’en sais rien moi-même : un contrordre, une relève, l’opération remise, que sais-je, un tas de folies que ma volonté rejette à mesure qu’elles se présentent, que je ne veux pas croire, auxquelles je ne veux pas penser, tout entier à ce sentiment qu’il faut avoir : se tenir correctement devant la mort ! Ce n’est pas bien difficile de dire cette petite phrase ; mais quel effrayant effort il faut faire, mon Dieu ! »

Sous-lieutenant Guy Hallé, Là-bas avec ceux qui souffrent, Paris, Garnier, 1917.

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                   Karl Gorzel la Somme 1-10-1916.

L’attaque anglaise a commencé [le 12 septembre]… A l’aube, j’ai jeté un coup d’œil à la ronde . Quel spectacle effarant ! Plus trace de tranchée ; rien que des trous d’obus, aussi loin que porte le regard – des trous comblés à leur tour par de nouvelles explosions, réexplosés puis recomblés… Les blessés allongés gémissent, impuissants. La réserve d’eau s’épuise… Le feu augmente pour atteindre une intensité tellement ahurissante qu’on ne distingue plus une détonation de la suivante. Nos bouches et nos oreilles sont emplies de terre. Trois fois enterrés et trois fois déterrés, nous attendons. Nous attendons la nuit, ou l’ennemi ! Et la danse macabre des obus qui explosent devient encore plus folle – on ne voit rien, sauf de la fumée, du feu, des jaillissements de terre…
Soudain, le barrage se lève… et là, juste devant, nous distinguons la première vague de l’ennemi , …. Enfin la délivrance! Tous ceux qui ne sont pas blessés, qui sont encore capables de lever un bras, se lèvent et nos bombes, comme une averse de grêlons, pleuvent sur l’ennemi qui nous attaque. La première vague gît face contre terre devant nos trous, mais déjà la deuxième est sur nous. Derrière, d’autres Anglais arrivent en rangs serrés. Tous ceux qui parviennent jusqu’à nos lignes sont éliminés au terme d’un combat singulier à la baïonnette. Mais nos bombes volent avec une puissance redoublée vers les rangs ennemis. Elles y accomplissent leur œuvre terrible et les colonnes anglaises qui nous attaquent tombent comme les épis de maïs mûrs sous la faux. Quelques-uns, rares, s’échappent et fuient à toutes jambes par les boyaux. Nous tombons, hébétés, sur la terre torturée et soignons les blessés du mieux que nous le pouvons, en attendant la seconde attaque, ou la nuit… J’allume une cigarette et m’efforce de penser – de penser à nos morts et à nos blessés, aux souffrances de l’humanité ;de projeter mes pensées vers chez moi. Mais foin de ces pensées ! Le présent revendique ses droits – il exige un homme, non un rêveur… Les renforts arrivent, tout est nettoyé, les morts sont enterrés et une nouvelle journée commence, plus horrible encore que la précédente. Telle est la bataille de la Somme – combat sanglant de l’Allemagne pour la victoire. Cette semaine, nous avons atteint les limites ultimes de l’ endurance humaine – ce fut l’enfer !

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Les mutineries de 1917

 « Ce n’est plus une guerre, c’est un massacre complet.

Je te dirai qu’en ce moment tous les combattants en ont marre de l’existence.

Il y en a beaucoup qui désertent. »

Cité par Guy Pedroncini, Les mutineries de l’armée française, 1968.

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La fin de la guerre

 « L’armistice est signé. Les canons et les cloches l’ont annoncé hier matin à toute la France. Le carnage finit par l’éclatante victoire de nos armes et par la défaite de ceux qui l’avaient prémédité, organisé, voulu. Les morts vengés par la victoire, voilà ce qui est digne d’être appelé la justice. Les morts sont vengés, les crimes seront châtiés durement ! Quant à l’Allemagne vaincue, les rapports que le monde civilisé entretiendra désormais avec elle dépendront de la façon dont elle saura accepter la défaite et le châtiment, régler ses comptes, expier. »

D’après Alfred Capus, Le Figaro, 12 novembre 1918.

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29 décembre 2012

Les marraines de guerre

Classé sous — milguerres @ 23 h 15 min

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 Les femmes et la Guerre

Les marraines de guerre

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Les marraines de guerre l’autre famille des soldats Soutenir le moral des soldats : telle fut la mission des marraines de guerre. Cette institution populaire née durant la Première Guerre mondiale a laissé un souvenir marquant qui explique sa réapparition en 1939. Pourtant, les circonstances de sa création restent largement ignorées, et l’on a oublié depuis longtemps que l’armée s’en était défiée et que les moralistes les avaient traînées dans la boue. Pourquoi les marraines ont-elles fait peur et, paradoxalement, comment s’explique leur popularité ?

 

La vicomtesse Benoist d'Azy, au PC du fort de Douaumont

La vicomtesse Benoist d’Azy, au PC du fort de Douaumont.
Source : ECPAD

La guerre devant être courte, rien n’avait été prévu en 1914 pour soutenir le moral des soldats. Mais les fronts se figent, la guerre s’enlise dans la boue des tranchées et la question commence naturellement à se poser. Elle se pose de façon plus aiguë pour les mobilisés originaires des régions envahies qui sont coupés de toutes nouvelles de leurs familles et qui par là-même sont privés de soutien affectif, de mandats, de colis et de toutes les attentions qui permettent de tenir en donnant un sens au combat. Cela n’a l’air de rien, mais les semaines passant, le moral est gravement atteint. « Je suis dans mon escouade seul de ma condition, écrit l’un d’entre eux. Les autres reçoivent de belles et longues lettres en bas desquelles je vois quelquefois : tes parents qui t’embrassent. J’ai beau faire, je vous avoue que je suis jaloux de leur bonheur et, pourtant fort de caractère, j’ai déjà eu souvent envie de pleurer. J’ai bien fait des efforts pour ne pas me plaindre ». « Il n’y a pas pour moi de moments plus durs que la distribution des lettres », confie un autre (1). Livrés à eux-mêmes, ces soldats sont secourus par diverses oeuvres et associations qui ne peuvent toutefois remplacer l’affection d’une mère, d’une épouse ou d’une soeur. C’est pour eux qu’est conçue à la fin de l’année 1914 la généreuse idée des marraines de guerre.

La vicomtesse Benoist d'Azy, marraine du fort de Douaumont

La vicomtesse Benoist d’Azy, marraine du fort de Douaumont. Source : ECPAD

La Famille du soldat est la première association à voir le jour en janvier 1915. Créée par Mlle de Lens, elle bénéficie du patronage de hauts personnages et de la publicité gratuite de L’Écho de Paris, qui ne tarde pas à fonder sa propre officine devant l’afflux des lettres des soldats en souffrance, tout comme d’autres journaux (L’Homme enchaîné, La Croix, Le Journal…). L’œuvre Mon soldat apparaît ensuite, fondée par Mme Bérard et soutenue par le ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, avant qu’une myriade de journaux et d’associations diverses se proposent à leur tour de jouer les intermédiaires. Ces premières œuvres sont hautement morales et patriotiques, dirigées par des dames patronnesses conservatrices qui veulent rappeler que les Français forment une famille solidaire et unie. Le terme de « marraine » lui-même n’est d’ailleurs pas innocent. Appartenant au vocabulaire religieux, il évoque l’engagement devant Dieu de suppléer les parents si ceux-ci viennent à disparaître et démontre que les correspondantes remplissent une mission naturelle de secours à un membre de la communauté nationale. Pour certaines femmes, cet engagement familial prend un sens concret, comme pour cette mère en deuil qui écrit à la Famille du soldat : « Je n’ai plus de fils, je l’ai donné à la France. Rendez-m’en un autre dans la personne d’un soldat séparé des siens« .

Du filleul au prince charmant L’invention de la marraine participe ainsi au thème de l’Union sacrée et de la soi-disant disparition des barrières sociales et autres distinctions qui ont empêché les Français d’être solidaires avant 1914. Une pièce d’Abel Hermant et André Reuze, La marraine inconnue, jouée à la salle Hoche en décembre 1916, exploite ce terrain de la réunion des classes sociales en proposant une histoire qui allie le mythe du prince charmant à celui de l’unité des classes (2) : l’affection que porte Philippe, le filleul aisé, à Renée, fille d’une femme de ménage, débouche naturellement sur le mariage. Moins aveugle sur la possibilité de surmonter les clivages, une chanson sur les amours d’un jeune poilu sans fortune et d’une riche marraine, parue dans Le Canard poilu du 19 janvier 1916, se termine tout de même par un happy end :

« Or voici qu’un jour le papa dit à sa fille : il ne faut pas poursuivr’ cet amour qui commence ton âme en ressent trop d’émoi et puis c’jeune homme n’est pas pour toi, cessez donc toute correspondance. [...] Il vint en permission avec une belle décoration vit sa marraine et dit au père : Monsieur, si j’me suis bien battu c’est pour défendre vos écus, sans nous vous n’en auriez plus guère C’est pourquoi j’ai l’honneur De vous demander l’coeur Et la main de votr’ fille. Et le papa charmé Lui dit : c’est accordé Vous êtes de la famille ».

Mariage ? Amour ? Il ne s’agissait pas de cela quand les premières associations ont vu le jour mais seulement d’un devoir patriotique à caractère familial. Très vite cependant, les marraines de guerre sortent du cadre moral qui avait présidé à leur fondation. Le bouleversement est de trois ordres : non seulement le « marrainage » s’étend très largement au-delà des soldats privés de famille et échappe au contrôle des œuvres fondées en 1915, mais il se transforme en un flirt épistolaire, une relation sentimentale entre jeunes hommes et jeunes femmes. Henriette de Vismes, qui participe à la fondation de La Famille du soldat, ne parle des marraines que sous la figure de la mère ou de la sœur et refuse absolument d’envisager la sentimentalisation des relations et l’amour qui peut en résulter : « Les vraies marraines et les vrais filleuls, la vraie pitié et le vrai malheur ont d’autres sollicitudes et des visées plus hautes. [...] Et si parfois dans les heures immobiles au fond de la tranchée où la nuit triste peu à peu descend, un jeune filleul se prend à rêver plus ému à sa jeune marraine, c’est pour l’apercevoir au-dessus de lui, parée de toutes les grâces mais aussi de toutes les vertus, intangible et presque sacrée, sous les traits d’un ange ou d’une sainte descendue du Ciel pour le secourir ». Pourtant, la réalité est tout autre ; des relations sentimentales se sont nouées, des rencontres ont eu lieu lors des permissions où des marraines ont offert, selon l’expression des poilus, « bon repas, bon gîte et le reste », et des mariages ont bien eu lieu. Le fantasme de la marraine légère court les tranchées ; et puis ouvrir son cœur et son lit, n’est-ce pas « un autre devoir patriotique » ? (3)

Ce glissement du patriotique vers le sentimental est identifié dès 1915 quand la revue légère Fantasio invente l’oeuvre du « Flirt sur le front » le 1er mai de cette année-là. Ce bimensuel illustré s’inquiète de la solitude amoureuse des jeunes combattants et se propose de servir d’intermédiaire entre les deux sexes. Mais très vite les demandes des soldats dépassent les offres des demoiselles et le « Flirt sur le front » est victime de son succès. Le 15 août 1915, il se targue d’avoir déjà accordé 6 000 soldats et marraines, un chiffre que l’association Mon soldat n’atteindra qu’en 1917 ! Le 15 novembre, submergé de demandes militaires, Fantasio annonce qu’il met un terme à son initiative. Mais le flambeau du courrier du coeur est repris par la principale revue grivoise illustrée de l’époque : La Vie parisienne. Le 4 décembre 1915, elle ouvre ses colonnes aux petites annonces des mobilisés. Ils ne sont que deux à lancer une bouteille à la mer ce jour-là, mais six mois plus tard la revue hebdomadaire fait paraître deux pleines pages d’annonces de filleuls en quête d’adoption.

Devant la demande, La Vie parisienne en profite pour faire monter les prix de la ligne publiée, de deux francs en 1916 à quatre francs en 1918. Dans ce flot, il faut se distinguer par tous les moyens : « Il pleut ! nos abris sont inondés. Vite, petites marraines, un mot et nous sommes sauvés« , écrit le lieutenant Raoul Denys, du 155e régiment d’infanterie. On ne cache pas ce que l’on recherche, allant droit au but : « Deux jeunes sous-officiers dem. Corresp. Avec gentilles parisiennes, très affectueuses« , écrivent deux artilleurs tandis que le maréchal des Logis Heufel fait paraître cette annonce : « La guerre est infiniment longue et je voudrais bien avoir, moi aussi, une petite marraine affectueuse et sentimentale qui me ferait oublier les jours qui s’écoulent si lentement. Discrétion de gentilhomme« .

Populaires malgré les critiques Pour les « pères-la-pudeur », la marraine de guerre devient alors un péril social scandaleux, le reflet du délabrement des mœurs : « D’un mot où s’abrita tant de pieuse et patriotique bienfaisance, des gens couvrent leur cauteleux proxénétisme« , s’étrangle l’Œuvre française, le 25 janvier 1917. Et La Vie parisienne se voit traitée d’agence de prostitution ! Progressivement, les marraines de guerre ne sont plus vantées dans la presse comme l’incarnation du patriotisme mais dénigrées, présentées comme des vieilles filles qui se lancent dans le jeu de la séduction en profitant des circonstances. Dans L’École des marraines, la romancière Jeanne Landre se moque d’une quinquagénaire ronde et « basse sur pattes » qui se « rattrape à distance ». Ce thème de la vieille fille catastrophée par la venue du filleul en permission devient même un sujet de pièces de théâtre telles Cœur de marraines, Son filleul ou encore Parrains-marraines. On encensait hier les marraines, on s’en moque aujourd’hui. La pièce de boulevard Nénette a un filleul touche le fond en présentant une femme frivole qui se réjouit de la venue de son filleul en permission avant qu’elle ne découvre qu’il s’agit d’un prêtre ! Cette image dégradée est à l’origine de la crise de vocation qui se constate dès 1916. La lassitude, la longueur du conflit, la déception des rencontres, la mort des filleuls vécue douloureusement y sont aussi pour quelque chose. Il n’y aura jamais tout à fait d’adéquation entre la demande des soldats et celle des jeunes femmes : « Est-ce que par hasard je n’aurais pas de lectrices ? » s’étonne en janvier 1916 une journaliste de La Bataille, qui réclame des marraines pour les poilus qui lui écrivent. Le 9 février 1917, elle reconnaissait son échec : « Marraines, marraines, si vous n’avez pas pitié, je vais bientôt être ensevelie sous la pyramide de lettres des aspirants filleuls. Entendez mon cri de détresse, volez à mon secours« . La marraine n’est-elle pas morte de son succès ?

L’armée, pour sa part, n’apprécie guère l’initiative du « marrainage ». Elle redoute que des espions ne se glissent dans la peau des correspondantes pour tester le moral des soldats, connaître le déplacement des troupes, les préparatifs en cours et d’autres informations qui pourraient être utiles à l’ennemi. Dès le 18 mai 1915, le ministre de la Guerre Alexandre Millerand – qui donne en même temps son soutien à Mon soldat - écrit au ministre de l’Intérieur pour lui demander de surveiller les postes restantes. Après accord avec le ministre des PTT, les correspondances adressées sous chiffres ou sous initiales ne sont plus distribuées mais jetées au rebut. Parmi les agences de poste restantes privées, l’entreprise Iris subit les foudres des patriotes et La Tribune de Paris mène contre elle une campagne virulente, l’accusant d’être le relais du proxénétisme et de l’espionnage allemand. Les annonces seraient codées ou bien des espions se cacheraient derrière, fantasment les moralistes. Une note du 2e bureau, c’est-à-dire le service de renseignement militaire, invite en juin 1917 à combattre les annonces des marraines dans la presse qui peuvent cacher « des agents de l’ennemi empruntant le langage des demi-vierges, sachant bien qu’en correspondant avec certains officiers, ceux-ci ne manqueront pas tôt ou tard de commettre certaines indiscrétions d’ordre militaire » (4). Le journal conservateur L’Intransigeant ne voit pas d’autre explication à l’échec de l’offensive du Chemin des Dames en avril 1917 : la France a été vaincue par les petites annonces « pornographiques » derrière lesquelles se dissimule l’espionnage allemand. Selon Gabriel Perreux, le 2e bureau aurait répondu à de nombreuses annonces pour sonder les motivations des marraines et s’assurer qu’on n’y trouvait pas un relais de Berlin. Les Britanniques ont, pour leur part, opté pour la manière forte, interdisant à leurs hommes les marraines françaises.

Certains généraux français auraient bien aimé adopter cette fermeté, le commandant des armées du nord et de l’est demandant solennellement au ministre de la Guerre, le 28 juin 1917, d’interdire les filleuls et les marraines. Sans succès. Même critiquées, les marraines sont trop populaires pour que l’on puisse jeter l’opprobre sur elles. La seule tentative d’interdiction n’a concerné que les marraines suisses en février 1916, mais l’initiative du 2e bureau a été désavouée le mois suivant par le gouvernement qui ne voulait pas de complication diplomatique en incriminant les femmes suisses. En fait, la marraine de guerre fait peur aux militaires comme aux moralistes parce qu’elle incarne la libéralisation des mœurs, parce qu’elle est une femme libre qui écrit à des hommes, sans tutelle ni surveillance. Pire, l’existence de la marraine rappelle que les héros sont des êtres de chair et de sang, qu’ils souffrent et ont besoin d’affection, qu’ils sont fragiles et malheureux. Mais où est le héros stoïque, chaste et déterminé que dépeint la propagande ?

En 1918 et 1919, alors que la guerre s’achève et que des unions ont lieu entre d’anciens filleuls et marraines, l’idée ne disparaît pas et ressurgit sous la forme des adoptions de villes et villages dévastés par les cités de l’intérieur qui ont été épargnées matériellement. À l’instar de Marseille qui adopte la ville éprouvée d’Arras le 15 octobre 1918 et lui offre une somme de 900 000 F pour relever ses murs, la France qui n’a pas connue la dévastation devient marraine des régions ruinées. Même les anciens alliés se mettent de la partie et rejoignent le mouvement, comme Londres qui fait de Verdun sa filleule. Au 1er janvier 1921, vingt millions ont été collectés dans toute la France créant un mouvement de solidarité qui prend modèle, à une échelle collective, sur celui qui vit le jour en 1915 autour des soldats privés d’affection. La marraine, oui, a bien mérité de la patrie !

Notes : (1) Henriette de Vismes, Histoire authentique et touchante des marraines et des filleuls de guerre, Paris, Perrin, 1918, 298 p., p. 60-63. (2) Archives de la préfecture de police, B/A 772, pièce visée n° 2562. (3) Gabriel Perreux, La vie quotidienne des civils en France pendant la Grande Guerre, Paris, Hachette, 1966, 351 p., p. 41. (4) Service historique de la défense 16 N 1554

Source : Jean-Yves Le Naour, Historien. Revue « Les Chemins de la Mémoire n° 181″ – mars 2008 pour MINDEF/SGA/DMPA
http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/les-marraines-de-guerre

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 Les femmes et la Guerre

Lettres et carnets : témoignages des « poilus »

Classé sous — milguerres @ 18 h 05 min

 

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 Lettres, carnets, journaux, récits de guerre

 

Lettres et carnets : témoignages des « poilus »

Restés plusieurs mois dans les tranchées, les soldats ont, dans des carnets personnels ou dans des lettres,

largement décrit la réalité de la guerre.

http://tnhistoirexx.tableau-noir.net/pages12/premiereguerretemoignage.html

L’héroïsme

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8À deux heures et demie, un aéroplane allemand survole nos positions. Nous étions repérés et vingt minutes après, le premier obus éclatait à six pas de moi. J’ai été soulevé, projeté à cinq mètres, tout le corps anéanti, couvert de sang. Je me suis levé, abruti, incapable d’articuler un son et j’ai marché. Des hommes étaient couchés sur la route, morts. J’ai couru. Quelle grêle d’obus ! J’en entends un au-dessus de moi, je me lance dans la tranchée, il éclate à un mètre, je me relève, je pars de nouveau. Je me disais : jamais je n’arriverai à l’ambulance. Ah ! Mon ami, que c’est laid la guerre moderne.

Lettre de Jean de Pierrefeu à un ami, 1914, Anovi, www.grande-guerre.org

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8Tu ne saurais croire l’héroïsme de nos soldats. Hier devait avoir lieu l’attaque d’une tranchée allemande. Au signal, les lieutenants s’élancent en criant : « En avant ! », « A l’assaut ! », « Pour la France » ; et l’un d’eux entonne La Marseillaise. Derrière eux, toute la section. Quel élan, quel enthousiasme pour ces hommes qui savent pourtant qu’ils n’ont aucune chance. Les lieutenants meurent, frappés à la tête. Les soldats tombent à leur tour impossible d’avancer. Les vivants se couchent et tentent d’amonceler de la terre devant leur tête pour se protéger des balles. Le commandant leur fait dire de se replier. Hélas, on ne peut ni avancer, ni reculer. Il faut attendre la nuit. Au soir, un blessé me dit : « Ce qu’il faut souffrir pour la France.»

Lettre du Dr Martin-Laval à sa sœur,  Paroles de poilus.

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8Mon général, je me permets de demander à passer dans l’infanterie. Je considère que ma place est là où les risques sont les plus nombreux. Je fais partie d’une famille israélite naturalisée française. Je veux après la guerre, si je reste en vie, avoir la satisfaction d’avoir fait le maximum de mon devoir. Je veux que personne ne puisse me contester le titre de Français, de vrai et de bon Français. Je veux, si je meurs, que ma famille puise être fière de moi, et que personne ne puisse lui reprocher ses origines étrangères. De toute mon âme et de tout mon cœur, je suis décidé à servir la France le plus vaillamment possible.

Lettre du soldat Henry Lange, 1917, Paroles de poilus.

 

La dure réalité des tranchées

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8Notre tranchée a une longueur de 100 mètres. Elle est profonde d’un mètre et la terre a été jetée devant, si bien que l’on peut passer debout sans être vu. Elle est très étroite et par endroits, on a creusé plus largement pour pouvoir se croiser quand on se rencontre. Dans le fond, on creuse de petites caves où un homme peut se coucher pour se protéger des obus.

Lettre d’Adolphe Wegel, 1915, Paroles de poilus.

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8Je viens de déjeuner, mais qu’est-ce qu’une demi-boule de pain pour une journée ! J’en ai mangé la moitié et j’ai encore plus faim. Rien que le matin, il me faudrait la boule entière ! Le froid aiguise terriblement l’appétit et, ne pouvant le satisfaire, on est obligé de se recoucher.

Lettre d’Etienne Tanty, 1914, Anovi, www.grande-guerre.org

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8Voilà près d’un mois que je ne me suis ni déshabillé, ni déchaussé ; je me suis lavé deux fois : dans une fontaine et dans. Un ruisseau près d’un cheval mort ; je n’ai jamais approché un matelas ; j’ai passé toutes mes nuits sur la terre. On dort un quart d’heure de temps en temps. On dort debout, à genoux, assis, accroupis et même couché. On dort le jour ou la nuit, à midi ou le soir. On dort sur les chemins, dans les taillis, dans les tranchées, dans les arbres, dans la boue. On dort même sous la fusillade. Le silence seul réveille.

Lettre d’André Fribourg au journal l’Opinion, 1915, Anovi, www.grande-guerre.org

 

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8La pluie approche. Une goutte tombe sur mon képi. Après une heure, la pluie redouble : c’est l’averse. Accroupis dans la tranchée, nous attendons. L’uniforme s’imprègne brin à brin. Après trois heures, je sens comme un doigt froid sur ma chair. C’est l’eau qui pénètre. Manteau, veste, chandails, chemise ont été traversés. Après quinze heures, il pleut. La nuit froide glace l’eau dont nous sommes revêtus. Après vingt-quatre heures, il pleut. La canonnade redouble. Je me baisse, je me couche au fond de la tranchée, dans l’eau. Après deux jours, il pleut.

Lettre d’André Fribourg au journal l’Opinion, 1915, Anovi, www.grande-guerre.org

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8Voici comment se passent nos nuits. À 8 heures 1/2, la canonnade s’arrête peu à peu. Le silence règne enfin. On entend les pas des soldats, les roulements des caissons de ravitaillement. Défense d’allumer des feux. On mange froid et l’on se couche, à même le sol. On dort tout équipé. Pas de couverture. Des loques humaines couchées en désordre. Une heure du matin. Bing ! Un coup de feu. Bing ! Un autre coup. Une fusillade éclate. L’ennemi attaque comme toutes les nuits, pour nous fatiguer. Quel réveil de cauchemar.

Lettre de Jean de Pierre feu à un ami, 1914, Anovi, www.grande-guerre.org

Le désespoir

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8J’ai le cafard. Voilà six mois que ça dure, six mois, une demi-année qu’on traîne entre la vie et la mort, cette misérable existence qui n’a plus rien d’humain ; six mois sans espoir. Pourquoi tout ce massacre ? Est-ce la peine de faire attendre la mort si longtemps à tant de milliers de malheureux, après les avoir privés de vie pendant des mois. Nous devenons des brutes. Je le sens chez les autres, je le sens chez moi. Je deviens indifférent, sans goût, j’erre, je ne sais quoi faire.

Lettre d’Etienne Tanty, 1915, Anovi, www.grande-guerre.org

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8On nous ordonne : « Allez là ! » Et nous y allons. On nous ordonne : « Attaquez ! » Et nous attaquons. Puis les mouvements recommencent, des marches errantes, avance, recul, des haltes, des manœuvres qu’on ne comprend pas. Une seule fois, le capitaine nous a exposé ce que nous allions faire. Il ne nous a pas révélé quelle bataille décisive allait s’engager. Pourtant, ce fut assez : une lumière était en nous. On nous disait : « Nous comptons sur vous. »

Carnet de M. Genevoix, 1914, Anovi, www.grande-guerre.org

 

 

Etudes de lettres de poilus

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8Les Frères Bouchet

http://crdp.ac-amiens.fr/cddpoise/oise14_18/lettres_de_poilus.html

http://crdp.ac-amiens.fr/cddpoise/oise14_18/AD60_52J_5_309_001.jpghttp://crdp.ac-amiens.fr/cddpoise/oise14_18/AD60_52J_5_310_001.jpg

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Les frères Bouchet

Originaires de Creil, les six frères Bouchet, Paul, Jean, André, Pierre, Marc et Henri, ont durant la guerre adressé à leurs parents et à leur sour 1100 lettres. L’ensemble de cette collection a été acquise par les Archives départementales de l’Oise (sous-série 52J) en 2003 à Bruxelles.

Son intérêt réside dans son exceptionnel volume, dans la qualité d’expression de ces jeunes hommes et la diversité des sujets qu’ils traitent.

A la veille de la commémoration de l’armistice, voici  cinq lettres de Marc, Henri et Jean  Bouchet datant de novembre 1918. A cette date, Marc est incorporé au 41éme bataillon de chasseurs, il est envoyé à partir du 7 novembre en Belgique. Il décrit donc Bruxelles dans sa lettre du 22 novembre. Henri, âgé de 20 ans en 1918, cadet de la famille, est depuis août à l’école d’artillerie de Fontainebleau. La seule lettre de Jean parlant de la victoire, et donc de sa libération, date du 25 décembre. Jean avait été fait prisonnier en avril 1915 dans la Meuse.

Seuls Marc, Henri et Jean ont pu témoigner à travers leur correspondance de l’armistice.
Paul a été porté disparu des le 29 août 1914, son corps n’a jamais été retrouvé. André, blessé dès son deuxieme jour de combat, a été fait prisonnier en septembre 1914 puis rapatrié en France pour invalidité. Pierre engagé en décembre 1914 et a été tué lors d’un combat aérien le 14 août 1918.

sources :

textes :

http://tnhistoirexx.tableau-noir.net/pages12/premiereguerretemoignage.html

http://crdp.ac-amiens.fr/cddpoise/oise14_18/lettres_de_poilus.html

images :

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26 décembre 2012

Le rôle des femmes durant la Première Guerre mondiale

Classé sous — milguerres @ 23 h 35 min

 

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 Les femmes et la Guerre

 

Le rôle des femmes françaises

durant la Première Guerre mondiale

http://suite101.fr/article/le-role-des-femmes-durant-la-premiere-guerre-mondiale-a18698#axzz2GBuxabhk
La Grande Guerre pointe le bout de son nez et voici que l’on a besoin des femmes pour remplacer les millions d’hommes envoyés au front.

Alors que les femmes n’ont toujours pas le droit de vote et que le code civil les assujettit à leur mari, la guerre va leur ouvrir la porte de métiers jusque-là réservés aux hommes. Outre le rôle d’infirmière, la femme fabrique des munitions, conduit des ambulances, revêt la casquette de chef de gare, et tant d’autres. Une conversion dont s’empare la presse, publiant par millions des cartes postales à l’effigie de ces « nouvelles » femmes.

Aujourd’hui usées, essoufflées, ces cartes sortent de leur boîte poussiéreuse et nous apparaissent comme les témoins de la Grande Guerre. Nous sommes en 1914…

À la ville, dans les usines et ailleurs

Une femme qui fabrique des obus et des casques – elle qui, jusqu’alors, fréquentait les usines de textiles et les bonneteries –, voilà quelque chose de nouveau! C’est que les usines d’armement qui contestaient jusqu’alors la capacité des femmes doivent se faire à cette raison: ils ont besoin des femmes, ces « munitionnettes ». L’homme est au front, il faut maintenir l’économie et ravitailler nos valeureux soldats.

Ces usines ne sont pas les seules à convoiter la femme; dans bien des domaines elle remplace l’époux, le père, le fils parti combattre. Ainsi, elles sont nombreuses à conduire des ambulances, des véhicules militaires mais aussi des tramways. Chefs d’équipes dans les chemins de fer, gardes-voies, porteuses de journaux, bagagistes, livreuses de magasins… tant de postes dans lesquels elles s’illustrent, manifestant cette capacité autrefois contestée.

À la campagne

Tout comme en ville, la paysanne prend en charge le travail de l’homme absent. Elle manœuvre la charrue, laboure le champ, récolte les pommes de terre, le blé, elle répare le hangar tout en tenant son rôle de mère, puis soigne ses mains usées par l’ouvrage.

La mobilisation de ces paysannes se fait par l’appel de Viviani, l’inventeur de l’impôt sur le revenu, le 7 août 1914. En voici un passage : « Debout, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie. Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille [...] Debout! À l’action! À l’œuvre! »

À la ville, à la campagne, mais pas sur le champ de bataille!

Si l’engagement de la femme dans la guerre est irrévocable, la France ne préconise en rien son enrôlement sous le drapeau tricolore. Oui, ils se sont trompés – la femme peut effectivement occuper certains postes traditionnellement masculins –, mais la guerre c’est une affaire d’hommes!

Alors qu’en Angleterre, des bataillons féminins sont créés, deux jeunes françaises écrivent au journal Le Matin à ce sujet, le 26 février 1915: « Cette mesure gracieuse nous remplit de joie car elle nous fait espérer qu’aucune raison ne s’oppose à ce que l’on fasse autant ici… Les femmes revendiquent à leur tour le droit de contribuer à la défense du sol… Hélas, pourquoi tant de bonnes volontés sont-elles inutilisées? Partout où elles se sont adressées, elles ont été renvoyées à leur soupe. » Puis de conclure: « Pour notre père, vétéran de 70 qui depuis le début de la guerre se lamente de n’avoir que des filles, quel bonheur ne serait-ce pas! »

Le soutien féminin

La guerre sur le champ de bataille leur est refusée, certes, mais il est évident que leur soutien aux soldats durant ces quatre longues années a joué un rôle important sur le dénouement des événements. Que ce soit l’infirmière, par son soutien à la fois physique et moral aux blessés, les marraines de guerre qui écrivent et envoient des colis aux soldats du front, ou ces femmes qui ont revêtu la toge du père, du mari absent, tout en lui remontant le moral par le biais d’une correspondance… toutes se sont enrôlées, chacune à leur manière, dans cette terrible guerre qui fit 18 millions de morts.

 

 

Le rôle des femmes durant la Première Guerre mondiale femme-francaise-1914
Femmes dans une usine d’armement

Les marraines de guerre

Durant la Grande Guerre, les marraines de guerre vont entretenir une correspondance avec les soldats esseulés en leur envoyant des lettres et des colis.

Installées derrière leur pupitre, des femmes rédigent les lettres et remplissent les colis qui, demain matin, partiront pour le front. Dans quelques jours, les vivres parviendront aux soldats coupés de toutes nouvelles de leur famille, leur rappelant un instant qu’ils ne sont pas seuls et que quelqu’un à l’arrière pense à eux. Ce quelqu’un, ce sont les marraines de guerre: une figure féminine populaire de la Première Guerre mondiale.

Les marraines de guerre voient le jour en janvier 1915

Il s’agit d’une œuvre de bienséance à l’initiative de catholiques conservateurs: donner aux soldats esseulés un soutien et une présence de substitution. En effet, ils sont de nombreux soldats à ne plus pouvoir écrire ni avoir de nouvelles de leur famille – et ce, notamment, parce que leur région est envahie par l’ennemi.

C’est pour ces hommes que Marguerite de Lens fonde, le 11 janvier 1915, la première association des marraines de guerre: La Famille du Soldat. En adressant lettres et colis, les marraines prennent ainsi le rôle de la mère ou de la sœur, et redonnent le moral aux «filleuls» infortunés. Et le moral, c’est bien connu: c’est bon pour les troupes et, donc, pour la guerre! Très vite, d’autres associations vont lui succéder, et de nombreux journaux vont, à leur tour, jouer les intermédiaires: L’Écho de Paris, L’Homme enchaîné, Le Journal, La Croix, etc

Carte postale de marraine de guerre, Domaine public

 

Carte postale de Marraine de guerre

 

 

Les marraines de guerre: du soutien moral au flirt épistolaire

«Oh! Cela s’est fait bien simplement. Un jour, un copain a donné son adresse, là-bas, à Paris. Pour rigoler, quoi! Mais une lettre est venue [...] Joli papier mauve, enveloppe doublée, format d’oiseau. À l’intérieur, quatre pages d’une écriture élégante, longue comme la main qui l’écrivit, une écriture de matin et d’avril. [...] Puis ce furent les colis, les colis où les durs doigts se perdent dans les tiédeurs. Colis, lettres, lettres, colis: voilà la Marraine!» Joseph Delteil, Les Poilus : épopée (1925)

N’en déplaise aux conservateurs, l’œuvre morale et patriotique est victime de son propre succès: très vite, les soldats se débrouillent pour trouver eux-mêmes une marraine. Ils passent une annonce dans un journal ou se font adopter par la sœur ou une amie d’un camarade. Il ne s’agit plus seulement des soldats des régions envahies mais tous les hommes qui voient là l’occasion d’un flirt épistolaire. Petit à petit, la marraine de guerre passe ainsi du soutien moral à la relation amoureuse entre poilus esseulés et jeunes filles au cœur à prendre. Bien souvent, à la suite de ces échanges, s’esquisse une belle romance, et nombre de couples se formeront lors des permissions et après la victoire.

Petites annonces des poilus aux marraines de guerre

En mai 1915, le journal Fantasio lance une opération baptisée «le flirt sur le front» et propose de servir d’intermédiaire entre les jeunes hommes de l’avant et les jeunes femmes de l’arrière. Six mois plus tard, submergé de demandes militaires, le journal met un terme à son initiative.

Le 4 décembre 1915, la revue La Vie Parisienne prend le relais et ouvre à son tour ses colonnes aux petites annonces des mobilisés. Le succès est tel que six mois plus tard, la revue hebdomadaire fait paraître deux pleines pages d’annonces de filleuls en quête d’adoption – et ce malgré la pression des bien pensants qui voient cela d’un mauvais, très mauvais œil.

Les annonces, elles, sont aussi éclectiques que nombreuses: «Jeune aviateur, perdu dans le bleu ciel d’Orient, attend encore la blonde, jolie, charmante marraine qui viendra gentiment, par son gai gazouillement, lui rappeler Paris et son bon temps. Discrétion absolue» écrit Henri Hardzan. Ou encore «Poilu, peu de barbe, désire câliner petite marraine pour triompher des rongeurs moraux du front» d’un certain Jean de la Valvoline (1).

Les marraines de guerre, décriées, détestées et soupçonnées de trahison

Vantées et désignées autrefois comme les exemples de patriotisme par excellence, les marraines de guerre ne sont désormais plus que les «vieilles filles profiteuses», le reflet du délabrement décrié par les institutions. L’œuvre française du 25 janvier 1917 n’y va pas par quatre chemins: «D’un mot où s’abrita tant de pieuse et patriotique bienfaisance, des gens couvrent leur cauteleux proxénétisme».

Même l’armée s’en méfie: les marraines – celles là même qui ont mis du baume au cœur de ses soldats – pourraient bien être des espionnes chargées de relayer les mouvements des régiments, et des infiltrations sont organisées. Bien sûr, rien de suspect n’a jamais pu être trouvé, puisqu’on vous le dit: ces femmes n’étaient ni plus ni moins que «des petites marraines aux yeux doux» qui, à leur manière, accompagnèrent les hommes éreintés par quatre longues et pénibles années de conflits.

28 novembre 2012

D’autres noms pour l’exemple

Classé sous — milguerres @ 20 h 08 min

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Les crimes des Conseils de guerre : Vingré texte de 1925

SOLDATS FUSILLES POUR L’EXEMPLE

Ils étaient bien là, ces hommes ! 

 D’autres noms pour l’exemple

source : http://moulindelangladure.typepad.fr/monumentsauxmortspacif/histoires_de_16_fusills_pour_lexemple/

 

Le caporal Albert Truton

Né au Mage (Orne) où il est cultivateur en 1914, Albert Truton a épousé en 1912 Lucienne Cellier dont il a un enfant, Suzanne, née en 1913. Lors de la mobilisation générale, il est incorporé au 103e RI. Passé au 75e RI en juin 1915, il devient caporal le 30 juin 1916. Le 6 août 1916, il est blessé par un éclat d’obus
et il est cité à l’ordre du régiment comme « bon gradé courageux ».Après la mutinerie de Pargnan, il est condamné à mort par le Conseil de guerre de la 27e DI le 10 juin 1917 pour « refus d’obéissance, étant commandé pour marcher contre l’ennemi ». Il est fusillé le 16 juin à Pargnan.

Il est aujourd’hui inhumé au cimetière militaire français de Cerny-en-Laonnois.

 

Gaston Lefèvre engagé à 17 ans et fusillé è 19 ans.

Gaston Lefèvre est né le 4 juin 1897 à Morfontaine en Meurthe-et-Moselle. A la veille de la guerre, il exerce le
métier de cantonnier. Le 7 août 1914, les Allemands prennent son père en otage et le fusillent. Son frère infirme avait été emmené, puis fusillé à son tour. Pour venger les siens, Gaston Lefèvre franchit les lignes ennemies et vient venu s’engager à la mairie de Mézières (Ardennes) le 14 août. N’ayant que 17 ans, il avait falsifié son âge pour pouvoir s’engager.

Blessé au printemps 1915, il est alors soigné à l’hôpital de Lyon.

Le 9 juin 1917, à la suite de la mutinerie de Mercin, il est condamné à la peine de mort par le Conseil de guerre de la 13e Division, pour « révolte par prise d’armes sans autorisation et agissements contre les ordres des chefs ».

Pierre Lefèvre est exécuté le 16 juin 1917 à Soissons. Il est aujourd’hui inhumé au cimetière militaire d’Ambleny.

 

Joseph Gabrielli : Un Corse, simple d’esprit, condamné à mort

Gabrielli, berger de son  état, n’avait jamais quitté la Corse, ni même son village natal près de Corte, quand il fut mobilisé au 140e régiment d’infanterie .
Bien qu’il soit illettré et arriéré mental, on l’affecte à la 6e compagnie où on a plus besoin de son corps que de son esprit. Le 8 juin 1915, au cours d’une attaque, il est légèrement blessé. Son chef l’envoie se faire penser au poste de secours.
En revenant, il s’égare et ne retrouve plus sa compagnie.
On le retrouve cinq jours plus tard, terré au fond d’une cave à Colincamps (Pas de Calais).
Interrogé il déclare (avec peine, car il parle très mal le français) aux gendarmes :
« Mon régiment est rentré dans la tranchée la nuit du 6 au 7. J’ai pris part à plusieurs combats. Dans la nuit du 12, ma compagnie est partie à l’attaque, j’ai suivi mes camarades, mais à la fin des combats, je ne les ai pas retrouvés. Je suis revenu à la tranchée, mais, comme il n’y avait plus personne de  mon régiment, je suis parti sans savoir où j’allais. Je suis arrivé à Colincamps vers quinze heures, j’ai cherché ma compagnie sans la retrouver, c’est alors, que j’ai eu l’idée de descendre dans la cave d’une maison abandonnée où je suis resté pendant deux jours. J’ai perdu mon fusil et mon sac dans la tranchée. »
Le rapport rédigé par le commandant de la prévôté donne une autre version des faits :
«  Le soldat Gabrielli a disparu de sa compagnie le 8 juin au matin et a été signalé par son caporal d’escouade comme manquant à l’appel. Dans la même journée, des soldats de la compagnie faisant le service de ravitaillement ont attesté avoir vu Gabrielli  au poste de secours du bataillon. »
D’après l’enquête faite auprès de ses chefs, et de ses camarades, il ressort que Gabrielli est considéré comme un débile profond, élevé à l’état sauvage et surtout employé à creuser des latrines ou des tranchées.
Il est néanmoins traduit devant le conseil de guerre spécial du 140e R.I.
Voici la transcription d’une partie de l’interrogatoire de l’accusé faite par le commissaire du gouvernement.
Question_Quand avez-vous quitté votre compagnie et à quelle heure ?
Réponse_Je ne m’en souviens pas…
Q_ Pourquoi l’avez-vous quittée ?
R_ J’ai reçu un obus près de moi et je ne me rappelle plus rien…
Q_Combien de jours êtes vous resté absent de votre compagnie ?
R_ Trois jours.
Q_ Pourquoi n’avez-vous pas cherché à regagner votre compagnie  le plus tôt possible ?
R_J’ai cherché partout et je n’ai pas trouvé.
Q_ Où avez-vous été trouvé ?
R_ Dans une cave.
Q_ Est-ce dans une cave que vous cherchiez votre compagnie ?
R_ Je n’y ai couché qu’une nuit.
Q_ Pourquoi avez-vous dit aux gendarmes avoir quitté votre poste le 12 courant alors qu’en réalité vous êtes porté absent depuis le 8 juin ?
R_ Les gendarmes n’ont rien compris…
Q_ Pourquoi avoir dit que vous étiez resté absent trois jours, alors que vous êtes porté manquant  de puis le 8 au matin et que vous n’avez été retrouvé que le 13 juin à 18 heures, c’est-à-dire six jours après ?
R_Je ne peux pas m’expliquer.
Q_Avez vous quelque chose à rajouter pour votre défense ?
R_ Je suis ici pour défendre la France !

C’est un interprète corse qui traduisait au fur et à mesure les questions et les réponses.
Malgré les témoignages des soldats et de son commandant de compagnie confirmant  l’irresponsabilité de l’accusé, le conseil de guerre le reconnait coupable d’abandon de poste devant l’ennemi et le condamne à mort.
Dessin_de_tardi La sentence est lue à 20 heures et Gabrielli  est fusillé une heure plus tard. Dix ans après, un témoin, M Dupommier, qui avait assuré la défense de l’accusé, raconte l’exécution.
« Au cours de ces quatre années de guerre, j’ai vu de terribles choses. Je ne crois pas avoir assisté à un plus triste spectacle que cette exécution. Gabrielli, affolé, courrait devant les fusils en criant : » Maman, maman, je ne veux pas mourir… » Il se cramponnait convulsivement, tantôt à l’aumônier, tantôt à moi ; il a fallut planter un poteau sur la tranchée de deuxième ligne pour l’y ligoter. Cela a duré une demi-heure. Les hommes du peloton d’exécution étaient terriblement émus. Un seul être demeurait impassible : c’était le commandant Poussel (tué quelques mois plus tard en Champagne). Après le coup de grâce, cet officier m’a dit  « Voila une mort qui épargnera bien des vies humaines » J’ai répondu « Vous avez mon commandant, une étrange conception de la justice et vous venez d’assumer une bien effroyable responsabilité devant DIEU(1) »

Le 4 novembre 1933, la cour spéciale militaire annule le jugement du conseil de guerre et réhabilite Gabrielli.

Les fusillés de Montauville : Chemin et Pillet

A la 20e compagnie du 37e régiment d’infanterie coloniale, on s’était aperçu que les sacs laissés dans la tranchée pendant les attaques étaient régulièrement pillés, c’est pourquoi le commandant de compagnie avait décidé de nommer deux hommes dont la mission consistait à garder les sacs des soldats qui partaient à l’assaut. Comme c’était une « plaque », on avait choisi des hommes ayant charge de famille, c’est ainsi que Chemin et Pillet avaient été désignés.
Dans la nuit du 22 au 23 juin 1915, alors que leurs camarades montent à l’attaque dans la région du Ban de Sapt, Chemin et Pillet prennent leur faction auprès des sacs.
La consigne est formelle, quels que fussent les bombardements, en aucun cas ils ne devaient s’éloigner des sacs.
Or ce jour là, la 20e compagnie venait de « toucher » un nouveau commandant, lequel ignorait complètement la consigne donnée par son prédécesseur aux gardes sacs.
Le lendemain de l’attaque, on procède à l’appel afin d’établir l’état des pertes. Evidement Chemin et Pillet ne peuvent répondrent à l’appel de leur nom puis qu’ils sont restés à l’arrière.
Comme ils ne figurent ni parmi les morts ni parmi les blessés, ils sont portés « disparus au combat ».
Trois heures plus tard, le capitaine apprend que les deux « disparus » ont été retrouvés prés des sacs. Il les convoque, les engueule, écoute leurs explications, ne leur met aucune punition, mais il fait un rapport expliquant à ses supérieurs comment il a retrouvé les deux soldats portés manquant.
Ce n’est qu’un mois plus tard, alors qu’ils remontent au front, que les deux soldats apprennent qu’une information a été ouverte contre eux à la suite d’une plainte déposée par le colonel du régiment.
Tribunal_dans_une_eglise_de_la_me_2 Le 4 août 1915, après une instruction rapide, ils sont présentés au conseil de guerre et inculpés d’abandon de poste devant l’ennemi. Au cours de la séance, l’accusation fait état de prétendus aveux verbaux et écrits des condamnés dans lesquels ils reconnaissent s’être enfuis et réfugiés à l’endroit où se trouvaient les sacs. Or les deux hommes étaient totalement illettrés…
« Comment auraient ils pu rédiger leurs déclarations sans faire de fautes d’orthographe ? » demande leur défenseur aux juges.
Pour le conseil, cela n’a aucune importance : les juges ne retiennent que les témoignages obtenus par la persuasion, auprès de soldats n’osant pas contredire leurs supérieurs. Par contre, on ne tient aucun compte des témoins qui veulent déposer pour affirmer que Chemin et Pillet avaient bien été désignés pour garder les sacs et qu’ils n’avaient fait qu’obéir à la consigne.
Le 4 août 1915, à 19 heures, les deux hommes sont condamnés à mort par la cour martiale.
G. Reau a recueilli le témoignage de l’abbé Lesjone, aumônier qui a accompagné les deux gardes sacs jusqu’au poteau d’exécution.
« C’est moi, dit il, qui fus chargé d’apprendre à Chemin et Pillet la sentence prononcée par le conseil de guerre. L’exécution devait avoir lieu à 10h 30 du matin. Les deux soldats ne s’étaient pas rendu compte de la gravité des faits qui leur étaient reprochés. Ils ne voulurent pas croire qu’ils allaient être passés par les armes. Quand ils comprirent qu’ils devaient abandonner toute espérance, ils entrèrent dans une crise d’angoisse. Chemin, qui était originaire de Tullier (Charente Inférieure), montrait la photographie de ses cinq enfants. Il embrassait leur image en disant : »Est-ce possible ? Dire que je ne les reverrai plus ! Et pourtant je n’avais pas voulu fuir…On ne sait donc pas ce que c’est que d’être couver de terre par un obus ? »
« L’autre condamné, le soldat Pillet, qui était célibataire, me demanda de faire parvenir quelques  souvenirs à sa vieille mère ».
« Devant le poteau d’exécution, Chemin, s’adressa aux douze hommes du peloton et leur cria »Mes amis, je suis père de familles, vous n’allez pas me tuer ! » Attaché au poteau, Chemin hurlait  « Grâce mon colonel, grâce pour mes enfants ! »La sentence ne put être lu complètement, car la révolte grondait dans les rangs des soldats. Craignant une mutinerie, le colonel donna l’ordre à l’adjudant qui commandait le peloton d’ouvrir le feu. »
Le 5 août 1915  Pillet et Chemin tombaient sous la salve à 10h40. On avait mis plus d’un mois pour les inculper et moins d’un jour pour les juger et les tuer.

 

François Laurent : un breton fusillé pour l’exemple.

François Laurent est blessé à la main gauche dans la nuit du 1er octobre 1914, la dernière phalange du petit doigt de sa main gauche est arrachée. Son capitaine lui demande d’aller se faire soigner à l’infirmerie.  François Laurent fut examiné par le docteur Buy à Châlons-sur-marne qui vit une présomption de mutilation volontaire . Ce soldat ne s’exprime que malhabilement en français, il sera accusé d’abandon de poste, condamné par le conseil de guerre et fusillé le 19 octobre 1914. Il est exécuté avec toute une série d’autres soldats condamnés pour le même délit (…).La contre expertise du docteur Paul en 1933 conclut que la pièce médicale du dossier n’est pas suffisante pour prouver une mutilation volontaire ».

Le docteur Buy se justifia en expliquant « si tous mes rapports étaient en partie écrits à la polycopie c’était (…) parce que nous n’avions pas le temps »En effet, il faut savoir que ce docteur utilisait un document polycopié dans lequel il n’avait plus qu’à placer le nom et la blessure. Cela montre bien que les mutilations étaient courantes, et que l’examen médical n’était pas toujours sérieux. En tous cas, ce docteur a envoyé un homme à la mort, juste parce qu’il n’avait pas le temps de bien l’examiner.

Le travail de mémoire d’un instituteur local appuyé par les anciens combattants aboutit à sa réhabilitation en 1933, et donc à l’inscription de son nom sur le monument de Millionnec. En effet le Maire fit retiré la plaque de marbre où était inscrit le nom des soldats morts de la commune, puis il fit graver les noms directement dans la pierre incluant François Laurent, qui apparaissait ainsi dans l’ordre alphabétique. Par ailleurs sa famille perçut en dédomagement une somme de 10 000 francs.

 

Joseph Dauphin : le héros fusillé pour une beuverie

Joseph Dauphin, né à Tauves dans le Puy-de-Dôme, le 10 février 1882, dans une famille de 10 enfants. Il fut l’un des 600 soldats fusillés pour l’exemple par l’armée française durant la Première Guerre mondiale.

Dauphin_j Marié, père d’un enfant, le paysan Dauphin se trouvait incorporé dès le mois d’août 1914 au 70 ème bataillon de chasseurs à pied. Vaillant soldat, il reçut, en 1915, la Croix de guerre avec palmes pour plusieurs actes héroïques, entre autres avoir ramené sur ses épaules un lieutenant gravement blessé près des barbelés de la tranchée ennemie ou bien encore avoir tenu une position jusqu’à épuisement de ses cartouches. Promu caporal, il reçut par trois fois une citation pour sa conduite exemplaire au combat.

Au printemps 1917, l’état major avec Nivelle est au summum de son incompétence. Depuis deux ans les armées piétinent, Nivelle décide d’engager massivement les troupes dans ce que l’état Major appelle la « Bataille de France« . Les allemands connaissent le projet et renforcent les défenses en abandonnant une partie du front. Nivelle n’en tient pas compte. La préparation de l’artillerie française du 10 au 16 avril est sans effet sur les abris en béton et les cavernes du plateau de Craonne. Nivelle n’en tient pas compte. L’attaque est déclenchée le 16 avril, quelques jours plus tard et 150 000 morts, disparus et blessés, la Bataille de France est devenue, afin de minimiser cet échec,  la bataille de l’aisne puis la bataille du Chemin des Dames. La presse n’évoque pas le massacre et minimise l’évennement. Le fusible Nivelle saute en mai 1917. Celui ci est envoyé en Algérie dans un obscure commandement. Pétain prend sa revanche et le remplace. La stratégie change peu mais Pétain doit faire face à une vague importante de mutinerie. Bien souvent les soldats refusent simplement de repartir à l’assaut et remettent en cause les tactiques voir les stratégies militaires. Très peu contestent le bien fondé de la guerre.

C’est dans ce contexte que se situe l’affaire du caporal Dauphin. En juin 1917 les permissions de son régiment sont annulées. Joseph Dauphin et plusieurs soldats qui l’accompagnaient ramassèrent alors une cuite mémorable. Sous l’effet de l’alcool (dont l’armée n’était pas avare, à fortiori pour envoyer sa chair à canon à l’assaut) et sans trop savoir ce qu’ils faisaient, ils auraient tiré quelques coups de fusil et lancé à la cantonade des propos séditieux. Un fois dégrisé et conscient d’avoir fauté, Dauphin s’attendait à récolter quelques jours de prison, mais à sa grande surprise et sans vraiment comprendre, ses supérieurs l’envoyèrent devant le Conseil de guerre. Ils avaient besoin d’un exemple.

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Seul gradé parmi les hommes interpellés et pour avoir chanté un peu fort J’ai deux grands bœufs dans mon étable (version contredite par l’accusation), le caporal Dauphin, considéré comme meneur dans la vague des mutineries de 1917, fut condamné à mort et fusillé le 12 juin 1917 à la ferme de Fété, près de Ventelay dans l’Aisne. François Brugière, son camarade de Tauves, vraisemblablement impliqué dans la même séance de beuverie et désigné pour faire partie du peloton d’exécution, refusa de tourner son fusil contre Joseph. Condamné à 10 ans de travaux forcés, il fut envoyé au bagne de Chief (ex-Orléanville) où il mourut d’épuisement le 12 février 1918. Joseph Dauphin, quant à lui, repose dans la nécropole de la Maison Bleue à Cormicy dans la Marne : tombe n° 884.

Malgré de nombreuses campagnes de presse, il n’a jamais été réhabilité (toute requête de demande en révision étant jugée irrecevable par la justice après 1928).

 

Les 4 fusillés de Flirey : Baudy, Prebost, Morange et Fontenaud.

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Félix BAUDY est né le 18 septembre 1881 à Royère-de-Vassivière et Henri PREBOST le 1 septembre 1884 à Saint Martin Château, deux communes creusoises voisines de Gentioux. Félix et Henri étaient maçons, obligés de s’exiler comme beaucoup d’hommes des villages creusois. Ces militants du syndicat de la Confédération Générale du Travail (fondée à Limoges en 1895), travaillaient habituellement sur les chantiers de Lyon. Antoine MORANGE était lui aussi militant de la CGT. François FONTANAUD était orignaire de Montbron en Charente.

Pendant la guerre de 1914-1918, ils ont été incorporés au 63e RI, 5e Cie. Félix BAUDY et Henri PREBOST ont été fusillés pour l’exemple le 20 avril 1915 à Flirey, suite au refus collectif de leur compagnie de remonter à l’assaut de la crête de Mort-Mare.

Le 19 avril 1915, une attaque devait avoir lieu à Mort-Mare, afin d’enlever les derniers 200 mètres de tranchée encore occupés par les Allemands au centre d’une première ligne conquise quelques jours plus tôt avec la perte de 600 hommes. Un régiment détaché dans le secteur de Flirey depuis la fin de l’offensive le 11, devait la conduire. Les troupes d’assaut avaient été tirées au sort et le hasard avait désigné l’une des compagnies fortement malmenées les 3, 4 et 5 avril lors des combats sur la route de Thiaucourt.

Au signal de l’attaque cette compagnie de 250 hommes refuse de partir à l’assaut: « ce n’est pas notre tour d’attaquer » disent-ils.

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Furieux, le général DELETOILE ordonne que les 250 soldats passent en cour martiale  pour être tous exécutés. Après l’intervention d’autres officiers, cinq hommes sont finalement désignés et comparaissent dès le 19, pour une parodie de procès. L’un d’eux est acquitté. Deux hommes ont été choisis par tirage au sort dont le soldat François FONTANAUD. Les trois autres : le caporal Antoine MORANGE et les soldats Félix BAUDY et Henri PREBOST ont été désignés par leurs supérieurs en raison de leur appartenance syndicale à la CGT.

Le 20 avril, le caporal Antoine MORANGE, les soldats Félix BAUDY, François FONTANAUD et Henri PREBOST seront fusillés à la lisière d’un bois de Manonville.

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Les Fusillés pour l’exemple de Flirey s’ajoutent à ceux de Souain, Vingré, Fontenoy, Fleury, Mouilly, Montauville… En quatre ans, 2 400 « poilus » auront été condamnés à mort et 600 exécutés, les autres voyant leur peine commuée en travaux forcés.

Trés peu, environ une quarantaine sur 600, ont été rétablis dans leur honneur dans les années 1920 ou 1930. Parmis eux, les fusillés de Flirey ont été réhabilités en 1934.

Félix BAUDY est enterré dans le cimetière communal de Royère de Vassivière et Henri PREBOST est enterré à Villeurbanne.

Ci dessous la tombe de Félix Baudy dans le cimetière de Royère de Vassivière.

 

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source : http://moulindelangladure.typepad.fr/monumentsauxmortspacif/histoires_de_16_fusills_pour_lexemple/

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SOLDATS FUSILLES POUR L’EXEMPLE

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