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10 septembre 2013

SELVES (CASIMIR, GERMAIN, Justin de)

Classé sous — milguerres @ 21 h 10 min

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La Tunisie au gré des conflits

 Ceux qui ont marqué la Tunisie 

Culture et patrimoine

SELVES (CASIMIR, GERMAIN, Justin de)

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1889-1940

SELVES (CASIMIR, GERMAIN, Justin de), né le 19 juillet 1848 à Toulouse (Haute-Garonne), mort le 13 janvier 1934 à Paris.

Sénateur du Tarn-et-Garonne de 1909 à 1927.

Ministre des Affaires étrangères du 27 juin 1911 au 9 janvier 1912.

Ministre de l’Intérieur du 29 mars au 1er juin et du 9 au 13 juin 1924.

Justin de Selves fit ses études au collège de Montauban et au lycée d’Alger. Pendant la guerre de 1870, il servit comme lieutenant au 1er bataillon de mobiles du Lot-et-Garonne et fut nommé capitaine après les combats de Chartres. Peu après, il fut appelé à la direction des services administratifs du ministère de la Guerre à Tours où son oncle, Charles de Freycinet était délégué par le gouvernement de la Défense nationale. Il suivit le gouvernement à Bordeaux puis fut chargé de la direction de la sous-intendance de Toulouse, Montauban et Aurillac.

Devenu docteur en droit, il s’inscrivit au barreau de Montauban où il réussit fort bien et fut choisi comme bâtonnier par ses confrères. Il reçut alors son premier mandat électif, celui de conseiller municipal de Montauban. Mais il entreprit alors une brillante carrière administrative. Préfet du Tarn-et-Garonne en 1880, de l’Oise en 1882, de la Meurthe-et-Moselle en 1884, de la Gironde en 1885, il fut nommé en 1890 directeur général des Postes et télégraphes. En cette qualité, il présida la conférence internationale de Paris et représenta la France, en 1891, au congrès postal universel de Vienne. Le 23 avril 1896, il était nommé préfet de la Seine par le cabinet Méline, en remplacement de Poubelle. Demeuré quinze ans à ce poste, il s’y montra, sous de nombreux gouvernements et en collaboration avec des conseils municipaux aux majorités changeantes, un administrateur particulièrement habile et avisé et réalisa une oeuvre importante, notamment dans le domaine des transports (métropolitain, tramways), des concessions d’eau et d’électricité, ainsi qu’en matière artistique (création de la commission du Vieux Paris, développement et installation des collections du Petit Palais).

Le 3 janvier 1909, il était élu au premier tour sénateur du Tarn-et-Garonne, par 324 voix sur 433 votants, en même temps que Rolland, 277 voix. Il fut réélu le 11 janvier 1920, également au premier tour, avec 332 voix sur 418 votants. Il siégeait sur les bancs de l’union républicaine.

En 1911, il démissionna de ses fonctions de préfet de la Seine pour accepter le portefeuille des Affaires étrangères dans le ministère Caillaux constitué le 27 juin. Aussitôt après, ce fut l’affaire d’Agadir. Le 1er juillet, l’ambassadeur d’Allemagne venait annoncer à de Selves que son gouvernement envoyait un navire de guerre devant Agadir pour surveiller les côtes du Maroc. Obligé d’accompagner en Hollande le président Fallières, de Selves ne put s’expliquer devant la Chambre que le 11 juillet ; ce fut pour demander l’ajournement des interpellations qui avaient été déposées et qu’il obtint par 476 voix contre 73.

Après des consultations avec l’Angleterre et la Russie, une convention franco-allemande, par laquelle la reconnaissance des droits de la France au Maroc était échangée contre celle des droits de l’Allemagne au Congo, fut signée à Berlin le 4 novembre. Seule, la partie de cet accord qui modifiait les territoires coloniaux de la France fut soumise au parlement et donna lieu à un long débat à la Chambre, au début duquel Albert de Mun déposa une motion préjudicielle. De Selves se borna d’abord à une très courte intervention, mais, devant les protestations des députés, remonta à la tribune pour des explications plus détaillées qui furent accueillies sans chaleur. Cependant la motion fut repoussée par 448 voix contre 98, et après une intervention du président du Conseil, la convention fut finalement approuvée le 20 décembre par 393 voix contre 36.

Le Sénat, saisi à son tour, nomme pour examiner le texte, une commission spéciale composée en grande partie d’anciens ministres et présidents du Conseil, présidée par Léon Bourgeois et ayant Poincaré comme rapporteur. Au cours de la séance du 9 janvier 1912, Caillaux, à la suite d’une question posée par Pichon au sujet de l’affaire de la N’Goko-Sangha et du chemin de fer Cameroun-Congo, donna sa parole qu’il ne s’était jamais mêlé de transactions politiques ou financières d’aucune sorte et qu’il n’y avait jamais eu de négociations en dehors des négociations diplomatiques officielles. Clemenceau demanda alors à de Selves : « M. le ministre des Affaires étrangères peut-il nous confirmer cette déclaration ? Peut-il nous dire s’il n’existe pas des pièces établissant que notre représentant à Berlin s’est plaint de l’intrusion de certaines personnes dans les relations franco-allemandes ? » Le ministre des Affaires étrangères répondit : « J’ai toujours eu un double souci : la vérité, d’une part et, de l’autre, le devoir que m’impose ma fonction. Je demande à ne pas répondre à la question que vient de m’adresser M. Clemenceau ». Ce dernier déclara que cette réponse ne pouvait le satisfaire car il avait « reçu des confidences qu’il n’avait pas sollicitées ». Cet échange de répliques ayant causé quelque émoi, la séance fut levée et une conversation eut lieu entre Caillaux, de Selves et Clemenceau. Puis celui-ci partit laissant en tête à tête le président du Conseil et son ministre. On apprit ensuite par Caillaux que de Selves était démissionnaire, ce qu’il confirma en quittant le Sénat. Dans la soirée, il remettait sa démission au Président de la République, déclarant : « je ne saurais assumer plus longtemps la responsabilité d’une politique extérieure à laquelle font défaut l’unité de vues et l’unité d’action solidaire ». Caillaux essaya de remplacer de Selves par Delcassé mais celui-ci, après avoir accepté, revient sur sa décision et Caillaux démissionna le 11 janvier.

L’affaire n’eut pas de suites immédiates mais on apprit plus tard que Caillaux avait effectivement engagé des conversations à l’insu de Selves qui s’en était aperçu grâce au déchiffrement de dépêches allemandes faisant allusion à ces négociations. Il s’en était plaint au Président de la République et à Clemenceau, d’où intervention de ce dernier.

Redevenu simple sénateur, de Selves rapporta notamment au nom de la commission des affaires étrangères, en 1913, le projet de loi approuvant la convention conclue à Madrid entre la France et l’Espagne « en vue de préciser la situation respective des deux pays à l’égard de l’empire chérifien ».

Le 11 octobre 1919, en tant que président de cette même commission, il invita le Sénat, dans une intervention très applaudie, à ratifier le traité de Versailles qui « constituait, disait-il, l’affirmation d’une morale internationale nouvelle et permettait toutes les espérances pour l’avenir, à condition de faire preuve de vigilance ».

De Selves fut ensuite ministre de l’Intérieur dans le 2e cabinet Poincaré (29 mars au 1er juin 1924) et conserva le poste dans le cabinet François-Marsal, à la vie brève (9 au 13 juin 1924). Elu président du Sénat le 19 juin 1924, de Selves conserva cette fonction en 1925 et 1926. Il eut ainsi à présider, le 10 août 1926, la réunion mouvementée de l’Assemblée nationale, au cours de laquelle il fut faire face aux vifs incidents provoqués par les parlementaires communistes, et notamment par Jacques Doriot. L’autorité et l’habileté dont il fit preuve en cette circonstance lui valurent, à la fin de la séance, les « acclamations prolongées » de la gauche, du centre et de la droite.

Il ne retrouva pas ce succès aux élections sénatoriales du 9 janvier 1927. Arrivé en deuxième position au premier tour, avec 188 voix sur 419 votants, il fut battu au second tour par Delthil, n’obtenant que 177 voix sur 420 votants contre 242 à son adversaire.

Justin de Selves avait été élu en 1910 membre de l’Académie des beaux- arts en reconnaissance de l’action qu’il avait menée, comme préfet de la Seine, dans le domaine artistique. Il était officier de l’Instruction publique et grand officier de la Légion d’honneur.

Il mourut à Paris le 13 janvier 1934, à l’âge de 85 ans.

Extrait du « Dictionnaire des Parlementaires français », Jean Jolly (1960/1977)

source : http://www.senat.fr/senateur-3eme-republique/de_selves_justin1727r3.html

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La Tunisie au gré des conflits

 Ceux qui ont marqué la Tunisie 

Culture et patrimoine

29 avril 2013

De Carthage à Jérusalem : la communauté juive de Tunis

Classé sous — milguerres @ 23 h 30 min

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La Tunisie au gré des conflits

Culture et patrimoine

De Carthage à Jérusalem : la communauté juive de Tunis

 

 

Par Robert Attal et Claude Sitbon

Les juifs de Tunisie ont constitué pendant des siècles l’une des plus anciennes communautés de la diaspora, jouant un rôle de carrefour, attirant et assimilant les apports ethniques de tous les horizons. L’écrivain Albert Memmi, originaire de cette communauté, écrit :  » Quand je sus un peu d’histoire, j’en eus le vertige ; Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins, Berbères, Arabes, Espagnols, Turcs, Italiens, Français, j’en oublie et je dois en confondre. Cinq cents pas de promenade et l’on change de civilisation. »

Les origines

On ne peut dater avec certitude les premiers établissements juifs à l’est du Maghreb. Peut-on les faire remonter à l’époque où la flotte du roi Salomon s’associait à celle de Hiram, roi de Tyr, pour entreprendre de lointaines expéditions vers le pays de Tarshish ? Peut-on attribuer leur installation à la destruction, en 586 av. J.-C. du Premier Temple par Nabuchodonosor qui força les juifs à prendre le chemin de l’exil et à s’établir en Babylonie, et Égypte et ailleurs ? Doit-on plutôt la rattacher au mouvement d’émigration qui se développa au lendemain de la conquête de la Judée par Alexandre, à la faveur de l’hellénisation du monde antique ?

Après la conquête romaine en 146 av. J.-C., la population juive de la province d’Afrique se fit plus nombreuse. À ceux déjà implantés dans le pays s’ajoutèrent ceux venus de Rome où une colonie juive est attestée depuis la fin du IIe siècle avant l’ère chrétienne et ceux de Judée après la prise de Jérusalem par Titus en 70 ou de Cyrénaïque après l’écrasement de la révolte juive de 115-117. La population juive s’accrut encore par la conversion d’autochtones de race berbère, parmi lesquels les juifs de souche avaient déployé un vigoureux effort de prosélytisme.

La présence de juifs dans l’Afrique romaine est évoquée par des auteurs comme Tertullien et Saint Augustin ; par les inscriptions juives ou judaïsantes que l’on a retrouvées dans plusieurs endroits ; par les vestiges de la nécropole juive de Carthage et de la synagogue de Naro ; ou encore par le Talmud de Babylone et celui de Jérusalem qui rapportent les opinions de rabbins de Carthage, R. Abba et R. Hanina.

Les juifs jouirent longtemps dans l’Afrique romaine d’un statut favorable qui leur reconnaissait des droits égaux à ceux des païens et leur permettait de se conformer en tous points aux prescriptions de leur religion. Il n’en fut plus de même lorsque le christianisme fut érigé en religion d’État. Ils firent alors l’objet de diverses mesures discriminatoires, furent exclus de toutes les fonctions publiques, leur prosélytisme puni de lourdes peines et la construction de nouvelles synagogues interdite.

Sous la domination vandale au Ve siècle, toutes ces mesures furent abrogées. Mais la reconquête byzantine fut suivie d’une politique d’intolérance : les anciennes mesures discriminatoires furent remises en vigueur, les synagogues transformées en églises, le culte juif proscrit et les juifs contraints de se convertir au christianisme. Persécutés dans les territoires sous hégémonie byzantine, ils quittèrent alors les grandes villes pour aller s’établir dans les régions montagneuses et aux confins du désert, au milieu des populations berbères, et firent parmi elles de nouvelles conversions au judaïsme.

Après la conquête arabe

La conquête arabe du VIIe siècle se heurta longtemps à la résistance farouche des Berbères. À la lutte contre les envahisseurs prirent une part active des tribus berbères judaïsées avec, à leur tête, la reine de l’Aurès, la Kahéna, dont l’historien Ibn Khaldoun affirme qu’elle était juive. Les conquérants arabes finirent par se rendre maîtres du pays. Ils contraignirent par la force des armes les populations païennes locales à se convertir à l’islam, mais reconnurent aux  » Hommes du Livre « , adeptes du monothéisme – juifs et chrétiens – le droit de pratiquer leur religion à condition de verser une capitation, la jezya, en retour de la protection ou dhimma, et d’un statut inférieur à celui des musulmans.

Les juifs de l’ancienne province romaine d’Afrique – l’Ifriqiya – bénéficièrent de conditions de vie clémentes sous les dynasties aghlabite, fatimide et ziride. Ils vivaient dans la capitale, Kairouan – où des textes font mention d’une hara al-yehoud – mais aussi à Sousse, Mahdia et Gabès. Les innombrables documents de la Geniza du Caire, qui ont renouvelé nos connaissances du monde musulman au Moyen Age, témoignent du rôle que jouaient les juifs dans l’économie de l’Ifriqiya et plus particulièrement dans ses échanges par terre et par mer avec Erets-Israël, l’Espagne et la Sicile, ‘Egypte et l’Inde. Les études talmudiques s’épanouirent sous l´impulsion de Houshiel b. lhanan ; le médecin et philosophe Itzhak b. Sulayman Israeli, né au Caire mais établi à Kairouan, attacha son nom à des traités médicaux qui firent longtemps autorité et à des œuvres philosophiques d’inspiration néo-platonicienne. Son disciple, Dounash ben Tamim, grammairien et philosophe, composa un important commentaire du Sefer Hayetsira, l´un des plus anciens monuments de la Kabbale ; le savant Nissim b. Jacob a laissé, entre autres, un recueil de contes édifiants intitulé Hibbur yaffe meha-yeshua (ou  » Livre de la consolation « ) qui constitue le premier livre de contes de la littérature juive médiévale.

Vers le milieu du XIe siècle, l’Ifriqiya fut secouée par l’invasion hilalienne. Les tribus des Bani-Hilal, cantonnées jusque-là en Basse-Egypte, s’abattirent sur l’Ifriqiya, dévastant tout sur leur passage. Les Arabes hilaliens parvinrent en 1057 à s’emparer de Kairouan en forçant la plupart de ses habitants juifs et musulmans à se réfugier dans les villes côtières : Mahdia, Sousse et Tunis. C’est alors, semble-t-il, que la communauté juive de Tunis qui, selon la tradition orale, s’était formée à l’époque du jurisconsulte Sidi Mahrez (c. 1022), s’épanouit à la faveur de la paix relative dont jouissait la ville tandis que le reste du pays était en proie à l’anarchie.

Vers le milieu du XIIe siècle, le souverain marocain Abd el-Moumen gagné à la doctrine intransigeante almohade et décidé à la faire triompher, entreprit la conquête de tout le Maghreb. Ayant franchi les frontières de l’Ifriqiya, il n’eut pas de peine à s’en rendre maître en 1160.Dans toutes les villes soumises à son autorité il invita les juifs comme les chrétiens à choisir entre la mort et la conversion à l’islam.

Des additions à une élégie du poète Abraham Ibn Ezra font état des épreuves que traversèrent alors les communautés de Tunis, Sousse, Mahdia, Sfax, Gafsa, Gabès et Djerba. Partout les juifs furent contraints de se convertir et tout en professant extérieurement l’islam, ils restèrent fidèles au judaïsme qu’ils continuèrent d’observer en secret. Les Almohades imposèrent à tous les juifs du Maghreb un signe distinctif, la shikla, et des vêtements de forme et de couleur spéciales permettant de les reconnaître.

Maïmonide qui traversa la Méditerranée vers 1165 pour se rendre en Egypte, fit escale à Djerba. Il mentionnera brièvement la communauté juive résidant dans l’île et en dira peu de bien. Aux XIIIe et XIVe siècles, la dynastie des Hafsides présida aux destinées du pays, faisant de Tunis leur capitale. Ses souverains revinrent à une conception plus libérale de l’islam. Juifs comme chrétiens furent de nouveau soumis au statut traditionnel des dhimmis : astreints à la capitation et objets de discriminations vestimentaires, mais ne subissant pas d’entraves à leurs activités professionnelles. Ils exerçaient les métiers d’orfèvres, de teinturiers, de tailleurs, comme en témoigne l’onomastique juive; ils jouaient un rôle notable dans les relations avec l’étranger ; ils étaient appelés à exercer certaines charges officielles, telle celle de  » grand douanier  » généralement confiée à un juif. Ils pouvaient en toute liberté exercer leur culte. Comme aux premiers siècles de l’islam, les communautés juives bénéficiaient d’une relative autonomie qui leur permettait de s’administrer et de satisfaire leurs besoins en matière cultuelle et sociale. Les études talmudiques furent favorisées par les contacts qui s’établirent avec les savants rabbins d’Alger, consultés par les communautés tunisiennes sur de nombreux points de droit. Ce sont d’ailleurs les «  responsa  » des décisionnaires d’Alger qui constituent l’une des meilleures sources d’information sur les juifs de Tunisie sous les Hafsides.

A la fin du XVe siècle, les juifs chassés d’Espagne et du Portugal par les rois chrétiens furent nombreux à trouver un refuge dans le Maghreb musulman. Mais les judéo-espagnols se portèrent davantage vers le Maghreb oriental. Le petit nombre de ceux qui vinrent s’établir en Tunisie expliquent qu’ils n’aient pas tardé à se fondre dans la masse des juifs indigènes.

Au XVIe siècle, Turcs et Espagnols se disputèrent la possession de la Berbérie orientale. Les juifs furent éprouvés au cours des combats que se livrèrent les deux puissances ennemies, mais ni plus ni moins que les autres segments de la population locale. Lors de la prise de Tunis par les Espagnols en 1535, de nombreux juifs furent faits prisonniers et vendus comme esclaves dans plusieurs pays chrétiens. Cependant, durant les quelque quarante ans que dura l’occupation espagnole, il ne semble pas qu’elle ait donné lieu à la persécution systématique des juifs.

Les deys et les beys

Après la victoire des Turcs sur les Espagnols en 1574, la Tunisie devint une province de L’Empire ottoman qui accéda peu à peu à une autonomie de fait sous les premiers deys, les beys de la dynastie mouradite et ceux de la dynastie husseinite.

Sous les deys et les beys les juifs jouèrent un grand rôle dans les échanges commerciaux avec l’étranger. En relation d’affaires avec l’Europe, ils sont des intermédiaires efficaces dans la rédemption des chrétiens capturés par les corsaires barbaresques et réduits en esclavage. Ils sont les seuls à exercer les métiers d’orfèvre, de bijoutier et de joaillier, mais exercent aussi, comme les musulmans, ceux de tailleur, teinturier, cordonnier ou menuisier. Les souverains font souvent appel à eux, leur confient même le monnayage de l’or et de l’argent.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les juifs faisaient toujours l’objet de mesures discriminatoires : la chechia qui leur servait de coiffe devait être de couleur noire à la différence de celle des musulmans, rouge. Les juifs italiens qui s’habillaient à l’européenne, portaient des chapeaux ronds comme les marchands chrétiens mais au début du XIXe un bey leur imposa le port d’une calotte blanche. Les juifs étaient toujours astreints au paiement de la capitation. Ils devaient s’acquitter d’impositions supplémentaires chaque fois que le Trésor du prince était en difficulté. De plus, ils étaient périodiquement requis d’accomplir des travaux d’utilité publique et se voyaient imposer des corvées. A la fin du XVIIIe Hammouda Bey alla jusqu´à leur dénier le droit d’acquérir et de posséder des propriétés immobilières.

De nombreux juifs d’origine espagnole ou portugaise établis à Livourne entretenaient des relations commerciales avec la Tunisie, où certains venaient résider et faire souche. Ces  » Livournais  » ou Grana se firent de plus en plus nombreux au cours du XVIIe siècle et prirent une large part aux activités de la population juive. Comme dans le passé ils pouvaient professer leur religion sans entraves, s’organiser en communautés pour faire face à toutes leurs dépenses en matière de culte et d’assistance. Cependant, confinés avec les juifs indigènes dans les venelles étroites de la hara de unis, les Livournais supportent mal cette promiscuité. La méfiance des autochtones à leur endroit et les incompatibilités de mœurs seront à la source d’une séparation de fait des deux communautés en présence, les Twansa (ou Tunisiens) d’un côté, les Grana (ou Livournais) de l’autre. Véritable schisme qui aura lieu en 1741 : chaque communauté aura désormais ses synagogues, ses écoles, ses boucheries rituelles, son tribunal rabbinique, sa caisse de secours et son cimetière. Dans les autres villes de Tunisie, toutefois, les mêmes institutions communautaires continuèrent à servir l’ensemble de tous les fidèles.

Le XVIIIe siècle vit l’essor des études talmudiques dans toutes les communautés de Tunisie, et plus particulièrement à Tunis. C’est alors que les juifs de Tunis se rendront à Livourne pour faire imprimer, parrainés par des mécènes tels les Roa et les Chemama, les oeuvres manuscrites de leurs maîtres. Plus de cent ouvrages verront le jour du XVIIIe au XIXe siècle, à une cadence annuelle de deux à trois volumes.

Lorsque les imprimeries juives locales commencèrent à fonctionner, on imprima sur place des œuvres traitant pour la plupart avec maîtrise et érudition, de commentaires talmudiques et de casuistique. De savants rabbins, tels Itszhak Lumbroso (mort en 1752), Messaoud El Fassi (mort en 1774) et Uziel el-Haïk (mort en 1810) ont attaché leur nom à des œuvres qui furent imprimées à Livourne bien après leur mort. Rappelons que c’est en 1768 que fut imprimé à Tunis le premier livre hébraïque, Zera Itshak du rabbin Itshak Lumbroso. A la fin du XVIIIe, le rabbin émissaire de Hébron, Haïm Yossef David Azoulay, qui séjourna dans le pays des beys, rendra hommage à la science des rabbins de Tunis,  » grande ville de savants et d’écrivains. »

Au XIXe siècle, la Tunisie des beys s’ouvre de plus en plus largement aux influences européennes. Le souverain Ahmed Bey (1837-1855) entreprend de moderniser son administration et son armée et inaugure une politique de réformes. En vertu d’un accord signé au cours de l’année 1846, les juifs de Toscane qui se sont établis en Tunisie à une date récente ou qui viendront s’y établir à l’avenir, obtiennent le droit de conserver la qualité de Toscans sans limitation de temps. Cette disposition encourage nombre de juifs de Livourne à venir s’installer en Tunisie où ils constituent, à la différence des Livournais arrivés au XVIIe siècle, une minorité étrangère placée sous la protection du consul de Toscane. La presque totalité des juifs du pays n’en continue pas moins à faire partie des sujets du Bey et à être soumise au statut de dhimmis.

C’est ce statut qui allait être mis en question par ce qu’il faut bien appeler une manifestation de fanatisme. Un cocher juif du nom de Batou Sfez, en état d’ivresse, eut une altercation avec un musulman. Celui-ci l’accusa d’avoir maudit la religion du Prophète. Il n’en fallut pas davantage pour que le cocher juif malmené par une foule fanatisée, fût arrêté, jugé et, conformément au droit musulman qui punit de mort le blasphème, condamné à la peine capitale et exécuté le 24 juin 1857. La rigueur de la peine, sans commune mesure avec la faute imputée, soulève une vive émotion au sein de la population juive. Les consuls de France et d’Angleterre à Tunis en tirent argument pour demander à Mohamed Bey de s’engager dans la voie de réformes libérales, analogues à celles décrétées dans l’Empire ottoman. Des pressions de plus en plus vives amènent Mohamed Bey à proclamer le 10 septembre 1857, sous le nom de Pacte Fondamental, une déclaration de principes accordant de larges garanties à tous : nationaux et étrangers, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens. Son successeur, Mohamed es-Sadok Bey y ajoute une constitution en date du 26 avril 1861 qui fit du pays une manière de monarchie parlementaire. Ces textes novateurs mettent fin à toutes les mesures discriminatoires officielles dont les juifs pâtirent dans le passé, en leur reconnaissant les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’aux musulmans.

Les réformes introduites par ces beys ne tardèrent pas à grever les finances publiques. Pour y faire face, les beys furent amenés à majorer les impôts en vigueur, en exaspérant les masses. La révolte de 1864 amena le pouvoir à suspendre l’application de la constitution et à donner un coup d’arrêt aux réformes. Mais les juifs n’eurent pas à souffrir d’une remise en vigueur des anciennes discriminations. Pour venir à bout de la révolte populaire, le bey avait dû contracter un certain nombre d’emprunts dont les arrérages pesaient lourdement sur le budget. Ne pouvant plus honorer ses engagements, la Tunisie se vit imposer en 1869 la création d’une Commission financière internationale. Dès lors le pays devint le théâtre de la lutte d’influence des puissances et la pénétration économique de la France, de l’Angleterre et de l’Italie s’intensifia. Un certain nombre de juifs tunisiens qui entretenaient des relations commerciales avec les puissances européennes obtinrent leur protection, ce qui leur permettait, tout en conservant la nationalité tunisienne et le statut ersonnel défini par le droit mosaïque, de devenir justiciables des juridictions consulaires, à l’égal des ressortissants étrangers, échappant ainsi à l’arbitraire de l’administration beylicale. L’influence de l’Europe s’exerçait également sur le plan culturel. Les enfants des familles de la bourgeoisie tunisoise fréquentaient des écoles protestantes. L’école ouverte à Tunis par l’Alliance israélite universelle en 1878 permit aux familles juives de toutes les classes sociales d’y envoyer leurs enfants. Tout en faisant une place à l’histoire juive et à l’enseignement de l’hébreu, celle-ci dispensait les programmes des écoles françaises. Dès lors s’amorça une évolution de la population juive qui devait s’amplifier sous le Protectorat français institué le 12 mai 1881 par le traité du Bardo.

Le protectorat français

Le protectorat français fut accueilli avec un certain enthousiasme par des juifs de Tunisie, convaincus que leur condition s’améliorerait sous l’égide d’une France qui avait été la première nation à émanciper les juifs. Et de fait, la situation économique de la communauté juive prospéra à la faveur de l’économie coloniale. À la première école de l’Alliance israélite s’en ajoutèrent de nouvelles à Tunis, Sousse et Sfax. Mais la jeunesse juive fut aussi de plus en plus nombreuse à fréquenter les écoles publiques ouvertes dans les villes de Tunisie. La scolarisation des nouvelles générations engendra l’acculturation de la population juive. Les familles juives aisées abandonnèrent la hara pour s’installer dans les nouveaux quartiers  » européens « . Des imprimeries juives furent créées qui permirent l’impression de livres de prière et de traités talmudiques composés par des rabbins tunisiens, mais aussi de publications en judéo-arabe.

Une littérature populaire en judéo-arabe (rédigée en caractères hébraïques) se développa vers 1860 avant de s’éteindre complètement en 1960. Comme toute littérature naissante, elle était composée d’œuvres d’emprunts, de traductions ou d’imitations de l’arabe, de l’hébreu et du français. Près de 1200 écrits verront le jour durant cette période : nouvelles, contes, élégies, chansons bédouines ou égyptiennes, polémiques, faits divers et problèmes d’actualité. À cette production, il faut ajouter plus de soixante journaux quotidiens, hebdomadaires ou bulletins éphémères. À son apogée, cette littérature locale dont le but était de divertir et d’instruire les masses dépassera les frontières de la Tunisie et sera lue dans tout le Maghreb, de Benghazi à Casablanca.

Les liens entretenus par la communauté juive de Tunisie avec celle de Palestine ne se démentirent jamais. L’émergence du mouvement sioniste en Europe inspira la formation de plusieurs organismes sionistes : Agoudat Sion, Yoshevet Sion, Terahem Sion qui, en 1920, s’unifièrent en une Fédération sioniste officielle. Des cours d’hébreu moderne sont dispensés, et un grand intérêt est manifesté pour les problèmes sociaux, économiques et politiques vécus par la communauté juive de Palestine. Dès 1929 est créé en Tunisie le mouvement pionnier Hashomer Hatsaïr, suivi, en 1933 du mouvement révisionniste Betar qui sera appelé à devenir la base de l’impulsion sioniste future en Tunisie.

L’adoption des mœurs et de la culture françaises s’intensifie. L’occidentalisation se traduit encore par l’adoption de nouveaux modèles familiaux et l’affaiblissement des pratiques religieuses dans les classes dites  » évoluées « . Désormais les publications en judéo-arabe sont délaissées pour les journaux et revues en français, langue dans laquelle les écrivains juifs tunisiens d’après la Première Guerre mondiale publient leurs propres œuvres.

La loi française du 20 décembre 1923 ayant rendu plus aisées les conditions d’accès à la nationalité française, des juifs tunisiens demandent et obtiennent leur naturalisation. Prônée par les assimilationnistes, la naturalisation est combattue par les traditionalistes parce qu’elle leur semble accélérer la déjudaïsation, par les sionistes qui militent en faveur d’une solution nationale de la question juive et par les marxistes qui souhaitent que les juifs lient leur destin à celui de leurs compatriotes musulmans.

Si les juifs tunisiens mettent moins d’empressement à vouloir devenir Français, c’est sans doute parce que leur condition juridique s’est améliorée : au lendemain de la Première Guerre mondiale en effet la communauté juive avait été dotée d’un conseil d’administration élu au suffrage universel avec représentation proportionnelle des  » Livournais  » et des  » Tunisiens « , par le décret beylical du 20 août 1921. Dans toutes les villes la population juive était en mesure de pourvoir à ses besoins en matière de culte et d’assistance. Le statut personnel des juifs de nationalité tunisienne était réglementé par le droit mosaïque et les tribunaux rabbiniques étaient les seuls compétents dans ce domaine. De plus, la population juive se trouvait représentée dans toutes les assemblées consultatives du pays : chambres économiques, conseils de caïdats, Grand Conseil. Si elle ne constituait qu’une faible minorité de la population totale de Tunisie – moins de 2,5 % en 1936 – elle possédait néanmoins tous les droits d’une minorité. Cette période portera en germe tous les signes des mutations futures de cette communauté que la Deuxième Guerre mondiale viendra perturber.

 

La deuxième guerre mondiale

Après la défaite de juin 1940 et l’établissement du régime de Vichy, les juifs de nationalité tunisienne comme ceux qui avaient acquis la nationalité française firent l’objet de toutes les mesures discriminatoires édictées en France : exclus de toutes les fonctions publiques, les professions d’avocats et de médecins limitées par le numerus clausus. La gestion de leurs entreprises leur fut retirée et confiée à des administrateurs provisoires  » aryens « . En pleine application de ces mesures, la Tunisie fut occupée par les armées de l’Axe, suite au débarquement allié du 8 novembre 1943. Pendant six mois, de novembre 1942 à mai 1943, les juifs de Tunisie furent considérés par les forces d’occupation comme des ennemis et traités en ennemis. Ayant pris en otages une centaine de notables juifs qu’il menaçait d’exécuter, le Haut Commandement allemand força la communauté juive de Tunis à fournir 3000 hommes qui furent dirigés vers les camps de travail obligatoire. Outre les pénuries alimentaires et les bombardements intensifs des armées alliées, lot de toute la population tunisienne, la population juive supporta le poids de toutes les réquisitions militaires et fut frappée

D’exorbitantes amendes collectives pour indemniser les victimes d’une guerre dont la responsabilité était attribuée à la  » juiverie internationale « . Des exécutions sommaires et des déportations individuelles dans des camps de concentration européens punirent les contraventions à l’ordre allemand, mais la victoire des alliés empêcha les nazis d’appliquer aux juifs de Tunisie leur «  solution finale « . Peu de temps après la libération du pays par les armées alliées, le 7 mai 1943, les dispositions édictées contre les juifs furent peu à peu abrogées et les juifs bénéficièrent alors de conditions favorables à leur essor. En 1946 ils étaient 70 000 de nationalité tunisienne sans compter les 20 à 25 000 juifs de nationalités française, italienne ou autre.

La communauté de Tunis, réorganisée par un décret du 13 mars 1947, et celles de «  l’intérieur  » secondées par des œuvres sociales telles l’OSE, le JOINT et de nombreux organismes locaux font reculer d’année en année le paupérisme juif. Certes, il reste à l’intérieur du pays des communautés qui ont conservé dans de nombreux domaines leur mode de vie traditionnel, mais la diffusion quasiment généralisée de la langue et de la culture françaises contribuent à la modernisation d’une part croissante de la population juive.

Désormais, l’émancipation passe aussi par le sionisme, défendu par des journaux comme La Voix juive et la Gazette d’Israël. Dès 1945 des jeunes émigrent pour aller grossir les effectifs des pionniers d’Israël. Après l’Indépendance de l’État d’Israël, l’émigration devient massive : quelque 25 000 juifs partiront pour Israël entre 1948 et 1955, surtout les éléments traditionalistes de la population juive tunisienne. Les plus occidentalisés des classes aisées se dirigeront vers la France.

Depuis l’indépendance

Après l’indépendance proclamée le 20 mars 1956, les dirigeants du pays, avec Habib Bourguiba à leur tête, s’attachent à intégrer les juifs dans la nation tunisienne en abrogeant tout ce qui pouvait les séparer de leurs compatriotes musulmans.

Quelques jours plus tard les citoyens tunisiens juifs et musulmans sont appelés à élire la première Assemblée constituante. Le premier gouvernement tunisien compte un ministre juif. Le 25 juillet 1957, l’abolition du beylicat est votée à l’unanimité et Bourguiba proclamé président de la République. Les réformes entreprises touchent aussi la population juive : le 27 septembre 1957, le tribunal rabbinique est supprimé et remplacé par une Chambre de statut personnel intégrée dans les juridictions civiles. Onze magistrats juifs sont nommés qui occupent, pour la première fois, de hautes fonctions judiciaires.

Dans l’ensemble, la politique de la République tunisienne sera libérale, mais la situation (la constitution tunisienne édictant que la Tunisie est un pays musulman, les discriminations positives qui excluaient les jeunes juifs du service militaire, des passe-droits de plus en plus fréquents, ajoutés au marasme économique notamment) mènera au départ de la plupart des juifs qui avaient choisi de rester dans leur pays après l’indépendance.

La crise de Bizerte, en 1961, provoquée par le maintien de troupes françaises dans cette base navale sans l’assentiment de la Tunisie, cinq ans après l’indépendance, donne lieu à de sanglants incidents qui, curieusement, engendrent une brutale flambée d’antisémitisme chez une partie de la population musulmane. Elle fut suivie lors de la guerre de Six-Jours (1967) par la mise à sac de boutiques juives et l’incendie de la grande synagogue de Tunis. En 1971, l’assassinat d’un rabbin en plein cœur de la capitale déclenche une nouvelle vague d’émigration.

La population juive de Tunisie se réduit à quelque 3 000 âmes à l’heure actuelle. Les originaires de ce pays se sont dirigés les uns vers Israël (50 000), les autres vers la France (35 000). Partagés entre ces deux pays où ils se sont donné une nouvelle vie, ils sont restés liés à la Tunisie par 2000 ans d’histoire.

Robert A. Attal, né à Paris en 1927, Claude Sitbon, né à Tunis en 1943.

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La Tunisie au gré des conflits

Culture et patrimoine

 

 

 

 

28 avril 2013

L’économie tunisienne en 1945 – Robert Tinthoin

Classé sous — milguerres @ 20 h 13 min

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La Tunisie au gré des conflits

L’économie tunisienne en 1945

Robert Tinthoin 

source : L’information géographique  lien   Année   1946   lien Volume   10   lien Numéro   10-5   lien pp. 180-183 (http://www.persee.fr

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La Régence de Tunis, ouverte au monde moderne à la fin du XIXe siècle (1881),

ne possédait alors qu’un équipement économique rudimentaire et désuet.

 

I. — LE POTENTIEL ÉCONOMIQUE EN 1939

Avec l’aide de la nation protectrice, la Tunisie est parvenue, en 1939, à faire figure de nation moderne. C’était à la fois « un pays très jeune par sa formation et son équipement économique et très vieux par son histoire ».

Peuplée de 2.600.000 habitants (2) dont 8 % d’Européens (Français : 4,1 %, Italiens : 3,6 %) et 2,3 % d’Israélites, c’est un pays naturellement assez peu avantagé par une nature ingrate et aride. Sur une superficie totale de 125.000 km2, elle n’offre que 26 % de terres labourables et 8 % de bois et forêts contre 36 % de terres de parcours et 28 % de terrains improductifs. Contrairement à l’Algérie, elle ne possède pas de Tell littoral et les plis atlasiques s’y resserrent en laissant peu de place pour les plaines et les plateaux.

Son Agriculture est représentée par des produits méditerranéens (céréales, oliviers, vigne) et africains (dattes, alfa). La superficie cultivée en céréales a doublé depuis 1881 (9.700.000 ha en blé, 616.000 ha en orge), en 1939, grâce à la motoculture et à la pratique de la jachère travaillée. La Tunisie produisait en 1939: 2.160.000 qx de blé dur (3 fois plus qu’en 1881), 1.750.000 qx de blé tendre, dit « de force » (introduit depuis une trentaine d’années), 1.700.000 qx d’orge (augmentation du quart), 320.000 qx de céréales secondaires (avoine, maïs et sorgho, 11 fois plus).

Sous l’impulsion donnée par Paul Bourde, à partir de 1890, le nombre des oliviers a triplé (19 millions d’arbres), ils produisent 400 millions de kgs de fruits donnant 80 millions de kg d’huile. Le vignoble, peu important il y a 60 ans (1.200 ha), couvre en 1939 48.000 ha (40 fois plus) et produit 2 millions d’hectolitres de vin. Les plantations de tabac ont centuplé de superficie depuis 1891 (400 hectares). Les cultures maraîchères et fruitières étaient localisées presque exclusivement dans la zone Nord et Nord-Est, la basse vallée de Medjerda, le cap Bon et le Sahel (450.000 agrumes et 1.235.000 amandiers, plantés depuis 1881). Les oasis comptent 2.700.000 dattiers (la moitié en plus qu’en 1881) produisant 258.000 qx de fruits. Enfin, 900.000 ha de nappes alfatières — autrefois presque uniquement utilisées en terrains de parcours — donnent 1.290.000 qx d’a//a. Les forêts couvrent un million d’hectares, fournissant 45.000 qx de liège, 40.000 qx de bois de chauffage ou d’industrie, 130.000 mètres d’étais de mine. « La colonisation n’a pas entraîné une diminution des cultures indigènes : elle a surtout conquis des terres sur la brousse » (73.000 ha défrichés de 1921 à 1924).

La deuxième grande ressource de la Tunisie est Y élevage, qui a triplé d’importance en 60 ans : 2.740.000 moutons, 1.670.000 chèvres, 480.000 bovins, 300.000 équidés et 35.000 porcins en 1939.

Parmi les autres sources de richesse, les Mines (38 en activité en 1938) emploient 15.000 ouvriers extrayant 2.000.000 de tonnes de phosphates, 828.000 tonnes de fer, 31.000 tonnes de plomb et 3.500 tonnes de zinc, mercure et fluorine.

La PÊCHE, utilisant 3.800 barques de 10.000 tonneaux, montées par 15.000 hommes d’équipage, rapporte annuellement 200.000 kg d’épongé et 12 millions de kg de poisson.

Enfin, à côté des Industries anciennes modernisées (tapis, cuirs brodés et carreaux de faïence ) et des industries artisanales familiales (soieries, brocarts, dentelles, dinanderies, poterie d’art, tissus de laine et de poil de chameau, tapis : 30.000 m2, chéchias : 600.000), des usines européennes ont été construites récemment.

En 1939, la Tunisie compte : 21 minoteries modernes, 113 fabriques de pâtes alimentaires, 550 moulins, 1.310 huileries, 4 distilleries d’essences et de parfums, des conserves de produits alimentaires, surtout de poissons (3). Des tanneries traitent mensuellement 36 tonnes de peaux de bovidés, de moutons et de chèvres, tandis qu’on extrait des carrières un million de tonnes de produits; les fabriques de chaux fournissent 50.000 tonnes et celles de ciment 45.000 tonnes de ciment par an.

L’Équipement routier, ferroviaire ET portuaire est représenté par 6.600 km de routes (contre 4 en 1881), 8.000 km de pistes carrossables; 2.100 km de voies ferrées (contre 200 en 1881), transportant 10 millions de voyageurs, 4.200.000 tonnes de marchandises, 200.000 km, trains d’autorails; 250 ha de ports assurant un trafic de 160.000 passagers, 4 millions et demi de tonnes de marchandises et recevant 1.500 navires entrés et sortis d’un tonnage de 10 millions de tonneaux. La Tunisie possède un parc automobile de 9 à 10.000 tonnes : 200 autocars et 700 voitures de louage. Unaéroport de Tunis enregistre : 2.300 départs et arrivées d’appareils qui transportent 10.000 passagers, 22.000 kg de courrier et 17.000 kg de marchandises. Il faut ajouter : 56.000 km de lignes téléphoniques et 17.300 km de lignes télégraphiques.

L’ÉQUIPEMENT hydraulique est assuré par le grand barrage de l’oued Kebir (20 millions de m3 de retenue), par le barrage de dérivation à vannes d’El Bathan sur la Medjerda pour irriguer la forêt d’oliviers de Tebourba (100.000 arbres), par 15.000 points d’eau aménagés et de nombreux puits artésiens forés (débit total : 2.743 1/sec). 70 % des centres urbains, groupant 90 % de la population citadine, bénéficient d’une distribution d’eau potable assurée par 1.800 km de conduites (une seule ville, Tunis, en 1881).

L’équipement Électrique dispose de 9 centrales fournissant une puissance de 57.300 kW et débitant annuellement 62 millions de kW, grâce à 1.400 km de lignes à haute tension et 800 km de lignes à basse tension.

Au point de vue Pétrole, on n’a procédé qu’à des recherches sporadiques de 1909 à 1931. A partir de cette dernière date, quelques résultats ont été obtenus dans la région de Bizerte (Djebel Kébir)), la Tunisie centrale (Aïn Rhelal), près de Sbeïtla (Djebel Zaouia).

L’effort réalisé pour la mise en valeur agricole et industrielle se traduit par une consommation douole des blés dur et tendre, d’orge, d huile et de viande de mouton, quadruple du sucre, témoignages de l’élévation certaine du niveau de vie.

D’autres faits tendent à illustrer cette amélioration : c’est la valeur annuelle des divers produits du sol et du sous-sol : un milliard de francs d’huile, 417 millions de produits miniers, 90 millions de dattes, 50 d’alfa, 46 de poissons, 6 de produits forestiers, 3.500.000 de produits industriels, 3.500.000 de conserves de poissons, 190 millions de recettes douanières. Il faut ajouter 50 millions de francs-or investis dans l’alimentation en eau potable, 200 millions dans les industries minières, les capitaux des sociétés d’électricité, de chemins de fer, de transports routiers, la valeur des bâtiments publics et privés… pour un total de 750 millions de francs.

La richesse de la Tunisie est attestée par une balance commerciale assez bien équilibrée : 1.560 millions de francs aux importations (950.000 tonnes de produits divers, houille, bois, riz, sucre) contre 1.355 millions aux exportations (3.175.000 tonnes de phosphates, produits divers, céréales, vins, huile d’olives).

Cette prospérité fut gravement compromise en 1942 par le blocus des côtes d’Afrique du Nord, l’invasion allemande et les opérations militaires, au point qu’un moment, l’activité économique du pays fut pratiquement arrêtée.

H. — LES DESTRUCTIONS

Le 8 mai 1942, lors de la libération du territoire tunisien, la situation était la suivante : Sousse, Gabès, Bizerte, Tunis, Sfax, Tebourba, Medjez el Bab, Béja et d’autres agglomérations, les ports de Bizerte, la Goulette, Tunis, Sousse et Sfax, des chemins de fer, des centrales électriques, des ponts, sont en partie détruits et ont souffert des bombardements aériens, les routes, les locomotives et le matériel roulant ont subi une usure anormale par suite des besoins militaires. Au total, 235 km de voies ferrées, 268 p’onts, 1.572 km de routes sont défoncés, 5 centrales sur 9 mises totalement hors d’usage, la puissance électrique disponible est tombée à 1.800 kW; 530 km de lignes de transport et de distribution électrique avariés, le tonnage utile disponible pour le transport des marchandises est descendu à 1.100 tonnes par des camions très fatigués, à 10 tonnes par jour par chemin de fer. Les moyens de transport en commun de voyageurs par rail et par route ont pratiquement disparu : il ne reste qu’un parc automobile de 1.000 tonnes et 95 autocars en mauvais état dont 35 irréparables.

L’économie tunisienne est épuisée. Tout manque dans les centres urbains. Les marchés sont vides. Les céréales sont sur champs. Les ateliers sont détruits ou réquisitionnés. Plus de carburant, plus de force motrice. Au taux actuel, on peut évaluer la perte subie par l’outillage public à plus de 3 milliards de francs et l’ensemble des destructions consécutives aux opérations militaires à environ 30 milliards.

III. — LES RECONSTRUCTIONS

L’œuvre à accomplir était immense et exigeait une action créatrice pour réaliser du neuf, selon les données les plus récentes de la science et de l’art, dans un esprit de rénovation et d’union entre les divers éléments tunisiens ou français, musulmans, juifs ou chrétiens de la Régence.

Les principaux services reconstructeurs s’inspirèrent de la technique de l’urbanisme et de l’équipement régional le plus moderne.

En décembre 1944, dix-huit mois après l’expulsion des Allemands, des plans d’urbanisme sont établis pour les cités détruites (4), l’outillage public reconstitué, les centrales électriques tournent à nouveau (5), les routes à grands parcours permettent une circulation aisée, les ouvrages d’art sont terminés ou en cours d’achèvement, les ports de Sfax et de la Goulette praticables, les liaisons téléphoniques et télégraphiques possibles, les silos et les piles à huile reconstruits en partie, les déblaiements achevés, les opérations de déminage poursuivis. Les besoins essentiels de l’économie civile et l’effort de guerre ont pu être satisfaits, la campagne oléicole assurée à Sousse et Sfax, l’exploitation des mines de lignite (6), du cap Bon et les industries essentielles mises en marche (7).

Un travail considérable reste encore à accomplir pour réparer les ruines accumulées par la guerre et l’on n’a encore rempli à cette date que le dixième de cette tâche.

IV. — LA REPRISE ÉCONOMIQUE

Pratiquement isolée par les événements, la Tunisie, durant les six mois d’occupation, avait vécu de ses modestes réserves sous la contrainte et repliée sur elle-même.

L’eau a été de tout temps, l’élément le plus précieux de la mise en valeur de la Tunisie, comme de tous les pays du Moghreb, à faible pluviométrie. De l’équipement hydraulique dépend le développement rapide de la production agricole tunisienne. Une nouvelle politique de l’eau doit s’inspirer des expériences historiques basées sur le captage des sources, le barrage des oueds à l’origine de leurs cônes de déjection par des ouvrages peu coûteux et le développement de zones d’épandage dans la plaine, l’aménagement des pentes en terrasses étagées retenues par des murs en pierre sèche. Elle doit tenir compte également de la technique moderne des grands barrages- réservoirs et des forages.

L’irrigation a un rôle social : seule les cultures irriguées peuvent permettre d’améliorer le régime alimentaire des populations indigènes, en mettant à leur disposition des denrées d’un volume, d’une diversité et d’un pouvoir nutritif accrus. Le but à atteindre est de développer de nombreux périmètres irrigables, de fertiliser des terrains encore incultes et de redistribuer les terres irrigables. 

On prévoit l’aménagement de 50.000 hectares dans la région de Kasserine (8), 40.000 ha dans la basse vallée de la Medjerda et la région de Tunis, 1 millier d’ha dans la région de Gabès, dans le centre, la plaine à l’Ouest de Kairouan, au cap Bon, dans la plaine de la Foussana, la vallée de l’oued Marouf.

La Production agricole a subi les incidences des événements. Depuis 1940, on constate une régression marquée des superficies emblavées (près de 50 %), par suite de l’extension des zones minées, de la sécheresse persistante, du manque de matériel, de pièces de rechange, de carburants, de superphosphates, entraînant une préparation insuffisante du sol et une diminution des rendements. La situation semble devoir s’améliorer par l’importation de carburants, tracteurs et pièces de rechange et par une pluviométrie accrue.

Malgré la guerre, les plantations d’oliviers ont augmenté. On compte actuellement 22 millions d’arbres dont 14 millions en production, ce qui entraîne une progression constante du volume d’huile produite.

Atteint massivement par le phylloxera en 1936, le vignoble tunisien est en voie de reconstitution. Grâce aux efforts des arboriculteurs et des maraîchers, les cultures d’arbres fruitiers et de légumes ont dépassé 15.000 ha en 1 944, avec une production évaluée à 120.000 tonnes.

Les réquisitions, surtout sous l’occupation allemande, la pénurie des fourrages à cause de la sécheresse et diverses difficultés ont amené une diminution de 15 % de l’ensemble du cheptel depuis 1942. On s’efforce d’y porter remède par la protection, l’amélioration et la reconstitution du troupeau, la création de points d’eau, l’augmentation de la production fourragère et l’aménagement de réserves fourragères pour les années de disette.

L’équipement ferroviaire actuel a permis, en 1946, le transport d’un nombre double de voyageurs par rapport à 1939, malgré une réduction sensible du parcours des trains (12 millions de voyageurs par an contre 6); mais, parallèlement, le transport des marchandises n’atteint plus que le quart du trafic total. Pour l’avenir, on prévoit le renforcement des voies pour augmenter la vitesse des trains surtout sur les lignes impériales, l’acquisition de matériel neuf, notamment d’autorails et de Tocotracteurs électriques (9).

V. — CONCLUSION

Cruellement atteinte dans ses œuvres vives par la guerre portée sur son territoire, la Tunisie s’est rapidement ressaisie, grandie par l’épreuve qui a stimulé les énergies et modernisé les méthodes en vue d’assurer un? remise en état rapide et une rénovation génératrice de richesse.

Dès l’avant-guerre, la stabilité politique et sociale de la Tunisie avait été troublée par son intégration dans la vie économique européenne. Les habitudes ancestrales, nourries de l’esprit conservateur islamique et le développement de l’artisanat familial, ont été bousculées par la circulation accélérée des richesses, l’introduction de méthodes agricoles et industrielles nouvelles. Il en est résulté des inconvénients : le développement d’un prolétariat urbain et minier, la transformation des classes sociales, mais aussi des avantages : la revalorisation de la terre et de ses produits grâce à la colonisation agricole, l’accession de la petite bourgeoisie et la formation d’une élite intellectuelle moderne. L’étroitesse des débouchés réservés à cette élite, le sentiment de communauté islamique, un certain racisme exacerbé et le développement d’un particularisme local, le tout développé par la civilisation française, ont parfois égaré l’élite urbaine tandis que les masses rurales bédouines restaient assez calmes, satisfaites par l’amélioration de leur niveau de vie, la paix intérieure et le respect de leurs traditions dans le cadre du protectorat.

La guerre a retourné la situation. L’élite et la petite bourgeoisie ont observé à notre égard une attitude franche, loyale et sympathique. Depuis la libération, une sage politique de réformes a rétabli une atmosphère de compréhension réciproque. La France cherche a reconnaître la part qui revient au Tunisien dans la direction du pays mais lui demande de s’adapter et collaborer avec les éléments européens sous sous l’égide de la culture française. 

Robert Finthoin.

 

_____

Notes 

(1) Nous avons consulté notamment : L’œuvre de la France en Tunisie. Imprimerie Laporte. Tunis, 1941, in-8, 47 p., nombreuses illustrations, 1 carie h.-t. — Tunisie 45. Imp. Artypo, Aloccio, Bascone et Muscat, Tunis, 1Q45, in-4″, 75 p., 72 grav. h.-t. — R. F. Présidence du Conseil. Direction de la Statistique générale et de 3a documentation. Annuaire statistique, 54e vol., 1938, Paris, Imp. nat., 1939, in-S, section 6 C, Tunisie, p. 270-276.

(2) De 1921 à 1936, la population a augmenté de plus de 475.000 habitants.

(3) Livrant, suivant la pêche, 100.000 à 400.000 kg de thon à l’huile, 10.000 à 80.000 kg de thon salé, plus 1 80 de 150,000 kg de poissons divers à l’huile, 140.000 kg de poisson salé,

(3 bis) D’autres résultats modérés sont attendus pour l’avenir, mais il faudra un très gros effort en techniciens, capitaux et matériel. Ministère Economie nationale. Evolution de la situation économique française, Paris, 1946, n° 58, pp. 27-28. 1 S 1

(4) Dans Tunis, ville bâtie au-dessus de la boue conquise sur le lac, les lotissements suburbains se sont développés le long du golfe, depuis la Marsa jusqu’à Hammam Lif. On prévoit le maintien à Tunis du cent/e des affaires et du centre de commerce à proximité de la ville arabe, création de groupements urbains résidentiels, zone de repos et d’agrément le long du golfe, protection du site de Carthage, zones de travail intellectuel et portuaire.. A Blzerte, la nouvelle ville se développe à proximité d’une plage bien exposée et d’une forêt de pins, vers le lac.

(5) Pour l’avenir, on prévoit l’équipement de 150 millions de kWh sur un total de 350 millions que roule annuellement la Medjerdah. Dans trois à sept ans, on achèvera l’aménagement de l’oued el Lil (barrage de Ben Métir : 50 millions de m:i; trois usines de 14 millions de kWh; envoi à Tunis de 100.000 m3 d’eau potable; 8.000 ha irrigables) et celui de l’oued Mellègue (barrage de Kzar ez Zit : 400 millions de m3; 90.000 volts alimenteront Tunis et les mines du Centre tunisien; 40.000 ha irrigables). Construction de nouvelles centrales hydroélectriques alimentées par de vastes réservoirs, d’un réseau de transport et de distribution d’énergie électrique et d’interconnexion régionale et impériale (avec l’Algérie), augmentation de la puissance des centrales thermiques de la Goulette, Sfax, Gabès et Gafsa. (Ministère Economie nationale, Evolution de la situation économique française, Paris, 1946, n° 60, p. 29.)

(6) L’exploitation, commencée au cours de la guerre 1914-1918, a été reprise en 1939; on prévoyait une production de 300 tonnes par jour pour 1941 et 300.000 tonnes par an pour l’avenir. Une nouvelle usine de distillation devait en tirer de l’essence, semi-coke, brais, goudron et soufre.

(7) Par rapport à la valeur moyenne de 1942, le tonnage kilométrique mensuel des chemins de fer pour les marchandises atteint 40 %, le total des transports routiers et ferroviaires 70 %, le nombre mensuel de places kilométriques par route 41 %, la production d’énergie électrique 88 %, la production des lignites 6.000 tonnes 1 82 par jour contre 300 en 1941.

(8) Le plan d’aménagement rural de la région de Kasserine fournit un exemple typique. On compte mettre en valeur un périmètre de 50.000 ha où l’on pourra irriguer 4.000 ha qui nourriront une population quatre à cinq fois supérieure à la population actuelle du territoire. L’aménagement des pentes en terrasses permettra de planter oliviers et arbres fruitrers en laissant 10.000 ha de pâturages et 4.000 ha de cactus. Ce périmètre produira annuellement : 31.700 quintaux de céréales. 630 tonnes d’huile d’olive. 875.000 kg de viande, 1.600.000 kg de légumes, 2 millions de kg de fruits.

(91 Revue de la vie tunisienne, n » 14, lev. 1946, pp. 17 et 18, A. de Kluguenau. 183

source : http://www.persee.fr

 

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26 avril 2013

L’amiral Émile Lacroix

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Ceux que l’on maudirait !

 Une histoire : Bizerte et la France

L’amiral Émile Lacroix
(1883-1949)

Auteur
Christophe Lacroix 
Institut Pierre-Renouvin, Université de Paris 1.

Pour une meilleure lecture je vous invite à télécharger ce document qui vous permettra de lire l’article tout en vous référant aux :

 notes L’Amiral Emile Lacroix-www cairn info

RÉSUMÉ
Né en 1883, dans les Côtes-du-Nord, l’amiral Émile Lacroix est le fils d’un gendarme. Entré à l’École navale en 1900, il fait une carrière maritime. En 1939, contre-amiral, il commande les contre-torpilleurs de l’escadre de l’Atlantique. Son navire est gravement touché à Mers el-Kébir. Promu vice-amiral et commandant de la 3e escadre à Toulon, avec autorité tactique sur la 4e escadre, il est envoyé le 21 septembre 1940 à Dakar pour prendre la tête de la Force Y, où il combat à nouveau les Britanniques. Vice-amiral d’escadre en mars 1941, il commande la 1re escadre des croiseurs à Toulon, second de l’amiral de Laborde. C’est à ce poste qu’il donne l’ordre de sabotage de ses navires. Retiré à Paris, il n’est pas touché par l’épuration et meurt le 1er août 1949.

• Aux origines de l’amiral
• L’aéronavale
• La 2e Escadre légère, la guerre et Mers el-Kébir
• Le commandement de l’Escadre de l’Armistice
• Dakar
• Toulon et le sabordage
• Le marin devient éléphant37, ou l’exil au milieu de la société

Quel parcours plus emblématique du destin tragique de la marine française durant la Seconde Guerre mondiale que celui de l’amiral Lacroix ? Emblématique au point d’avoir vécu comme siens les principaux drames endurés par la plus belle Marine depuis la fin du XVIIIe siècle : avec son navire-amiral, le Mogador, blessé à mort à Mers el-Kébir ; la réponse au défi britannique et à la nécessité de protection de l’Empire français face aux prétentions gaullistes avec le commandement en chef à Dakar ; et enfin le sabordage de ses navires à Toulon, le 27 novembre 1942. Emblématique aussi par son parcours à la fois classique, par son adhésion au gouvernement légal de Vichy et à sa politique, par sa conception intransigeante de la discipline, son amitié avec le chef de la Marine et dauphin du maréchal Pétain, l’amiral Darlan, et atypique, du moins dans les idées reçues, par son origine modeste, son caractère très marin, sa passion pour l’aéronavale, son refus de toute compromission avec les clientèles ou les politiques, son anglophilie, son désir (contenu) de faire appareiller les Forces de Haute Mer à Toulon.
2On l’aura compris, une biographie de l’amiral Lacroix est une invitation à dresser une nouvelle évaluation de l’histoire du corps des officiers de Marine, donc de la Marine en général, du conflit qui vit la disparition provisoire de cette dernière. Point de vue d’autant plus fort qu’il se constitue à partir du parangon d’un marin arrivé au sommet de la hiérarchie, au cœur des événements, à la popularité certaine, mais resté méconnu[1] 

. Mais dans cette même logique, pour bien le comprendre, il ne faut pas l’enfermer dans l’amiral de la Seconde Guerre mondiale, « l’amiral Mers el-Kébir – Dakar – Toulon », et se souvenir qu’il n’aurait pas dû devenir marin.

Aux origines de l’amiral
3Bien que né en Bretagne en 1883, ses origines ne prédisposaient pas Lacroix à embrasser la carrière d’officier de la Royale. Son grand-père, mort avant la naissance de son fils, était cultivateur à Valempoulières, situé dans les moyennes montagnes jurassiennes. Hauteurs qu’a quittées Jean-Pierre Lacroix, le père de l’amiral, pour ne plus y revenir, en s’installant dans les Côtes-du-Nord, après sept années de conscription dans la cavalerie impériale, lorsqu’on lui a proposé un emploi dans la gendarmerie à cheval, à Bégard. C’est dans ce petit village de l’intérieur des terres qu’il rencontre sa femme et installe les Lacroix dans un environnement bretonnant, simple et paysan.
4Émile Lacroix, après avoir perdu son père à l’âge de 10 ans, est pris en charge par le mari de sa sœur, Louis Le Razavet, qui lui fait découvrir, à l’occasion de vacances chez un cousin, la mer qui devient sa passion. Au point que le jeune homme profitera désormais de chaque congé pour la rejoindre, effectuant seul à pied les 25 km séparant Bégard de la ferme familiale des Le Razavet. L’adolescent sait tôt sa vocation : être marin.
5Ses brillants résultats lui permettent d’envisager la carrière d’officier de Marine. Après avoir fait sa scolarité au lycée public de Saint-Brieuc, il intègre la Flotte[2] 
de Brest, bien que son directeur ait tenté de lui faire préparer Polytechnique, ce qui lui a valu cette réponse ferme, pour 15 ans : « J’ai décidé d’être marin. Si je ne suis pas capable de devenir officier, j’en saurai toujours assez pour être matelot. »
6Après deux années de scolarité, Lacroix intègre, à la 30e place sur 101, l’École navale, sur le Borda (résumé à lui tout seul de la « vieille Marine » qui imprègne encore l’institution de la Royale à cette époque)[3] 
Cette École navale dont l’environnement est encore peu démocratisé et qui se situe entre Fachoda et l’Entente cordiale. Aspects peu anodins au sujet d’un outil de socialisation primaire au pouvoir structurant. Son entrée, permise par la politique méritocratique de la IIIe République, consacre une élévation sociale pour le jeune élève officier, « fils de simple gendarme, boursier et républicain »[4] 
. Ses camarades sont les futurs amiraux Derrien, Moreau, d’Harcourt et Marquis ; ses anciens sont Sablé, Darlan, Muselier, Le Bigot ; ses « fistots » Decoux et Godfroy. On retrouve parmi ceux-ci les principaux acteurs de la Marine du second conflit mondial. Plus particulièrement, Émile Lacroix va se lier d’amitié avec un certain nombre d’entre eux, dont François Darlan, qu’il invite chez lui à Bégard. Ces amis vont constituer le premier groupe dont s’entourera le futur amiral de la Flotte, ce que l’on appellera plus tard les Amis de Darlan, à la différence qu’ils ne lui devront pas leur carrière et qu’ils ne seront véritablement que sur le tard un relais du système Darlan.
7Du point de vue scolaire, l’École navale confirme les efforts d’Émile Lacroix. Il arrive rapidement à la 4e place et échoue au pied du podium, 5e, à cause d’un séjour d’un mois à l’hôpital. Il est durant les deux années premier en anglais. L’École d’application se passe beaucoup moins bien. Il y est sévèrement noté par son commandant, le c. v. Berryer, qui juge son intelligence « plus théorique que pratique » (ce que sa carrière démentira). Ce qui le fait chuter dans le classement et l’empêche d’être affecté, avec les meilleurs ou les mieux aidés, en Extrême-Orient. L’aspirant Lacroix embarque, en 1903, dans l’océan Indien, jusqu’en 1907, puis en Méditerranée. Il retrouve la Bretagne en 1909, comme second d’un torpilleur. En 1911, il passe une année de croisière le long des côtes américaines avec le vieux croiseur d’Estrées, affectation très maritime. Durant toute cette période où un officier prépare son premier commandement, l’enseigne de vaisseau ne fait, curieusement, pas de spécialité. Ce qui lui permettra d’avoir une carrière plus ouverte que l’ordinaire des officiers.

8En 1912, la campagne du Maroc lui offre la première occasion de se distinguer. Sur le croiseur Friant, puis sur le Du Chayla, il est ensuite détaché au port de Méhédiya, qui joue un rôle important dans le ravitaillement de Fez par la rivière du Sébou. Enfin, il est envoyé sur le croiseur Cassard, navire du commandant de la Division navale du Maroc, le c. v. Simon. En juillet 1913, il prend Forti, au nord d’Agadir. Cette action lui vaut la Légion d’honneur et la promotion au grade de lieutenant de vaisseau. Remarqué par Simon, il devient son adjoint de division, l’équivalent, pour une division, de chef d’état-major. En janvier 1914, il reçoit des félicitations du ministre pour son travail sur la prévision de la houle au Maroc et pour son étude sur les ports du même pays.
9En 1915, il obtient son premier commandement, une escadrille de chalutiers de l’Océan, qu’il est aussi chargé de mettre en état afin de les rendre aptes à la lutte anti-sous-marine dans la Manche. En 1916, il prend le commandement de la Somme, un chalutier, dans les Patrouilles de la Méditerranée orientale. Lacroix se distingue au point de recevoir cette note flatteuse du commandant des Patrouilles Fatou : « Malgré la concurrence de nombreux et excellents collègues, il s’est mis tout à fait en vedette dans la division des patrouilles, par son entrain et son mordant. Cet officier n’est heureux que quand il agit[5] et ses chefs partagent ce sentiment de satisfaction, car ils savent qu’il n’est pas une mission, pas une action de guerre qui puisse être mise entre de meilleures mains que les siennes. » En 1917, il est nommé adjoint à la base de Patrouilles de Patras et de Corinthe, avant de gagner au même poste la base de Corfou (base très importante, car point de ravitaillement des navires assurant le blocus de l’Autriche en Adriatique et point de passage de toutes les troupes rejoignant le front oriental). Ces fonctions lui valent cinq témoignages de satisfaction.

10En novembre 1918, à Bougie, en Algérie, un ami du Borda lui fait rencontrer sa future femme, Blanche Chichillianne, divorcée. Ils se marient en août de l’année suivante et Pierre (prénommé ainsi comme tous les aînés Lacroix) naît en mars 1920 à Toulon.
11En mai 1919, il est nommé capitaine de corvette et commandant de l’aviso Toul. Peu de temps après les mutineries, il est envoyé en Crimée, où il doit notamment participer à l’évacuation des troupes blanches, ce qui lui vaut des félicitations du ministre. En février 1921, il engage près d’Anapa, « faisant preuve de belles qualités militaires et de décision et de vigueur » dit la citation, le combat avec un bâtiment bolchevique qui l’avait attaqué inopinément. Il méritera durant cette campagne quatre citations.
12Après le combat d’Anapa, le Toul est en gardiennage et Lacroix est désigné pour prendre le commandement de l’aviso Du Couëdic. Mais il ne reste pas longtemps sur ce navire, lui aussi en carénage, et part à Cherbourg prendre le commandement du torpilleur Chastang. À ce poste, il s’occupe de la remise en état des torpilleurs livrés par l’Allemagne.
13Mais la Marine subit une grave crise après la guerre. De nombreux officiers doivent rester à terre, faute de pouvoir servir en mer. De bonnes appréciations lui permettent d’embarquer, mais il doit demander, pour continuer, à être maintenu comme commandant en second seulement sur le même Chastang. Cette attitude lui vaut d’être bien vu du commandant de la 2e flottille de torpilleurs, qui en fait son adjoint, sur leMécanicien Principal Lestin. Après un commandement en mer ininterrompu depuis la fin de la guerre, le capitaine de frégate Lacroix, depuis juin 1923, est obligé de travailler à la recherche d’une affectation intéressante à terre. La vacance du poste de sous-directeur du port de Brest l’amène à intervenir auprès du directeur Bréart de Boisanger, Breton franc à la brillante carrière de marin, à la Noël[6]

Cet exemple traduit la crise traversée par le métier d’officier de Marine au début des années 1920, lorsque la Marine doit accepter de se sacrifier au profit de l’Armée et de l’arme nouvelle de l’Air, prioritaires.

L’aéronavale
14Mais pour Lacroix cette période est davantage marquée par la perte de son second fils, Jacques, né le jour de Noël 1921 et mort le jour de Noël suivant. L’homme, sensible, n’arrive pas à s’en remettre (jusqu’à appeler sa fille Jacqueline et ne pas oublier Jacques dans son testament)[7] . Si les notes ne font pas apparaître une baisse de la qualité de son service (il reçoit en décembre 1923 un nouveau témoignage de satisfaction pour le concours d’honneur des torpilleurs), la famille Lacroix a suffisamment ressenti cette épreuve pour prêter à Darlan une tentative de remotivation, grâce à un nouveau centre d’intérêt : l’aéronavale[8] 

15Si l’on ne peut exactement expliquer l’origine de ce qui va constituer une de ses grandes passions et occuper le quart de sa carrière, en 1924, il s’intéresse aux essais effectués au sein du port de Brest. Le 1er décembre de la même année, il prend le commandement de l’Aéronautique maritime du 2e arrondissement (celui de Brest) et devient membre de la Commission d’études pratiques de l’aéronautique. En 1925, il crée, en prenant le premier commandement, l’École supérieure de la navigation aérienne. Le c. f. Lacroix reçoit pour cela deux lettres de félicitations du ministre. Enfin, en 1926, il est nommé commandant de l’aviation maritime de la 4e région, à la base aéronavale de Karouba (Bizerte).

16En 1928, souhaitant reprendre la mer, après avoir perdu l’habitude du commandement durant toutes ces années où il s’est occupé de l’aéronavale, il demande à être mis sur la liste des officiers désireux de servir en mer. Il est nommé commandant en second du nouveau croiseur lourd Duquesne. Promu en janvier 1930 capitaine de vaisseau, il devient auditeur au Centre des hautes études navales (CHEN), réservé aux officiers destinés à occuper les hautes fonctions de commandement. Le vice-amiral Bréart de Boisanger, commandant du CHEN depuis peu, qui avait demandé en 1925 que le c. f. Lacroix y entre, n’y est probablement pas étranger. Appréciant Lacroix, il le classe premier de sa promotion pour un commandement. Ainsi, en juillet 1930, celui-ci prend le commandement du récent et beau croiseur de 10 000 t Suffren, dans la 1re Division de croiseurs du contre-amiral Descotte-Genon. Il récupère, avec les deux autres croiseurs de la division, les élèves de l’école d’application, perdue en mer. Si pour le « pacha » le pouvoir de former l’avenir de la Marine constitue une joie réelle, l’expérience est un échec, à cause de la mauvaise volonté des officiers du bord de s’en occuper, en plus du service habituel[9] 

En juin 1931, le c.-a. Darlan succède à Descotte-Génon. En octobre, le Suffren fait partie de la représentation de la France lors des cérémonies du cent cinquantenaire de la bataille de Yorktown, aux États-Unis. Il reçoit à son bord le maréchal Pétain, représentant la France, pour la traversée de l’Atlantique. Cet embarquement laissera d’ailleurs un goût amer à la Marine, Pétain ayant tenu, en bon terrien, des propos désagréables sur un bâtiment incapable d’être constamment prêt à se battre, suite à une avarie qui l’avait immobilisé. Cependant, le c. v. Lacroix n’en gardera pas un mauvais souvenir, au point, plus tard, de faire trôner dans son salon la photographie, autographiée à l’occasion, du vainqueur de Verdun. Cet intermède maritime lui permet d’être absent de l’aéronavale pendant la période la plus vive de l’affrontement avec le ministère de l’Air. Il ne sera donc jamais vraiment inquiété par la menace d’un transfert des personnels entre les ministères.

17En juin 1932, il prend le commandement du porte-avions Béarn. Il retrouve l’aéronavale, mais en tant que commandant d’un navire cette fois-ci. Son service, prévu pour durer une année, est prolongé suite à une demande du v.-a. Dubois, commandant la 1re Escadre, au chef d’état-major général Durand-Viel, car le Béarn a bien progressé sous sa direction et Lacroix a « son bateau et ses marins bien en main »[10]. En 1934, il quitte le porte-aéronefs pour la base aéronavale de Berre, le temps d’un été. En septembre, il est à la tête de l’aviation de la 3e Région maritime, la plus importante, celle de Toulon. Promu, le 20 mai, contre-amiral, il est nommé quelques jours plus tard par Durand-Viel à ce qui sera le sommet de sa carrière dans l’aéronavale, la direction du service aéronautique à l’état-major.

18L’aéronavale, contrairement à une idée reçue, commence à être prise en considération. Lacroix succède et précède des éléments brillants de la Marine, Godfroy et Michelier, très proches des chefs d’état-major général Durand-Viel et Darlan, témoignant de leur part d’une prise de conscience plus précoce qu’on a voulu le dire. Le problème est d’ordres budgétaire, politique, industriel et stratégique. La Marine doit, dans la perspective du conflit à venir, s’orienter vers une guerre de liaison (méditerranéenne pour la France), nécessitant la construction prioritaire de navires de ligne. La crainte de voir certains projets confisqués par l’armée de l’Air l’incite à ne pas trop s’engager en avant, d’autant qu’elle n’arrive pas toujours à des résultats concluants dans sa production (à cause notamment des grèves du Front populaire, de l’échantillonnage)[11] 
Les deux années de Lacroix (favorisées par une conjoncture permettant des moyens supplémentaires et une menace de l’Air qui commence à se dissiper) entament la recherche d’une nouvelle cohérence stratégique de l’arme aéronautique, avec des armes de projection offensives (les hydravions torpilleurs lourds et les projets de porte-avions), avec l’abandon progressif du dogme de l’hydravion (avec les Dewoitine) et la prise en compte de la Défense contre avions à tir rapide (les 20 mm auront cependant besoin d’être complétés par du 37 mm). La rédaction d’un règlement de bord spécifique marque également un souci de rationalisation. Il restera toutefois de nombreuses imperfections au début de la guerre.
19Lacroix est donc, pendant ces quinze ans, présent à tous les postes de l’aéronautique maritime. Si on ne peut exactement le qualifier de pionnier, au sens où il s’est engagé dans l’aéronavale lorsque celle-ci existait déjà en tant qu’organisation, il est un des artisans les plus importants de l’élaboration de l’outil aéronaval français. Appartenance appuyée par des ailes d’observateur d’aviation, portées sur l’uniforme, fièrement affichées.

La 2e Escadre légère, la guerre et Mers el-Kébir

20Après son refus d’une promotion à l’état-major, Darlan, chef d’état-major général depuis janvier 1937, lui donne le commandement de la 2e Escadre légère (EL), constituée de contre-torpilleurs qui sont parmi les meilleurs du monde. Son navire amiral est le beau Mogador[12] 
Il est basé à Brest, avec l’escadre de l’Atlantique, sous les ordres de l’amiral Gensoul.
21À ce poste, il doit d’abord assurer à la tête de cette escadre, fierté de la Marine, un travail de représentation sur les côtes bretonnes, mais aussi sur les côtes ibériques. Il en profite pour observer le mouvement des navires allemands dans les ports espagnols. Lors de la déclaration de guerre, la 2e EL escorte les convois dans l’Atlantique et est endivisionnée avec les Anglais. Le c.-a. Lacroix participe notamment à la poursuite duGraf Spee, prenant un temps la tête d’un groupe franco-britannique. Avec la mise en application de la nouvelle répartition des forces navales alliées, la Force de Raid, constituée après la recomposition de l’escadre de l’Atlantique, gagne la Méditerranée et mouille dans le port de Mers el-Kébir, à partir du 28 avril.

22La guerre ne s’arrête pas avec la demande d’armistice du 17 juin. La 2e Escadre légère effectue des sorties, cherchant vainement une flotte italienne. À partir du 25 juin, les navires sont immobilisés, attendant la démobilisation des réservistes. L’Amirauté a donné des consignes pour le sabordage des navires, en cas de tentative d’une puissance étrangère de s’en emparer. Les relations franco-britanniques se sont dégradées et la visite à l’amiral Gensoul de l’amiral anglais North, dans le but d’obtenir un ralliement à laRoyal Navy, accentue l’inquiétude. Nombreux sont ceux qui, comme Lacroix, croient en la possibilité d’une attaque[13] 
23Les sentiments du contre-amiral Lacroix, à ce moment, nous sont connus grâce à un déjeuner pris à bord du Mogador, le 1er juillet, par son neveu Émile Le Razavet. La conversation porte sur l’état moral des marins de Mers el-Kebir et Lacroix regrette de ne pas avoir, à cause des conditions d’armistice, de grand-garde au large ou de surveillance aérienne. Il ajoute que sa seule source d’information est le centre naval de Nemours[14
Il est obsédé par l’exemple d’Aboukir, évoqué à nombreuses reprises, et craint d’être « coincé » dans le port, sans pouvoir réagir[15] 

Et ce n’est pas l’attitude de « cet amiral [Gensoul] coincé dans son Dunkerque », avec lequel il n’a eu aucun contact depuis plus de trois jours, qui le rassure[16
24Mais il est surpris quand il reçoit, le 3 juillet à 7 h 30 GMT, l’ordre de prendre les dispositions de combat. Il semble qu’il ait alors donné la consigne de préparer l’appareillage des contre-torpilleurs (qui est l’étape suivante et qui implique de pousser les feux), une heure en avance[17] 
À 9 h 30, il participe à la réunion des amiraux autour de Gensoul et déclare : « Ces gens-là [les Anglais] considèrent tout ce qui flotte comme un ennemi en puissance… ; ils vont nous couler ! »[18] 

Vers 15 h 30, il croit que la pose de mines à l’entrée du port d’Oran, par des hydravions, est une attaque à la torpille. Si celle-ci est infirmée, le mouvement ne peut que le renforcer dans son idée[19] 
À 16 h 18, le Mogador intercepte le dernier ultimatum britannique : « Si une des propositions n’est pas acceptée pour 16 h 30, il faut que je coule vos bâtiments. » À 16 h 28, les contre-torpilleurs reçoivent la consigne « appareillez tous immédiatement », qu’ils commencent à exécuter. Le Volta retransmet aussitôt le message du commandant en chef : « Prenez poste de mouillage prévu. » Lacroix répercute l’ordre, avant de l’annuler, « jugeant préférable de ne pas les faire mouiller [jeter l’ancre] ». Il veut pouvoir sortir le plus rapidement possible. À 16 h 56, les premiers obus tombent sur la rade. Le Mogador, à toute allure, montre la voie, mais il est obligé de s’arrêter pour éviter un remorqueur, qui dégage les filets de la porte. Un obus anglais de 380 tombe sur les grenades anti-sous-marines et volatilise le quart arrière du navire. L’amiral Lacroix, qui avait été renversé, légèrement ensanglanté par la déflagration, se lève et fait signe aux autres contre-torpilleurs, des mains, de continuer sans lui. Désormais, il va s’occuper de sauvegarder le navire et d’apporter les premiers secours.
25Huit jours plus tard, il revoit son neveu à Alger, avant de gagner Toulon. Il évoque les Anglais seulement pour dire qu’il avait des amis en face et regrette d’avoir perdu, avec sa cabine, sa collection de Shakespeare !

Le commandement de l’Escadre de l’Armistice
26Mais la carrière de l’amiral Lacroix va prendre un tournant historique après Mers el-Kébir, plus précisément le 10 juillet 1940, lorsqu’il est nommé chef de la 3e Escadre, avec autorité tactique sur la 4e escadre et la 2e Escadre légère, sous les ordres théoriques de l’amiral Gensoul[20] 

Promu vice-amiral, le 29 juillet, il est confirmé à son poste le 10 août, au moment du départ de son ancien chef. Derrière cette fonction apparaît en fait un commandement unique (au statut provisoire, à cause des négociations avec la Commission d’armistice et de l’incertitude sur l’avenir de la flotte), sous les ordres directs et indirects de Lacroix, de toutes les forces navales opérationnelles de métropole et d’Afrique (une partie importante est indisponible, soit à cause du blocus britannique, soit à cause de dommages), qui auraient dû constituer l’escadre de la Flotte de l’armistice. Ce commandement ne prendra forme qu’avec la constitution, le 24 septembre, des Forces de Haute Mer[21] 

27Cette fonction récompense des qualités de commandement opérationnel. L’amiral Lacroix est un chef de guerre, à l’image et à la popularité fortes (consacrées par les surnoms « Mimile » et « Lagadec »[22] et nécessaires dans une période qui a besoin de personnalités capables de susciter l’adhésion. Elle est aussi opportuniste, à cause des relations amicales entre Darlan et Lacroix et de l’absence, pour causes diverses, de nombreux cadres qui auraient pu prétendre à cette affectation.
Dakar
28Le hasard des événements va encore rattraper le v.-a. Lacroix et l’obliger à s’affronter à nouveau avec les Alliés d’hier. Le 21 septembre, il est nommé dans l’urgence à la tête de la Force Y, qui était commandée par le c.-a. Bourragué. Celui-ci, sous la contrainte d’un affrontement en situation d’infériorité avec les Britanniques, a dû renoncer au projet de reconquérir les colonies passées à la dissidence et revenir à Dakar. L’amiral de la Flotte a pris, sur l’instant, ce geste pour un acte de faiblesse et l’a démis de ses fonctions, au profit de son supérieur hiérarchique, dont l’assurance d’un esprit ferme et dévoué au service du gouvernement français, l’autorité charismatique, maritime et guerrière sont autant de garanties pour la réussite d’une mission de guerre et de maintien du territoire au sein de l’Empire.

29Quand l’amiral Lacroix arrive à l’aéroport de Ouakam, il s’informe de la situation auprès du contre-amiral Landriau, commandant de Marine Dakar. Il rend compte à l’Amirauté de ses impressions :
30« De l’ultimatum anglais [adressé à Bourragué lorsqu’il essayait de regagner la base] se dégage notion que toute force réunie à Dakar gêne Britanniques. Stop. Logiquement cela doit conduire soit à blocus soit à attaque Dakar. Pour le moment attaque paraît aléatoire. Stop. Par contre blocus possible et conduit à étouffement complet AOF. Stop. Ce blocus ne peut être qu’accéléré par acte hostile ou attitude déloyale de notre part.Quarto. J’estime, étant donné nos moyens, que seule solution est, sur le plan gouvernemental, établir avec les Britanniques un accord au moins tacite permettant passage transports prévus en personnel et ravitaillement question vitale pour nous, et tout faire pour éviter hostilités ouvertes entre France et Angleterre. »[23]
31On voit bien que, si le diagnostic est visiblement erroné, on est loin du bouffeur deyoums[24] que des historiens britanniques ont voulu décrire en parlant de lui[25] 

On peut aussi noter l’accord parfait avec la politique de modus vivendi recherchée par le gouvernement avec la « Perfide Albion ».
32Au niveau opérationnel, le premier souci du commandant en chef des forces navales et, compte tenu du rôle de la Marine, du responsable de la défense de la base, est de rendre ses navires manœuvrables, pour éviter le piège de Mers el-Kébir, en les faisant mouiller dans la baie de Rufisque, qui deviendra le « ratodrome », lorsque les croiseurs seront encadrés des heures durant dans cet espace réduit. Incapables d’atteindre les bâtiments de la Force Y, qui empêchent tout débarquement, et touchés par le tir des batteries côtières, les navires britanniques sont obligés de se retirer. Dakar est la dernière grande bataille navale française et une victoire à l’importance stratégique, car elle permet au gouvernement français d’assurer son influence sur l’AOF. face aux visées gaullistes et d’être en meilleure posture dans les négociations avec l’Allemagne.
33Mais chaque médaille a son revers. L’Amirauté, envisageant au moment de la bataille d’employer les forces navales disponibles à Toulon contre les Anglais, a rappelé en activité l’amiral de Laborde (qui intégrait la réserve) et donné à celui-ci l’autorité qui était celle de Lacroix, constituée organiquement en Forces de Haute Mer. Il est impossible de renvoyer Laborde dans ses foyers immédiatement. Le v.-a. Lacroix doit rester à Dakar.

Toulon et le sabordage
34Le 25 mars 1941, il est promu vice-amiral d’escadre, commandant la 1re Escadre de croiseurs à Toulon, sur l’Algérie, sous les ordres de l’amiral de Laborde. On peut s’étonner du maintien de celui-ci, aux dépens d’un chef populaire, aux qualités maritimes certaines et ami, lui, du chef de gouvernement Darlan. Mais ce dernier doit composer avec les Allemands, leur donner le maximum de garanties pour obtenir des avantages, et de ce point de vue-là Laborde est bien mieux placé que Lacroix, qui ne dispose pas de relais dans les milieux de décision[26] 

De plus, le commandant des Forces de Haute Mer l’a assuré de sa fidélité[27] 
Rien n’impose donc son départ. Au contraire, Darlan veut mettre à profit ce délai pour installer aux commandes de la flotte une nouvelle génération, toute dévouée à sa personne, avec les amiraux Gouton et Bléhaut, pour l’automne 1942, juste avant un changement de situation qu’il entrevoit pour le printemps 1943. L’amiral Lacroix, qui arrive près de la limite d’âge, est sacrifié. Le destin a décidé qu’il devrait vivre sa plus grande souffrance, couler ses navires.
35Le débarquement allié en Afrique du Nord a pour première conséquence à Toulon de repousser la cérémonie de passation de commandement, qui devait avoir lieu le 13 novembre. Le commandant de la 1re Escadre de croiseurs, qui aurait dû céder sa place au c.-a. Bléhaut, vit difficilement ces jours de novembre si particuliers, où il est difficile de savoir où est son devoir. Beaucoup veulent aller au devant des Anglo-Américains pour venger leurs camarades morts à Casablanca. D’autres, probablement la majorité (mais les sentiments étaient mélangés), souhaitent un renversement d’alliances, sans autant définir une attitude politique précise, faisant confiance pour cela au Maréchal. Le désarroi prime. L’atmosphère devient difficile au sein des Forces de Haute Mer. Pour la première fois depuis les mutineries de la mer Noire, des manifestations ont lieu sur les bâtiments pour demander un appareillage, même sur l’Algérie de Lacroix, dont la personnalité imposait pourtant. Depuis la réponse négative de l’amiral de Laborde à l’appel de l’amiral Darlan de le rejoindre à Alger, les marins savent qu’ils sont dans l’impasse, coincés entre les Allemands et l’impossibilité de rejoindre les Alliés, tant qu’une solution politique n’aura pas assuré le renversement d’alliance et évité ainsi un deuxième Mers el-Kébir[28] 

Mais c’est le « Comte Jean » (de Laborde) qui tient les cartes en main.
36Laborde, avec lequel Lacroix a de mauvaises relations[29]
. Outre leurs éducations différentes, qui se retrouvent dans leurs façons de traiter les subordonnés, les « humbles », leur lecture politique des événements n’est pas la même. Le v.-a. e. Lacroix veut, sinon rejoindre Darlan (ce qui est cependant probable, mais non prouvé), du moins appareiller. L’amiral Darrieus (qui servait alors dans les Forces de Haute Mer) raconte ce souvenir d’enseigne : « Les jeunes officiers et les jeunes marins voudraient partir, certains le confient. Mais à mesure que l’on grimpe dans la hiérarchie l’ardeur combative diminue. Il y a des exceptions et je vois encore la tête de l’amiral Lacroix, furieux de rester. »[30] 
Ce témoignage est confirmé par ceux d’autres officiers de la flotte de Toulon, sans même compter l’impression qu’il a laissée dans sa famille[31] 

Le commandant de la 1re Escadre n’est pas cependant allé au-delà, jusqu’au conflit public avec l’amiral de Laborde. Son sens de la discipline, son respect du supérieur, qui l’a toujours obligé à ne pas mettre en doute ses décisions (ce qui l’amènera à ne pas participer à l’opprobre jeté sur Gensoul), sa volonté de ne pas laisser les divisions s’installer au sein de la Marine empêchaient un tel acte d’insubordination, assimilable à une mutinerie. La réalité des moyens était aussi un obstacle, même s’il était le seul à pouvoir le faire, par son élévation hiérarchique, son autorité, sa popularité[32] 

Si l’on dépasse les difficultés d’appareillage à proximité des Allemands (mais la menace n’était encore pas trop sérieuse au 13 novembre), la « vigilance » britannique qui aurait pu amener une bataille en pleine mer, à cause de la présence du vainqueur de Dakar à la tête des navires ayant appareillé, il n’est pas sûr qu’une tentative ait pu réussir, car le second de la Flotte aurait pu ne pas être suivi par tous ses marins (et la marche d’un navire ne tolère aucune défaillance) et le commandant des Forces de Haute Mer, ayant pris des dispositions pour se protéger d’une tentative de s’emparer de lui, n’aurait pas hésité à prendre des mesures préventives s’il n’avait pas eu confiance en son subordonné. Quelles que soient les tentatives de réécrire l’histoire, la tragédie était écrite pour Lacroix et la Flotte.

37Le 27 novembre 1942, à 5 heures, le v.-a. e. Lacroix est réveillé par le commandant adjoint de l’Algérie, le c. f. Bergot[33]
Il interprète d’abord l’ordre de prendre les dispositions finales lors du sabordage, accompagnées de l’allumage des feux, comme une consigne d’appareillage, qui contredit le premier élément. Il demande une confirmation écrite et donne ensuite la consigne d’évacuer les croiseurs. Un officier allemand se présente à l’échelle de coupée. Le commandant Malgouzou doit le retarder afin d’achever le sabordage du navire, pendant que l’amiral Lacroix détruit lui-même le système radar installé clandestinement[34] 
Il les rejoint, après avoir ostensiblement salué une dernière fois les couleurs, et tente lui aussi de gagner du temps. Lacroix est fait prisonnier et emmené. Daniel Jeanlebœuf, du Strasbourg, raconte :
38« J’ai vu passer la voiture bien encadrée de l’amiral Émile Lacroix. Il faisait froid, un officier allemand a voulu lui mettre une couverture sur les épaules. Il l’a rejetée d’un geste brusque. Lorsque le véhicule roula le long des quais, on entendit : “Garde-à-vous ! L’amiral !” Et plusieurs marins criaient : “Vive Mimile !” en agitant leur bonnet. Mais d’autres pleuraient. »[35] 

39Il est retenu deux jours avec certains amiraux et commandants de vaisseaux. Passé dans la 2e section, il se retire avec sa famille à Paris et quitte la Marine sur le sabordage de ses navires. Il doit tenter de démarrer une nouvelle vie, loin de ce qui a été toute sa vie[36] 

Le marin devient éléphant[37] ou l’exil au milieu de la société
40Émile Lacroix tente d’abord de diriger une entreprise de renflouement de bateaux. Mais la découverte de malversations lui fait demander un audit et démissionner. Cette affaire ne fait rien pour relever à ses yeux l’image qu’il se fait du monde civil. Cela dans une ambiance de fin de régime, de la découverte de la politique répressive visible (les milieux maritimes de Dakar et de Toulon étaient préservés) et de la dérive milicienne du gouvernement. Malheureusement, de cette confrontation avec une réalité politique, il n’est resté aucune trace, Lacroix ayant toujours gardé une grande réserve vis-à-vis des affaires politiques, correspondant trop peu aux principes simples qui ont dicté sa vie. S’il a adhéré sans réserve à la Révolution nationale, qui répondait à sa conception traditionnelle de la société, son jugement est aussi celui du fils de la IIIe République, radical devenu conservateur, soucieux d’égalité. C’est dans ce sens qu’il condamne la franc-maçonnerie, symbole pour lui du copinage méprisant la valeur, et ressent un déséquilibre de la représentation juive aux postes de responsabilité par rapport au poids démographique de la population israélite. Cet abord républicain nous oblige à ne pas avoir cette vision caricaturale de l’officier de la Royale, à l’image de la pratique religieuse de ce croyant sans foi (mais dont les enfants seront profondément religieux).

41La période est aussi difficile pour le marin dans l’âme, qui doit vivre avec le sabordage de ses navires, la brutale fin d’activité, loin de la mer. Dans une ambiance de persécution pour la Marine qu’il a connue et aimée. À la Libération, il n’est pas jugé par la Haute Cour de justice, grâce à une intervention du gouvernement britannique pour que Dakar ne soit pas évoqué et grâce à la faible insistance de son ami le président de la Commission d’épuration de la Marine, l’amiral Sablé[38] 
Mais il constitue une exception. Ses camarades sont déchus de leurs droits, jugés, voire emprisonnés dans des conditions inhumaines (Esteva et Derrien en mourront). Ce martyre des amiraux de Vichy les pousse, en plus de leur habituelle proximité sociale, à se réunir, plus particulièrement dans une action de révision du procès du maréchal Pétain, notamment par une écriture de l’histoire de Vichy (c’est ce que nous avons appelé le « complot des amiraux », qui est une partie d’une organisation très structurée plus vaste, à l’origine de la thématique du « double jeu », de l’historiographie vichyste de Vichy)[39] 

42Le crépuscule moral est également physique. Lacroix souffre d’un long et douloureux cancer. Toussant, régulièrement mal, très amaigri, il n’est plus le marin énergique, solide, capable d’affronter les pires tempêtes, qu’il était (une photographie prise lors du mariage de son fils aîné, en 1948, le montre méconnaissable). La nuit, à l’hôpital du Val-de-Grâce, il revit, rapportèrent les infirmières, ses commandements. Il attend désormais de retrouver Jacques. Ce qu’il fait le 1er août 1949. Sa femme, de chagrin, le rejoindra trois mois plus tard.

NOTES
[ 1]Méconnu, comme nous le verrons plus tard, notamment à cause de son refus (exprimé à son entourage maritime et familial) que l’on parle de lui, imputable à une réelle modestie et à une conception désintéressée du devoir. C’est ce qui explique en grande partie l’originalité de ce travail, qui ne s’appuie pas sur des archives privées (qui n’existent plus), mais sur des archives administratives du Service historique de la Marine ou sur la mémoire individuelle (écrite et orale). 
[ 2]Nom de la classe préparatoire à l’École navale. 
[ 3]Dossier personnel de l’amiral Lacroix, Service historique de la Marine (SHM), CC7 4o Moderne 1071 (2). 
[ 4]C’est ainsi que l’amiral Lacroix décrivait le jeune homme qu’il était, confronté à la morgue aristocratique d’une minorité. Une anecdote de l’amiral Decoux met dans la bouche du commandant, souhaitant mettre en avant auprès du ministre radical Pelletan un élève d’origine modeste auquel il s’intéresse « tout spécialement », l’expression de fils de « simple gendarme » ; v.-a. E. Decoux, Adieu, Marine, Paris, Plon, 1957, p. 21.
Abréviations des grades : v.-a., vice-amiral ; v.-a. e., vice-amiral d’escadre ; c.-a., contre-amiral ; c. v., capitaine de vaisseau ; c. f., capitaine de frégate. 
[ 5]Souligné par le c.-a. Fatou. 
[ 6]Dossier personnel Lacroix, op. cit. 
[ 7]Testament amiral Lacroix, archives privées. 
[ 8]Cf. partie consacrée au choix de l’aéronavale : Christophe Lacroix, L’amiral Lacroix, exemple de l’officier de Marine, mémoire de maîtrise à l’université de Paris I, sous la direction du Pr Robert Frank, 2002, p. 74-78. 
[ 9]V. A. Philippon, Le métier de la mer, Paris, France-Empire, 1971, p. 30-31 ; C. A. Auphan, L’honneur de servir, Paris, France-Empire, 1978, p. 142-144. 
[ 10]Fonds privé amiral Durand-Viel, SHM, 120 GG2, lettre de l’amiral Dubois du 5 juin 1933, p. 226. 
[ 11]Huan et Coutau-Bégarie, op. cit., p. 142-143. 
[ 12]Beau, du moins dans sa conception. En pratique, par faute d’avoir voulu insérer trop d’innovations en même temps, le Mogador n’a jamais pu atteindre son rendement théorique et a souvent dû être caréné pour réparations ; cf. Jean Lassaque, Les contre-torpilleurs de 2 880 tonnes type Mogador (1936-1945), Marines éditions, 1996. 
[ 13]Contrairement à ce qu’écrit Gensoul dans son rapport, en plus de la visite de North, les survols de la base par des avions britanniques les 28 juin et 1er juillet (pour contrôler la disposition des navires), pour les éléments dont on est sûr, suffisaient à l’installation d’une certaine méfiance. Rapport de l’amiral Gensoul, SHM, série TTO 1.
[ 14]Nemours était un centre d’espionnage secret situé à la frontière marocaine, donc près du détroit de Gibraltar et de la base éponyme. 
[ 15]Lettre d’É. Le Razavet à l’auteur, le 11 juillet 2001. 
[ 16]Entretien de l’auteur avec Michel Béguin, le 13 mars 2002. Émile Le Razavet avait dit, il y a de nombreuses années, cet élément, oublié au moment de la correspondance avec l’auteur, à Michel Béguin. 
[ 17]Pour les questions posées par l’attitude de Lacroix à Mers el-Kébir, se référer à C. Lacroix,op. cit., p. 105-109. 
[ 18]Commandant Vulliez, Mers el-Kébir, Paris, France-Empire, 1975, p. 137-138. 
[ 19]Rapport de l’amiral Lacroix à l’amiral Gensoul, le 31 juillet 1940, SHM, série TTO 1. L’action de Lacroix pendant cette journée est, sauf mention contraire, issue de ce rapport. 
[ 20]Pour le commandement intérimaire de juillet, lire les télégrammes 3577, 3590 et 3591 du 10 juillet 1940 de l’Amirauté, SHM, série TTE 87-88 Grands Commandements, Flotte de l’Atlantique. À compléter par la série TTF 82 Divisions navales, 3e escadre ; pour le commandement confirmé du 10 août, voir l’organisation définie par les Instructions générales 1496 FMF 3 (sur le commandement des forces maritimes) et 1497 FMF 3 (sur l’organisation des forces navales) dans ce même carton ; pour l’autorité tactique sur la 4e escadre en juillet, consulter la série TTF 82 4e escadre SHM. 
[ 21]Ibid., série TTE 112, télégramme FMF 3 2024. 
[ 22]L’amiral Lacroix était appelé, affectueusement, « Mimile » par les matelots, car il leur prêtait une véritable attention, due sans doute à son origine semblable. « Lagadec », qui veut dire en breton « grand œil », employé surtout par les officiers, venait d’un de ses tics de langage : « mon œil ! », le geste joignant la parole. 
[ 23]Mordal, La bataille de Dakar, Ozanne, 1956, p. 161. 
[ 24]Anglais en argot baille. 
[ 25]Le général Watson, qui était de l’expédition franco-britannique dit que « l’amiral Lacroix arriva à Dakar par avion pour prendre le commandement et qu’il était particulièrement “monté” contre les Anglais, ayant perdu un neveu à Mers el-Kébir [le c. v. Pierre Lacroix était encore bien vivant à Dakar en septembre 1940 !] » (J. A. Watson, Échec à Dakar, Paris, Robert Laffont, 1968, p. 220). L’historien Arthur Marder, lui, a sa façon de traduire : « Une source française décrit Lacroix comme un personnage ordurier “vieux loup de mer hirsute, qui paraissait taillé au couteau. Il avait la réputation d’être un Amoureux de la guerre [War lover]” » (A. Marder, Operation Menace, The Dakar Expedition and the Dudley North Affair, Londres, Oxford University Press, 1976, p. 108). Le terme de warrior aurait été tout à fait juste. 
[ 26]L’amiral de Laborde ira même, le 7 novembre 1942, jusqu’à des discussions pour tenter de monter une expédition au Tchad, avec des armes et des uniformes allemands, qu’il aurait dirigée pour reprendre les territoires perdus. Il avait donc noué des relations très proches avec les autorités occupantes. Cf. Huan et Coutau-Bégarie, op. cit., p. 569. 
[ 27]Cdt. Vulliez, Les 20 derniers jours de la Flotte, Presses de la Cité, 1963, p. 37-38. 
[ 28]Les Forces de Haute Mer étaient en effet attendues par une flotte anglaise et des sous-marins allemands. 
[ 29]Cf. partie consacrée aux rapports entre les amiraux de Laborde et Lacroix, (C. Lacroix, op. cit.,p. 109-116). 
[ 30]A. Henri Darrieus et c. v. Jean Quéguiner, Historique de la Marine française (1922-1942), L’Ancre de Marine, 1996, p. 368. 
[ 31]Lettres du c. v. Vaury à l’auteur, les 21 octobre et 10 novembre 2001, archives privées. Entretiens avec Alex Wassilieff, le 19 octobre 2001, et le cdt. Gaydon, le 28 octobre 2001. 
[ 32]Le v.-a. Marquis, préfet maritime, n’avait d’autorité que sur les bâtiments de protection du port, de faible valeur, et sur les navires en gardiennage d’armistice jusqu’à 20 milles des côtes. Au-delà elle appartenait aux FHM. 
[ 33]Rapport de l’amiral Lacroix sur le Sabordage, SHM, TTD 273. On peut noter l’abandon dans ce document administratif de son habituel silence. Signe d’émotion. 
[ 34]Lettre d’É. Le Razavet à l’auteur, le 27 juin 2001, archives privées. 
[ 35]Antier, op. cit., p. 233. 
[ 36]Il refusera désormais de remonter sur un bateau, même lors de vacances en Bretagne, se contentant de pêcher à pied. On en imagine sans peine la signification pour cet amoureux de la mer. 
[ 37]Civil en langage baille. 
[ 38]Émile Le Razavet s’est rendu au domicile de l’amiral juste après que Sablé lui a montré la lettre britannique. Lettre d’É. Le Razavet à l’auteur, le 6 mai 2000, archives privées. 
[ 39]Voir le petit développement que nous avons fait dans notre mémoire de maîtrise, op. cit., p. 171-175. 

POUR CITER CET ARTICLE
Christophe Lacroix « L’amiral Émile Lacroix », Guerres mondiales et conflits contemporains1/2004 (n° 213), p. 25-38.
URL : www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2004-1-page-25.htm.
DOI : 10.3917/gmcc.213.0025.

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15 avril 2013

Communautés méditerranéennes de Tunisie. Les Grecs de Tunisie

Classé sous — milguerres @ 22 h 56 min

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Culture et patrimoine 

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95-98 | avril 2002
Débats intellectuels au Moyen-Orient dans l’entre-deux-guerres

I. Études libres

Communautés méditerranéennes de Tunisie.

Les Grecs de Tunisie : du Millet-i-rum à l’assimilation française (XVIIe-XXe siècles)1

Habib Kazdaghli

p. 449-476

http://remmm.revues.org/243#ndlr

 

 

fleche-boule8 dans pour une meilleure lecture, vous pouvez télécharger les 

Notes pour Communautés méditerranéennes de Tunisie Grecs de Tunisie numérotées de 1 à 117

Plan

  • Aux origines de la présence des Grecs en Tunisie : des membres du Millet i-Rum (XVIIe-XIXe siècles)
  • De membres du Millet i-Rum à celui de protégés des Consuls européens (1830-1880)
  • Les Grecs sous la protection du Consulat Hellénique à Tunis : comment avoir sa part du gâteau (1880-1898) ?
  • Une communauté loin des regards : de 1898 à 1923
  • Les années charnières de la communauté grecque de Tunisie (1923-1933)
  • Le voyage du Patriarche d’Alexandrie Meltios II en Tunisie
  • Prolongement du voyage du Patriarche d’Alexandrie : la nomination d’un évêque orthodoxe pour l’Afrique du Nord
  • La contre-offensive des Grecs « francisés » pour la reprise en main de la direction de la communauté
  • La perte d’identité et la francisation progressive de la communauté (1933-1960)

 

Texte intégral

Au numéro 5 de la rue de Rome à Tunis, se dresse toujours une église de style byzantin qui rappelle l’existence d’une communauté grecque, qui a presque entièrement disparu aujourd’hui. Ce fut et reste un lieu de culte, bien entretenu et dirigé par un évêque grec-orthodoxe, originaire d’Egypte. Ce dernier reçoit chaleureusement ses visiteurs, il se présente sous son nom grec Irénos et se plaît à le traduire en arabe avec un accent égyptien sous le vocable d’Abou-Salama. Il évoque son affiliation à l’Eglise grecque-orthodoxe d’Alexandrie et d’Afrique et fait remarquer, qu’à ce titre, il s’occupe en même temps des fidèles de cette Église depuis Dar es-Salâm, au Kenya, jusqu’à Casablanca au Maroc. Il réserve à chacune de ces petites communautés quelques semaines par an. Il a été nommé à Tunis par le patriarche d’Alexandrie. Lorsqu’il est à Tunis, il préside la messe tous les dimanches et reçoit quotidiennement les visiteurs et curieux, qui imaginent mal aujourd’hui que les Grecs aient eu en Tunisie une présence aussi longue.

Au début de la visite, il se plaît à montrer une plaque en marbre encastrée dans le mur de l’immeuble qui se dresse sur le côté gauche du jardin ; elle porte une inscription en grec qui rappelle que la première église Saint-Georges fut construite par les Grecs de Tunis en 18472 avant de préciser que l’installation du premier noyau grec dans la Régence remonte au XVIIe siècle, lequel groupe a été reconnu par le Patriarche d’Alexandrie en 1645. Au côté droit du jardin s’élève un monument, beaucoup plus récent, sur lequel est gravée une liste des Grecs de Tunisie morts pour la libération de la France au cours de la seconde guerre mondiale3. Ces deux symboles de la mémoire résument bien tout l’itinéraire et le destin de cette communauté méditerranéenne et illustrent les mutations identitaires subies par les Grecs tout au long de leur présence en Tunisie.

Aux origines de la présence des Grecs en Tunisie : des membres du Millet i-Rum (XVIIe-XIXe siècles)

Les migrations grecques de l’époque moderne sont la conséquence de la conquête ottomane au XVe siècle et de sa poursuite pendant les deux siècles suivants avec l’occupation de Chypre en 1571 et de la Crète en 1669. À la domination étrangère, vont s’ajouter les facteurs économiques et démographiques ayant provoqué un déséquilibre entre les ressources naturelles et les effectifs humains dans les îles de la Mer d’Egée, ainsi que dans la Grèce actuelle.

Les pays d’accueil des Grecs furent surtout européens tels les États italiens, l’Autriche-Hongrie mais aussi la Russie, la Pologne, l’Allemagne. Les autres Grecs, ceux qui étaient restés aussi bien dans les Balkans que dans les provinces musulmanes de l’Empire ottoman, l’Egypte, la Tripolitaine et la Régence de Tunis, feront partie du millet grec-orthodoxe. En effet, le terme millet, au départ, désignait une confession, une communauté religieuse y compris lorsqu’il s’agissait de musulmans. Au temps de l’Empire ottoman, ce mot a connu une évolution sémantique pour devenir un terme technique et a fini par désigner « les groupes religieux antérieurement autonomes au sein de l’Empire tel que les Juifs, les Arméniens, les Grecs-orthodoxes ou Millet i-Rum » (Troupeau, 1990 : VII, 61). Accepté en tant que tel par le pouvoir central, ce terme va donner droit à la protection et à un même traitement, aux membres du Millet à travers tout l’Empire.

Le statut de membre du Millet, ainsi défini, apparaît supérieur à celui qu’accordaient les capitulations, précisant les privilèges des chrétiens établis dans les provinces de l’Empire, considérés comme « étrangers » (Soumille, 1988 : 229-239). En effet, parmi les non-musulmans qui restèrent au sein de l’Empire ottoman, la situation des grecs-orthodoxes ne fut pas difficile à supporter car ils avaient bénéficié de la qualité de second peuple de l’Empire et surtout d’une certaine autonomie au niveau de la gestion de la communauté (Kitsikis, 1985 : VIII, 1002). D’après un document émanant de l’Église grecque-orthodoxe d’Alexandrie : « C’est le Patriarche Ionnikios qui avait décidé en 1645 d’en-voyer un Pope à Tunis et que les Grecs de cette ville devaient lui payer, à cette époque, trois cents piastres par an »4. Ainsi, il semble que la petite communauté grecque-orthodoxe de Tunis avait été dirigée par un pope dépendant du patriarche d’Alexandrie, ce dernier étant lui-même placé sous l’autorité du Grand Patriarche d’Istanbul (Constantinople). Conformément aux dispositions des firman-s de la Sublime Porte, tout chrétien orthodoxe fut assimilé, par la volonté du sultan, au millet grec-orthodoxe, dont le chef, le Patriarche grec-orthodoxe, se trouvait à côté de ce dernier, à Istanbul5. Le sultan reconnaissait au Patriarche certains privilèges administratifs sur ses fidèles, même lorsqu’ils étaient dans les « provinces » de l’Empire.

Les quelques centaines de Grecs de la Régence de Tunis, établis depuis le XVIIe siècle, semblent avoir connu une situation privilégiée. En effet, les migrations grecques, à cette époque, étaient surtout le fait de familles aisées venues de Thessalie, de Macédoine, de Crète, de Chypre et d’autres petites îles de la mer d’Egée. Tous ces territoires faisaient partie intégrante de l’Empire ottoman. Ces Grecs s’adonnaient surtout au négoce entre Tunis et les divers ports de la Méditerranée orientale. Plus tard, d’autres occuperont des rôles dans l’ad-ministration et dans l’armée beylicale. De par leur rôle économique et leur statut ethno-confessionnel, ils avaient des rapports privilégiés avec les gouverneurs de la Régence. C’est ainsi qu’ils avaient pu exercer, sans difficulté, leur culte en tant que sujet (raîyd) du Sultan.

Cette communauté, dont le nombre n’a jamais dépassé quelques centaines de personnes, était bien visible au début du XVIIe siècle. Boyer de Saint Gervais, consul de France à Tunis de 1729 à 1734, notait déjà dans ses mémoires que : « Les Grecs ont une église où le service se fait tout à la grecque »6. Cette première église se trouvait dans le quartier franc, dans la partie basse de la ville de Tunis. D’après une tradition transmise par les Grecs de Tunis, elle aurait été placée sous le vocable de Saint-Georges et se trouvait rue de la Verrerie ; elle ne fut désaffectée qu’en 1901 (Kharalambis, 1926 : 153). En plus de ce lieu de culte, il semble que les Grecs aient reçu d’un des beys de Tunis la cessation, en toute propriété, d’un vaste terrain situé à l’extérieur des murailles de la ville pour servir de cimetière7. Sur ce terrain, ils devaient édifier une petite chapelle portant le nom Saint-Antoine8. L’existence d’un lieu de culte grec intra muros et d’un cimetière extra muros sont confirmées par le voyageur genevois Henry Dunant (1975 : 233)9, qui visita la Tunisie en 1856, juste une année après la mort d’Ahmed Bey. En effet, le règne de ce bey (1837-1855), fut marqué par plusieurs initiatives qui furent interprétées par les observateurs européens de l’époque comme le produit d’un esprit animé par une « grande tolérance »10. À cela, il faut ajouter les arguments avancés par Ibn Abi Dhiaf, témoin de l’époque et qui faisait partie de l’entourage du bey. En effet, cet auteur averti, avait vu dans cette politique en faveur des chrétiens l’expression d’un pragmatisme qui tient compte avant tout des intérêts économiques de la régence (Ibn Abi Dhyaf, éd. 1988 : IV, 89)11. En même temps, il faut ajouter que de pareilles mesures prises en faveur des chrétiens installés à Tunis, furent souvent le résultat de réclamations répétées de la part des représentants des puissances européennes (Chater, 1984 : 524). Cependant, nous excluons que le geste pris par Ahmed Bey, en faveur des Grecs en 184012, soit le résultat d’une quelconque pression étrangère. Car, pour le cas des Grecs dont le nombre ne dépassait guère, selon les témoins de l’époque, les deux cent cinquante personnes (Dunant, 1975 : 233 ; Ganiage, 1968 : 41)13, il s’agissait beaucoup plus d’un acte en faveur d’un groupe confessionnel endogène et non étranger. Mais il semble que ce geste était venu dans une conjoncture où les Grecs avaient déjà entamé, depuis un moment, le processus de leur détachement du système du Millet ottoman. Désormais, c’est auprès des consuls des puissances occidentales accrédités à Tunis que leurs regards vont s’orienter, pour chercher protection.

De membres du Millet i-Rum à celui de protégés des Consuls européens (1830-1880)

Faisant suite à la défaite de Mohamed Ali d’Egypte dans la Bataille de Navarin14 et à la guerre russo-turque (1828-1829), un Etat grec indépendant va naître, sur une petite partie de la péninsule, ne dépassant pas les limites de la Morée et se réclamant de la nationalité hellénique. Ce nouvel État fut vite placé sous la protection des puissances européennes et particulièrement de l’Angleterre (Traité de Londres 1830) et fut reconnu par la Sublime Porte par le traité de 1832.

Même si la création de cet Etat national hellénique ne concernait qu’une partie exiguë du territoire, ne comprenant qu’une petite fraction de la « nation grecque », cette nouvelle situation, eut des répercussions sur les Grecs de Tunis et des autres provinces ottomanes15. Mais les autorités beylicales, comme nous l’avons signalé plus haut, refusèrent de considérer les Grecs établis dans la Régence comme des ressortissants d’un quelconque Etat indépendant. Durant plus de trois siècles et jusqu’en 1827, les Grecs avaient été groupés en millet ex relevaient d’un cadi ou d’unshaykh. Le dernier qui assuma cette charge fut Theodoras Tsetses (Dessort, 1926 : 153). Même après cette date, les beys continuèrent à refuser d’accorder une représentation consulaire au nouvel Etat.

Au milieu du XIXe siècle, malgré l’arrêt définitif de la course, la cour des beys de Tunis comptait toujours un nombre important de convertis(renégats) et de mamelouks dont ceux d’origine grecque. Certains occupaient des hautes charges dans l’Etat ; les cas les plus connus sont le Premier ministre Mustafa Khaznadar16 qui aida les Grecs de Tunis à acquérir une seconde donation beylicale, comme nous le verrons plus loin et Elias Mussali17 qui avait commencé, son ascension à cette époque, mais sans être pour autant ni mamelouk, ni converti. Mais beaucoup parmi les Grecs de la petite communauté orthodoxe de Tunis avaient déjà la pensée ailleurs.

En effet, ces derniers seront de plus en plus sensibles à la nouvelle conjoncture méditerranéenne. Ils vont essayer de tirer le maximum de profit des interventions des représentants des puissances européennes dans les affaires intérieures de la Régence, pour accéder au statut de protégés d’un des consuls européens établis à Tunis. La quête de la protection européenne commence à être signalée dès 1829. Au cours de cette année, marquée par la proclamation de l’indépendance de la Grèce, les Grecs qui avaient désiré retourner dans leur pays s’adressèrent au consul de France, M. de Lesseps, pour demander son intervention auprès du bey Hassine en vue l’obtention du teskera, ou passeport, leur permettant de quitter le pays. Pour les uns, il s’agissait avant tout de s’affranchir de l’esclavage et de retrouver une liberté perdue18. Pour d’autres, la recherche de la protection des consuls était un moyen pour exiger, en guise de revanche, le châtiment d’un sujet du bey ayant agressé un Grec19. Dans la même requête qui était présentée au bey par le consul de France, ce dernier profitait de l’occasion pour s’exprimer au nom de tous les Européens installés à Tunis et demander « l’établissement définitif dans le quartier franc d’un corps de garde devenu indispensable à la sûreté des Européens, journellement menacés »20. En 1844, le consul de France Lagau, exigea un châtiment exemplaire pour l’assassin du grec Dimitri, protégé français, par un Tunisien. L’assassin fut jugé, condamné à mort et exécuté dans les quarante huit heures (Chater, 1984 : 522)21. Un autre sujet de litige, qui va pousser les Grecs à rechercher la protection des consuls européens, est l’acquittement des dettes22 contractées envers eux par des Tunisiens. Ces litiges nous renseignent sur l’état de richesse de ces Grecs — même si nous restons sur notre faim, à propos des sommes en question —, sur la place réelle occupée par les créanciers grecs dans l’économie de la Régence et sur le type de relations qu’ils entretenaient avec la population autochtone. En effet, les documents consulaires ne retiennent que les contentieux que les consuls s’empressaient23 d’exploiter pour appuyer leurs propres revendications. Mais il faut préciser que les Grecs n’étaient pas toujours des victimes innocentes. Les registres de la préfecture de police de la ville de Tunis la Zaptié24qui fut créé en 1861, nous renseignent sur des cas d’agressions meurtrières perpétrées sur des sujets du bey, par des Grecs25.

Même si les archives de police nous font apparaître les relations intercommunautaires, entre Grecs et autochtones, le plus souvent sous un prisme conflictuel et chaotique, il est à signaler, en revanche, que les autorités beylicales continuent à accorder aux Grecs une place privilégiée, surtout lorsqu’il s’agit de dispositions relatives à l’exercice du culte. C’est dans ce contexte qu’un terrain26 fut vendu par enzelkla. fin de 1863 par Mohamed-Sadok Bey (1859-1882), opération faite par l’entremise de son ministre Mustafa Khaznadar. Cette nouvelle acquisition par la communauté grecque de Tunis, se fera sous la forme d’une transaction entre le bey et un représentant des Grecs Elia Manidachi, en vue d’agrandir le cimetière et d’ériger une église orthodoxe27. L’opération relative à ce terrain « fut passée au consulat Impérial de Russie à Tunis »28, car le nommé Elia Manidachi, était à l’époque, protégé russe :

« La majorité des Grecs tunisois invoqua la protection consulaire russe à cause de la communauté de religion et aussi de la grande influence exercée sur l’esprit du bey par le consul de Russie Charles Nyssen. Ce dernier exerça les fonctions de consul de Russie pendant 60 années consécutives et mourut à Tunis en 1886 » (Khara-lambis,1926 : 153).

L’objectif de cet acte était de :

« les autoriser (les Grecs) à agrandir leur église ou à élever une construction identique consacrée à l’exercice de leur culte »29.

Mais ce nouveau geste des autorités de la Régence sera la source d’une incompréhension. Par cette dernière cession, le souverain entendait « être agréable » aux yeux des chrétiens de rite grec-orthodoxe, qui continuaient, selon lui, à être des sujets du sultan et non des nationaux hellènes. Cette bonne disposition manifestée à l’égard des Grecs de la Régence semble avoir été interprétée par certains membres de la communauté et par des fonctionnaires du nouvel État hellénique comme des signes encourageants pour relancer la question de l’établissement de relations diplomatiques directes entre Athènes et Tunis.

En effet, c’étaient les Grecs de Tunis qui avaient incité un fonctionnaire du gouvernement d’Athènes à entreprendre de pareilles démarches30. De même, en 1867, la question des décorations, à apporter d’Athènes pour le bey, est évoquée en tant que pression en vue de la récupération par un Grec de Tunis d’une dette évaluée à 15 000 piastres accordée à un sujet tunisien : le fils de Hajj Has-sine Ben Abbâs31. Le créancier grec, Basilio Kostandinis, affirmait vouloir utiliser la somme en question pour se rendre à Athènes et ramener les présents offerts par le Roi de Grèce, Grégoire, au bey de Tunis. En 1868, c’est le consul de l’État grec dans l’île de Chio, Spiridiov Logiatadios, d’où était originaire le Premier ministre tunisien, Mustafa Khaznadar, qui avait pris l’initiative d’écrire à ce dernier pour lui rappeler la nécessité de l’établissement de relations consulaires entre la Régence de Tunis et le Royaume de Grèce. Dans sa lettre, le consul prenait la précaution d’indiquer qu’il avait pris connaissance de « ses sentiments philhellènes grâce aux recommandations d’un des habitants de Chio le nommé ‘ Michel Coutsoudis »32, lequel avait des relations commerciales avec la régence de Tunis. Il lui avait également écrit qu’il avait cru important de rapporter l’information au gouvernement hellénique à Athènes tout en recommandant qu’une décoration devrait être décernée au bey de Tunis et à son Premier ministre, en signe de reconnaissance pour

« les sentiments philhellènes et le bon accueil qu’il a daigné porter aux intérêts des sujets hellènes qui se trouvent ou se rendent à Tunis »33.

Le consul grec ne laisse pas échapper une occasion de déplorer l’inexistence de traité entre le gouvernement de Tunis et celui d’Athènes ni de rappeler le vif désir exprimé, y compris par les parents du ministre qui vivaient toujours dans l’île, pour

« qu’un traité commercial soit signé respectivement… car c’est en vertu de cet (éventuel) traité que les représentants consulaires pourraient être nommés en les villes et les échelles des deux États… »34.

Ces différentes tentatives pour tisser des liens directs entre Athènes et Tunis ne pouvaient connaître un dénouement heureux dans une conjoncture méditerranéenne marquée par la persistance des tensions et des affrontements entre l’ancienne métropole ottomane et le jeune Etat gtec, lui même souvent intégré dans les diverses stratégies occidentales adoptées par les puissances à l’égard de la Sublime Porte. C’est ainsi que la situation des Grecs de Tunisie a continué à osciller entre la recherche de l’installation d’un consulat capable de les protéger et le recours individuel à la protection des consuls d’Angleterre35, de Russie36et parfois de France. L’ouverture d’un consulat de Grèce à Tunis ne se fera que quelques mois avant l’établissement du Protectorat français en Tunisie, en 1881.

Les Grecs sous la protection du Consulat Hellénique à Tunis : comment avoir sa part du gâteau (1880-1898) ?

Le premier document indiquant l’existence d’un « Consulat Royal Hellénique » à Tunis, ne remonte guère au-delà du mois d’août 1880. Les documents que j’ai pu consulter aux archives ne m’ont pas permis de savoir dans quel contexte ce consulat a été autorisé à entrer en action dans la Régence. La lettre accréditant37 le nouveau consul auprès du bey a été envoyée d’Athènes, le 11 juin 1880. Quant au premier document que nous avons pu consulter et qui atteste implicitement, la reconnaissance par le gouvernement tunisien, de cette mission et de son rôle dans la protection des Grecs, date de février 188138. Cependant, d’après Kharalambis Poulos (1926 : 153), le consulat de Grèce fut créé en 1878 et le premier consul fut M. Iscomacos qui devait présider un Tribunal consulaire qui avait fonctionné jusqu’en 1884. Aux archives nationales, plu-sieurs dossiers confirment l’activité débordante entreprise par cette institution durant les mois qui précédèrent l’entrée des troupes françaises en Tunisie. En effet, dès le mois de janvier 1881, le gérant du consulat allait procéder à la nomination de plusieurs agents consulaires dans les principales villes portuaires de la Régence : Bizerte, Sousse, Monastir39. D’un autre côté, le gérant du consulat devait s’activer pour prendre en charge la défense des Grecs de Tunisie40et prendre la relève, même dans les affaires qui avaient précédé la création du consulat, lorsque ces derniers étaient encore des protégés des consuls des puissances européennes41.

L’établissement du Protectorat français en Tunisie durant l’été 1881 ne semble pas avoir dérangé le gérant du consulat qui s’était vite adapté à la nouvelle situation. Ainsi, pour évoquer l’assassinat d’un Grec âgé de 86 ans, commis le 14 juillet 1881 par « les Arabes » insurgés, le consul s’était directement adressé aux nouvelles autorités fraîchement débarquées en Tunisie42. D’un autre côté comme si de rien n’était, il alla poursuivre l’installation d’agents consulaires dans les villes qui n’en avaient pas été pourvues, telles que Gabès43, Mahdia44, où il nomma respectivement Haï Haded, sujet français, Elia Sitbon, sujet italien. Chaque agent consulaire était secondé le plus souvent par deux courtiers tunisiens, pour lesquels il devait recevoir un accord préalable des autorités centrales. Ces dernières s’étaient donné un droit de regard sur les éventuels candidats à ces postes45. Ce contrôle rigoureux, mené par les autorités du Protectorat à l’encontre des représentations consulaires étrangères, laisse présager les nouvelles dispositions qu’elles n’ont pas tardé à prendre, en vue d’organiser la présence des différentes communautés étrangères établies en Tunisie.

C’est ainsi qu’elles promulguèrent, en septembre 1888, un décret sur les associations46. Mais la communauté grecque ne souscrivit d’une manière claire à cette loi, qu’en 1898. D’un autre côté, en 1890, suite à un accord entre les gouvernements grec et français, une décision fut prise pour la suppression47 des différentes représentations consulaires grecques installées, depuis 1880, dans plusieurs villes portuaires de la Régence. Les différents courtiers tunisiens qui y travaillaient furent appelés à arrêter toute collaboration avec ces agences et à se considérer comme soumis au même régime administratif que le reste de leurs concitoyens48.

Cette démarche s’inscrivit dans le cadre de la mise en place du régime du protectorat qui s’était concrétisée par la suppression des juridictions consulaires en vue de doter le pays d’une nouvelle organisation de la justice. En effet, la loi du 18 avril 1883 vint organiser la justice française en Tunisie. Le décret beylical du 5 mai 1883 stipulait que :

« les nationaux des puissances amies dont les tribunaux consulaires seraient supprimés, deviennent justiciables des tribunaux français dans les mêmes conditions que les Français eux-mêmes » (Mahjoubi, 1977 : 176).

Ces différentes dispositions visaient à assurer l’hégémonie de la France dans la gestion de la Régence et à écarter une éventuelle visée italienne sur la Tunisie.

En effet, la question du déséquilibre démographique en faveur de l’élément italien au sein de la population européenne de Tunisie avait constitué un sujet qui avait longtemps préoccupé les autorités françaises. Celles-ci avaient mis presqu’un demi siècle pour faire basculer la situation démographique en leur faveur. Elles utilisèrent, comme nous le verrons plus loin, les autres Européens et leurs descendants, parmi lesquels nous trouvons les Grecs, pour augmenter le nombre des membres de la colonie française. Mais, au départ, il fallait agir prudemment et essayer de régler par étapes la question de la présence italienne en Tunisie. La première phase fut la signature des conventions franco-italiennes de 1896. Une année auparavant, en 1895, le gouvernement français, agissant au nom du bey, avait dénoncé le traité tuniso-italien de 1868. Par ces nouvelles conventions, l’Italie s’était décidée à reconnaître officiellement l’établissement du Protectorat français en Tunisie. En contrepartie la France reconnaissait le principe de l’égalité de traitement dans l’exercice des droits civils entres Français, Tunisiens et Italiens (Davi, oct. 1996 : 8)49.

De leur côté, les Grecs étaient considérés comme des étrangers50, ils étaient justiciables des tribunaux français, et n’avaient pas la jouissance de droits politiques en Tunisie. En vue de pratiquer leur culte grec-orthodoxe, ils étaient autorisés à former une association cultuelle. Avant même la promulgation officielle en Tunisie de la Loi sur les associations du 15 septembre 1888, les Grecs, de leur côté, avaient soumis leur association aux lois grecques en obtenant du roi Georges Premier un décret en date 7 septembre 1888 qui les définit ainsi :

« La communauté hellénique (qui est) à Tunis, se compose de tous ceux de même origine, libres hellènes ou non (libres) qui en sont des constituants réguliers »51.

Les autorités du protectorat, qui n’avaient pas manqué de relever des incohérences dans cette définition52, s’étaient contentées, dans une première période, de suivre l’évolution de la situation. Cette attitude « tolérante » s’explique par le nombre peu important des Grecs se trouvant en Tunisie. En effet, le dénombrement des étrangers établis en Tunisie, effectué en 1906, n’a recensé que quelques 733 Grecs dans toute la Régence. Les autorités du Protectorat devaient surtout faire face à l’acuité du problème italien. Ainsi, la communauté grecque évoluera dans le cadre du Protectorat, elle saura même tirer profit de sa situation marginale et loin des regards pour accumuler une certaine richesse immobilière.

Une communauté loin des regards : de 1898 à 1923

Étant donnée la position particulière héritée de son statut de millet ottomane, la communauté grecque de Tunisie apparaissait, au début du Protectorat français, dans une situation de privilégiée. Ce qui n’a pas manqué de créer des manifestations de jalousie de la part de l’autre Église chrétienne rivale, l’évêché catholique de Tunisie. En effet, il faut rappeler que la donation par enzel, octroyée aux Grecs de Tunis en 1863, leur avait permis de mettre la main sur un terrain couvrant 3 089 mètres carrés. Une portion du terrain acheté couvrait la façade principale du cimetière catholique qui existait à l’endroit de l’actuelle cathédrale. L’évêque Sutter53, de la mission catholique, avait fait des démarches auprès du Premier ministre tunisien et avait pu obtenir le rachat de cette portion de terrain qui s’étendait sur 1 362 mètres carrés54.

Cependant, l’Église catholique, forte de la situation qu’elle avait conquise en Tunisie suite à l’établissement du Protectorat français, allait, d’une part, commencer à édifier, en 1890, sa grande cathédrale sur les lieux du cimetière chrétien et sur le terrain racheté auprès des Grecs et, d’autre part, leur intenter un procès en 1895. En effet, l’archevêché de Carthage avait contesté à l’Église grecque le droit de construire sur la rue de Rome des magasins et des logements qui auraient masqué l’une des façades de la cathédrale. À cause d’un vice de forme, la démarche auprès du tribunal n’avait pas pu aboutir55. C’est le « gouvernement tunisien » qui vola au secours de la cathédrale et prit à son compte les griefs portés par l’archevêché à l’encontre des Grecs. Dans ces conditions, la colonie grecque se trouva dans l’obligation de procéder à un arrangement à l’amiable. Elle céda les constructions, objet du litige, au gouvernement tunisien, moyennant une somme qu’elle fut obligée d’utiliser pour l’achèvement de la construction de sa propre église56.

Il est probable que ces pressions, exercées par les autorités du Protectorat, ont contribué à contraindre la communauté grecque à régulariser sa situation juridique en conformité avec la loi du 15 septembre 1888, relative aux associations. En fait, c’est seulement en 1898 que ses responsables se décidèrent à soumettre le texte au roi de Grèce57 qui l’approuva par décret, le 3 février 1898. En même temps, ces statuts furent déposés au parquet et au gouvernement tunisien qui leur donna son autorisation, par arrêté du 30 mai 1898. Dans une lettre de mise au point, le Résident général fit remarquer trente ans plus tard que :

« même s’il n’y a pas eu exactitude entre les textes français et les textes grecs, les autorités ont laissé faire vu le nombre limité de la colonie et vu qu’elle n’était effectivement constituée que par des sujets hellènes »58.

La constitution de l’association de la communauté grecque orthodoxe de Tunis a consacré une évolution du statut de ses membres qui se sont érigés, désormais, en groupement cultuel ayant pour mission de gérer des biens liés à la pratique du culte : église, école, aides aux démunis… Cette association est régie par le droit laïc puisqu’elle est dirigée par un bureau élu tous les trois ans. Cependant, ce groupe humain, constitué à son origine sur des bases confessionnelles, va connaître, au fil des années, une certaine évolution. En effet, pendant longtemps, l’identification s’est surtout basée sur une certaine affiliation, plus ou moins réelle, aux patriarches d’Alexandrie et de Constantinople. Ces derniers avaient eux-mêmes accepté, durant des siècles, de faire allégeance aux sultans ottomans. Cependant, le mouvement hellénique et l’indépendance progressive de la Grèce, à partir de 1830, n’ont pas manqué d’avoir leurs répercussions sur l’état d’esprit de la communauté grecque de Tunisie et d’ailleurs, comme nous l’avons vu plus haut. Ainsi, l’identité de cette dernière va évoluer de la base ethno-confessionnelle pour faire intégrer la dimension nationale. Les liens privilégiés qu’elle avait tissés avec le consulat de Grèce, depuis son installation à Tunis, ont été souvent avancés par les autorités françaises de Tunisie, comme une preuve « des tendances irrédentistes »59 au sein de cette communauté.

30Ces différentes mutations ne pouvaient échapper à des autorités pleinement conscientes des dangers d’un cosmopolitisme non contrôlé, surtout au cas il serait mis à profit par une autre puissance européenne, qui chercherait à rivaliser avec la France en Tunisie. Certes, au lendemain de la première guerre mondiale, c’est « du péril italien » et de « l’agitation indigène » qu’il a été souvent question, mais la surveillance a dû concerner tout le monde. En effet, même si ce fut moins spectaculaire qu’en Italie, la Grèce connut au lendemain de la guerre des évolutions politiques successives dont il importerait de voir les prolongements en Tunisie. Cependant, l’événement majeur auquel il faut prêter attention, fut la naturalisation française au sein de la communauté grecque de Tunisie, à la suite des décrets de décembre 1923 qui l’encourageaient.

Les années charnières de la communauté grecque de Tunisie (1923-1933)

  • 60  La dénonciation officielle ne se fera qu’en 1943 ; cependant des pressions indirectes furent exerc (…)

31Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le problème relatif au déséquilibre engendré par la faiblesse en nombre de la colonie française par rapport à celle des Italiens était loin d’être résolu. Le recensement de 1921 n’avait fait que confirmer les appréhensions antérieures des autorités. Le nombre des Italiens était de 84799 alors que celui des Français était de 54476, les Maltais 12 520 et les autres étrangers 12 520. L’appel lancé aux métropolitains pour venir s’installer en Tunisie n’avait pas eu de résultats tangibles, malgré les privilèges et les encouragements qui furent prodigués. En effet, ils pouvaient aspirer à profiter d’avantages et faveurs auxquels les autres Européens ne pouvaient accéder (Kraïem, 1976 : 80). Face à cette situation, deux solutions furent envisagées : d’une part, la dénonciation progressive et de fait60, par la France, des conventions signées avec l’Italie en 1896. L’objectif était de rendre précaire la situation des Italiens de Tunisie et les inciter indirectement à se naturaliser. D’autre part, une loi sur la naturalisation, promulguée le 20 décembre 1923, était destinée à assurer la prépondérance de la colonie française dans la Régence et à contrecarrer la supériorité numérique des ressortissants italiens qui pourrait servir de prétexte pour la concrétisation des convoitises italiennes en Tunisie, depuis l’avènement de Mussolini au pouvoir en 1922 (Mahjoubi, 1982 : 346).

Certes, la nouvelle loi facilitait l’octroi de la nationalité française aux Tunisiens61, mais, surtout, elle la rendait automatique pour toute personne non Tunisienne née en Tunisie de parents qui y étaient eux-mêmes nés. Ainsi, la colonie française va s’ouvrir aux autres étrangers établis en Tunisie, tels que les Maltais, les Grecs et autres Européens, alors que les Italiens vont continuer à être régis officiellement par les conventions de 1896. À vrai dire, les nouvelles dispositions avaient pour but, avant tout, d’accroître, dans l’immédiat, le nombre des Français, par les membres des communautés « intermédiaires » qui pouvaient intégrer la communauté française sans apporter avec eux une charge identitaire marquée, comme c’était le cas des autochtones ou des Italiens.

C’est ainsi que la nouvelle législation a intégré dans la nationalité française la majorité des Maltais, malgré les réserves exprimées par la Grande Bretagne62dont relevait cette colonie. Également, plusieurs dizaines de familles grecques accédèrent automatiquement à la nationalité française. Cette nouvelle donne créa une situation inédite au sein de la communauté qui va entrer irrémédiablement dans une crise d’identité de laquelle elle ne se remettra jamais, malgré les multiples tentatives de réconciliation et de compromis.

Les premiers signes de difficulté vont commencer à apparaître en 1928. En effet, suite aux nombreuses naturalisations consenties par les Grecs,

« les nouveaux éléments (naturalisés) qui constituent désormais la communauté ne peuvent plus s’accommoder aux anciens statuts »63.

D’après le Résident général, la principale raison qui explique ces difficultés, est que l’association cultuelle est devenue, depuis 1918, multinationale puisqu’elle comprend : 32 citoyens hellènes contre 24 français, 2 gréco-albanais et 2 gréco-ottomans64. Toujours d’après le même rapport, les Grecs de Tunis

« ne demeurent unis qu’autour de l’autel orthodoxe et autour du patrimoine foncier dont l’association a hérité »65.

36En effet, l’importance de ce patrimoine va même éveiller des appétits extérieurs qui veulent le rentabiliser dans des œuvres culturelles66. À l’intérieur, la gestion des profits de cette richesse immobilière a été un facteur supplémentaire des tensions qui sont apparues entre les membres de la communauté grecque. La ligne de démarcation, réelle ou fictive, entre les deux groupes, a été la question de la naturalisation.

Après une contestation interne, déclenchée, semble-t-il, suite à l’élection d’un nouveau bureau de l’association au mois de mai 1928, un conflit est apparu au grand jour entre les membres de la communauté. Le dimanche 16 février, à la sortie de la messe, des incidents eurent lieu devant l’église de la rue de Rome, entre les membres du nouveau bureau élu au mois de mai 1928 et trois anciens membres, qui avaient fait partie de tous les bureaux qui s’étaient succédés de 1910 à 192867. Ces derniers avaient reproché aux membres du bureau leur mauvaise gestion des biens de la communauté68.

Quelques mois plus tard, la contestation connut un nouveau rebondissement. Les opposants avaient présenté un recours à l’administration par le biais d’une pétition signée par 29 Grecs, tous membres de la communauté grecque de Tunis et qui fut adressée au Résident général69. Après avoir rappelé les conditions dans lesquelles s’étaient tenues les élections de mai 1928 et les irrégularités commises

« notamment en prétendant éliminer des élections les membres naturalisés français, qui ne furent admis qu’au dernier moment »,les signataires de la pétition avaient relevé 3 faits majeurs qu’ils reprochaient au bureau directeur de la communauté :

La vente d’un vaste terrain de 9 000 mètres carrés70, faisant partie du cimetière grec situé près du quartier de Jeanne d’Arc, moyennant le prix de 16 F le mètre carré, alors que les propriétaires des terrains voisins, déclinent les offres de vente à 80 F, le mètre carré.

La vente à deux Israélites de deux immeubles, sis rue de la Kasbah et rue de la Verrerie, appartenant à la communauté grecque.

D’avoir surélevé une petite construction sise rue de Rome de deux étages et dans l’immeuble de la rue de Naples, d’un étage, au prix de 900 F le mètre carré, alors que le cours de la construction est au maximum entre 650 et 700 F.

Outre les griefs reprochés au bureau, la pétition constitue un document d’une grande valeur historique. En effet, elle nous livre un échantillon représentatif qui nous donne des informations précises sur la situation professionnelle de chaque signataire. C’est ainsi que nous avons relevé l’existence de 9 commerçants, autant de propriétaires industriels et agricoles et de 4 fonctionnaires71. Le même document nous permet également de faire ressortir les mutations des membres de cette communauté par rapport à la question de la naturalisation. En effet, en cette année 1930, sur les 29 signataires, nous en remarquons quinze qui maintenaient toujours la nationalité grecque, alors que les quatorze autres ont désormais la nationalité française.

En effet, cette tendance est confirmée par le Dénombrement de la population civile européenne et indigène de Tunisie, réalisé au mois de mars 1931, et qui fait ressortir une baisse de la population grecque de Tunisie qui tombe à 463 alors qu’elle était de 646 personnes au dénombrement de 1926 et de 683, au recensement du 16 décembre 1906 qui n’avait concerné à l’époque que la population européenne civile de la Tunisie (Bulletin,1907 : 169). Cette chute du nombre se remarque dans les trois principaux centres urbains qui regroupent la majorité des Grecs. La ville de Sfax où le nombre des Grecs tombe à 224 contre 343 en 1926. La même baisse se constate également dans la ville de Tunis où le nombre de Grecs tombe à 162 alors qu’il était de 187 en 1926.À Djerba, la baisse est encore plus évidente puisque le nombre est tombé à 6 alors qu’il était de 28 en 1926. Le seul facteur qui explique cette baisse du tiers du nombre de la communauté grecque, au cours d’une période aussi courte, est le mouvement de naturalisation. Ce fait confirme le début d’une certaine fracture au niveau de l’identité collective de cette communauté, dont les membres avaient commencé à se définir par rapport à des intérêts matériels, immédiats et futurs, beaucoup plus qu’à une référence ethnique et confessionnelle.

Ainsi il est important de noter que cette mutation sociale va donner lieu à des changements de comportement et à la cristallisation de positions qui ne tardèrent pas à se manifester au sein du cadre associatif, seul espace de rencontre et d’identification des Grecs de Tunisie. La pétition citée plus haut fut le premier signal de ce changement identitaire qui était en train de se dessiner au sein de cette petite communauté. Mais, malgré la sollicitude manifestée par ce groupe contestataire, l’administration coloniale ne s’empressa pas d’intervenir, considérant que l’affaire était d’ordre privé et qu’il appartenait aux signataires de la pétition de porter plainte, s’ils le jugeaient nécessaire, devant les tribunaux compétents72. En réalité, comme nous l’avons vu plus haut, l’affaire était déjà devant les tribunaux et les autorités auraient pu exiger la tenue de l’assemblée générale de l’association à la date prévue – mai 1931 – lorsque le bureau, élu au mois de mai 1928, arriva au terme de son mandat. En ratant cette occasion, ces dernières avaient laissé la voie libre à une intervention extérieure dans les affaires de la communauté grecque de Tunisie. En effet, ce fut le Patriarche d’Alexandrie Meltios II (1926-1935), qui annonça son arrivée au mois de juillet 1931. L’objectif assigné à cette visite était d’essayer d’aider la communauté grecque de Tunis à dépasser ses dissensions et divisions et, en même temps, de faire tout ce qui était possible en vue de regrouper les fidèles autour du patriarcat grec-orthodoxe. Il semble que l’Etat grec n’ait pas été étranger à cette initiative73.

Le voyage du Patriarche d’Alexandrie Meltios II en Tunisie

Le séjour du Patriarche d’Alexandrie en Tunisie avait commencé par deux messes qui furent célébrées à Sfax le 23 juillet et àTunis le 26 juillet 1931. Le Résident général, les autorités militaires et civiles ainsi que le corps consulaire avaient assisté à la cérémonie de Tunis. Au cours de cette messe,

« le Patriarche a prodigué ses conseils à ses fidèles leur recommandant avant tout, de se montrer respectueux des autorités du Protectorat et dignes de la protection que la France leur accorde. Il s’est borné à les inviter à se montrer fidèles à l’Eglise orthodoxe »

À côté des aspects protocolaires, le Patriarche avait consacré l’essentiel de son séjour à surmonter les divergences apparues entre les Grecs de Tunisie et à obtenir la réorganisation légale de la communauté. C’était dans ce but qu’il avait présidé une assemblée générale, le 31 juillet 1931, à laquelle avaient assisté 33 notables grecs75. Cette réunion avait pour but de

« prier Sa Sainteté le Patriarche de nommer un conseil de 6 Epitropes et Ephores extraordinaires sous la présidence du délégué ecclésiastique de sa sainteté le Patriarche »76.

En effet, quelques jours après et avant son retour en Egypte, le Pape et Patriarche d’Alexandrie et d’Afrique, avait procédé à la nomination de l’Archimandrite Anthimos au poste de Président du Conseil extraordinaire de la communauté, conformément au vote de l’assemblée générale du 31 juillet 193177.

Par ses différentes démarches entreprises à Tunis, surtout au terme de son voyage, le Patriarche d’Alexandrie dévoila ses véritables intentions. Ainsi, il condamna la séparation qui s’était faite en 1888, entre le culte qui était devenu du ressort des popes et la gestion des biens de l’Église, confiée à une association dépendante d’Athènes78. Il considéra que ce mode d’organisation, adopté à partir de 1888

« était contraire à l’histoire de l’Eglise grecque de Tunis comme aux conceptions du patriarcat »79.

Il envisagea tout simplement de revenir à une gestion cléricale de

« l’église Saint-Georges qui fonctionnait depuis trois siècles et qui s’est vue rabaissée au rang d’une association civile, soumise à la législation spéciale du décret de 1888 »80.

En un mot, il demande :

« l’abrogation de l’arrêté du 30 mai 1898 et le retour à un fonctionnement conforme aux règles de notre religion »81.

Ainsi, il apparaît clairement que le véritable objectif du voyage du patriarche d’Alexandrie en Tunisie était de profiter de la crise interne de la communauté pour changer le caractère laïc de sa gestion et la mettre sous son regard direct par la cooptation de son délégué religieux comme président de la communauté.

Cette nouvelle situation va pousser les autorités du Protectorat à essayer de reprendre en main le dossier des Grecs de Tunis et surtout de faire barrage au projet du Patriarche qui vise à voir

« la communauté orthodoxe rangée sous sa dépendance directe »82.

Cependant, le tribunal, qui avait entre ses mains le contentieux relatif à la communauté, va encore compliquer les choses pour ceux qui avaient des préoccupations d’ordre public et laïc. Le tribunal, qui avait été déjà saisi, comme nous l’avons vu plus haut, par les opposants au bureau élu en 1928, crut bon de souscrire, lui aussi, aux solutions trouvées le 31 juillet 1931 en présence du Patriarche. Un jugement sur la requête fut prononcé le 30 septembre 1931. Il demandait la publication d’un arrêté qui officialise les nominations faites lors de l’assemblée de juillet en présence du Patriarche83. L’arrêté en question ne parut que le 20 février 1932 ; il stipulait que la communauté serait gérée provisoirement par une commission de 7 membres. Laquelle commission est chargée de procéder à la réforme du statut dans un délai de 6 mois84. Mais, pour assurer un suivi aux décisions prises lors de son voyage, le Patriarche désigna un représentant qui sera dépêché d’Egypte pour veiller sur ses fidèles en Afrique du Nord.

Prolongement du voyage du Patriarche d’Alexandrie : la nomination d’un évêque orthodoxe pour l’Afrique du Nord

Ce regain d’intérêt du Patriarcat d’Alexandrie pour les Grecs-orthodoxes, allait s’illustrer encore mieux, en février 1932, par la nomination d’un évêque orthodoxe pour la Tunisie, l’Algérie et le Maroc85. L’envoyé du Patriarche entendait à la fois exercer des fonctions spirituelles et veiller à l’administration du conseil de la communauté orthodoxe dont la présidence sera de sa compétence86. Ainsi, le nouveau responsable religieux arriva presque au moment de la publication de l’arrêté légitimant les décisions de l’assemblée de juillet 1931. Lors des premiers contacts de l’Évêque, les responsables du Protectorat lui rappelèrent, d’une manière ferme, que la communauté devait être maintenue dans le cadre de la législation tunisienne et du décret sur les associations du 15 septembre 188887.

Dans un premier temps, l’archevêque entendit mener pleinement son rôle de chef spirituel et temporel. Au cours de la première semaine d’avril, il se rendit à Sfax pour présider une messe solennelle dans l’Église de cette ville88 qui regroupait encore en 1932, malgré la baisse constatée plus haut, la plus forte concentration de Grecs du pays. Quelques jours plus tard, il tint à être reçu par le Résident général en sa qualité de chef spirituel des fidèles Grecs-orthodoxes de l’Afrique du Nord et lui remit « la Croix de Saint-Marc, symbole de l’Eglise grecque-orthodoxe d’Alexandrie »89. D’un autre côté, agissant en tant que Président du conseil d’administration de la communauté, Mgr Constantin Catzarakis convoqua une assemblée générale qui se tint le 29 mai 1932, en présence de 39 membres sur les 52, lesquels avaient été inscrits sur la liste ouverte spécialement, 15 jours avant cette date. La réunion avait pour objet d’approuver les nouveaux statuts qui avaient été préparés par le conseil d’administration, conformément à la mission qu’il avait reçue par l’assemblée générale du 31 juillet 193190. Les nouveaux statuts consacraient le point de vue exprimé par le patriarche lors de sa visite en Tunisie. Nous avons vu plus haut comment ce dernier avait refusé toute séparation entre les responsables du culte et ceux qui s’occupent de la gestion des biens de l’Église. Ainsi, d’après les nouveaux statuts présentés par Catzarakis, c’est l’archevêque qui deviendrait président de la communauté91.

Cette proposition ne pouvait être acceptée par l’administration car elle était en contradiction avec la loi sur les associations qui stipule que ces dernières doivent être gérées par des bureaux élus. D’un autre côté, le cumul des deux responsabilités, mettrait les Grecs de Tunisie sous la tutelle directe du patriarche d’Alexandrie, qui aurait géré la communauté par l’intermédiaire de l’archevêque qu’il avait envoyé en Tunisie. Informés du contenu du nouveau projet, quelques membres alertèrent les autorités, avant même la tenue de l’Assemblée qui devait ratifier les projets, considérant qu’il s’agissait de manœuvres qui tendaient « à mettre notre communauté sous le joug du Patriarcat d’Alexandrie… »92 Ce projet comportait également des risques politiques, car les dignitaires de cette Église et le patriarche lui-même, « étaient des sujets de S. M. Fouad Ier »93. C’est ainsi que certains membres de la communauté, en parfaite complicité avec l’administration du Protectorat, déclenchèrent une contre-offensive afin d’éviter ce qu’ils considèrent « comme ingérence du Patriarcat dans notre communauté »94.

La contre-offensive des Grecs « francisés » pour la reprise en main de la direction de la communauté

Une opposition à l’amendement des statuts s’était manifestée, sans grand succès, au cours de l’assemblée générale du 29 mai 193295. De son côté, l’administration, qui avait été mise au courant du contenu du nouveau projet de statut, allait commencer à mettre des freins pour empêcher sa concrétisation96. Cependant, ce fut vers la fin du mois d’août 1932 que la contestation arriva à s’organiser et à marquer un point ; il est difficile de ne pas y deviner la main des autorités du Protectorat. En effet, le 27 août, quatre membres97 du bureau provisoire, tous naturalisés Français mais d’origine grecque98, donnèrent leur démission. Outre les objections qu’ils firent aux autres membres du bureau,99 par leur coup de force « démocratique », les démissionnaires, mirent cette instance dans « l’impossibilité de convoquer une assemblée régulière »100.

Par cette démission en bloc, un coup sérieux avait été porté aux démarches de la tendance ecclésiastique en vue d’assurer son hégémonie sur la communauté grecque. En effet, le 3 juin 1932, au nom de cette dernière, l’archevêque Catzarakis avait déposé au Contrôle Civil un nouveau projet de statuts. Un mois plus tard, le 10 juillet, un autre groupe important de membres de la communauté, en opposition avec la première tendance, et dirigé par quatre membres du comité provisoire, déposa lui aussi un autre projet de statut101. Ainsi, une occasion en or fut offerte à l’administration pour qu’elle apparaisse dans une position de neutralité. En réalité, elle allait se baser sur la démission des quatre membres à la fin du mois d’août pour publier un nouvel arrêté sur la communauté grecque102. Ce dernier texte considère que la nouvelle situation, née de cette démission, lui impose de pourvoir aux sièges vides par la réorganisation de la commission de gestion qui sera composée des membres suivants : Alexandre Alexandroupoulos, Eustache Djivas et Dimi-tri Coyoutopoulo, Jean Manzouni, Thomas Temmos103. Avant la publication de cet arrêté les autorités avaient pris soin d’avertir Mgr Catzaralds qu’elles « ne pouvaient consentir à ce que, dans les nouveaux statuts, il fût spécifié que l’archevêque ait la présidence effective, ni même la présidence d’honneur104 ».

La commission de conciliation désignée par l’arrêté de décembre 1932 arriva à présenter de nouveaux statuts au mois de mars 1933. Le comité qui fut élu à cette date confirme la prise en main des destinées de la communauté par les éléments « réalistes » qui avaient accepté de se conformer aux dispositions de la loi sur les associations qui sépare la responsabilité du culte et la gestion des biens, cette dernière étant du ressort d’association qui doit se conformer aux lois. Cette évolution consacre définitivement la supériorité numérique des naturalisés français parmi les activistes de la communauté grecque, et une nette évolution progressive de cette dernière vers son assimilation dans la civilisation française.

La perte d’identité et la francisation progressive de la communauté (1933-1960)

À partir de mars 1933, la communauté fut présidée par Jean Manzuni. Ce dernier se présentait en septembre 1938 « comme un natif de Tunisie et d’y avoir vécu depuis sa naissance, d’avoir eu l’honneur de s’engager volontairement dans l’armée française pendant la Grande Guerre, sans aucune obligation militaire, d’accroître la famille française par mes enfants dont l’un est prêt à partir sous les drapeaux de la France comme élève sous-officier et enfin d’être administrateur et directeur commercial depuis 1922 d’une maison de commerce… »105.

Un tel autoportrait en dit long sur l’évolution d’une partie des membres de la communauté grecque et de leur désir d’assimilation dans la nation française, à tel point qu’un des détracteurs de Jean Manzuni l’accusa de ne « connaître aucun mot de grec, ni en parlé ni en écriture »106..

Hormis ces quelques petites oppositions qui surgissaient de temps à autre entre ses membres, la communauté grecque semble avoir retrouvé son calme et sa « liberté pour l’administration de ses biens ». En effet, en raison des dissensions et de la mauvaise gestion qui avaient marqué les années 1928-1931, les revenus de l’association furent placés, depuis la fin de 1931, sous séquestre, jusqu’à la fin de 1937. Dans le rapport d’activité édité en 1938, le président Manzuni, annonce avec fierté « la réouverture définitive de l’église le 6 mars »107. Cette dernière était restée sans desservant depuis le départ, au mois de décembre 1932, de l’archevêque Catzara-kis. C’est l’archimandrite Dimitrios Lancouvardos108 qui fut choisi pour le desservir. Le président annonce également la réparation de la coupole de l’église qui menace ruine, vu qu’elle était restée pendant six années consécutives sans être entretenue109.

Ainsi, à la veille de la seconde guerre, la communauté semble accepter, dans sa majorité, son intégration dans « l’œuvre française en Tunisie ». La référence à la culture grecque-orthodoxe est devenue désormais d’ordre cultuel et c’est le rôle de l’association d’assurer cette fonction tout en refusant toute ingérence extérieure dans son fonctionnement. C’est ainsi qu’après qu’il fut coupé court à toute intervention en provenance du Patriarcat d’Alexandrie, c’est le Consul de Grèce qui se vit rappeler la nouvelle réalité, c’est-à-dire que le plus grand nombre des membres de la communauté était de nationalité française110. Et par souci de garantir l’hégémonie des naturalisés français au sein du bureau directeur de la communauté, le président crut de son devoir de demander l’avis des autorités sur l’opportunité de la convocation d’une assemblée élective prévue pour le 7 mai 1939. Il lui fit remarquer qu’à « cause des événements actuels, certains membres français, qui ont droit au vote, sont mobilisés »111. Ce lien avec la France va se raffermir encore dans la conjoncture de la Seconde Guerre et celle de la Résistance. Ainsi, le sort de la communauté se joua avec celui de l’avenir de la présence française en Tunisie.

Avec l’indépendance de la Tunisie, il était devenu impossible pour la communauté grecque d’assurer la continuité d’une présence qui avait pourtant duré pendant plus de trois siècles. Les Grecs naturalisés Français et travaillant dans la fonction publique étaient les premiers appelés à partir. Les autres, commerçants, industriels et entrepreneurs, tentèrent d’assurer la continuité de leur communauté dans une Tunisie qui se préparait à l’indépendance. Ainsi, dès que l’autonomie interne fut proclamée, ils firent valider les statuts par le gouvernement tunisien112. Cependant, acquis à la culture française, ayant souvent la nationalité française, c’était en France que la majorité des Grecs avaient envoyé leurs enfants poursuivre leurs études supérieures. Ces derniers s’étaient installés en France après leurs études, et c’était ensuite aux parents de les rejoindre. Seule une infime minorité parmi les membres de la communauté était rentrée en Grèce. Enfin quelques cas isolés s’étaient intégrés, par le mariage, avec les musulmans113.

Aujourd’hui, seules les trois églises de Tunis114, de Sfax115 et de Djerba116continuent de rappeler le passé d’une communauté grecque dont les membres avaient entamé leur présence au XVIIe siècle, à Tunis et dans d’autres villes côtières, comme faisant partie du système du Milletottoman, mais au terme de trois siècles de contact, d’acculturation et de jeux d’influences, la majorité de ses descendants, avait choisi l’assimilation française, tout en gardant une belle place pour la Tunisie dans leurs mémoires et dans leurs activités professionnelles117. Enfin, il est à rappeler aussi, que beaucoup de produits qui sont, aujourd’hui, partie intégrante de l’art culinaire tunisien, ont été introduits par les Grecs : le raisin sec, les olives salées, les poissons salés, les sirops de tamarins et d’orgeat, les halwas, le rahat-loukoum, le mastic (Kharalam-bis, 1926 : 154)…

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Notes

1  Une première ébauche de cette recherche a été présentée au colloque : La Tunisie et ses étrangers, organisé les 1er et 2 novembre 1996, par le Professeur Mounira Chapoutot-Remadi, à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis. L’actuelle version a été présentée à la 11econférence de l’American Institute of Maghrib Studies (A.I.M.S) qui s’est tenue à Tunis du 28 au 30 mai 1998.

2  Cette première église se trouvait Rue de la Verrerie, à l’intérieur des murailles de la ville, en plein quartier franc ; elle avait fonctionné jusqu’en 1901.

3  L’inscription est gravée en grec et en français : « In memoriam du bataillon sacré grec 1942-1945, combattant pour la libération de sa patrie, il a participé aux combats de Tunisie : Morts, 3 officiers ; Blessés 7 ; Disparus 2 »

4  Archives Nationales de Tunisie (ANT), Série E, C. 503, D. 5 ; Profession de foi datée de 1932, mais non signée, mais il est certain qu’il s’agit d’un document du Secrétariat général du gouvernement tunisien.

5  Il faut noter que, malgré leurs efforts, les Ottomans n’ont pas pu rester les seuls héritiers de Byzance. En effet, certains fidèles vont se diriger vers la Russie, puissance orthodoxe montante, à partir du XVe siècle. Cette dernière va prendre le flambeau de l’orthodoxie et adopter l’aigle bicéphale, symbole de l’hellénisme.

6  De Saint Gervais note qu’à la même époque, la situation meilleure des grecs, par rapport à celle des catholiques. Ces derniers, écrit-il, quoique tolérés : « sont logés dans une maison obscure, qui ressemble à une vraie prison, dont ils payent, cependant, un loyer assez considérable ».

7  Idem. L’auteur affirme l’existence d’un titre déposé aux archives du consulat de Grèce à Tunis où il est indiqué que le nommé Raftopoulos, hellène orthodoxe, originaire du Péloponnèse, obtint, ce terrain, du bey régnant (sic), en reconnaissance des services rendus.

8  Ibidem. Notre auteur remarque que cette église « était coquette, de style byzantin avec coupoles, et dont la décoration intérieure était fort originale ». Au moment de la construction de l’actuelle Eglise en 1898, cette petite chapelle a été complètement démolie et remplacée par un immeuble. C’est sur le mur de ce dernier qu’on trouve raccroché, aujourd’hui, la plaque en marbre portant l’inscription : « Eglise Saint-Georges » en mémoire du lieu de culte qui existait à la rue de la Verrerie et qui fut désaffecté, en 1901, avec l’inauguration de la nouvelle église, de la rue de Rome.

9  L’auteur mentionne que « Les Grecs-orthodoxes possèdent une chapelle dans Tunis, avec deux popes ».

10  Idem.

11  L’auteur signale l’autorisation accordée par Ahmed Bey le 10 janvier 1845 aux catholiques de Tunis pour l’extension de leur église et précise que ce geste s’explique par le désir d’approfondir les bonnes relations qui existaient entre les négociants européens et l’Etat tunisien.

12  Malheureusement cette mesure en faveur des Grecs n’a été signalée que par des sources ultérieures.

13  Ganiage signale le même chiffre sans citer de sources. D’autres part il mentionne que d’après la mission catholique de Tunisie, le chiffre des européens était estimé à 12 000. Les plus nombreux étaient les Maltais avec 7 000 âmes, les Italiens avec environ 4 000 et les Français de 50 à 60 familles.

14  Port de Grèce dans le Péloponnèse, sur la mer Ionienne. La bataille de Navarin a eu lieu le 27 octobre 1827 et s’est achevée par la défaite de la flotte turco-égyptienne par une escadre anglo-franco-russe au cours d’une guerre qui a marqué le début du processus de l’indépendance de la Grèce.

15  R. Ilbert signale (1996 : I, 70) que les Grecs d’Egypte, originaires des régions libérées de la domination ottomane, s’étaient considérés comme hellènes et que « le gouvernement d’Athènes entendait bien élargir ses prétentions à l’ensemble de la population de race grecque ». Au cours des années 1830, le nouvel État grec était représenté en Egypte par Michel Tossiza, un consul très actif et ami personnel de Mohamed Ali.

16  Khaznadar (Mustafa), mamelouk tunisien, d’origine grecque et natif de l’île grecque de Chio vers 1817, mort à Tunis en 1878. Esclave de Hussein Bey (1824-1835). Beau-frère et favoti de Ahmed Bey qui l’éleva aux fonctions de trésorier (khaznadâr), il devait se maintenit pendant plus de trente six ans à un poste ou un autre, au service de cinq beys. (Ganiage, 1968 : 595).

17  Mussalli (Elias), Grec melchite catholique romain, né au Caire en 1829 d’une famille originaire de Syrie, mort à Tunis, en 1892. Entré en 1847 au service du bey, comme second, puis premier interprète en 1854 ; sous-directeur au ministère des Affaires étrangères en 1860, il devait conserver ces fonctions jusqu’en 1872 (Ganiage, 1968 : 593).

18  A.N.T. Série H. C. 252 D. 694. Lettre, en date 22 août 1833, du consul de France A. Duval, au bey Hassine qui se base sur le traité signé le 8 août 1830 entre la France et le bey pour réclamer l’affranchissement d’une certaine Khédija, grecque d’origine et qui s’est faite protégée française. Cette femme a été réduite à l’esclavage avec son fils depuis 13 ans. Toujours d’après la même lettre, il ressort que le bey a accepté de la libérer mais n’a accepté de la laisser s’embarquer vers le Levant que dans un bateau ottoman et non dans un bateau grec comme elle l’avait demandé.

19  A.N.T, Série H. C. 252 bis, D. 6. Lettre en date du 13 mars 1839 du Consul de France au bey Ahmed dans laquelle il demande la punition du nommé Gorgab (sic) qui a porté un coup de couteau à Michel, un Grec, « protégé Français ».

20  Idem.

21  L’auteur se réfère à une lettre adressée de Tunis, le 15 nov. 1844 par le consul Lagau à Gui-zot (Archives de Affaires étrangères, Quai d’Orsay C. C. Tunis 54).

22  A.N.T. Série H. C. 252 bis, D. 1 ; l’affaire du Grec Bazil, protégé anglais, qui demande d’être acquitté de la dette qu’il a accordée à Hajj Muhammad b. Ahmad au mois de Rajab 1277H. Une autre affaire est évoquée le 10 décembre 1859 par le consul d’Angleterre, elle concerne une dette de 3 000 piastres que doit rembourser Mahmoud Ben Ammar au sieur Papa Costantino, négociant domicilié à Tunis, fondé de pouvoir de Panayotti Théodore, sujet anglais (voir A.N.T. Série H. C. 252 bis D. 1.).

23  A.N.T. Série H. C. 252 bis, D. 5. Dans une lettre date du 21 janvier 1860, adressée par les membres du clergé grec au consul de France Léon Roches, ils écrivent : « Les grecs domiciliés à Tunis, connaissent déjà l’empressement et le zèle avec lequel vous avez toujours défendu leurs intérêts… ».

24  Ben Rejab (Rida), al-sburta wa amn al-hâdira min khilâl wathâiq majlis al-dhabtyya 1861-1864, (La police et la sécurité de la capitale d’après les registres de la préfecture de police), Mémoire pour le C.A.R. (ronéotypé), sous la direction de Abdelhamid Larguèche, Faculté des Sciences Humaines et Sociales, Tunis, 1992.

25  A.N.T. Série H. C. 252 bis, D. 2. Affaire du Grec Nicolas, protégé anglais, accusé d’agression, coups et blessures à l’encontre de soldats de l’armée du bey. Toujours dans la série H. C. 252 bis, D. 7, l’affaire du Grec Andréa accusé d’avoir assassiné le laitier ‘Alî b. Ahmad Bûssen El-Ouarchafânî (Registre de la Zaptié en date du 17 Safar El Khair 1287H).

26  Le terrain en question est situé le long du boulevard de la Marine, il s’étend sur 3 089 mètres carrés. Il était limitrophe du cimetière catholique Saint-Antoine. Par la suite, il a connu des ventes et des aménagements. Seule une partie est restée à la communauté grecque, elle y construira en 1898, la nouvelle Église Saint-Georges et, plus tard, les immeubles ouvrant sur la rue de Naples (actuelle rue Mokhtar Attia) dont il sera question plus loin.

27  A.N.T, Série Historique, C. 252, D. 692/1. Lettre en date 21 février 1878 de Charles Nyssen, Consul général de Russie à Tunis à son homologue, le Consul général de l’Empire d’Allemagne à Tunis où il dresse un rappel des différentes phases de l’acquisition de ce terrain par les Grecs.

28  Idem.

29  A.N.T. Série E, C. 503, D. 5. Un rapport de 8 pages en date du 4 avril 1940, résumant l’historique de la communauté grecque de Tunisie et qui remonte jusqu’à la prise de Byzance par les Turcs en 1453.

30  A.N.T. Série H. C ; 252, D. 692. Lettre en date 17 novembre 1866 envoyée par Seigneur Felice, fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères de la Grèce, aux Grecs de Tunis, en réponse à une lettre que ces derniers lui avaient adressée et dans laquelle ils lui avaient demandé d’envoyer des décorations au bey de Tunis « en signe de reconnaissance pour la bonne attitude qu’il exprimait à leur égard ».

31  A.N.T. Série H. C. 252, D. 692. Lettreen du 28 avril 1867, de Basilio Kostandinis au Premier ministre Mustafa Khaznadar.

32  A.N.T. Série H. C. 252, D. 692. Lettre en date du 20 novembre 1868, de Spiridiov Logiatadios, consul de Grèce à Chio, à son excellence Mustafa, Premier ministre.

33  Idem.

34  Ibidem.

35  A.N.T. Série H, C. 252 bis, D. 3. Lettre en date du 22/06/1868, du consul d’Angleterre Richard Wood, au Premier ministre Mustafa Khaznadar pour défendre les intérêts de Basilio, Grec, protégé anglais, dans une affaire de succession, suite au décès de son associé tunisien, le nommé Slimane El Fray.

36  A.N.T., Série H. C. 252 bis, D. 10. Lettre en date du 8 novembre 1877, de Charles Nys-sen, consul des intérêts russes à Tunis au Premier ministre, l’informant de l’assassinat perpétré sur la personne de Georges Hallaris, Grec, protégé russe, par le nommé Mustafa Ben Has-sen, sujet tunisien. Dans une autre lettre en date du 11 novembre 1879 (probablement après le départ du Premier ministre Kheireddine), le Consul russe confirme « … Qu’en vertu des instructions reçues du Cabinet de Saint-Pétersbourg, le consulat impérial de Russie à Tunis est autorisé à continuer d’accorder la protection aux Grecs » (A.N.T. Série H, C. 252, D. 692).

37  A.N.T. Série H. C. 252, D. 692/2. Lettre du ministère des Affaires étrangères de Grèce au ministre des Affaires étrangères du bey de Tunis dans laquelle il lui indique le nom du consul : Vasiliades.

38  A.N.T Série H, C. 252, D. 692/1. Lettre en date du 16 février 1881, du gérant du consulat hellénique à Tunis au Premier ministre Mustafa Ben Ismaïl. Il s’agit d’une lettre-réponse à un courrier qui a été adressé au consul par le Premier ministre au sujet de la vente de la maison de Basile Camellopoulos, sujet hellène, débiteur du sujet tunisien Sedli (sic).

39  A.N.T Série H. C. 252, D. 692/2. Lettre en date du 28 janvier 1881, du gérant du consulat royal hellénique à Tunis à Mustafa Ben Ismaïl, Premier ministre. Il l’informe que « le gouvernement hellénique vient de nommer, en qualité d’agents consulaires de Grèce, le sieur Vito Pellegrino à Biserte (sic), le sieur Philippe Rosso à Souse (sic) et Antoine Rosso à Monastier (sic) ».

40  A.N.T. Série H. C. 252, D. 692/1. Lettre en date 2 mars 1881, du gérant du consulat hellénique au Premier ministre Mustafa Ben Ismaïl de l’affaire de Denis Sotirpoulos sujet hellène et propriétaire d’un café à Tunis, grièvement blessé par un sujet tunisien, le nommé Haz Aly Bakkas (sic).

41  A.N.T. Série H. C. 252 bis, D. 10. Lettre en date 31 août 1880 du gérant du consulat hellénique à propos du contentieux d’Elia Manidachi, autrefois sous protection russe, avec l’ex-premier ministre, Mustafa Khaznadar, au sujet d’un terrain sis à la Marine.

42  A.N.T Série H. C. 252, D. 692/1.Lettre en date du 11 septembre 1881, du gérant du consulat hellénique au délégué par intérim à la Résidence de République française à Tunis. Après l’avoir informé du crime perpétré contre son administré, il lui demande de « faire auprès du gouvernement tunisien les démarches nécessaires afin que de sévères mesures soient prises à l’effet de découvrir les coupables et indemniser en même temps les parents de la victime ».

43  A.N.T, Série H. C. 252, D. 693/6. Lettre en date du 6 avril 1883, de l’Agent consulaire grec, au Résident général Paul Cambon.

44  A.N.T, Série H. C. 252, D. 693/9. Lettre en date du 8 août 1883, de l’Agent consulaire grec, au Chargé d’affaires de la République française, le Baron d’Estournelles.

45  A.N.T, Série H. C. 252, D. 693/8. Lettre en date 27 juillet 1885, du secrétaire général du gouvernement tunisien au consul de Grèce. Il l’informe de son refus d’agréer la nomination d’un troisième courtier à l’Agence consulaire de Djerba. Voir également, A.N.T, Série H. C. 252, D. 693/10. Lettre en date du 19 avril 1889, du vice-consul de France à Sousse, au Résident général à Tunis. Il lui suggère de refuser la nomination de Frej b. El-Hadjj Muhammad b. ‘Uthmân, proposé pour l’emploi de courtier de l’Agent consulaire grec à Monastir, car il n’a que 17 ans et n’a pas encore satisfait au service militaire.

46  AG. Journal Officiel Tunisien (J.O.T.), Loi du 9 Moharrem 1306, 15 septembre 1888, sur les associations.

47  A.N.T, Série H. C. 252, D. 693/1. Lettre en date du 20 août 1890, du secrétaire général du gouvernement tunisien au Premier ministre et aux caïds de Bizerte, Djerba, Arad (Gabès), Mahdia, Monastir et Sousse.

48  Idem.

49  Au moment de la signature de ces conventions, la population française de Tunisie ne comptait encore que 16 000 membres contre 50 000 italiens.

50  Un décret du 13 avril 1898 allait réglementer l’établissement des étrangers dans la Régence. Tout étranger qui voulait établir sa résidence en Tunisie ou y exercer une profession, un commerce ou une industrie quelconque, devait dans un délai de cinq jours à partir de son arrivée, faire devant l’autorité de police locale une déclaration de résidence en justifiant de son identité.

51  Archives diplomatiques de Nantes (Fonds de Nantes), Série Tunisie, C. 11, D. 9, (Bobine R 382, Institut Supérieur d’Histoire du Mouvement National, I.S.H.M.N.). Lettre en date du 7/08/1929, du Résident général de France à Tunis au ministre français des Affaires étrangères.

52  Fonds de Nantes, Série Tunisie, C. 11, D. 9 (Bobine R382, I.S.H.M.N.). Lettre en date du 7/08/1929, op. cit. Le Résident général relève que « le Roi des Grecs légifère, en terre de Protectorat français, à l’égard d’un groupe composé à la fois de ses sujets (Grecs libres) et de ceux qu’il aspire à délivrer du joug de l’étranger (non-libres), c’est-à-dire Grecs d’Europe, d’Asie, ou Grecs sujets tunisiens s’il en reste… ». Ilbert (1996 : 68) constate le phénomène en Egypte où le nouvel État grec avait souvent tendance à associer « orthodoxes », « grecs » et « hellènes », alors que le seul vrai point commun de ces populations était le Patriarcat grec-orthodoxe.

53  Sutter (1796-1883), né à Ferrare (Italie), entré dans les ordres en 1816, nommé à Tunis, le 21 mars 1843 (Soumille, 1994 : 197-231).

54  A.N.T Série H. C. 252, D. 692/1. Lettre en date 21 février 1878, de Charles Nyssen, consul de Russie à Tunis, au Chevalier Tulin, Consul général de l’Empire d’Allemagne à Tunis. Le consul Nyssen était au courant des détails de cette transaction, car à l’époque de son accomplissement, le bénéficiaire du terrain le Grec Elia Manidachi, était un protégé russe. De même, cette lettre nous apprend qu’un autre grec, Elias Mussalli, Interprète au Ministère tunisien des affaires étrangères et très proche du Consul français Roustan, qui mena les discussions qui eurent lieu au consulat de Russie et qui aboutirent au rachat de la portion de terrain réclamée par Mgr Sutter pour le compte de l’Église Catholique.

55  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Contrat en date du 19 décembre 1896 entre le Secrétaire du gouvernement tunisien, l’Archevêché de Carthage et le Président de la Colonie hellénique de Tunis.

56  Idem. La somme en question s’élevait à 80 000 francs, elle a été payée par le gouvernement tunisien en quatre termes et ce proportionnellement à l’évolution de l’édification de l’église orthodoxe.

57  Fonds de Nantes, Série Tun., C. 11, D. 9 (Bobine R 382,1.S.H.M.N.). Lettre en date du 7/08/1929, du Résident général de France à Tunis, au ministre des Affaires étrangères à Paris.

58  Idem

59  Ibidem.

60  La dénonciation officielle ne se fera qu’en 1943 ; cependant des pressions indirectes furent exercées sur les ouvriers italiens, de même que le renouvellement des conventions de trois mois en trois mois, rendait plus précaire la situation des Italiens, incitant certains à demander leur naturalisation (Martin, 1993 : 102).

61  Avant 1923, il existait une loi sur la naturalisation (décret du 3 octobre 1910). Comparée au précédent décret, la loi de 1923 était beaucoup moins exigeante en ce qui concernait la connaissance de la langue française et les diplômes puisque le titre universitaire n’était plus de rigueur.

62  À un certain moment, la Grande Bretagne avait même porté cette affaire devant « la cour permanente de justice internationale de La Haye ». Un compromis fut trouvé par la suite entre les deux puissances.

63  Fonds de Nantes, Série Tun., C. 11, D. 9 (Bobine R 382, I.S.H.M.N.). Lettre en date du 7/08/1929, du Résident général de France à Tunis, au ministre des Affaires étrangères à Paris. Le Résident informe le ministre qu’un procès est en cours d’instance devant le tribunal civil de Tunis, en annulation des dernière élections de mai 1928.

64  Idem.

65  Ibidem

66  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D. c (R 382,I.S.H.M.N.). Lettre en date du 4 avril 1929, de l’Ambassadeur de Grèce à Paris à André Honorat, Recteur de l’Université de Paris. L’ambassadeur de Grèce à Paris, mis au courant de l’importance de ce patrimoine, composé des loyers des immeubles et des magasins qui sont la propriété de la communauté de Tunis, demande au ministère français des Affaires étrangères la possibilité d’aliéner le produit de quelques-uns pour achever la construction de la maison de Grèce à la Cité Universitaire Internationale de Paris.

67  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D. c (R 382,I.S.H.M.N.). Lettre en date du 22 février 1930, du directeur de la Sûreté publique au Directeur général de l’Intérieur. La lettre donne les noms des trois anciens membres du bureau : Dimitri Couyotopoulo, limonadier, au 7 rue de Rome, J. Carmanis, pâtissier, rue de l’Eglise, E. Dzivas, épicier à la rue des Glacières.

68  Idem

69  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D. c (R 382,I.S.H.M.N.). Pétition en date du 3 juin 1930, adressée par 29 Grecs au Résident général de France en Tunisie.

70  Idem. Les signataires ont précisé que ce terrain fut acheté en 1890 par des fonds provenant d’une souscription des membres de la communauté, achat fait dans un but exclusifs savoir l’aménagement d’un cimetière.

71  Ibidem.

72  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D. c, (R 382, I.S.H.M.N.). Lettre-réponse en date du 21 août 1930, adressée par le Résident général à M. A. Saganakis, interprète et expert près du Tribunal de Tunis, qui semble être le porte-parole des pétitionnaires.

73  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D.2 (R 382, I.S.H.M.N.). Télégramme en date du 16 juillet 1931, du ministre français des Affaires étrangères au Résidenr général. Dans ce message, il le met au courant que l’Ambassadeur de Grèce à Paris l’a informé que le Patriarche d’Alexandrie arriverait à Sfax, venant de Tripolitaine, vers le 25 juillet 1931 et se rendrait ensuite à Tunis où il recevrait les délégués des communautés grecques d’Algérie et du Maroc.

74  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D. 2, (R 382,I.S.H.M.N.). Rapport en date du 29 juillet 1931, adressé par le Résident général au ministre de Affaires étrangères. Outre la description des cérémonies du Patriarche, le Résident informe qu’il a reçu la visite du Patriarche le 27 juillet et que ce dernier était accompagné du Consul de Grèce et de l’Archimandrite Rosemaris.

75  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Rapport du Directeur général de l’Intérieur sur le voyage du Patriarche, adressé au Résident général. Les mêmes informations se trouvent au Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D.2, (R 382,I.S.H.M.N.). Lettre en date du 7 août 1931, du Directeur général de l’Intérieur au Résident général.

76  Idem

77  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Nomination de l’Archimandrite Anthimos (texte paru en langue grecque le 4 août 1931 et en langue française le 11 août 1931). Dans ce texte le Patriarche donne mandat de « faire tout ce qui est nécessaire pour ramener la paix au sein de la communauté ».

78  Le Patriarche fait allusion ici au fait que la communauté de Tunis a cherché à se faire légitimer en 1888 par le roi de Grèce, et non par le Patriarcat d’Alexandrie, comme ce fut le cas depuis le XVIIe siècle.

79  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2, (R 382, in I.S.H.M.N.). Lettre en date du 6 août 1931, du Patriarche d’Alexandrie et de toute l’Afrique Melitios II au Résident général de France en Tunisie.

80  Idem.

81  Ibidem.

82  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Noteen date du 7 octobre 1931, du Secrétariat général du gouvernement tunisien. Voir également Kharalambis, 1926 ; Dessort (C.-H-Roger) : 155. L’auteur rapporte que, selon la tradition véhiculée par les Grecs de Tunis, « L’église fut placée dans le giron du Patriarcat Œcuménique d’Alexandrie d’Egypte dont le dernier représentant, dit-on, quitta Tunis en 1853 ».

83  L’arrêté en question a été promulgué le 20 février, sa publication officielle au J.O.T. date 27 février 1932.

84  J.O.T. du 27 février 1932. Arrêté Au Premier ministre du 20 février 1932. La commission de 7 membres est composée de : Charissiadis (Théodore), Couvopoulos (Constantin), Couyotoupoulos (Lycurgue), Pachis (Dr Evangelos), Rosmaris (Archimandrite Anthimos), Siganaki (Alfred), Tso-nides (Paul).

85  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382, I.S.H.M.N.). Télégramme en date du 25 février 1932 du M.A.E. au Résident général. Il l’informe de la décision prise par le synode de l’Église grecque : le titulaire de cet évêché sera Mgr Catsarakis, qui résidera alternativement à Tunis et à Casablanca. Voir également, Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382, in I.S.H.M.N.). Lettre d’introduction en date du 29 février 1932, de la part de la légation de la République française en Egypte, au Résident général de France en Tunisie.

86  Fonds de Nanres, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382,I.S.H.M.N.). Lettre en date du 7 mars 1932 du Patriarche d’Alexandrie au Résident général Mancéron. Il l’informe que Mgr Constantin Catsarakis, « délégué par notre Église pour l’administration de ses fidèles en Tunisie, Algérie et Maroc », aura sa résidence à Tunis.

87  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2, (R 382,I.S.H.M.N.). Note en date du 25 avril 1932 du Directeur général de l’Intérieur, au Résident général.

88  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382, I.S.H.M.N.). Rapport en date du 7 avril 1932 du contrôleur civil de Sfax, au Résident général. Le rapport décrit les différentes activités du Métropolite qui a séjourné à Sfax du 1er au 6 avril.

89  Dépêche Tunisienne, 9 avril 1932. Elle donne une brève information sur la rencontre qui a eu lieu le la veille, 8 avril.

90  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Procès verbalen date du 31 mai 1932, de l’Assemblée générale des membres de la communauté orthodoxe de Tunis, qui a eu lieu le 29 mai 1932.

91  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382,I.S.H.M.N.). Rapport en date du 6 juin 1932, du Directeur général de l’Intérieur, au Résident général.

92  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre en date du 27 mai 1932, de Th. Carciadis, membre du Bureau provisoire de la communauté grecque, au Directeur général de l’Intérieur

93  A.N.T, Série E, C. 503, D. 5, Profession de Foi, datée de 1932 et qui retrace sommairement l’historique de la communauté grecque de Tunisie. Le texte n’est pas signé, il est probable qu’il fut rédigé par un fonctionnaire du Secrétariat général du gouvernement tunisien. À ptopos de la nationalité égyptienne des patriarches orthodoxes, voir également Ilbert (1996 : 613), « dès 1926, date de la loi sur la nationalité égyptienne, mais aussi de la mort de Mgr Photios II (1899-1926), le gouvernement égyptien tint à rappeler les règles fondamentales de la communauté. Le patriarche devait être ou devenir Égyptien, il devait être investi par le gouvernement local… C’est ainsi que Meltios II (1926-1935) dut renoncer à la nationalité grecque… »

94  Idem

95  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Procès verbal en date du 31 mai 1932. Le procès évoque deux objections qui ont été faites au cours de cette assemblée : La première, de Djivas Eustache, au sujet de la légalité de l’Assemblée générale (après refus de l’objection, il se retira). Quant à Théodore Cariciadis, il se retira sans aucun motif.

96  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382,I.S.H.M.N.), Note du Directeur général de l’Intérieur en date du 9 juin 1932. Ce responsable écrit que les statuts vont être étudiés, mais qu’ils ne seront approuvés que moyennant certaines satisfactions et garanties à obtenir du patriarche d’Alexandrie. Quant à la visite au bey, Mgr Katzarakis n’a pas à la faire actuellement puisque la question de sa reconnaissance officielle n’est pas résolue.

97  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre de démission en date du 27 août 1932 des quatre membres adressée au Directeur général de l’Intérieur. Il s’agit de Caciadis Théodore, Couvopolo Constantin, Pachis Evangelos et Siganaki Alfred.

98  Nous avons pu nous assurer de ce fait en regardant la nationalité de chacun des signataires, qui a été mentionnée dans la pétition signalée plus haut et qui a été remise au Résident général le 3 juin 1930.

99  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre de démission en date du 27 août 1932. Ils déclarent : « Nous n’avons pas réussi à persuader nos ministres du culte d’abandonner leurs prétentions injustifiées au sujet de l’avenir de notre communauté. Ils cherchent à nous imposer des statuts moyenâgeux, inadmissibles à notre époque ».

100  Idem.

101  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Note rédigée au mois de décembre 1932 par Charles Saumagne, à l’époque Contrôleur général des Affaires indigènes auprès du Secrétaire général du gouvernement.

102 ./. O. T. du 28 décembre 1932. Cet arrêté a été promulgué alors que l’archevêque Catzarakis était en déplacement en Egypte. Il était parti le 3 décembre pour participer aux travaux du Saint Synode.

103  Idem. La présidence du comité a été confiée à son doyen. Le comité a été chargé de la poursuite de l’élaboration des statuts et la gestion du comité qui prit fin le 1er mars 1933.

104  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Aide Mémoire en date du 2 décembre 1932, envoyé à l’archevêque (orthodoxe) de Carthage par le Directeur général de l’Intérieur.

105  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre en date du 23 septembre 1938, de Jean Manzuni à Charles Saumagne, Directeur de l’Administration générale et communale.

106  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre en date du 7 février 1939. De Georges Lalakis, qui se présente comme Français d’origine grecque, à Charles Saumagne.

107  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Rapport d’activité de la communauté grecque en date du 19 avril 1939. La réouverture a été solennellement célébrée le 6 mars 1938. À côté du nouveau desservant de l’église Mgr Dimitrios Langouvardos, ont assisté Georges Koumoussis, de l’église de Sfax et Mgr l’archiprêtre Constantin Michalowski, de l’église russe de Tunis.

108  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Rapport d’activité de la communauté grecque de Tunis, en date du 23 avril 1938, brochure de 16 pages. À propos du nouveau desservant le Président écrit : « l’Archimandrite Lancouvardos, qui arrive de Casablanca, n’est pas un inconnu, il a desservi la communauté de Sfax durant 18 années consécutives, il y a laissé le meilleur souvenir ».

109  Idem.

110  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre en date du 23 septembre 1937, du directeur de l’Administration générale et communale au Secrétaire général du gouvernement tunisien.

111  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre en date du 18 avril 1939, du Président de la communauté, au Directeur de l’Administration générale et communale. Il lui demande clairement « s’il doit convoquer cette assemblée ou surseoir en attendant que les absents mobilisés puissent prendre part aux élections ».

112  C’est le cas des Grecs de Sfax qui, dès le 25 mars 1955, déposèrent de nouveaux statuts au gouvernement Ben Ammar, qui l’autorisa par un arrêté en date du 18 juillet 1955. Cette association a été actualisée par Jean Arfaras, dernier président de la communauté, au cours de la dernière assemblée qui a eu lieu à Sfax le 17 novembre 1985. (C’est M. Arfaras qui nous a remis une copie des statuts).

113  Le meilleur exemple est l’actrice de cinéma Hélène Katzaras, née dans la communauté grecque de Djerba et mariée à un Tunisien musulman.

114  Seule l’église Saint Georges, sise au 5 rue de Rome à Tunis, demeure ouverte au public.

115  Jusqu’à la fin de 1996, c’est Jean Arfaras qui s’occupait de l’église « Les trois Hiérarques » construite vers 1892 et située au centre du quartier européen de la ville de Sfax. Au début de l’année 1998, j’ai appris par l’ambassade de Grèce à Tunis que Mr Arfaras est rentré définitivement en Grèce. Le 31 octobre 1996, j’ai enregistré avec lui un entretien, conservé à l’Unité d’Histoire Orale de l’Institut Supérieur d’Histoire du Mouvement National. Mr Arfaras est né en 1920, il a passé toute sa vie à Sfax, il garde jalousement une photo de groupe de la visite du Patriarche d’Alexandrie à Sfax au mois de juillet 1931. Dans cet entretien, il avait affirmé que, malgré la mort de sa femme et le retour de son fils à Athènes, il pense continuer à vivre à Sfax !

116  L’église grecque de l’Ile des « lotophages » est située en face du porr de Houmt-Souk, elle se trouve aujourd’hui dans le jardin de la villa d’une femme tunisienne qui s’appelle M’barka Bent Nacer Ben Aoun, elle est la veuve de Christos Mavrothalassitis, l’un des derniers Grecs de Djerba, mais qui avait la nationalité française. Cette femme fait de temps à autre des travaux d’enrretien pour sauvegarder une église qui n’a plus de fidèles.

117  Je cite le cas de mon ami et collègue Jacques Alexandroupolos, petit fils d’Alexandre Alexan-droupoulos qui fut coopté en décembre 1932 comme membre de la commission de conciliation ; il est actuellement professeur d’histoire à l’Université de Toulouse le Mirail. Il participe souvent aux fouilles archéologiques en Tunisie et ne rate aucune occasion pour développer les échanges entre son université toulousaine et ses collègues des universités tunisiennes. À ce titre il a été l’organisateur, conjointement avec son collègue Patrick Cabanel, du colloque international de Toulouse (14-17 janvier 1997), La Mosaïque Tunisie, diasporas, cosmopolitisme, archéologies de l’identité.

 

Pour citer cet article

Référence électronique

Habib Kazdaghli, « Communautés méditerranéennes de Tunisie. Les Grecs de Tunisie : du Millet-i-rum à l’assimilation française (XVIIe-XXesiècles) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 95-98 | avril 2002, mis en ligne le 12 mai 2009, consulté le 15 avril 2013. URL : http://remmm.revues.org/243

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Auteur

Habib Kazdaghli

Université de Tunis-Manouba.

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Façade de l’église orthodoxe Saint-Georges

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Communautés méditerranéennes de Tunisie. Les Grecs de Tunisie

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95-98 | avril 2002
Débats intellectuels au Moyen-Orient dans l’entre-deux-guerres

I. Études libres

Communautés méditerranéennes de Tunisie.

Les Grecs de Tunisie : du Millet-i-rum à l’assimilation française (XVIIe-XXe siècles)1

Habib Kazdaghli

p. 449-476

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pour une meilleure lecture, vous pouvez télécharger les Notes pour Communautés méditerranéennes de Tunisie Grecs de Tunisie

Plan

  • Aux origines de la présence des Grecs en Tunisie : des membres du Millet i-Rum (XVIIe-XIXe siècles)
  • De membres du Millet i-Rum à celui de protégés des Consuls européens (1830-1880)
  • Les Grecs sous la protection du Consulat Hellénique à Tunis : comment avoir sa part du gâteau (1880-1898) ?
  • Une communauté loin des regards : de 1898 à 1923
  • Les années charnières de la communauté grecque de Tunisie (1923-1933)
  • Le voyage du Patriarche d’Alexandrie Meltios II en Tunisie
  • Prolongement du voyage du Patriarche d’Alexandrie : la nomination d’un évêque orthodoxe pour l’Afrique du Nord
  • La contre-offensive des Grecs « francisés » pour la reprise en main de la direction de la communauté
  • La perte d’identité et la francisation progressive de la communauté (1933-1960)

 

Texte intégral

Au numéro 5 de la rue de Rome à Tunis, se dresse toujours une église de style byzantin qui rappelle l’existence d’une communauté grecque, qui a presque entièrement disparu aujourd’hui. Ce fut et reste un lieu de culte, bien entretenu et dirigé par un évêque grec-orthodoxe, originaire d’Egypte. Ce dernier reçoit chaleureusement ses visiteurs, il se présente sous son nom grec Irénos et se plaît à le traduire en arabe avec un accent égyptien sous le vocable d’Abou-Salama. Il évoque son affiliation à l’Eglise grecque-orthodoxe d’Alexandrie et d’Afrique et fait remarquer, qu’à ce titre, il s’occupe en même temps des fidèles de cette Église depuis Dar es-Salâm, au Kenya, jusqu’à Casablanca au Maroc. Il réserve à chacune de ces petites communautés quelques semaines par an. Il a été nommé à Tunis par le patriarche d’Alexandrie. Lorsqu’il est à Tunis, il préside la messe tous les dimanches et reçoit quotidiennement les visiteurs et curieux, qui imaginent mal aujourd’hui que les Grecs aient eu en Tunisie une présence aussi longue.

Au début de la visite, il se plaît à montrer une plaque en marbre encastrée dans le mur de l’immeuble qui se dresse sur le côté gauche du jardin ; elle porte une inscription en grec qui rappelle que la première église Saint-Georges fut construite par les Grecs de Tunis en 18472 avant de préciser que l’installation du premier noyau grec dans la Régence remonte au XVIIe siècle, lequel groupe a été reconnu par le Patriarche d’Alexandrie en 1645. Au côté droit du jardin s’élève un monument, beaucoup plus récent, sur lequel est gravée une liste des Grecs de Tunisie morts pour la libération de la France au cours de la seconde guerre mondiale3. Ces deux symboles de la mémoire résument bien tout l’itinéraire et le destin de cette communauté méditerranéenne et illustrent les mutations identitaires subies par les Grecs tout au long de leur présence en Tunisie.

Aux origines de la présence des Grecs en Tunisie : des membres du Millet i-Rum (XVIIe-XIXe siècles)

Les migrations grecques de l’époque moderne sont la conséquence de la conquête ottomane au XVe siècle et de sa poursuite pendant les deux siècles suivants avec l’occupation de Chypre en 1571 et de la Crète en 1669. À la domination étrangère, vont s’ajouter les facteurs économiques et démographiques ayant provoqué un déséquilibre entre les ressources naturelles et les effectifs humains dans les îles de la Mer d’Egée, ainsi que dans la Grèce actuelle.

Les pays d’accueil des Grecs furent surtout européens tels les États italiens, l’Autriche-Hongrie mais aussi la Russie, la Pologne, l’Allemagne. Les autres Grecs, ceux qui étaient restés aussi bien dans les Balkans que dans les provinces musulmanes de l’Empire ottoman, l’Egypte, la Tripolitaine et la Régence de Tunis, feront partie du millet grec-orthodoxe. En effet, le terme millet, au départ, désignait une confession, une communauté religieuse y compris lorsqu’il s’agissait de musulmans. Au temps de l’Empire ottoman, ce mot a connu une évolution sémantique pour devenir un terme technique et a fini par désigner « les groupes religieux antérieurement autonomes au sein de l’Empire tel que les Juifs, les Arméniens, les Grecs-orthodoxes ou Millet i-Rum » (Troupeau, 1990 : VII, 61). Accepté en tant que tel par le pouvoir central, ce terme va donner droit à la protection et à un même traitement, aux membres du Millet à travers tout l’Empire.

Le statut de membre du Millet, ainsi défini, apparaît supérieur à celui qu’accordaient les capitulations, précisant les privilèges des chrétiens établis dans les provinces de l’Empire, considérés comme « étrangers » (Soumille, 1988 : 229-239). En effet, parmi les non-musulmans qui restèrent au sein de l’Empire ottoman, la situation des grecs-orthodoxes ne fut pas difficile à supporter car ils avaient bénéficié de la qualité de second peuple de l’Empire et surtout d’une certaine autonomie au niveau de la gestion de la communauté (Kitsikis, 1985 : VIII, 1002). D’après un document émanant de l’Église grecque-orthodoxe d’Alexandrie : « C’est le Patriarche Ionnikios qui avait décidé en 1645 d’en-voyer un Pope à Tunis et que les Grecs de cette ville devaient lui payer, à cette époque, trois cents piastres par an »4. Ainsi, il semble que la petite communauté grecque-orthodoxe de Tunis avait été dirigée par un pope dépendant du patriarche d’Alexandrie, ce dernier étant lui-même placé sous l’autorité du Grand Patriarche d’Istanbul (Constantinople). Conformément aux dispositions des firman-s de la Sublime Porte, tout chrétien orthodoxe fut assimilé, par la volonté du sultan, au millet grec-orthodoxe, dont le chef, le Patriarche grec-orthodoxe, se trouvait à côté de ce dernier, à Istanbul5. Le sultan reconnaissait au Patriarche certains privilèges administratifs sur ses fidèles, même lorsqu’ils étaient dans les « provinces » de l’Empire.

Les quelques centaines de Grecs de la Régence de Tunis, établis depuis le XVIIe siècle, semblent avoir connu une situation privilégiée. En effet, les migrations grecques, à cette époque, étaient surtout le fait de familles aisées venues de Thessalie, de Macédoine, de Crète, de Chypre et d’autres petites îles de la mer d’Egée. Tous ces territoires faisaient partie intégrante de l’Empire ottoman. Ces Grecs s’adonnaient surtout au négoce entre Tunis et les divers ports de la Méditerranée orientale. Plus tard, d’autres occuperont des rôles dans l’ad-ministration et dans l’armée beylicale. De par leur rôle économique et leur statut ethno-confessionnel, ils avaient des rapports privilégiés avec les gouverneurs de la Régence. C’est ainsi qu’ils avaient pu exercer, sans difficulté, leur culte en tant que sujet (raîyd) du Sultan.

Cette communauté, dont le nombre n’a jamais dépassé quelques centaines de personnes, était bien visible au début du XVIIe siècle. Boyer de Saint Gervais, consul de France à Tunis de 1729 à 1734, notait déjà dans ses mémoires que : « Les Grecs ont une église où le service se fait tout à la grecque »6. Cette première église se trouvait dans le quartier franc, dans la partie basse de la ville de Tunis. D’après une tradition transmise par les Grecs de Tunis, elle aurait été placée sous le vocable de Saint-Georges et se trouvait rue de la Verrerie ; elle ne fut désaffectée qu’en 1901 (Kharalambis, 1926 : 153). En plus de ce lieu de culte, il semble que les Grecs aient reçu d’un des beys de Tunis la cessation, en toute propriété, d’un vaste terrain situé à l’extérieur des murailles de la ville pour servir de cimetière7. Sur ce terrain, ils devaient édifier une petite chapelle portant le nom Saint-Antoine8. L’existence d’un lieu de culte grec intra muros et d’un cimetière extra muros sont confirmées par le voyageur genevois Henry Dunant (1975 : 233)9, qui visita la Tunisie en 1856, juste une année après la mort d’Ahmed Bey. En effet, le règne de ce bey (1837-1855), fut marqué par plusieurs initiatives qui furent interprétées par les observateurs européens de l’époque comme le produit d’un esprit animé par une « grande tolérance »10. À cela, il faut ajouter les arguments avancés par Ibn Abi Dhiaf, témoin de l’époque et qui faisait partie de l’entourage du bey. En effet, cet auteur averti, avait vu dans cette politique en faveur des chrétiens l’expression d’un pragmatisme qui tient compte avant tout des intérêts économiques de la régence (Ibn Abi Dhyaf, éd. 1988 : IV, 89)11. En même temps, il faut ajouter que de pareilles mesures prises en faveur des chrétiens installés à Tunis, furent souvent le résultat de réclamations répétées de la part des représentants des puissances européennes (Chater, 1984 : 524). Cependant, nous excluons que le geste pris par Ahmed Bey, en faveur des Grecs en 184012, soit le résultat d’une quelconque pression étrangère. Car, pour le cas des Grecs dont le nombre ne dépassait guère, selon les témoins de l’époque, les deux cent cinquante personnes (Dunant, 1975 : 233 ; Ganiage, 1968 : 41)13, il s’agissait beaucoup plus d’un acte en faveur d’un groupe confessionnel endogène et non étranger. Mais il semble que ce geste était venu dans une conjoncture où les Grecs avaient déjà entamé, depuis un moment, le processus de leur détachement du système du Millet ottoman. Désormais, c’est auprès des consuls des puissances occidentales accrédités à Tunis que leurs regards vont s’orienter, pour chercher protection.

De membres du Millet i-Rum à celui de protégés des Consuls européens (1830-1880)

Faisant suite à la défaite de Mohamed Ali d’Egypte dans la Bataille de Navarin14 et à la guerre russo-turque (1828-1829), un Etat grec indépendant va naître, sur une petite partie de la péninsule, ne dépassant pas les limites de la Morée et se réclamant de la nationalité hellénique. Ce nouvel État fut vite placé sous la protection des puissances européennes et particulièrement de l’Angleterre (Traité de Londres 1830) et fut reconnu par la Sublime Porte par le traité de 1832.

Même si la création de cet Etat national hellénique ne concernait qu’une partie exiguë du territoire, ne comprenant qu’une petite fraction de la « nation grecque », cette nouvelle situation, eut des répercussions sur les Grecs de Tunis et des autres provinces ottomanes15. Mais les autorités beylicales, comme nous l’avons signalé plus haut, refusèrent de considérer les Grecs établis dans la Régence comme des ressortissants d’un quelconque Etat indépendant. Durant plus de trois siècles et jusqu’en 1827, les Grecs avaient été groupés en millet ex relevaient d’un cadi ou d’un shaykh. Le dernier qui assuma cette charge fut Theodoras Tsetses (Dessort, 1926 : 153). Même après cette date, les beys continuèrent à refuser d’accorder une représentation consulaire au nouvel Etat.

Au milieu du XIXe siècle, malgré l’arrêt définitif de la course, la cour des beys de Tunis comptait toujours un nombre important de convertis (renégats) et de mamelouks dont ceux d’origine grecque. Certains occupaient des hautes charges dans l’Etat ; les cas les plus connus sont le Premier ministre Mustafa Khaznadar16 qui aida les Grecs de Tunis à acquérir une seconde donation beylicale, comme nous le verrons plus loin et Elias Mussali17 qui avait commencé, son ascension à cette époque, mais sans être pour autant ni mamelouk, ni converti. Mais beaucoup parmi les Grecs de la petite communauté orthodoxe de Tunis avaient déjà la pensée ailleurs.

En effet, ces derniers seront de plus en plus sensibles à la nouvelle conjoncture méditerranéenne. Ils vont essayer de tirer le maximum de profit des interventions des représentants des puissances européennes dans les affaires intérieures de la Régence, pour accéder au statut de protégés d’un des consuls européens établis à Tunis. La quête de la protection européenne commence à être signalée dès 1829. Au cours de cette année, marquée par la proclamation de l’indépendance de la Grèce, les Grecs qui avaient désiré retourner dans leur pays s’adressèrent au consul de France, M. de Lesseps, pour demander son intervention auprès du bey Hassine en vue l’obtention du teskera, ou passeport, leur permettant de quitter le pays. Pour les uns, il s’agissait avant tout de s’affranchir de l’esclavage et de retrouver une liberté perdue18. Pour d’autres, la recherche de la protection des consuls était un moyen pour exiger, en guise de revanche, le châtiment d’un sujet du bey ayant agressé un Grec19. Dans la même requête qui était présentée au bey par le consul de France, ce dernier profitait de l’occasion pour s’exprimer au nom de tous les Européens installés à Tunis et demander « l’établissement définitif dans le quartier franc d’un corps de garde devenu indispensable à la sûreté des Européens, journellement menacés »20. En 1844, le consul de France Lagau, exigea un châtiment exemplaire pour l’assassin du grec Dimitri, protégé français, par un Tunisien. L’assassin fut jugé, condamné à mort et exécuté dans les quarante huit heures (Chater, 1984 : 522)21. Un autre sujet de litige, qui va pousser les Grecs à rechercher la protection des consuls européens, est l’acquittement des dettes22 contractées envers eux par des Tunisiens. Ces litiges nous renseignent sur l’état de richesse de ces Grecs — même si nous restons sur notre faim, à propos des sommes en question —, sur la place réelle occupée par les créanciers grecs dans l’économie de la Régence et sur le type de relations qu’ils entretenaient avec la population autochtone. En effet, les documents consulaires ne retiennent que les contentieux que les consuls s’empressaient23 d’exploiter pour appuyer leurs propres revendications. Mais il faut préciser que les Grecs n’étaient pas toujours des victimes innocentes. Les registres de la préfecture de police de la ville de Tunis la Zaptié24, qui fut créé en 1861, nous renseignent sur des cas d’agressions meurtrières perpétrées sur des sujets du bey, par des Grecs25.

Même si les archives de police nous font apparaître les relations intercommunautaires, entre Grecs et autochtones, le plus souvent sous un prisme conflictuel et chaotique, il est à signaler, en revanche, que les autorités beylicales continuent à accorder aux Grecs une place privilégiée, surtout lorsqu’il s’agit de dispositions relatives à l’exercice du culte. C’est dans ce contexte qu’un terrain26 fut vendu par enzelkla. fin de 1863 par Mohamed-Sadok Bey (1859-1882), opération faite par l’entremise de son ministre Mustafa Khaznadar. Cette nouvelle acquisition par la communauté grecque de Tunis, se fera sous la forme d’une transaction entre le bey et un représentant des Grecs Elia Manidachi, en vue d’agrandir le cimetière et d’ériger une église orthodoxe27. L’opération relative à ce terrain « fut passée au consulat Impérial de Russie à Tunis »28, car le nommé Elia Manidachi, était à l’époque, protégé russe :

« La majorité des Grecs tunisois invoqua la protection consulaire russe à cause de la communauté de religion et aussi de la grande influence exercée sur l’esprit du bey par le consul de Russie Charles Nyssen. Ce dernier exerça les fonctions de consul de Russie pendant 60 années consécutives et mourut à Tunis en 1886 » (Khara-lambis,1926 : 153).

L’objectif de cet acte était de :

« les autoriser (les Grecs) à agrandir leur église ou à élever une construction identique consacrée à l’exercice de leur culte »29.

Mais ce nouveau geste des autorités de la Régence sera la source d’une incompréhension. Par cette dernière cession, le souverain entendait « être agréable » aux yeux des chrétiens de rite grec-orthodoxe, qui continuaient, selon lui, à être des sujets du sultan et non des nationaux hellènes. Cette bonne disposition manifestée à l’égard des Grecs de la Régence semble avoir été interprétée par certains membres de la communauté et par des fonctionnaires du nouvel État hellénique comme des signes encourageants pour relancer la question de l’établissement de relations diplomatiques directes entre Athènes et Tunis.

En effet, c’étaient les Grecs de Tunis qui avaient incité un fonctionnaire du gouvernement d’Athènes à entreprendre de pareilles démarches30. De même, en 1867, la question des décorations, à apporter d’Athènes pour le bey, est évoquée en tant que pression en vue de la récupération par un Grec de Tunis d’une dette évaluée à 15 000 piastres accordée à un sujet tunisien : le fils de Hajj Has-sine Ben Abbâs31. Le créancier grec, Basilio Kostandinis, affirmait vouloir utiliser la somme en question pour se rendre à Athènes et ramener les présents offerts par le Roi de Grèce, Grégoire, au bey de Tunis. En 1868, c’est le consul de l’État grec dans l’île de Chio, Spiridiov Logiatadios, d’où était originaire le Premier ministre tunisien, Mustafa Khaznadar, qui avait pris l’initiative d’écrire à ce dernier pour lui rappeler la nécessité de l’établissement de relations consulaires entre la Régence de Tunis et le Royaume de Grèce. Dans sa lettre, le consul prenait la précaution d’indiquer qu’il avait pris connaissance de « ses sentiments philhellènes grâce aux recommandations d’un des habitants de Chio le nommé ‘ Michel Coutsoudis »32, lequel avait des relations commerciales avec la régence de Tunis. Il lui avait également écrit qu’il avait cru important de rapporter l’information au gouvernement hellénique à Athènes tout en recommandant qu’une décoration devrait être décernée au bey de Tunis et à son Premier ministre, en signe de reconnaissance pour

« les sentiments philhellènes et le bon accueil qu’il a daigné porter aux intérêts des sujets hellènes qui se trouvent ou se rendent à Tunis »33.

Le consul grec ne laisse pas échapper une occasion de déplorer l’inexistence de traité entre le gouvernement de Tunis et celui d’Athènes ni de rappeler le vif désir exprimé, y compris par les parents du ministre qui vivaient toujours dans l’île, pour

« qu’un traité commercial soit signé respectivement… car c’est en vertu de cet (éventuel) traité que les représentants consulaires pourraient être nommés en les villes et les échelles des deux États… »34.

Ces différentes tentatives pour tisser des liens directs entre Athènes et Tunis ne pouvaient connaître un dénouement heureux dans une conjoncture méditerranéenne marquée par la persistance des tensions et des affrontements entre l’ancienne métropole ottomane et le jeune Etat gtec, lui même souvent intégré dans les diverses stratégies occidentales adoptées par les puissances à l’égard de la Sublime Porte. C’est ainsi que la situation des Grecs de Tunisie a continué à osciller entre la recherche de l’installation d’un consulat capable de les protéger et le recours individuel à la protection des consuls d’Angleterre35, de Russie36et parfois de France. L’ouverture d’un consulat de Grèce à Tunis ne se fera que quelques mois avant l’établissement du Protectorat français en Tunisie, en 1881.

Les Grecs sous la protection du Consulat Hellénique à Tunis : comment avoir sa part du gâteau (1880-1898) ?

Le premier document indiquant l’existence d’un « Consulat Royal Hellénique » à Tunis, ne remonte guère au-delà du mois d’août 1880. Les documents que j’ai pu consulter aux archives ne m’ont pas permis de savoir dans quel contexte ce consulat a été autorisé à entrer en action dans la Régence. La lettre accréditant37 le nouveau consul auprès du bey a été envoyée d’Athènes, le 11 juin 1880. Quant au premier document que nous avons pu consulter et qui atteste implicitement, la reconnaissance par le gouvernement tunisien, de cette mission et de son rôle dans la protection des Grecs, date de février 188138. Cependant, d’après Kharalambis Poulos (1926 : 153), le consulat de Grèce fut créé en 1878 et le premier consul fut M. Iscomacos qui devait présider un Tribunal consulaire qui avait fonctionné jusqu’en 1884. Aux archives nationales, plu-sieurs dossiers confirment l’activité débordante entreprise par cette institution durant les mois qui précédèrent l’entrée des troupes françaises en Tunisie. En effet, dès le mois de janvier 1881, le gérant du consulat allait procéder à la nomination de plusieurs agents consulaires dans les principales villes portuaires de la Régence : Bizerte, Sousse, Monastir39. D’un autre côté, le gérant du consulat devait s’activer pour prendre en charge la défense des Grecs de Tunisie40et prendre la relève, même dans les affaires qui avaient précédé la création du consulat, lorsque ces derniers étaient encore des protégés des consuls des puissances européennes41.

L’établissement du Protectorat français en Tunisie durant l’été 1881 ne semble pas avoir dérangé le gérant du consulat qui s’était vite adapté à la nouvelle situation. Ainsi, pour évoquer l’assassinat d’un Grec âgé de 86 ans, commis le 14 juillet 1881 par « les Arabes » insurgés, le consul s’était directement adressé aux nouvelles autorités fraîchement débarquées en Tunisie42. D’un autre côté comme si de rien n’était, il alla poursuivre l’installation d’agents consulaires dans les villes qui n’en avaient pas été pourvues, telles que Gabès43, Mahdia44, où il nomma respectivement Haï Haded, sujet français, Elia Sitbon, sujet italien. Chaque agent consulaire était secondé le plus souvent par deux courtiers tunisiens, pour lesquels il devait recevoir un accord préalable des autorités centrales. Ces dernières s’étaient donné un droit de regard sur les éventuels candidats à ces postes45. Ce contrôle rigoureux, mené par les autorités du Protectorat à l’encontre des représentations consulaires étrangères, laisse présager les nouvelles dispositions qu’elles n’ont pas tardé à prendre, en vue d’organiser la présence des différentes communautés étrangères établies en Tunisie.

C’est ainsi qu’elles promulguèrent, en septembre 1888, un décret sur les associations46. Mais la communauté grecque ne souscrivit d’une manière claire à cette loi, qu’en 1898. D’un autre côté, en 1890, suite à un accord entre les gouvernements grec et français, une décision fut prise pour la suppression47 des différentes représentations consulaires grecques installées, depuis 1880, dans plusieurs villes portuaires de la Régence. Les différents courtiers tunisiens qui y travaillaient furent appelés à arrêter toute collaboration avec ces agences et à se considérer comme soumis au même régime administratif que le reste de leurs concitoyens48.

Cette démarche s’inscrivit dans le cadre de la mise en place du régime du protectorat qui s’était concrétisée par la suppression des juridictions consulaires en vue de doter le pays d’une nouvelle organisation de la justice. En effet, la loi du 18 avril 1883 vint organiser la justice française en Tunisie. Le décret beylical du 5 mai 1883 stipulait que :

« les nationaux des puissances amies dont les tribunaux consulaires seraient supprimés, deviennent justiciables des tribunaux français dans les mêmes conditions que les Français eux-mêmes » (Mahjoubi, 1977 : 176).

Ces différentes dispositions visaient à assurer l’hégémonie de la France dans la gestion de la Régence et à écarter une éventuelle visée italienne sur la Tunisie.

En effet, la question du déséquilibre démographique en faveur de l’élément italien au sein de la population européenne de Tunisie avait constitué un sujet qui avait longtemps préoccupé les autorités françaises. Celles-ci avaient mis presqu’un demi siècle pour faire basculer la situation démographique en leur faveur. Elles utilisèrent, comme nous le verrons plus loin, les autres Européens et leurs descendants, parmi lesquels nous trouvons les Grecs, pour augmenter le nombre des membres de la colonie française. Mais, au départ, il fallait agir prudemment et essayer de régler par étapes la question de la présence italienne en Tunisie. La première phase fut la signature des conventions franco-italiennes de 1896. Une année auparavant, en 1895, le gouvernement français, agissant au nom du bey, avait dénoncé le traité tuniso-italien de 1868. Par ces nouvelles conventions, l’Italie s’était décidée à reconnaître officiellement l’établissement du Protectorat français en Tunisie. En contrepartie la France reconnaissait le principe de l’égalité de traitement dans l’exercice des droits civils entres Français, Tunisiens et Italiens (Davi, oct. 1996 : 8)49.

De leur côté, les Grecs étaient considérés comme des étrangers50, ils étaient justiciables des tribunaux français, et n’avaient pas la jouissance de droits politiques en Tunisie. En vue de pratiquer leur culte grec-orthodoxe, ils étaient autorisés à former une association cultuelle. Avant même la promulgation officielle en Tunisie de la Loi sur les associations du 15 septembre 1888, les Grecs, de leur côté, avaient soumis leur association aux lois grecques en obtenant du roi Georges Premier un décret en date 7 septembre 1888 qui les définit ainsi :

« La communauté hellénique (qui est) à Tunis, se compose de tous ceux de même origine, libres hellènes ou non (libres) qui en sont des constituants réguliers »51.

Les autorités du protectorat, qui n’avaient pas manqué de relever des incohérences dans cette définition52, s’étaient contentées, dans une première période, de suivre l’évolution de la situation. Cette attitude « tolérante » s’explique par le nombre peu important des Grecs se trouvant en Tunisie. En effet, le dénombrement des étrangers établis en Tunisie, effectué en 1906, n’a recensé que quelques 733 Grecs dans toute la Régence. Les autorités du Protectorat devaient surtout faire face à l’acuité du problème italien. Ainsi, la communauté grecque évoluera dans le cadre du Protectorat, elle saura même tirer profit de sa situation marginale et loin des regards pour accumuler une certaine richesse immobilière.

Une communauté loin des regards : de 1898 à 1923

Étant donnée la position particulière héritée de son statut de millet ottomane, la communauté grecque de Tunisie apparaissait, au début du Protectorat français, dans une situation de privilégiée. Ce qui n’a pas manqué de créer des manifestations de jalousie de la part de l’autre Église chrétienne rivale, l’évêché catholique de Tunisie. En effet, il faut rappeler que la donation par enzel, octroyée aux Grecs de Tunis en 1863, leur avait permis de mettre la main sur un terrain couvrant 3 089 mètres carrés. Une portion du terrain acheté couvrait la façade principale du cimetière catholique qui existait à l’endroit de l’actuelle cathédrale. L’évêque Sutter53, de la mission catholique, avait fait des démarches auprès du Premier ministre tunisien et avait pu obtenir le rachat de cette portion de terrain qui s’étendait sur 1 362 mètres carrés54.

Cependant, l’Église catholique, forte de la situation qu’elle avait conquise en Tunisie suite à l’établissement du Protectorat français, allait, d’une part, commencer à édifier, en 1890, sa grande cathédrale sur les lieux du cimetière chrétien et sur le terrain racheté auprès des Grecs et, d’autre part, leur intenter un procès en 1895. En effet, l’archevêché de Carthage avait contesté à l’Église grecque le droit de construire sur la rue de Rome des magasins et des logements qui auraient masqué l’une des façades de la cathédrale. À cause d’un vice de forme, la démarche auprès du tribunal n’avait pas pu aboutir55. C’est le « gouvernement tunisien » qui vola au secours de la cathédrale et prit à son compte les griefs portés par l’archevêché à l’encontre des Grecs. Dans ces conditions, la colonie grecque se trouva dans l’obligation de procéder à un arrangement à l’amiable. Elle céda les constructions, objet du litige, au gouvernement tunisien, moyennant une somme qu’elle fut obligée d’utiliser pour l’achèvement de la construction de sa propre église56.

Il est probable que ces pressions, exercées par les autorités du Protectorat, ont contribué à contraindre la communauté grecque à régulariser sa situation juridique en conformité avec la loi du 15 septembre 1888, relative aux associations. En fait, c’est seulement en 1898 que ses responsables se décidèrent à soumettre le texte au roi de Grèce57 qui l’approuva par décret, le 3 février 1898. En même temps, ces statuts furent déposés au parquet et au gouvernement tunisien qui leur donna son autorisation, par arrêté du 30 mai 1898. Dans une lettre de mise au point, le Résident général fit remarquer trente ans plus tard que :

« même s’il n’y a pas eu exactitude entre les textes français et les textes grecs, les autorités ont laissé faire vu le nombre limité de la colonie et vu qu’elle n’était effectivement constituée que par des sujets hellènes »58.

La constitution de l’association de la communauté grecque orthodoxe de Tunis a consacré une évolution du statut de ses membres qui se sont érigés, désormais, en groupement cultuel ayant pour mission de gérer des biens liés à la pratique du culte : église, école, aides aux démunis… Cette association est régie par le droit laïc puisqu’elle est dirigée par un bureau élu tous les trois ans. Cependant, ce groupe humain, constitué à son origine sur des bases confessionnelles, va connaître, au fil des années, une certaine évolution. En effet, pendant longtemps, l’identification s’est surtout basée sur une certaine affiliation, plus ou moins réelle, aux patriarches d’Alexandrie et de Constantinople. Ces derniers avaient eux-mêmes accepté, durant des siècles, de faire allégeance aux sultans ottomans. Cependant, le mouvement hellénique et l’indépendance progressive de la Grèce, à partir de 1830, n’ont pas manqué d’avoir leurs répercussions sur l’état d’esprit de la communauté grecque de Tunisie et d’ailleurs, comme nous l’avons vu plus haut. Ainsi, l’identité de cette dernière va évoluer de la base ethno-confessionnelle pour faire intégrer la dimension nationale. Les liens privilégiés qu’elle avait tissés avec le consulat de Grèce, depuis son installation à Tunis, ont été souvent avancés par les autorités françaises de Tunisie, comme une preuve « des tendances irrédentistes »59 au sein de cette communauté.

30Ces différentes mutations ne pouvaient échapper à des autorités pleinement conscientes des dangers d’un cosmopolitisme non contrôlé, surtout au cas il serait mis à profit par une autre puissance européenne, qui chercherait à rivaliser avec la France en Tunisie. Certes, au lendemain de la première guerre mondiale, c’est « du péril italien » et de « l’agitation indigène » qu’il a été souvent question, mais la surveillance a dû concerner tout le monde. En effet, même si ce fut moins spectaculaire qu’en Italie, la Grèce connut au lendemain de la guerre des évolutions politiques successives dont il importerait de voir les prolongements en Tunisie. Cependant, l’événement majeur auquel il faut prêter attention, fut la naturalisation française au sein de la communauté grecque de Tunisie, à la suite des décrets de décembre 1923 qui l’encourageaient.

Les années charnières de la communauté grecque de Tunisie (1923-1933)

  • 60  La dénonciation officielle ne se fera qu’en 1943 ; cependant des pressions indirectes furent exerc (…)

31Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le problème relatif au déséquilibre engendré par la faiblesse en nombre de la colonie française par rapport à celle des Italiens était loin d’être résolu. Le recensement de 1921 n’avait fait que confirmer les appréhensions antérieures des autorités. Le nombre des Italiens était de 84799 alors que celui des Français était de 54476, les Maltais 12 520 et les autres étrangers 12 520. L’appel lancé aux métropolitains pour venir s’installer en Tunisie n’avait pas eu de résultats tangibles, malgré les privilèges et les encouragements qui furent prodigués. En effet, ils pouvaient aspirer à profiter d’avantages et faveurs auxquels les autres Européens ne pouvaient accéder (Kraïem, 1976 : 80). Face à cette situation, deux solutions furent envisagées : d’une part, la dénonciation progressive et de fait60, par la France, des conventions signées avec l’Italie en 1896. L’objectif était de rendre précaire la situation des Italiens de Tunisie et les inciter indirectement à se naturaliser. D’autre part, une loi sur la naturalisation, promulguée le 20 décembre 1923, était destinée à assurer la prépondérance de la colonie française dans la Régence et à contrecarrer la supériorité numérique des ressortissants italiens qui pourrait servir de prétexte pour la concrétisation des convoitises italiennes en Tunisie, depuis l’avènement de Mussolini au pouvoir en 1922 (Mahjoubi, 1982 : 346).

Certes, la nouvelle loi facilitait l’octroi de la nationalité française aux Tunisiens61, mais, surtout, elle la rendait automatique pour toute personne non Tunisienne née en Tunisie de parents qui y étaient eux-mêmes nés. Ainsi, la colonie française va s’ouvrir aux autres étrangers établis en Tunisie, tels que les Maltais, les Grecs et autres Européens, alors que les Italiens vont continuer à être régis officiellement par les conventions de 1896. À vrai dire, les nouvelles dispositions avaient pour but, avant tout, d’accroître, dans l’immédiat, le nombre des Français, par les membres des communautés « intermédiaires » qui pouvaient intégrer la communauté française sans apporter avec eux une charge identitaire marquée, comme c’était le cas des autochtones ou des Italiens.

C’est ainsi que la nouvelle législation a intégré dans la nationalité française la majorité des Maltais, malgré les réserves exprimées par la Grande Bretagne62dont relevait cette colonie. Également, plusieurs dizaines de familles grecques accédèrent automatiquement à la nationalité française. Cette nouvelle donne créa une situation inédite au sein de la communauté qui va entrer irrémédiablement dans une crise d’identité de laquelle elle ne se remettra jamais, malgré les multiples tentatives de réconciliation et de compromis.

Les premiers signes de difficulté vont commencer à apparaître en 1928. En effet, suite aux nombreuses naturalisations consenties par les Grecs,

« les nouveaux éléments (naturalisés) qui constituent désormais la communauté ne peuvent plus s’accommoder aux anciens statuts »63.

D’après le Résident général, la principale raison qui explique ces difficultés, est que l’association cultuelle est devenue, depuis 1918, multinationale puisqu’elle comprend : 32 citoyens hellènes contre 24 français, 2 gréco-albanais et 2 gréco-ottomans64. Toujours d’après le même rapport, les Grecs de Tunis

« ne demeurent unis qu’autour de l’autel orthodoxe et autour du patrimoine foncier dont l’association a hérité »65.

36En effet, l’importance de ce patrimoine va même éveiller des appétits extérieurs qui veulent le rentabiliser dans des œuvres culturelles66. À l’intérieur, la gestion des profits de cette richesse immobilière a été un facteur supplémentaire des tensions qui sont apparues entre les membres de la communauté grecque. La ligne de démarcation, réelle ou fictive, entre les deux groupes, a été la question de la naturalisation.

Après une contestation interne, déclenchée, semble-t-il, suite à l’élection d’un nouveau bureau de l’association au mois de mai 1928, un conflit est apparu au grand jour entre les membres de la communauté. Le dimanche 16 février, à la sortie de la messe, des incidents eurent lieu devant l’église de la rue de Rome, entre les membres du nouveau bureau élu au mois de mai 1928 et trois anciens membres, qui avaient fait partie de tous les bureaux qui s’étaient succédés de 1910 à 192867. Ces derniers avaient reproché aux membres du bureau leur mauvaise gestion des biens de la communauté68.

Quelques mois plus tard, la contestation connut un nouveau rebondissement. Les opposants avaient présenté un recours à l’administration par le biais d’une pétition signée par 29 Grecs, tous membres de la communauté grecque de Tunis et qui fut adressée au Résident général69. Après avoir rappelé les conditions dans lesquelles s’étaient tenues les élections de mai 1928 et les irrégularités commises

« notamment en prétendant éliminer des élections les membres naturalisés français, qui ne furent admis qu’au dernier moment »,les signataires de la pétition avaient relevé 3 faits majeurs qu’ils reprochaient au bureau directeur de la communauté :

La vente d’un vaste terrain de 9 000 mètres carrés70, faisant partie du cimetière grec situé près du quartier de Jeanne d’Arc, moyennant le prix de 16 F le mètre carré, alors que les propriétaires des terrains voisins, déclinent les offres de vente à 80 F, le mètre carré.

La vente à deux Israélites de deux immeubles, sis rue de la Kasbah et rue de la Verrerie, appartenant à la communauté grecque.

D’avoir surélevé une petite construction sise rue de Rome de deux étages et dans l’immeuble de la rue de Naples, d’un étage, au prix de 900 F le mètre carré, alors que le cours de la construction est au maximum entre 650 et 700 F.

Outre les griefs reprochés au bureau, la pétition constitue un document d’une grande valeur historique. En effet, elle nous livre un échantillon représentatif qui nous donne des informations précises sur la situation professionnelle de chaque signataire. C’est ainsi que nous avons relevé l’existence de 9 commerçants, autant de propriétaires industriels et agricoles et de 4 fonctionnaires71. Le même document nous permet également de faire ressortir les mutations des membres de cette communauté par rapport à la question de la naturalisation. En effet, en cette année 1930, sur les 29 signataires, nous en remarquons quinze qui maintenaient toujours la nationalité grecque, alors que les quatorze autres ont désormais la nationalité française.

En effet, cette tendance est confirmée par le Dénombrement de la population civile européenne et indigène de Tunisie, réalisé au mois de mars 1931, et qui fait ressortir une baisse de la population grecque de Tunisie qui tombe à 463 alors qu’elle était de 646 personnes au dénombrement de 1926 et de 683, au recensement du 16 décembre 1906 qui n’avait concerné à l’époque que la population européenne civile de la Tunisie (Bulletin, 1907 : 169). Cette chute du nombre se remarque dans les trois principaux centres urbains qui regroupent la majorité des Grecs. La ville de Sfax où le nombre des Grecs tombe à 224 contre 343 en 1926. La même baisse se constate également dans la ville de Tunis où le nombre de Grecs tombe à 162 alors qu’il était de 187 en 1926.À Djerba, la baisse est encore plus évidente puisque le nombre est tombé à 6 alors qu’il était de 28 en 1926. Le seul facteur qui explique cette baisse du tiers du nombre de la communauté grecque, au cours d’une période aussi courte, est le mouvement de naturalisation. Ce fait confirme le début d’une certaine fracture au niveau de l’identité collective de cette communauté, dont les membres avaient commencé à se définir par rapport à des intérêts matériels, immédiats et futurs, beaucoup plus qu’à une référence ethnique et confessionnelle.

Ainsi il est important de noter que cette mutation sociale va donner lieu à des changements de comportement et à la cristallisation de positions qui ne tardèrent pas à se manifester au sein du cadre associatif, seul espace de rencontre et d’identification des Grecs de Tunisie. La pétition citée plus haut fut le premier signal de ce changement identitaire qui était en train de se dessiner au sein de cette petite communauté. Mais, malgré la sollicitude manifestée par ce groupe contestataire, l’administration coloniale ne s’empressa pas d’intervenir, considérant que l’affaire était d’ordre privé et qu’il appartenait aux signataires de la pétition de porter plainte, s’ils le jugeaient nécessaire, devant les tribunaux compétents72. En réalité, comme nous l’avons vu plus haut, l’affaire était déjà devant les tribunaux et les autorités auraient pu exiger la tenue de l’assemblée générale de l’association à la date prévue – mai 1931 – lorsque le bureau, élu au mois de mai 1928, arriva au terme de son mandat. En ratant cette occasion, ces dernières avaient laissé la voie libre à une intervention extérieure dans les affaires de la communauté grecque de Tunisie. En effet, ce fut le Patriarche d’Alexandrie Meltios II (1926-1935), qui annonça son arrivée au mois de juillet 1931. L’objectif assigné à cette visite était d’essayer d’aider la communauté grecque de Tunis à dépasser ses dissensions et divisions et, en même temps, de faire tout ce qui était possible en vue de regrouper les fidèles autour du patriarcat grec-orthodoxe. Il semble que l’Etat grec n’ait pas été étranger à cette initiative73.

Le voyage du Patriarche d’Alexandrie Meltios II en Tunisie

Le séjour du Patriarche d’Alexandrie en Tunisie avait commencé par deux messes qui furent célébrées à Sfax le 23 juillet et àTunis le 26 juillet 1931. Le Résident général, les autorités militaires et civiles ainsi que le corps consulaire avaient assisté à la cérémonie de Tunis. Au cours de cette messe,

« le Patriarche a prodigué ses conseils à ses fidèles leur recommandant avant tout, de se montrer respectueux des autorités du Protectorat et dignes de la protection que la France leur accorde. Il s’est borné à les inviter à se montrer fidèles à l’Eglise orthodoxe »

À côté des aspects protocolaires, le Patriarche avait consacré l’essentiel de son séjour à surmonter les divergences apparues entre les Grecs de Tunisie et à obtenir la réorganisation légale de la communauté. C’était dans ce but qu’il avait présidé une assemblée générale, le 31 juillet 1931, à laquelle avaient assisté 33 notables grecs75. Cette réunion avait pour but de

« prier Sa Sainteté le Patriarche de nommer un conseil de 6 Epitropes et Ephores extraordinaires sous la présidence du délégué ecclésiastique de sa sainteté le Patriarche »76.

En effet, quelques jours après et avant son retour en Egypte, le Pape et Patriarche d’Alexandrie et d’Afrique, avait procédé à la nomination de l’Archimandrite Anthimos au poste de Président du Conseil extraordinaire de la communauté, conformément au vote de l’assemblée générale du 31 juillet 193177.

Par ses différentes démarches entreprises à Tunis, surtout au terme de son voyage, le Patriarche d’Alexandrie dévoila ses véritables intentions. Ainsi, il condamna la séparation qui s’était faite en 1888, entre le culte qui était devenu du ressort des popes et la gestion des biens de l’Église, confiée à une association dépendante d’Athènes78. Il considéra que ce mode d’organisation, adopté à partir de 1888

« était contraire à l’histoire de l’Eglise grecque de Tunis comme aux conceptions du patriarcat »79.

Il envisagea tout simplement de revenir à une gestion cléricale de

« l’église Saint-Georges qui fonctionnait depuis trois siècles et qui s’est vue rabaissée au rang d’une association civile, soumise à la législation spéciale du décret de 1888 »80.

En un mot, il demande :

« l’abrogation de l’arrêté du 30 mai 1898 et le retour à un fonctionnement conforme aux règles de notre religion »81.

Ainsi, il apparaît clairement que le véritable objectif du voyage du patriarche d’Alexandrie en Tunisie était de profiter de la crise interne de la communauté pour changer le caractère laïc de sa gestion et la mettre sous son regard direct par la cooptation de son délégué religieux comme président de la communauté.

Cette nouvelle situation va pousser les autorités du Protectorat à essayer de reprendre en main le dossier des Grecs de Tunis et surtout de faire barrage au projet du Patriarche qui vise à voir

« la communauté orthodoxe rangée sous sa dépendance directe »82.

Cependant, le tribunal, qui avait entre ses mains le contentieux relatif à la communauté, va encore compliquer les choses pour ceux qui avaient des préoccupations d’ordre public et laïc. Le tribunal, qui avait été déjà saisi, comme nous l’avons vu plus haut, par les opposants au bureau élu en 1928, crut bon de souscrire, lui aussi, aux solutions trouvées le 31 juillet 1931 en présence du Patriarche. Un jugement sur la requête fut prononcé le 30 septembre 1931. Il demandait la publication d’un arrêté qui officialise les nominations faites lors de l’assemblée de juillet en présence du Patriarche83. L’arrêté en question ne parut que le 20 février 1932 ; il stipulait que la communauté serait gérée provisoirement par une commission de 7 membres. Laquelle commission est chargée de procéder à la réforme du statut dans un délai de 6 mois84. Mais, pour assurer un suivi aux décisions prises lors de son voyage, le Patriarche désigna un représentant qui sera dépêché d’Egypte pour veiller sur ses fidèles en Afrique du Nord.

Prolongement du voyage du Patriarche d’Alexandrie : la nomination d’un évêque orthodoxe pour l’Afrique du Nord

Ce regain d’intérêt du Patriarcat d’Alexandrie pour les Grecs-orthodoxes, allait s’illustrer encore mieux, en février 1932, par la nomination d’un évêque orthodoxe pour la Tunisie, l’Algérie et le Maroc85. L’envoyé du Patriarche entendait à la fois exercer des fonctions spirituelles et veiller à l’administration du conseil de la communauté orthodoxe dont la présidence sera de sa compétence86. Ainsi, le nouveau responsable religieux arriva presque au moment de la publication de l’arrêté légitimant les décisions de l’assemblée de juillet 1931. Lors des premiers contacts de l’Évêque, les responsables du Protectorat lui rappelèrent, d’une manière ferme, que la communauté devait être maintenue dans le cadre de la législation tunisienne et du décret sur les associations du 15 septembre 188887.

Dans un premier temps, l’archevêque entendit mener pleinement son rôle de chef spirituel et temporel. Au cours de la première semaine d’avril, il se rendit à Sfax pour présider une messe solennelle dans l’Église de cette ville88 qui regroupait encore en 1932, malgré la baisse constatée plus haut, la plus forte concentration de Grecs du pays. Quelques jours plus tard, il tint à être reçu par le Résident général en sa qualité de chef spirituel des fidèles Grecs-orthodoxes de l’Afrique du Nord et lui remit « la Croix de Saint-Marc, symbole de l’Eglise grecque-orthodoxe d’Alexandrie »89. D’un autre côté, agissant en tant que Président du conseil d’administration de la communauté, Mgr Constantin Catzarakis convoqua une assemblée générale qui se tint le 29 mai 1932, en présence de 39 membres sur les 52, lesquels avaient été inscrits sur la liste ouverte spécialement, 15 jours avant cette date. La réunion avait pour objet d’approuver les nouveaux statuts qui avaient été préparés par le conseil d’administration, conformément à la mission qu’il avait reçue par l’assemblée générale du 31 juillet 193190. Les nouveaux statuts consacraient le point de vue exprimé par le patriarche lors de sa visite en Tunisie. Nous avons vu plus haut comment ce dernier avait refusé toute séparation entre les responsables du culte et ceux qui s’occupent de la gestion des biens de l’Église. Ainsi, d’après les nouveaux statuts présentés par Catzarakis, c’est l’archevêque qui deviendrait président de la communauté91.

Cette proposition ne pouvait être acceptée par l’administration car elle était en contradiction avec la loi sur les associations qui stipule que ces dernières doivent être gérées par des bureaux élus. D’un autre côté, le cumul des deux responsabilités, mettrait les Grecs de Tunisie sous la tutelle directe du patriarche d’Alexandrie, qui aurait géré la communauté par l’intermédiaire de l’archevêque qu’il avait envoyé en Tunisie. Informés du contenu du nouveau projet, quelques membres alertèrent les autorités, avant même la tenue de l’Assemblée qui devait ratifier les projets, considérant qu’il s’agissait de manœuvres qui tendaient « à mettre notre communauté sous le joug du Patriarcat d’Alexandrie… »92 Ce projet comportait également des risques politiques, car les dignitaires de cette Église et le patriarche lui-même, « étaient des sujets de S. M. Fouad Ier »93. C’est ainsi que certains membres de la communauté, en parfaite complicité avec l’administration du Protectorat, déclenchèrent une contre-offensive afin d’éviter ce qu’ils considèrent « comme ingérence du Patriarcat dans notre communauté »94.

La contre-offensive des Grecs « francisés » pour la reprise en main de la direction de la communauté

Une opposition à l’amendement des statuts s’était manifestée, sans grand succès, au cours de l’assemblée générale du 29 mai 193295. De son côté, l’administration, qui avait été mise au courant du contenu du nouveau projet de statut, allait commencer à mettre des freins pour empêcher sa concrétisation96. Cependant, ce fut vers la fin du mois d’août 1932 que la contestation arriva à s’organiser et à marquer un point ; il est difficile de ne pas y deviner la main des autorités du Protectorat. En effet, le 27 août, quatre membres97 du bureau provisoire, tous naturalisés Français mais d’origine grecque98, donnèrent leur démission. Outre les objections qu’ils firent aux autres membres du bureau,99 par leur coup de force « démocratique », les démissionnaires, mirent cette instance dans « l’impossibilité de convoquer une assemblée régulière »100.

Par cette démission en bloc, un coup sérieux avait été porté aux démarches de la tendance ecclésiastique en vue d’assurer son hégémonie sur la communauté grecque. En effet, le 3 juin 1932, au nom de cette dernière, l’archevêque Catzarakis avait déposé au Contrôle Civil un nouveau projet de statuts. Un mois plus tard, le 10 juillet, un autre groupe important de membres de la communauté, en opposition avec la première tendance, et dirigé par quatre membres du comité provisoire, déposa lui aussi un autre projet de statut101. Ainsi, une occasion en or fut offerte à l’administration pour qu’elle apparaisse dans une position de neutralité. En réalité, elle allait se baser sur la démission des quatre membres à la fin du mois d’août pour publier un nouvel arrêté sur la communauté grecque102. Ce dernier texte considère que la nouvelle situation, née de cette démission, lui impose de pourvoir aux sièges vides par la réorganisation de la commission de gestion qui sera composée des membres suivants : Alexandre Alexandroupoulos, Eustache Djivas et Dimi-tri Coyoutopoulo, Jean Manzouni, Thomas Temmos103. Avant la publication de cet arrêté les autorités avaient pris soin d’avertir Mgr Catzaralds qu’elles « ne pouvaient consentir à ce que, dans les nouveaux statuts, il fût spécifié que l’archevêque ait la présidence effective, ni même la présidence d’honneur104 ».

La commission de conciliation désignée par l’arrêté de décembre 1932 arriva à présenter de nouveaux statuts au mois de mars 1933. Le comité qui fut élu à cette date confirme la prise en main des destinées de la communauté par les éléments « réalistes » qui avaient accepté de se conformer aux dispositions de la loi sur les associations qui sépare la responsabilité du culte et la gestion des biens, cette dernière étant du ressort d’association qui doit se conformer aux lois. Cette évolution consacre définitivement la supériorité numérique des naturalisés français parmi les activistes de la communauté grecque, et une nette évolution progressive de cette dernière vers son assimilation dans la civilisation française.

La perte d’identité et la francisation progressive de la communauté (1933-1960)

À partir de mars 1933, la communauté fut présidée par Jean Manzuni. Ce dernier se présentait en septembre 1938 « comme un natif de Tunisie et d’y avoir vécu depuis sa naissance, d’avoir eu l’honneur de s’engager volontairement dans l’armée française pendant la Grande Guerre, sans aucune obligation militaire, d’accroître la famille française par mes enfants dont l’un est prêt à partir sous les drapeaux de la France comme élève sous-officier et enfin d’être administrateur et directeur commercial depuis 1922 d’une maison de commerce… »105.

Un tel autoportrait en dit long sur l’évolution d’une partie des membres de la communauté grecque et de leur désir d’assimilation dans la nation française, à tel point qu’un des détracteurs de Jean Manzuni l’accusa de ne « connaître aucun mot de grec, ni en parlé ni en écriture »106..

Hormis ces quelques petites oppositions qui surgissaient de temps à autre entre ses membres, la communauté grecque semble avoir retrouvé son calme et sa « liberté pour l’administration de ses biens ». En effet, en raison des dissensions et de la mauvaise gestion qui avaient marqué les années 1928-1931, les revenus de l’association furent placés, depuis la fin de 1931, sous séquestre, jusqu’à la fin de 1937. Dans le rapport d’activité édité en 1938, le président Manzuni, annonce avec fierté « la réouverture définitive de l’église le 6 mars »107. Cette dernière était restée sans desservant depuis le départ, au mois de décembre 1932, de l’archevêque Catzara-kis. C’est l’archimandrite Dimitrios Lancouvardos108 qui fut choisi pour le desservir. Le président annonce également la réparation de la coupole de l’église qui menace ruine, vu qu’elle était restée pendant six années consécutives sans être entretenue109.

Ainsi, à la veille de la seconde guerre, la communauté semble accepter, dans sa majorité, son intégration dans « l’œuvre française en Tunisie ». La référence à la culture grecque-orthodoxe est devenue désormais d’ordre cultuel et c’est le rôle de l’association d’assurer cette fonction tout en refusant toute ingérence extérieure dans son fonctionnement. C’est ainsi qu’après qu’il fut coupé court à toute intervention en provenance du Patriarcat d’Alexandrie, c’est le Consul de Grèce qui se vit rappeler la nouvelle réalité, c’est-à-dire que le plus grand nombre des membres de la communauté était de nationalité française110. Et par souci de garantir l’hégémonie des naturalisés français au sein du bureau directeur de la communauté, le président crut de son devoir de demander l’avis des autorités sur l’opportunité de la convocation d’une assemblée élective prévue pour le 7 mai 1939. Il lui fit remarquer qu’à « cause des événements actuels, certains membres français, qui ont droit au vote, sont mobilisés »111. Ce lien avec la France va se raffermir encore dans la conjoncture de la Seconde Guerre et celle de la Résistance. Ainsi, le sort de la communauté se joua avec celui de l’avenir de la présence française en Tunisie.

Avec l’indépendance de la Tunisie, il était devenu impossible pour la communauté grecque d’assurer la continuité d’une présence qui avait pourtant duré pendant plus de trois siècles. Les Grecs naturalisés Français et travaillant dans la fonction publique étaient les premiers appelés à partir. Les autres, commerçants, industriels et entrepreneurs, tentèrent d’assurer la continuité de leur communauté dans une Tunisie qui se préparait à l’indépendance. Ainsi, dès que l’autonomie interne fut proclamée, ils firent valider les statuts par le gouvernement tunisien112. Cependant, acquis à la culture française, ayant souvent la nationalité française, c’était en France que la majorité des Grecs avaient envoyé leurs enfants poursuivre leurs études supérieures. Ces derniers s’étaient installés en France après leurs études, et c’était ensuite aux parents de les rejoindre. Seule une infime minorité parmi les membres de la communauté était rentrée en Grèce. Enfin quelques cas isolés s’étaient intégrés, par le mariage, avec les musulmans113.

Aujourd’hui, seules les trois églises de Tunis114, de Sfax115 et de Djerba116continuent de rappeler le passé d’une communauté grecque dont les membres avaient entamé leur présence au XVIIe siècle, à Tunis et dans d’autres villes côtières, comme faisant partie du système du Millet ottoman, mais au terme de trois siècles de contact, d’acculturation et de jeux d’influences, la majorité de ses descendants, avait choisi l’assimilation française, tout en gardant une belle place pour la Tunisie dans leurs mémoires et dans leurs activités professionnelles117. Enfin, il est à rappeler aussi, que beaucoup de produits qui sont, aujourd’hui, partie intégrante de l’art culinaire tunisien, ont été introduits par les Grecs : le raisin sec, les olives salées, les poissons salés, les sirops de tamarins et d’orgeat, les halwas, le rahat-loukoum, le mastic (Kharalam-bis, 1926 : 154)…

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Notes

1  Une première ébauche de cette recherche a été présentée au colloque : La Tunisie et ses étrangers, organisé les 1er et 2 novembre 1996, par le Professeur Mounira Chapoutot-Remadi, à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis. L’actuelle version a été présentée à la 11e conférence de l’American Institute of Maghrib Studies (A.I.M.S) qui s’est tenue à Tunis du 28 au 30 mai 1998.

2  Cette première église se trouvait Rue de la Verrerie, à l’intérieur des murailles de la ville, en plein quartier franc ; elle avait fonctionné jusqu’en 1901.

3  L’inscription est gravée en grec et en français : « In memoriam du bataillon sacré grec 1942-1945, combattant pour la libération de sa patrie, il a participé aux combats de Tunisie : Morts, 3 officiers ; Blessés 7 ; Disparus 2 »

4  Archives Nationales de Tunisie (ANT), Série E, C. 503, D. 5 ; Profession de foi datée de 1932, mais non signée, mais il est certain qu’il s’agit d’un document du Secrétariat général du gouvernement tunisien.

5  Il faut noter que, malgré leurs efforts, les Ottomans n’ont pas pu rester les seuls héritiers de Byzance. En effet, certains fidèles vont se diriger vers la Russie, puissance orthodoxe montante, à partir du XVe siècle. Cette dernière va prendre le flambeau de l’orthodoxie et adopter l’aigle bicéphale, symbole de l’hellénisme.

6  De Saint Gervais note qu’à la même époque, la situation meilleure des grecs, par rapport à celle des catholiques. Ces derniers, écrit-il, quoique tolérés : « sont logés dans une maison obscure, qui ressemble à une vraie prison, dont ils payent, cependant, un loyer assez considérable ».

7  Idem. L’auteur affirme l’existence d’un titre déposé aux archives du consulat de Grèce à Tunis où il est indiqué que le nommé Raftopoulos, hellène orthodoxe, originaire du Péloponnèse, obtint, ce terrain, du bey régnant (sic), en reconnaissance des services rendus.

8  Ibidem. Notre auteur remarque que cette église « était coquette, de style byzantin avec coupoles, et dont la décoration intérieure était fort originale ». Au moment de la construction de l’actuelle Eglise en 1898, cette petite chapelle a été complètement démolie et remplacée par un immeuble. C’est sur le mur de ce dernier qu’on trouve raccroché, aujourd’hui, la plaque en marbre portant l’inscription : « Eglise Saint-Georges » en mémoire du lieu de culte qui existait à la rue de la Verrerie et qui fut désaffecté, en 1901, avec l’inauguration de la nouvelle église, de la rue de Rome.

9  L’auteur mentionne que « Les Grecs-orthodoxes possèdent une chapelle dans Tunis, avec deux popes ».

10  Idem.

11  L’auteur signale l’autorisation accordée par Ahmed Bey le 10 janvier 1845 aux catholiques de Tunis pour l’extension de leur église et précise que ce geste s’explique par le désir d’approfondir les bonnes relations qui existaient entre les négociants européens et l’Etat tunisien.

12  Malheureusement cette mesure en faveur des Grecs n’a été signalée que par des sources ultérieures.

13  Ganiage signale le même chiffre sans citer de sources. D’autres part il mentionne que d’après la mission catholique de Tunisie, le chiffre des européens était estimé à 12 000. Les plus nombreux étaient les Maltais avec 7 000 âmes, les Italiens avec environ 4 000 et les Français de 50 à 60 familles.

14  Port de Grèce dans le Péloponnèse, sur la mer Ionienne. La bataille de Navarin a eu lieu le 27 octobre 1827 et s’est achevée par la défaite de la flotte turco-égyptienne par une escadre anglo-franco-russe au cours d’une guerre qui a marqué le début du processus de l’indépendance de la Grèce.

15  R. Ilbert signale (1996 : I, 70) que les Grecs d’Egypte, originaires des régions libérées de la domination ottomane, s’étaient considérés comme hellènes et que « le gouvernement d’Athènes entendait bien élargir ses prétentions à l’ensemble de la population de race grecque ». Au cours des années 1830, le nouvel État grec était représenté en Egypte par Michel Tossiza, un consul très actif et ami personnel de Mohamed Ali.

16  Khaznadar (Mustafa), mamelouk tunisien, d’origine grecque et natif de l’île grecque de Chio vers 1817, mort à Tunis en 1878. Esclave de Hussein Bey (1824-1835). Beau-frère et favoti de Ahmed Bey qui l’éleva aux fonctions de trésorier (khaznadâr), il devait se maintenit pendant plus de trente six ans à un poste ou un autre, au service de cinq beys. (Ganiage, 1968 : 595).

17  Mussalli (Elias), Grec melchite catholique romain, né au Caire en 1829 d’une famille originaire de Syrie, mort à Tunis, en 1892. Entré en 1847 au service du bey, comme second, puis premier interprète en 1854 ; sous-directeur au ministère des Affaires étrangères en 1860, il devait conserver ces fonctions jusqu’en 1872 (Ganiage, 1968 : 593).

18  A.N.T. Série H. C. 252 D. 694. Lettre, en date 22 août 1833, du consul de France A. Duval, au bey Hassine qui se base sur le traité signé le 8 août 1830 entre la France et le bey pour réclamer l’affranchissement d’une certaine Khédija, grecque d’origine et qui s’est faite protégée française. Cette femme a été réduite à l’esclavage avec son fils depuis 13 ans. Toujours d’après la même lettre, il ressort que le bey a accepté de la libérer mais n’a accepté de la laisser s’embarquer vers le Levant que dans un bateau ottoman et non dans un bateau grec comme elle l’avait demandé.

19  A.N.T, Série H. C. 252 bis, D. 6. Lettre en date du 13 mars 1839 du Consul de France au bey Ahmed dans laquelle il demande la punition du nommé Gorgab (sic) qui a porté un coup de couteau à Michel, un Grec, « protégé Français ».

20  Idem.

21  L’auteur se réfère à une lettre adressée de Tunis, le 15 nov. 1844 par le consul Lagau à Gui-zot (Archives de Affaires étrangères, Quai d’Orsay C. C. Tunis 54).

22  A.N.T. Série H. C. 252 bis, D. 1 ; l’affaire du Grec Bazil, protégé anglais, qui demande d’être acquitté de la dette qu’il a accordée à Hajj Muhammad b. Ahmad au mois de Rajab 1277H. Une autre affaire est évoquée le 10 décembre 1859 par le consul d’Angleterre, elle concerne une dette de 3 000 piastres que doit rembourser Mahmoud Ben Ammar au sieur Papa Costantino, négociant domicilié à Tunis, fondé de pouvoir de Panayotti Théodore, sujet anglais (voir A.N.T. Série H. C. 252 bis D. 1.).

23  A.N.T. Série H. C. 252 bis, D. 5. Dans une lettre date du 21 janvier 1860, adressée par les membres du clergé grec au consul de France Léon Roches, ils écrivent : « Les grecs domiciliés à Tunis, connaissent déjà l’empressement et le zèle avec lequel vous avez toujours défendu leurs intérêts… ».

24  Ben Rejab (Rida), al-sburta wa amn al-hâdira min khilâl wathâiq majlis al-dhabtyya 1861-1864, (La police et la sécurité de la capitale d’après les registres de la préfecture de police), Mémoire pour le C.A.R. (ronéotypé), sous la direction de Abdelhamid Larguèche, Faculté des Sciences Humaines et Sociales, Tunis, 1992.

25  A.N.T. Série H. C. 252 bis, D. 2. Affaire du Grec Nicolas, protégé anglais, accusé d’agression, coups et blessures à l’encontre de soldats de l’armée du bey. Toujours dans la série H. C. 252 bis, D. 7, l’affaire du Grec Andréa accusé d’avoir assassiné le laitier ‘Alî b. Ahmad Bûssen El-Ouarchafânî (Registre de la Zaptié en date du 17 Safar El Khair 1287H).

26  Le terrain en question est situé le long du boulevard de la Marine, il s’étend sur 3 089 mètres carrés. Il était limitrophe du cimetière catholique Saint-Antoine. Par la suite, il a connu des ventes et des aménagements. Seule une partie est restée à la communauté grecque, elle y construira en 1898, la nouvelle Église Saint-Georges et, plus tard, les immeubles ouvrant sur la rue de Naples (actuelle rue Mokhtar Attia) dont il sera question plus loin.

27  A.N.T, Série Historique, C. 252, D. 692/1. Lettre en date 21 février 1878 de Charles Nyssen, Consul général de Russie à Tunis à son homologue, le Consul général de l’Empire d’Allemagne à Tunis où il dresse un rappel des différentes phases de l’acquisition de ce terrain par les Grecs.

28  Idem.

29  A.N.T. Série E, C. 503, D. 5. Un rapport de 8 pages en date du 4 avril 1940, résumant l’historique de la communauté grecque de Tunisie et qui remonte jusqu’à la prise de Byzance par les Turcs en 1453.

30  A.N.T. Série H. C ; 252, D. 692. Lettre en date 17 novembre 1866 envoyée par Seigneur Felice, fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères de la Grèce, aux Grecs de Tunis, en réponse à une lettre que ces derniers lui avaient adressée et dans laquelle ils lui avaient demandé d’envoyer des décorations au bey de Tunis « en signe de reconnaissance pour la bonne attitude qu’il exprimait à leur égard ».

31  A.N.T. Série H. C. 252, D. 692. Lettreen du 28 avril 1867, de Basilio Kostandinis au Premier ministre Mustafa Khaznadar.

32  A.N.T. Série H. C. 252, D. 692. Lettre en date du 20 novembre 1868, de Spiridiov Logiatadios, consul de Grèce à Chio, à son excellence Mustafa, Premier ministre.

33  Idem.

34  Ibidem.

35  A.N.T. Série H, C. 252 bis, D. 3. Lettre en date du 22/06/1868, du consul d’Angleterre Richard Wood, au Premier ministre Mustafa Khaznadar pour défendre les intérêts de Basilio, Grec, protégé anglais, dans une affaire de succession, suite au décès de son associé tunisien, le nommé Slimane El Fray.

36  A.N.T., Série H. C. 252 bis, D. 10. Lettre en date du 8 novembre 1877, de Charles Nys-sen, consul des intérêts russes à Tunis au Premier ministre, l’informant de l’assassinat perpétré sur la personne de Georges Hallaris, Grec, protégé russe, par le nommé Mustafa Ben Has-sen, sujet tunisien. Dans une autre lettre en date du 11 novembre 1879 (probablement après le départ du Premier ministre Kheireddine), le Consul russe confirme « … Qu’en vertu des instructions reçues du Cabinet de Saint-Pétersbourg, le consulat impérial de Russie à Tunis est autorisé à continuer d’accorder la protection aux Grecs » (A.N.T. Série H, C. 252, D. 692).

37  A.N.T. Série H. C. 252, D. 692/2. Lettre du ministère des Affaires étrangères de Grèce au ministre des Affaires étrangères du bey de Tunis dans laquelle il lui indique le nom du consul : Vasiliades.

38  A.N.T Série H, C. 252, D. 692/1. Lettre en date du 16 février 1881, du gérant du consulat hellénique à Tunis au Premier ministre Mustafa Ben Ismaïl. Il s’agit d’une lettre-réponse à un courrier qui a été adressé au consul par le Premier ministre au sujet de la vente de la maison de Basile Camellopoulos, sujet hellène, débiteur du sujet tunisien Sedli (sic).

39  A.N.T Série H. C. 252, D. 692/2. Lettre en date du 28 janvier 1881, du gérant du consulat royal hellénique à Tunis à Mustafa Ben Ismaïl, Premier ministre. Il l’informe que « le gouvernement hellénique vient de nommer, en qualité d’agents consulaires de Grèce, le sieur Vito Pellegrino à Biserte (sic), le sieur Philippe Rosso à Souse (sic) et Antoine Rosso à Monastier (sic) ».

40  A.N.T. Série H. C. 252, D. 692/1. Lettre en date 2 mars 1881, du gérant du consulat hellénique au Premier ministre Mustafa Ben Ismaïl de l’affaire de Denis Sotirpoulos sujet hellène et propriétaire d’un café à Tunis, grièvement blessé par un sujet tunisien, le nommé Haz Aly Bakkas (sic).

41  A.N.T. Série H. C. 252 bis, D. 10. Lettre en date 31 août 1880 du gérant du consulat hellénique à propos du contentieux d’Elia Manidachi, autrefois sous protection russe, avec l’ex-premier ministre, Mustafa Khaznadar, au sujet d’un terrain sis à la Marine.

42  A.N.T Série H. C. 252, D. 692/1.Lettre en date du 11 septembre 1881, du gérant du consulat hellénique au délégué par intérim à la Résidence de République française à Tunis. Après l’avoir informé du crime perpétré contre son administré, il lui demande de « faire auprès du gouvernement tunisien les démarches nécessaires afin que de sévères mesures soient prises à l’effet de découvrir les coupables et indemniser en même temps les parents de la victime ».

43  A.N.T, Série H. C. 252, D. 693/6. Lettre en date du 6 avril 1883, de l’Agent consulaire grec, au Résident général Paul Cambon.

44  A.N.T, Série H. C. 252, D. 693/9. Lettre en date du 8 août 1883, de l’Agent consulaire grec, au Chargé d’affaires de la République française, le Baron d’Estournelles.

45  A.N.T, Série H. C. 252, D. 693/8. Lettre en date 27 juillet 1885, du secrétaire général du gouvernement tunisien au consul de Grèce. Il l’informe de son refus d’agréer la nomination d’un troisième courtier à l’Agence consulaire de Djerba. Voir également, A.N.T, Série H. C. 252, D. 693/10. Lettre en date du 19 avril 1889, du vice-consul de France à Sousse, au Résident général à Tunis. Il lui suggère de refuser la nomination de Frej b. El-Hadjj Muhammad b. ‘Uthmân, proposé pour l’emploi de courtier de l’Agent consulaire grec à Monastir, car il n’a que 17 ans et n’a pas encore satisfait au service militaire.

46  AG. Journal Officiel Tunisien (J.O.T.), Loi du 9 Moharrem 1306, 15 septembre 1888, sur les associations.

47  A.N.T, Série H. C. 252, D. 693/1. Lettre en date du 20 août 1890, du secrétaire général du gouvernement tunisien au Premier ministre et aux caïds de Bizerte, Djerba, Arad (Gabès), Mahdia, Monastir et Sousse.

48  Idem.

49  Au moment de la signature de ces conventions, la population française de Tunisie ne comptait encore que 16 000 membres contre 50 000 italiens.

50  Un décret du 13 avril 1898 allait réglementer l’établissement des étrangers dans la Régence. Tout étranger qui voulait établir sa résidence en Tunisie ou y exercer une profession, un commerce ou une industrie quelconque, devait dans un délai de cinq jours à partir de son arrivée, faire devant l’autorité de police locale une déclaration de résidence en justifiant de son identité.

51  Archives diplomatiques de Nantes (Fonds de Nantes), Série Tunisie, C. 11, D. 9, (Bobine R 382, Institut Supérieur d’Histoire du Mouvement National, I.S.H.M.N.). Lettre en date du 7/08/1929, du Résident général de France à Tunis au ministre français des Affaires étrangères.

52  Fonds de Nantes, Série Tunisie, C. 11, D. 9 (Bobine R382, I.S.H.M.N.). Lettre en date du 7/08/1929, op. cit. Le Résident général relève que « le Roi des Grecs légifère, en terre de Protectorat français, à l’égard d’un groupe composé à la fois de ses sujets (Grecs libres) et de ceux qu’il aspire à délivrer du joug de l’étranger (non-libres), c’est-à-dire Grecs d’Europe, d’Asie, ou Grecs sujets tunisiens s’il en reste… ». Ilbert (1996 : 68) constate le phénomène en Egypte où le nouvel État grec avait souvent tendance à associer « orthodoxes », « grecs » et « hellènes », alors que le seul vrai point commun de ces populations était le Patriarcat grec-orthodoxe.

53  Sutter (1796-1883), né à Ferrare (Italie), entré dans les ordres en 1816, nommé à Tunis, le 21 mars 1843 (Soumille, 1994 : 197-231).

54  A.N.T Série H. C. 252, D. 692/1. Lettre en date 21 février 1878, de Charles Nyssen, consul de Russie à Tunis, au Chevalier Tulin, Consul général de l’Empire d’Allemagne à Tunis. Le consul Nyssen était au courant des détails de cette transaction, car à l’époque de son accomplissement, le bénéficiaire du terrain le Grec Elia Manidachi, était un protégé russe. De même, cette lettre nous apprend qu’un autre grec, Elias Mussalli, Interprète au Ministère tunisien des affaires étrangères et très proche du Consul français Roustan, qui mena les discussions qui eurent lieu au consulat de Russie et qui aboutirent au rachat de la portion de terrain réclamée par Mgr Sutter pour le compte de l’Église Catholique.

55  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Contrat en date du 19 décembre 1896 entre le Secrétaire du gouvernement tunisien, l’Archevêché de Carthage et le Président de la Colonie hellénique de Tunis.

56  Idem. La somme en question s’élevait à 80 000 francs, elle a été payée par le gouvernement tunisien en quatre termes et ce proportionnellement à l’évolution de l’édification de l’église orthodoxe.

57  Fonds de Nantes, Série Tun., C. 11, D. 9 (Bobine R 382,1.S.H.M.N.). Lettre en date du 7/08/1929, du Résident général de France à Tunis, au ministre des Affaires étrangères à Paris.

58  Idem

59  Ibidem.

60  La dénonciation officielle ne se fera qu’en 1943 ; cependant des pressions indirectes furent exercées sur les ouvriers italiens, de même que le renouvellement des conventions de trois mois en trois mois, rendait plus précaire la situation des Italiens, incitant certains à demander leur naturalisation (Martin, 1993 : 102).

61  Avant 1923, il existait une loi sur la naturalisation (décret du 3 octobre 1910). Comparée au précédent décret, la loi de 1923 était beaucoup moins exigeante en ce qui concernait la connaissance de la langue française et les diplômes puisque le titre universitaire n’était plus de rigueur.

62  À un certain moment, la Grande Bretagne avait même porté cette affaire devant « la cour permanente de justice internationale de La Haye ». Un compromis fut trouvé par la suite entre les deux puissances.

63  Fonds de Nantes, Série Tun., C. 11, D. 9 (Bobine R 382, I.S.H.M.N.). Lettre en date du 7/08/1929, du Résident général de France à Tunis, au ministre des Affaires étrangères à Paris. Le Résident informe le ministre qu’un procès est en cours d’instance devant le tribunal civil de Tunis, en annulation des dernière élections de mai 1928.

64  Idem.

65  Ibidem

66  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D. c (R 382,I.S.H.M.N.). Lettre en date du 4 avril 1929, de l’Ambassadeur de Grèce à Paris à André Honorat, Recteur de l’Université de Paris. L’ambassadeur de Grèce à Paris, mis au courant de l’importance de ce patrimoine, composé des loyers des immeubles et des magasins qui sont la propriété de la communauté de Tunis, demande au ministère français des Affaires étrangères la possibilité d’aliéner le produit de quelques-uns pour achever la construction de la maison de Grèce à la Cité Universitaire Internationale de Paris.

67  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D. c (R 382,I.S.H.M.N.). Lettre en date du 22 février 1930, du directeur de la Sûreté publique au Directeur général de l’Intérieur. La lettre donne les noms des trois anciens membres du bureau : Dimitri Couyotopoulo, limonadier, au 7 rue de Rome, J. Carmanis, pâtissier, rue de l’Eglise, E. Dzivas, épicier à la rue des Glacières.

68  Idem

69  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D. c (R 382,I.S.H.M.N.). Pétition en date du 3 juin 1930, adressée par 29 Grecs au Résident général de France en Tunisie.

70  Idem. Les signataires ont précisé que ce terrain fut acheté en 1890 par des fonds provenant d’une souscription des membres de la communauté, achat fait dans un but exclusifs savoir l’aménagement d’un cimetière.

71  Ibidem.

72  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D. c, (R 382, I.S.H.M.N.). Lettre-réponse en date du 21 août 1930, adressée par le Résident général à M. A. Saganakis, interprète et expert près du Tribunal de Tunis, qui semble être le porte-parole des pétitionnaires.

73  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D.2 (R 382, I.S.H.M.N.). Télégramme en date du 16 juillet 1931, du ministre français des Affaires étrangères au Résidenr général. Dans ce message, il le met au courant que l’Ambassadeur de Grèce à Paris l’a informé que le Patriarche d’Alexandrie arriverait à Sfax, venant de Tripolitaine, vers le 25 juillet 1931 et se rendrait ensuite à Tunis où il recevrait les délégués des communautés grecques d’Algérie et du Maroc.

74  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D. 2, (R 382,I.S.H.M.N.). Rapport en date du 29 juillet 1931, adressé par le Résident général au ministre de Affaires étrangères. Outre la description des cérémonies du Patriarche, le Résident informe qu’il a reçu la visite du Patriarche le 27 juillet et que ce dernier était accompagné du Consul de Grèce et de l’Archimandrite Rosemaris.

75  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Rapport du Directeur général de l’Intérieur sur le voyage du Patriarche, adressé au Résident général. Les mêmes informations se trouvent au Fonds de Nantes, Série Tun. C. 8, D.2, (R 382,I.S.H.M.N.). Lettre en date du 7 août 1931, du Directeur général de l’Intérieur au Résident général.

76  Idem

77  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Nomination de l’Archimandrite Anthimos (texte paru en langue grecque le 4 août 1931 et en langue française le 11 août 1931). Dans ce texte le Patriarche donne mandat de « faire tout ce qui est nécessaire pour ramener la paix au sein de la communauté ».

78  Le Patriarche fait allusion ici au fait que la communauté de Tunis a cherché à se faire légitimer en 1888 par le roi de Grèce, et non par le Patriarcat d’Alexandrie, comme ce fut le cas depuis le XVIIe siècle.

79  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2, (R 382, in I.S.H.M.N.). Lettre en date du 6 août 1931, du Patriarche d’Alexandrie et de toute l’Afrique Melitios II au Résident général de France en Tunisie.

80  Idem.

81  Ibidem.

82  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Noteen date du 7 octobre 1931, du Secrétariat général du gouvernement tunisien. Voir également Kharalambis, 1926 ; Dessort (C.-H-Roger) : 155. L’auteur rapporte que, selon la tradition véhiculée par les Grecs de Tunis, « L’église fut placée dans le giron du Patriarcat Œcuménique d’Alexandrie d’Egypte dont le dernier représentant, dit-on, quitta Tunis en 1853 ».

83  L’arrêté en question a été promulgué le 20 février, sa publication officielle au J.O.T. date 27 février 1932.

84  J.O.T. du 27 février 1932. Arrêté Au Premier ministre du 20 février 1932. La commission de 7 membres est composée de : Charissiadis (Théodore), Couvopoulos (Constantin), Couyotoupoulos (Lycurgue), Pachis (Dr Evangelos), Rosmaris (Archimandrite Anthimos), Siganaki (Alfred), Tso-nides (Paul).

85  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382, I.S.H.M.N.). Télégramme en date du 25 février 1932 du M.A.E. au Résident général. Il l’informe de la décision prise par le synode de l’Église grecque : le titulaire de cet évêché sera Mgr Catsarakis, qui résidera alternativement à Tunis et à Casablanca. Voir également, Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382, in I.S.H.M.N.). Lettre d’introduction en date du 29 février 1932, de la part de la légation de la République française en Egypte, au Résident général de France en Tunisie.

86  Fonds de Nanres, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382,I.S.H.M.N.). Lettre en date du 7 mars 1932 du Patriarche d’Alexandrie au Résident général Mancéron. Il l’informe que Mgr Constantin Catsarakis, « délégué par notre Église pour l’administration de ses fidèles en Tunisie, Algérie et Maroc », aura sa résidence à Tunis.

87  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2, (R 382,I.S.H.M.N.). Note en date du 25 avril 1932 du Directeur général de l’Intérieur, au Résident général.

88  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382, I.S.H.M.N.). Rapport en date du 7 avril 1932 du contrôleur civil de Sfax, au Résident général. Le rapport décrit les différentes activités du Métropolite qui a séjourné à Sfax du 1er au 6 avril.

89  Dépêche Tunisienne, 9 avril 1932. Elle donne une brève information sur la rencontre qui a eu lieu le la veille, 8 avril.

90  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Procès verbalen date du 31 mai 1932, de l’Assemblée générale des membres de la communauté orthodoxe de Tunis, qui a eu lieu le 29 mai 1932.

91  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382,I.S.H.M.N.). Rapport en date du 6 juin 1932, du Directeur général de l’Intérieur, au Résident général.

92  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre en date du 27 mai 1932, de Th. Carciadis, membre du Bureau provisoire de la communauté grecque, au Directeur général de l’Intérieur

93  A.N.T, Série E, C. 503, D. 5, Profession de Foi, datée de 1932 et qui retrace sommairement l’historique de la communauté grecque de Tunisie. Le texte n’est pas signé, il est probable qu’il fut rédigé par un fonctionnaire du Secrétariat général du gouvernement tunisien. À ptopos de la nationalité égyptienne des patriarches orthodoxes, voir également Ilbert (1996 : 613), « dès 1926, date de la loi sur la nationalité égyptienne, mais aussi de la mort de Mgr Photios II (1899-1926), le gouvernement égyptien tint à rappeler les règles fondamentales de la communauté. Le patriarche devait être ou devenir Égyptien, il devait être investi par le gouvernement local… C’est ainsi que Meltios II (1926-1935) dut renoncer à la nationalité grecque… »

94  Idem

95  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Procès verbal en date du 31 mai 1932. Le procès évoque deux objections qui ont été faites au cours de cette assemblée : La première, de Djivas Eustache, au sujet de la légalité de l’Assemblée générale (après refus de l’objection, il se retira). Quant à Théodore Cariciadis, il se retira sans aucun motif.

96  Fonds de Nantes, Série Tun. C. 21, D. 2 (R 382,I.S.H.M.N.), Note du Directeur général de l’Intérieur en date du 9 juin 1932. Ce responsable écrit que les statuts vont être étudiés, mais qu’ils ne seront approuvés que moyennant certaines satisfactions et garanties à obtenir du patriarche d’Alexandrie. Quant à la visite au bey, Mgr Katzarakis n’a pas à la faire actuellement puisque la question de sa reconnaissance officielle n’est pas résolue.

97  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre de démission en date du 27 août 1932 des quatre membres adressée au Directeur général de l’Intérieur. Il s’agit de Caciadis Théodore, Couvopolo Constantin, Pachis Evangelos et Siganaki Alfred.

98  Nous avons pu nous assurer de ce fait en regardant la nationalité de chacun des signataires, qui a été mentionnée dans la pétition signalée plus haut et qui a été remise au Résident général le 3 juin 1930.

99  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre de démission en date du 27 août 1932. Ils déclarent : « Nous n’avons pas réussi à persuader nos ministres du culte d’abandonner leurs prétentions injustifiées au sujet de l’avenir de notre communauté. Ils cherchent à nous imposer des statuts moyenâgeux, inadmissibles à notre époque ».

100  Idem.

101  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Note rédigée au mois de décembre 1932 par Charles Saumagne, à l’époque Contrôleur général des Affaires indigènes auprès du Secrétaire général du gouvernement.

102 ./. O. T. du 28 décembre 1932. Cet arrêté a été promulgué alors que l’archevêque Catzarakis était en déplacement en Egypte. Il était parti le 3 décembre pour participer aux travaux du Saint Synode.

103  Idem. La présidence du comité a été confiée à son doyen. Le comité a été chargé de la poursuite de l’élaboration des statuts et la gestion du comité qui prit fin le 1er mars 1933.

104  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Aide Mémoire en date du 2 décembre 1932, envoyé à l’archevêque (orthodoxe) de Carthage par le Directeur général de l’Intérieur.

105  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre en date du 23 septembre 1938, de Jean Manzuni à Charles Saumagne, Directeur de l’Administration générale et communale.

106  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre en date du 7 février 1939. De Georges Lalakis, qui se présente comme Français d’origine grecque, à Charles Saumagne.

107  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Rapport d’activité de la communauté grecque en date du 19 avril 1939. La réouverture a été solennellement célébrée le 6 mars 1938. À côté du nouveau desservant de l’église Mgr Dimitrios Langouvardos, ont assisté Georges Koumoussis, de l’église de Sfax et Mgr l’archiprêtre Constantin Michalowski, de l’église russe de Tunis.

108  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Rapport d’activité de la communauté grecque de Tunis, en date du 23 avril 1938, brochure de 16 pages. À propos du nouveau desservant le Président écrit : « l’Archimandrite Lancouvardos, qui arrive de Casablanca, n’est pas un inconnu, il a desservi la communauté de Sfax durant 18 années consécutives, il y a laissé le meilleur souvenir ».

109  Idem.

110  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre en date du 23 septembre 1937, du directeur de l’Administration générale et communale au Secrétaire général du gouvernement tunisien.

111  A.N.T. Série E. C. 503, D. 5. Lettre en date du 18 avril 1939, du Président de la communauté, au Directeur de l’Administration générale et communale. Il lui demande clairement « s’il doit convoquer cette assemblée ou surseoir en attendant que les absents mobilisés puissent prendre part aux élections ».

112  C’est le cas des Grecs de Sfax qui, dès le 25 mars 1955, déposèrent de nouveaux statuts au gouvernement Ben Ammar, qui l’autorisa par un arrêté en date du 18 juillet 1955. Cette association a été actualisée par Jean Arfaras, dernier président de la communauté, au cours de la dernière assemblée qui a eu lieu à Sfax le 17 novembre 1985. (C’est M. Arfaras qui nous a remis une copie des statuts).

113  Le meilleur exemple est l’actrice de cinéma Hélène Katzaras, née dans la communauté grecque de Djerba et mariée à un Tunisien musulman.

114  Seule l’église Saint Georges, sise au 5 rue de Rome à Tunis, demeure ouverte au public.

115  Jusqu’à la fin de 1996, c’est Jean Arfaras qui s’occupait de l’église « Les trois Hiérarques » construite vers 1892 et située au centre du quartier européen de la ville de Sfax. Au début de l’année 1998, j’ai appris par l’ambassade de Grèce à Tunis que Mr Arfaras est rentré définitivement en Grèce. Le 31 octobre 1996, j’ai enregistré avec lui un entretien, conservé à l’Unité d’Histoire Orale de l’Institut Supérieur d’Histoire du Mouvement National. Mr Arfaras est né en 1920, il a passé toute sa vie à Sfax, il garde jalousement une photo de groupe de la visite du Patriarche d’Alexandrie à Sfax au mois de juillet 1931. Dans cet entretien, il avait affirmé que, malgré la mort de sa femme et le retour de son fils à Athènes, il pense continuer à vivre à Sfax !

116  L’église grecque de l’Ile des « lotophages » est située en face du porr de Houmt-Souk, elle se trouve aujourd’hui dans le jardin de la villa d’une femme tunisienne qui s’appelle M’barka Bent Nacer Ben Aoun, elle est la veuve de Christos Mavrothalassitis, l’un des derniers Grecs de Djerba, mais qui avait la nationalité française. Cette femme fait de temps à autre des travaux d’enrretien pour sauvegarder une église qui n’a plus de fidèles.

117  Je cite le cas de mon ami et collègue Jacques Alexandroupolos, petit fils d’Alexandre Alexan-droupoulos qui fut coopté en décembre 1932 comme membre de la commission de conciliation ; il est actuellement professeur d’histoire à l’Université de Toulouse le Mirail. Il participe souvent aux fouilles archéologiques en Tunisie et ne rate aucune occasion pour développer les échanges entre son université toulousaine et ses collègues des universités tunisiennes. À ce titre il a été l’organisateur, conjointement avec son collègue Patrick Cabanel, du colloque international de Toulouse (14-17 janvier 1997), La Mosaïque Tunisie, diasporas, cosmopolitisme, archéologies de l’identité.

 

Pour citer cet article

Référence électronique

Habib Kazdaghli, « Communautés méditerranéennes de Tunisie. Les Grecs de Tunisie : du Millet-i-rum à l’assimilation française (XVIIe-XXe siècles) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 95-98 | avril 2002, mis en ligne le 12 mai 2009, consulté le 15 avril 2013. URL : http://remmm.revues.org/243

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Auteur

Habib Kazdaghli

Université de Tunis-Manouba.

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14 avril 2013

Défaite militaire et enjeux d’influence entre pouvoir et opinion publique : l’exemple de la Tunisie entre mai et juillet 1940 Auteur Serge La Barbera

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La Tunisie au gré des conflits  

Défaite militaire et enjeux d’influence entre pouvoir et opinion publique :
l’exemple de la Tunisie entre mai et juillet 1940

Auteur Serge La Barbera 
Docteur en histoire, Université de Limoges.

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8

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Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8


PLAN DE L’ARTICLE
• LE REFUS AUTOCENTRÉ DE LA DÉFAITE
• L’APPEL ENTENDU DU 18 JUIN
• FLUX ALTERNANTS DE L’OPINION
• DOUTES ET GLISSEMENTS
• L’ACCEPTATION SANS ADHÉSION DE L’ARMISTICE

Si « la nation tout entière participe en fait à la débâcle »[1] de 1940,
les Français de Tunisie qui font partie de la nation française, observent avec un recul que leur permet la distance géographique, la transformation d’affrontements attendus en catastrophe nationale. Dès lors, de juin à juillet 1940, se joue un drame en trois actes entre l’opinion et le pouvoir colonial autour du thème de la poursuite des combats. Si la problématique est claire, les enjeux présentent d’autres subtilités qui notamment différencient la colonie et la métropole. En Tunisie, les nouvelles vont vite et les radios ennemies se chargent de les propager[2] 
Abasourdis, immédiatement solidaires de leurs compatriotes métropolitains, les Français de Tunisie s’interrogent sur la couleur de leur avenir. Après l’abandon du « réduit breton », « le projet de continuer la guerre en Afrique du Nord est beaucoup plus prometteur » comme l’écrit Robert O. Paxton[3]. Le résident général au Maroc et commandant en chef des opérations en Afrique du Nord, le général Noguès, se prononce d’ailleurs en faveur de la poursuite des combats depuis cette partie de l’Afrique, le 18 juin 1940[4). 
Le télescopage des signaux, plus qu’une cacophonie, traduit cette volonté réelle de continuer la lutte, abondamment reprise dès le 21 juin de Tunis jusqu’à Sousse, Bizerte, Mateur, Téboursouk et Sfax.
Le retour de Marcel Peyrouton en Tunisie, le 15 juin 1940[5] , où il a été renommé au poste de résident général par Paul Reynaud en remplacement d’Eirik Labonne – poste qu’il a occupé de 1933 à 1936 avant d’être envoyé au Maroc pour y assurer les mêmes fonctions – déclenche une somme de réactions significatives de l’attitude de la population française de la colonie. Il reçoit notamment 42 lettres, écrites par des Français entre le 19 juin et le 6 juillet 1940. Si elles ne peuvent être considérées comme un sondage grandeur nature, exception faite de certaines lettres[6] , il est possible de les analyser comme des révélateurs d’opinion, comme « la partie visible de l’iceberg »[7] . 
Pour neuf d’entre eux, ces messages sont des télégrammes, le reste se compose de lettres manuscrites de longueur variable, parfois quelques lignes, le plus souvent une ou deux pages et anonymes à 80 %. Les personnes qui écrivent au résident, en mai et en juin 1940, manifestent une opinion dont l’expression pourrait obturer partiellement l’horizon et empêcher de voir les indécis, les indifférents à la catastrophe ou encore ceux qui, au fond de leur cœur, ont pu s’en réjouir, si des rapports de police, l’échange télégraphique entre les autorités civiles et militaires de Tunisie et le gouvernement de Bordeaux, des témoignages ne venaient confirmer la tendance exprimée.
3On ne trouve pas dans ces messages pris dans leur ensemble – même en les considérant les uns après les autres – un sentiment de panique. Ils laissent, au contraire, une impression de fermeté, de détermination. La défaite, qu’elle se profile ou qu’elle soit consommée, est considérée comme inadmissible et personne n’en évoque les circonstances. Pas un mot sur l’importance de la déroute de l’armée, sur la panique qui s’est emparée de la France. L’échec des armes, la guerre perdue, le fait même, est plus grave que la manière. Alors qu’en France, « quiconque a vécu la débâcle de mai-juin 1940 ne s’est jamais tout à fait remis du choc », et les exemples ne manquent pas, depuis les colonies, le regard est plus froid et la pensée plus sereine[8] 
La distance n’allège pas l’abattement dû à l’échec de l’armée française mais elle préserve de l’affolement, de la peur panique, du désespoir.
4Les Français de Tunisie veulent très vite dépasser les faits et essayer de sortir du tourbillon mortifère dans lequel la métropole risque d’entraîner ses colonies. Marcel Peyrouton, personnalité controversée, anticommuniste, haï par la gauche, « Whisky I », comme le surnomment ses ennemis politiques, recueille alors toutes les adhésions[9] . 
Le responsable socialiste Duran-Angliviel, ennemi juré de Peyrouton, dont il a sans cesse réclamé le départ lors de son premier mandat, se déclare soudain favorable à son retour en Tunisie[10] 
« L’homme à poigne et de caractère [...] est de ceux qu’il nous faut en Tunisie dans les circonstances actuelles », déclare-t-il devant les membres du Parti socialiste à Tunis. « Nous devons nous abstenir de toute hostilité contre le représentant de la France, nous devons lui faire confiance », ajoute-t-il, approuvé par l’assistance[11] . 
Moins surprenant, les colons, par leur organe de presse Le Colon français, font connaître leur satisfaction de voir arriver sur le territoire tunisien l’ancien résident général avec lequel ils ont entretenu d’excellents rapports[12] . 
Les Français de Tunisie qui ne veulent pas croire à une défaite, continuent de se mobiliser.

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8LE REFUS AUTOCENTRÉ DE LA DÉFAITE
5De ce côté-ci de la Méditerranée, perdre la guerre signifie surtout – notamment après le 10 juin 1940 – une victoire italienne, une humiliation devant « les voisins italiens » et la remise en cause, non seulement, de la position prééminente des Français en Tunisie, mais aussi, du protectorat lui-même. C’est bien ainsi que l’entend ce « Français qui pleure avec les autres » dans une lettre à l’orthographe approximative. Il « craint d’être l’esclave de l’Italie [lui] qui depuis bien longtemps a su choisir son camp »[13] 

Pour cet homme, vraisemblablement italien naturalisé français, la défaite est génératrice d’angoisse. Alors qu’il a opté pour la nation dominante, sa position s’en trouve non seulement fragilisée mais peut évoluer, dans le cas de la cession de la Tunisie à l’Italie – qui dans de telles circonstances pouvait être perçue comme probable – de manière dramatique. De fait, les lettres reçues par le résident Peyrouton ont une tonalité très largement anti-italienne. La forte mobilisation des 48 personnalités de Mateur n’est certainement pas étrangère au fait que les Français soient minoritaires parmi les Européens de ce contrôle civil[14] 
6Bien sûr la plupart des lettres témoignent d’une réelle douleur de voir la France vaincue et souhaitent un sursaut patriotique, un élan guerrier héroïque, évoqués à travers des images puisées dans l’iconographie de l’histoire de France. « Vivre libres ou mourir sera notre devise à tous. Elle a été celle de nos pères en 1789. »[15] 
Peut-on lire dans une lettre. D’autres choisissent de se référer « aux sans-culotte de 1792 [et exigent] “la levée en masse”, à “la France de Bayard, de Jeanne d’Arc, de Barras, des Sans-culotte de 1792 et des grognards de Napoléon” »[16] 
7Une partie des épistoliers libèrent leur colère, leur acrimonie, trouvent des coupables. Certains réclament « des Blanchard, pas des Gamelin », accusent « l’abus des boissons alcoolisées ». Un « vieux français de France[déplore]la gabegie [...] » et accuse«ces militaires qui paradent au lieu de se battre »[17] 

Dans le flot des réflexions d’humeur, l’antisémitisme n’est pas le moins virulent, quoique très minoritaire[18] 
« Une mère antisémite », telle qu’elle se désigne, s’en prend à « ces hommes aux sentiments haineux[qui]prospèrent alors que tant de sang jeune, encore tout frais vient de couler »[19] 
Cet antisémitisme peut aller jusqu’à désigner des personnalités appartenant à la communauté juive telles que « Paul Guez, avocat à Sousse, et Élie Cohen, directeur de L’Avenir du Centre, le journal de Sousse », rendus responsables de tous les maux de la société[20] 
Ces journées d’incertitude militaire et politique sont d’ailleurs marquées par un mouvement antisémite signalé par le directeur des services de sécurité qui déclare : « Le courant d’antisémitisme déjà signalé à plusieurs reprises semble se généraliser et, dans les conversations, tous les revers et les difficultés sur le plan international ou local, sont imputées aux israélites. »[21] [
Cet antisémitisme n’est pas seulement verbal puisque, dans le même rapport, le rédacteur indique que : « La plupart des tunisiens surtout parmi la jeunesse, qui avaient abandonné la coiffure musulmane, portent depuis quelques jours une chéchia sur la tête ou à la main, pour éviter, disent-ils, d’être pris pour des juifs. »[22

8Les jeunes de la communauté juive ont été parmi les plus vifs opposants au fascisme italien. Par cette lutte au grand jour, par le militantisme au sein des partis de gauche et du syndicat de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), ils se sont exposés au regard des autres communautés comme favorables à une guerre antifasciste. Par syllogisme, ils deviennent les responsables de la défaite. Selon l’expression d’Élie Cohen-Hadria, pendant ces journées de juin 1940 : « On a mangé du juif. »[23]

9L’amertume de la défaite est partagée par l’ensemble des Français du territoire. À partir du 17 juin, il ne s’agit plus de poursuivre la guerre au nom de la France mais d’empêcher que la défaite n’altère l’intégrité des colonies, d’où l’idée d’un « Maghreb solidaire » et d’un « axe Noguès-Peyrouton ». Cette vision transmaghrébine est surtout évoquée par des notables comme Henriette Lafon, fille d’un avocat au barreau de Tunis, qui, depuis Bizerte, demande à Peyrouton de refuser avec Noguès de « céder une partie de l’Empire à qui que ce fut »[24] 
Un délégué au Grand Conseil, Marc Auboine, estime, quant à lui, que « Français et Tunisiens sont prêts à se battre
Suggérer une solution maghrébine pour dépasser l’incertitude politique est une manière détournée de se désolidariser de la France, de se « laver les mains » d’un désastre qui n’est pas celui des coloniaux et dont surtout ils ne veulent pas pâtir. Avant même de savoir et de s’inquiéter du sort de la France, des Français de Tunisie, dont certains ont des responsabilités au sein du protectorat, sont prêts à accepter, parfois à devancer une solution coloniale. Il ne s’agit pas d’une sécession, en aucune façon cela n’est formulé, ni probablement représenté dans les esprits, mais d’une réflexion qui entraîne un positionnement objectif sur la ligne de l’éloignement vis-à-vis de la France si l’intégrité du Maghreb venait à être menacée. Pas un Français en Tunisie, en juin 1940, n’a voulu être entraîné dans la spirale dangereuse de la défaite ainsi que l’écrit Camille Séguin : « La Tunisie, l’Algérie, le Maroc ne sauraient être une marchandise aliénable, susceptible de passer en d’autres mains hors de la volonté de ses habitants, tout comme le Canada et l’Australie vis-à-vis de la Grande-Bretagne. »[26] 
Il s’agit avant tout « de défendre la terre qui nous a vu naître et qui est devenue notre véritable patrie», dit un homme qui appose au bas de sa lettre comme un cri : « Vive la Nouvelle France. »[27] 
Le territoire étant ici perçu comme une « contrée conscientisée »[28] , « la Nouvelle France » devenant, dans un mouvement de translation, le lieu de la renaissance et du renouveau français. Ces écrits, spontanés pour la plupart, révèlent un attachement indéfectible à la France, à la nation française dans son acception spirituelle mais pas nécessairement à l’Hexagone, au territoire métropolitain, lorsque celui-ci n’est plus digne de fierté. 
Pour une fois, l’honneur et l’avenir de la patrie paraissent se trouver de ce côté de la Méditerranée. Cela est une impression majoritaire en Tunisie, partagée par « les hommes du Massilia », par Noguès un temps, par Peyrouton peut-être, et par de Gaulle.

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8L’APPEL ENTENDU DU 18 JUIN
10« Transportés d’enthousiasme et de ferveur par l’initiative du général de Gaule [sic],des Français mettent en vous leur espoir de voir la Tunisie se ranger à ses côtés. Nous ne voulons pas cesser le combat, tel le général de Gaule qui organise la lutte en Angleterre. »[29]
11Les messages, radiodiffusés depuis Londres, du général de Gaulle ont, de toute évidence, été entendus en Tunisie. Éloignés qu’ils sont de la métropole – éloignement renforcé par l’impossibilité momentanée de communiquer avec celle-ci –, les Français vivant en Tunisie sont suspendus aux ondes radiophoniques et, en particulier, celles qui leur permettent d’écouter la BBC, contrepoids des émissions triomphalistes – forcément insupportables – des radios allemandes et italiennes. 
L’habitude de capter des stations étrangères est une raison parmi d’autres qui explique l’audience en apparence large des messages des 18 et 19 juin 1940. D’autre part, le rôle de la rue dans la sociabilité tunisienne permet une diffusion rapide des informations vers le plus grand nombre. 
De plus, la compétition, à laquelle se livrent Français, Italiens et Musulmans, se traduit aussi par le niveau sonore des radios installées dans les cafés ou aux fenêtres.
12Le message du général de Gaulle a de quoi interpeller tous les Français d’Afrique du Nord, puisqu’il s’adresse en partie explicitement à eux[30] 
D’ailleurs, les rapports de police, comme celui du 24 juin 1940, confirment que non seulement la population a écouté les messages du général mais les a entendus[31] 
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« Bien des Français suivent avec beaucoup d’intérêt les allocutions prononcées par le général de Gaulle au poste d’émission (BBC) de Londres. Sauf les critiques adressées au gouvernement Pétain, la population française partage le point de vue du général et verrait avec satisfaction s’organiser un plan de résistance dans l’Empire français. Mais, selon son opinion, cette résistance ne peut être entreprise qu’avec un appui très important de l’Angleterre à l’égard de laquelle une méfiance sembleapparaître dans certains milieux. »[32)
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3Tous les Français de Tunisie interrogés confirment également l’écoute des messages du général de Gaulle, même si, soixante années plus tard, on peut légitimement mettre en questionnement la fiabilité de leur mémoire, en particulier pour un événement aussi chargé de symbolique et si souvent commémoré[33] [33] 
Cependant, on peut mettre en avant le décalage entre « le peuple du désastre » pour reprendre l’expression d’Henri Amouroux et les spectateurs engagés que sont, dans ces instants.là, les Français de Tunisie. 
En l’occurrence, la distance les a placés au cœur d’un nouveau dispositif, au centre des enjeux, l’interface de l’Afrique du Nord en quelque sorte activée par la réception des ondes hertziennes.

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8FLUX ALTERNANTS DE L’OPINION
14L’ambivalence de l’opinion française en Tunisie est pourtant perceptible dès le 20 juin 1940. Dans un nouveau rapport adressé à la Résidence générale, le directeur des services de Sécurité écrit : « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que l’opinion de la population française reste la même. Partout se manifeste la même impatience de connaître les conditions de l’ennemi, mais, en même temps, l’espoir que la lutte continue. »[34] 
Même si la propre ambivalence du préfet et des autorités résidentielles se manifeste ici au moins autant que celle de la population, il n’est pas moins vrai que, au-delà du désir réel de poursuivre la guerre, de ne pas s’avouer vaincu, de refuser l’humiliation, le devenir de l’Empire a été un élément déterminant[35] 

15Certains refusent tout uniment l’armistice, comme cet homme de Metlaoui, qui, dans une lettre du 22 juin, affirme que « les discours du maréchal Pétain ont été sifflés[et qu’]il y a vraiment un état d’esprit unanime qui ne comprendra jamais une abdication quelle qu’elle soit ». Un certain Berry de Sfax dit sensiblement la même chose. Pour eux, « le général de Gaule [sic] mène un combat sacré»et ils souhaitent « que Dieu l’aide dans son entreprise »[36] 
Cette volonté de poursuivre la lutte se manifeste dans tout le pays, en milieu urbain comme en milieu rural, parmi les fonctionnaires, les « étudiants au collège de Sousse », les colons – y compris les Zeller –, des officiers, des artisans, des commerçants, des militants socialistes[37] 
Beaucoup emploient le terme de résistance qui n’est pas neutre. S’il n’est pas employé par Noguès, Le Beau ou Peyrouton, il l’est en revanche par de Gaulle. Rien n’autorise cependant à considérer qu’il s’agit là d’une forme d’engagement[38] et d’une résistance préfigurant une opposition au régime de Vichy. Il arrive pourtant que les modes d’actions envisagés par les opposants à l’armistice soient déjà ceux de la clandestinité comme ces tracts distribués anonymement dans les cafés de l’avenue de Carthage à Tunis le 24 juin :
_____________________________
« Le territoire déjà occupé reste sous l’occupation allemande. Les prisonniers allemands seront rendus et les prisonniers français resteront internés en Allemagne jusqu’à la signature de la paix.
« La Flotte sera désarmée et internée dans des ports que l’on désignera ultérieurement.
« Une partie de la marine marchande continuera d’assurer le trafic entre la France et les Colonies sous contrôle des Allemands et des Italiens.
« Le matériel d’aviation sera livré aux Allemands.
« Les postes de la Radio Française seront confisqués jusqu’à la paix.
« Désarmement des troupes et remise des armes aux Allemands.
« Le libre passage en France du trafic italien et allemand.
« Les gouvernements des colonies françaises continueront sous le contrôle des Allemands et des Italiens. [...]
« Le général de Gaule a constitué un Comité français pour sauvegarder les intérêts de la Patrie. Ce comité a été reconnu par le roi d’Angleterre [...]. »[39 

16Ce tract prouve que de Gaulle pouvait compter sur des relais en Tunisie, dès les premiers jours qui ont suivi l’armistice, sur des gens capables de réfléchir à leur action, de s’engager et de s’organiser. S’il n’est pas possible de connaître l’impact réel de cette action sur la population ni le nombre exact de participants, il s’agit tout de même d’une attitude résistante, consciente. 
Les auteurs du tract – la police estime qu’il est le fait d’un groupe de personnes – précisent que « le général de Gaule a été destitué par le gouvernement français de ses fonctions », ce qui signifie que les risques de la dissidence et de l’action illégale sont assumés.
17L’ensemble de la population française avait le sentiment, en campant sur le refus de la défaite, de suivre ses propres intérêts tout en faisant preuve de loyalisme puisqu’elle se trouvait en accord avec les représentants légaux de la France dans toute l’Afrique du Nord. D’où, sans doute, l’amicale pression exercée sur Peyrouton par le courrier qu’il reçoit et où il lui est simplement demandé de prendre une position officielle et de « proclamer lui-même la résistance »[40] .
Cette décision pouvait d’autant moins être prise que Marcel Peyrouton a eu une position ambiguë, partagé entre la volonté de préserver l’intégrité de l’Afrique du Nord sous la responsabilité du commandant de l’AFN et ses sympathies qui allaient de toute évidence vers les futurs hommes de Vichy ; la projection qu’il se faisait des événements était en ce sens significative[41] 

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8DOUTES ET GLISSEMENTS
18La proclamation du général Noguès du 24 juin 1940 est révélatrice des doutes qui assaillent les responsables d’Afrique du Nord et au-delà, l’opinion française d’Afrique.

« L’armistice est signé mais le gouvernement en réponse à des démarches pressantes traduisant les vœux de l’Afrique du Nord tout entière, me fait connaître que :
« 1 / Il ne saurait être question d’abandonner sans combattre, à l’étranger, tout ou partie des territoires où nous exerçons soit la souveraineté, soit le protectorat ;
« 2 / L’hypothèse de l’occupation militaire, par une puissance étrangère d’une partie quelconque de l’Afrique du Nord exclue ;
« 3 / Le gouvernement n’est pas disposé à consentir une diminution des effectifs stationnés dans ces territoires.
« Pour le moment, l’intégrité de l’Afrique du Nord et de ses moyens de défense paraît assurée.
« Je renouvelle donc mes appels au calme, à l’union, à la discipline et à la confiance dans l’avenir de notre pays. »[42

19Cette déclaration, replacée dans son contexte historique, laisse percer une inquiétude qui est d’ailleurs perçue par le directeur des services de Sécurité, qui dans une note adressée à l’Administration générale à Tunis, affirme que : « Les familles françaises [...] commentent abondamment les réserves contenues [dans la déclaration de Noguès] qui laisse à nos compatriotes l’impression que leur sécurité en Afrique du Nord est encore bien aléatoire. »[43]

20Ces deux hommes, Noguès et Peyrouton, très influents en Afrique du Nord, n’ont pas voulu ou n’ont pas pu, par principe pour l’un, par conviction pour l’autre, désobéir et entrer en dissidence. Ils ont cependant laissé planer le doute, favorisant l’élaboration de théories résistantes et parfois même de fantasmes. Ils ont entraîné ou accompagné une opinion qu’ils ont tentée par la suite de rattraper et de contrôler. Dans leurs rapports quotidiens sur l’état de la population de Tunis, les rédacteurs des services de Sécurité affirment le 24 juin 1940 que : « La nouvelle de la signature de l’armistice avec l’Allemagne n’a provoqué aucune surprise dans la population française qui est de plus en plus persuadée de l’inefficacité de la résistance contre les armées du Reich [...] et que nous sommes dans l’obligation de nous incliner devant la puissance militaire allemande. » Il n’en demeure pas moins vrai, toujours selon la même source, que « la population française partage le point de vue du général de Gaulle », ce qui reflète bien l’ambivalence de l’opinion[44] 
Face à cette attitude désormais inacceptable pour un Peyrouton qui a défini son option, comme pour balayer les doutes résiduels dans l’opinion laissés par le message de Noguès, dans une allocution, comme une réponse à de Gaulle, comme un prolongement de celles du maréchal Pétain, il déclare le soir du 24 juin :
__________________
« Cet armistice réserve l’honneur de la France, assure la défense et l’intégrité de l’Afrique du Nord. » [Il reprend ensuite les trois points développés par le général Noguès et conclut] : « Et désormais votre devoir est net : c’est le mien. Tous par notre travail, notre attitude, la confiance inébranlable dans les destins de la France immortelle, tous soulevés par une volonté unanime de reconstruction nationale, dans la purification de l’effort quotidien, nous devons maintenir la cohésion, l’union, subir les disciplines dont le rejet ou l’oubli nous amenèrent à la limite de l’abîme. »[45]

1Le discours du résident général est, en fait, un propos militant en faveur de l’armistice et du maréchal Pétain et le situe dans l’orbite du nouveau régime. L’impact sur la population que confère la fonction résidentielle, la popularité qui a été la sienne parmi les Français de Tunisie lors de son premier mandat et le besoin conjoncturel de se référer à une personne investie d’un pouvoir institutionnel, ont permis à Marcel Peyrouton de colmater les brèches dans une opinion chancelante et de la dompter : « Écoutée par toutes les familles françaises qui attendaient des déclarations importantes [et qui ont manifesté] partout un grand soulagement en apprenant que le gouvernement Pétain s’était opposé à toute occupation militaire étrangère de nos possessions coloniales et n’avait consenti à aucune diminution des effectifs stationnés dans ces territoires »[46] , cette déclaration favorise le passage de l’opinion française de Tunisie d’un refus global de la défaite et de l’armistice, à son acceptation.

L’ACCEPTATION SANS ADHÉSION DE L’ARMISTICE
22Même si des membres de la communauté française manifestent un enthousiasme ostentatoire, d’autres demeurent toujours inquiets. À la peur du futur immédiat, détournée par l’intervention de Peyrouton, succède l’angoisse du long terme. « De nombreux Français en viennent à se demander si les conditions de paix ne démentiront pas les espérances que paraissent laisser encore dans l’Afrique du Nord les conditions d’armistice et considèrent qu’il y a lieu de se méfier d’une supercherie de la part de l’Allemagne, toujours possible. »[47] 

Contrairement aux vœux de la Résidence générale, les alliés d’hier ne se sont pas transformés subitement en ennemis. Même si, peut-être pour complaire à sa hiérarchie, le directeur des services de Sécurité affirme que « les sentiments anglophiles paraissent perdre du terrain », il estime néanmoins que « malgré tout, beaucoup de nos compatriotes pensent encore que la France ne restera pas sur une si sévère défaite et que l’Angleterre peut encore vaincre»[48] 

À travers la formulation d’une victoire anglaise, c’est sans doute le désir de continuer le combat qui se manifeste. Une sorte de guerre par procuration dans laquelle le général de Gaulle pourrait jouer un rôle.
24Alors que la population hexagonale qui a subi directement le poids des événements est abasourdie, en Tunisie, l’attentisme cache une certaine vigueur. L’étude de l’évolution des sentiments anglophiles, considérée comme un marqueur, peut en rendre compte. Une fois signé l’armistice, les nouveaux dirigeants du pays n’ont qu’une hâte, démontrer qu’il n’y avait qu’une voie possible, que toute résistance face à l’Allemagne eût été vaine et suicidaire. En Tunisie, comme en France, l’Église affirme son soutien au nouveau régime et travaille l’opinion notamment par la voix de l’archevêque de Carthage, primat d’Afrique, Mgr Gounot, qui prononce des homélies sans ambiguïté[49]

Pourtant, malgré Mers-El Kébir, jamais la cote d’amour de l’Angleterre n’a faibli au sein de l’opinion française de Tunisie et, si la popularité du général de Gaulle a été concurrencée par celle du maréchal Pétain, elle ne s’est jamais éteinte, pour perdurer d’ailleurs en un attachement qui est allé au-delà de l’après-guerre. L’armistice a certes soulagé les Français de Tunisie mais il n’a pas fait disparaître les inquiétudes, ni le ressentiment, qu’ils continuaient d’éprouver vis-à-vis de l’Italie, la nation qu’ils considéraient comme leur véritable ennemi.
25Dans le cas d’une défaite militaire, une opinion publique exerce une pression plus forte que d’ordinaire sur le pouvoir politique. Elle réagit à chaud et son attitude est déterminée par ses craintes majeures : peur de l’ennemi, angoisse du lendemain, inquiétude de perdre une position. Si l’opinion française en juin 1940 était prête à accepter l’arrêt des combats, en Tunisie elle optait pour une attitude inverse mais, dans un cas comme dans l’autre, les populations s’en sont remises aux autorités légales, quitte à manifester plus tard, dans des formes multiples, leurs doutes ou leur réprobation. Les moments de tension internationale majeure font surgir chez les gouvernés un désir fort d’être rassérénés et guidés par le pouvoir autant que par les leaders d’opinion. La sortie de guerre est une réponse à l’entrée en guerre, et il est intéressant de constater qu’en Tunisie, une opinion publique favorable à la poursuite des combats en 1940 répond à une opinion nettement belliciste en 1939.

NOTES
[ 1]Yves Durand, La France dans la Seconde Guerre mondiale, Paris, Armand Colin, 1993 (2e éd.), « Cursus », p. 17. 
[ 2]Notamment Radio Bari et Radio Berlin avec des émissions en arabe destinées aux Tunisiens musulmans. 
[ 3]Robert O. Paxton, La France de Vichy, Paris, Le Seuil, 1973, p. 18. 
[ 4]Il adresse le 18 juin au général Weygand, après avoir entendu le premier message de Pétain le 17 juin, un télégramme en ce sens. Il y fait en substance, état du désir des hommes de se battre, l’inventaire du matériel dont il dispose et dresse un bilan géostratégique de la situation depuis l’Afrique du Nord. 
[ 5]Son retour depuis Buenos Aires où il occupait la fonction d’ambassadeur de France lui a pris un certain temps. Pendant ce temps, Eirik Labonne se retrouvait en poste à Moscou. 
[ 6]Ministère des Affaires étrangères (MAE), Archives diplomatiques de Nantes, protectorat Tunisie (ci-après ADN-Tunisie), premier versement, carton 332, papiers personnels des Résidents généraux. 48 personnalités de Mateur sur les quelque 398 personnes que compte la communauté française de cette ville, soit environ 12 % de celle-ci, manifestent leur volonté de poursuivre la guerre. Si ce n’est un sondage dans toute sa rigueur, c’est en tout cas une manifestation importante d’une opinion favorable à la poursuite des combats. Mateur, ville de la Medjerda est un centre important de colonisation où les colons tiennent une position enviable. Parmi les signataires de cette lettre, nous retrouvons des personnes connues comme la famille Zeller et en tout 11 membres du PSF en 1939 (après recoupement avec les listes établies par la Sûreté, 2mi 254, partis politiques). Si cette lettre a un poids supérieur aux autres par le nombre des signataires, celle qui émane du conseil municipal de Saint-Germain, qui exprime l’opinion de personnalités françaises également positionnées socialement, cette fois-ci en milieu urbain, est également à distinguer des autres. 
[ 7]Jean Estèbe utilise cette expression à propos des lettres adressées au Commissariat général des questions juives à Toulouse (Jean Estèbe, Les Juifs à Toulouse et en Midi toulousain au temps de Vichy, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1996, p. 45). 
[ 8]Robert O. Paxton, La France de Vichy,op. cit., p. 15. 
[ 9]Juliette Bessis, Maghreb, la traversée du siècle, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 92. 
[ 10]Élie Cohen-Hadria estime en revanche comme une erreur le retour de Peyrouton en Tunisie, Du protectorat français à l’indépendance tunisienne : souvenir d’un témoin socialiste de son temps,Nice, Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine, 1976, p. 100-102. 
[ 11]MAE (ADN-Tunisie), premier versement, 2mi 673, bulletin quotidien d’information de la résidence, dossier 1, bulletin du 7 juin 1940. Élie Cohen-Hadria donne une autre version. Dans Tunis socialiste, Duran-Angliviel a écrit : « La patrie est en danger. Nous n’avons pas à savoir qui le gouvernement de la République nous envoie pour diriger les destinées de la Tunisie en ces heures sombres. Nous nous rangeons derrière lui parce qu’il représente la France. » Voir É. Cohen-Hadria, Du protectorat français…,op. cit., p. 149 ou encore, BN de Tunis, section des périodiques,Tunis socialiste du 6 juin 1940. 
[ 12]Ibid., bulletin du 7 juin 1940. 
[ 13]MAE (ADN-Tunisie) premier versement, carton 332, papiers personnels des résidents généraux, lettres reçues par Marcel Peyrouton entre le 19 juin et le 6 juillet 1940. Elles ne sont pas classées. 
[ 14]Les Européens de Mateur sont avant-guerre 1624 (sur une population totale de 7 416 personnes) dont 1 169 Italiens et 398 Français. Le reste de la population européenne se composant de 44 Maltais, 6 Espagnols et de 4 autres Européens n’appartenant pas aux principales nationalités répertoriées sur le territoire tunisien. 
[ 15]MAE (ADN-Tunisie), premier versement, carton 332. 
[ 16]Ibid. 
[ 17]Ibid. 
[ 18]Deux lettres sur les 42 sont franchement antisémites et une autre l’est de manière moins directe. 
[ 19]La première des deux lettres antisémites, écrite par une femme d’âge mûr (elle déclare avoir de grands enfants) et appartenant à un milieu social modeste ou du moins n’ayant pas fait beaucoup d’études, sa lettre étant truffée de fautes d’orthographe. 
[ 20]Deuxième lettre antisémite d’un homme âgé de Sousse qui est plus proche d’un règlement de comptes entre lui et deux notables juifs. 
[ 21]MAE (ADN-Tunisie), 2mi 778, rapports de police, note adressée le 20 juin 1940 au directeur de l’Administration générale et communale.
[ 22]Ibid. 
[ 23]Élie Cohen-Hadria, Du Protectorat français…,op. cit., p. 154. À travers cette locution, il désigne les Français de Tunisie et non les Tunisiens. 
[ 24]MAE (ADN-Tunisie), carton 332, la lettre d’Henriette Lafon fait partie des lettres signées à titre individuel comme celle de Marc Auboine, délégué au Grand Conseil, d’Eugène Lemain, chef d’entreprise, de Camille Séguin ou dans une certaine mesure celle de Mateur. D’autres sont signées au nom d’un groupe. 
[ 25]Les Anciens Combattants de Metlaoui, de Moulares ou encore un chef d’entreprise originaire d’Arras, Eugène Lemain, font valoir auprès du résident général la force numérique que représente la population musulmane. Noguès emploie également cette supériorité numérique comme un argument permettant de défendre sa position en faveur de la poursuite de la guerre pendant les pourparlers d’armistice. Cela rejoint la vision du gouvernement français en janvier 1939, exprimée plus ou moins nettement par É. Daladier lors de son voyage tunisien. 
[ 26]MAE (ADN-Tunisie), carton 332. Camille Séguin s’exprime au nom du conseil municipal de Saint-Germain dans la banlieue de Tunis, avec le poids aussi que lui confère sa qualité de responsable du Parti radical de Tunisie. 
[ 27]Ibid., carton 332. 
[ 28]Roger Brunet, Les mots de la géographie,dictionnaire critique, Montpellier, GIP RECLUS – La Documentation française, 1993, « territoire ». Il évoque également un « espace approprié avec conscience d’appropriation ». 
[ 29]L’orthographe a été respectée parce qu’elle signifie une connaissance exclusivement orale de De Gaulle. Les personnes qui évoquent de Gaulle ne le connaissent pas ou presque pas ; une d’entre elles allant même jusqu’à le comparer à D’Annunzio à Fiume. 
[ 30]Notamment lorsqu’il évoque : « l’Afrique du Nord française, l’Afrique du nord intacte [...] l’Afrique de Clauzel, de Bugeaud, de Lyautey, de Noguès ». 
[ 31]« On ignore quel est l’impact en AFN de cet appel », estime Christine Lévisse-Touzé dansL’Afrique du Nord dans la guerre, 1939-1945, Paris, Albin Michel, 1998, p. 72. Pourtant il semble bien, plusieurs sources le confirmant, que cet appel a reçu un écho favorable en Tunisie malgré sa censure dans la presse imposée par le général Noguès. 
[ 32]MAE (ADN-Tunisie), 2mi 778, état et mouvements de l’opinion entre juin et juillet 1940, rapport du préfet directeur des services de Sécurité daté du 24 juin 1940, fol. 374. Certaines affirmations du directeur de la Sécurité n’engagent que lui et sa conception des rapports hiérarchiques avec le résident Peyrouton. D’autres sources démontrent que les Français n’étaient pas animés globalement de sentiments anglophobes. D’ailleurs, l’emploi abusif des modalisateurs traduit le manque de certitude et la prudence du rédacteur. 
[ 33]33 anciens de Tunisie ont répondu soit directement (15), soit par retour de questionnaire à des questions précises mais faisant appel à leur souvenir. Pour cela, voir Serge La Barbera, Les populations françaises de Tunisie de la fin des années 1930 au début des années 1950 : attitudes, comportements, représentations, thèse de doctorat d’histoire, Toulouse-Le Mirail, 2002, 2 vol. 
[ 34]MAE (ADN-Tunisie), 2mi 778, état de l’opinion entre juin et juillet 1940. 
[ 35]Cette question a d’ailleurs été au cœur des discussions entre vainqueurs et vaincus. 
[ 36]MAE (ADN-Tunisie), carton 332, papiers personnels des Résidents, courrier adressé à M. Peyrouton. 
[ 37]É. Cohen-Hadria, op. cit., p. 151. « Pour nos camarades, aucun doute : il fallait continuer le combat», écrit-il. Les Zeller sont des colons très aisés de Mateur, membres du PSF avant la guerre. 
[ 38]Le désir de résister exposé par ces personnes qui se sont manifestées autour du 22 juin 1940 ne s’est pas inscrit dans la durée et est resté au niveau « de la bouteille à la mer ». Il n’a pas été, pour la majorité, oralisé ni surtout rendu public, selon les critères de l’engagement définis par Antoine Prost, Vingtième Siècle,Revue d’histoire, « Changer le siècle », octobre-décembre 1998, numéro spécial, p. 14-26. 
[ 39]MAE (ADN-Tunisie), carton 1899, fol. 117 et 118, rapports de police, un double de ce tract est transmis au résident général par le commissaire Benoiton. 
[ 40]Élie Cohen-Hadria, op. cit., p. 151. Persuadés que le résident général ne manquerait pas d’agir ainsi, les responsables de Tunis socialiste envoient aux services de la Résidence chargés de la censure, le numéro du journal appelant à la poursuite des combats et à la résistance. 
[ 41]Il répond à Gaston Palewski, ancien chef de cabinet de Paul Reynaud, de passage à Tunis le 20 juin : « Voyons [...], vous êtes naïf, les Anglais sont déjà en train de négocier avec Hitler. » Cité par Jean Lacouture, De Gaulle,le Rebelle, Paris, Le Seuil, 1984, p. 376. Devant le consul de Grande-Bretagne, il déclare : « Convainquez Noguès, c’est de lui que tout dépend » (ibid.). Dès le 18 juin 1940, il déclarait à Radio Tunis, dans une allocution : « Le maréchal Pétain, la plus pure figure des temps présents, s’est vu, sous la pression de circonstances inéluctables, obligé d’examiner dans quelles conditions il pourrait honorablement être mis fin à un carnage [...].Peut-être un jour, la France mutilée et plus glorieuse que jamais, devra-t-elle déposer les armes [...] l’honneur reste. » La version intégrale de cette allocution a été reproduite dans La Dépêchetunisienne du 19 juin 1940, BN de Tunis, section des périodiques. On peut supposer, et malgré le flou entretenu, compte tenu du rôle qu’il a joué quelques semaines plus tard dans le premier gouvernement Laval à Vichy, que sa position était définie. 
[ 42]BN de Tunis, section des périodiques, Le Petit Matin du 25 juin 1940. 
[ 43]MAE (ADN-Tunisie), 2mi 778, fol. 376. Il met en exergue la phrase en question qui a, semble-t-il, beaucoup inquiété la population française. 
[ 44]Ibid. ou encore carton 1899, fol. 114. 
[ 45]BN de Tunis, section des périodiques, Le Petit Matin du 25 juin 1940. 
[ 46]MAE (ADN-Tunisie), 2mi 778, fol. 376. 
[ 47]Ibid., 26 juin 1940, fol. 377, rapport du préfet de la Sécurité. 
[ 48]Ibid. 
[ 49]Serge La Barbera, « L’Église d’Afrique face au nouveau régime. L’attitude de Mgr Gounot, primat d’Afrique : une ambivalence coloniale », J. Cantier, E. Jennings (dir.), L’Empire colonial sous Vichy, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 287-299. 

RÉSUMÉ
En juin 1940, tandis que s’annonce la défaite de l’armée française, que la panique s’empare de la France, dans les colonies du Maghreb, et particulièrement en Tunisie, l’opinion paraît favorable à la poursuite des combats. La voix du général de Gaulle est entendue et son discours est apprécié. La peur de voir le Protectorat passer sous contrôle italien détermine les attitudes et il faut toute la conviction des autorités en place pour faire accepter l’armistice. L’opinion française de Tunisie est avant tout légaliste et ce réflexe est renforcé par les circonstances mais le développement de la guerre fait surgir, à la fois, une affection pour de Gaulle, et pour les Alliés.

Défaite militaire et enjeux d’influence entre pouvoir et opinion publique : l’exemple de la Tunisie entre mai et juillet 1940
In June 1940, while the French Army is in rout and panic is taking hold of France, public opinion in French North Africa, especially in Tunisia, seems in favour of continuing the fight. General de Gaulle’s voice can be heard and his appeal is applauded. The fear of seeing the Protectorate falling under Italian control is uppermost in the mind, and the authorities are hard put to persuade the people to accept the armistice. Opinion in French Tunisia is above all legalist, and this reflex is reinforced by circumstances, but as the war proceeds it fosters a more popular image of de Gaulle and of the Allies.

 

POUR CITER CET ARTICLE
Serge La Barbera « Défaite militaire et enjeux d’influence entre pouvoir et opinion publique : l’exemple de la Tunisie entre mai et juillet 1940 », Guerres mondiales et conflits contemporains 2/2007 (n° 226), p. 109-120. 
URL : www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2007-2-page-109.htm. 
DOI : 10.3917/gmcc.226.0109.   

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La Tunisie au gré des conflits  

 

 

Les contingents impériaux au cœur de la guerre

Classé sous — milguerres @ 17 h 02 min

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La Tunisie au gré des conflits

Les contingents impériaux au cœur de la guerre :  « Etude faite sur la présence de tous les hommes d’origine des colonies françaises ou britanniques (et autres) ayant participé aux deux conflits mondiaux. 

Pour ceux qui ignorent la présence des Nords Africains, des « Noirs », des Chinois, des gens de l’Est, des Australiens, des Canadiens,… et pardon si j’oublie d’autres origines au sein de ces deux conflits.  Les chiffres parlent d’eux-mêmes,  leur présence ne fera qu’honorer leur mémoire !  A tous ceux qui ont combattu pour une même cause … «  

à noter, selon cette étude :

« La mobilisation des «indigènes » s’est opérée selon des principes divers. En Algérie, en Tunisie et en AOF, les contingents fournis par engagements volontaires sont complétés par des conscrits recrutés par tirage au sort.  »

« En 1940, l’armée française met en ligne 640000 coloniaux et Nord-africains, dont 
176000 Algériens,
 
80000 Tunisiens,
 
80000 Marocains (360000 hommes), et
 
180000 Sénégalais.

En France, en 1918, pour un total de 350000 travailleurs étrangers présents, 200000 sont originaires des colonies françaises (78000 Algériens, 35000 Marocains, 28000 Tunisiens, 50000 Indochinois, surtout Vietnamiens, 6000 Malgaches)

Selon cette étude : 108000 Tunisiens auraient servis sous le drapeau tricolore, lors des deux conflits mondiaux, sans noter les pertes humaines, civiles ou matérielles (sans oublier la période de colonisation et la campagne de Tunisie en 1881. Une Tunisie, vraiment au gré des conflits… Hayet (auteur du blog, origine tunisienne

Champs de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8

 

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Les contingents impériaux au cœur de la guerre 

Jacques Frémeaux   lien Histoire, économie et société  lien   Année   2004   lien Volume   23   lien Numéro   23-2 

Résumé
Cette communication insiste sur un sujet trop rarement évoqué, qui est la participation des empires coloniaux, surtout français et britannique, aux deux guerres mondiales. L’apport des Dominions et des colonies en soldats et travailleurs a été important. Ces soldats ont connu des conditions de guerre analogues à celles des soldats européens. Aux souffrances subies par l’ensemble des combattants s’est ajouté un plus grand éloignement de leur pays et, pour les soldats dits «indigènes», une expérience qui a précipité l’entrée dans le monde moderne, et a contribué à encourager les nationalismes.

Abstract
This paper deals with the very important part played by the imperial armies, especiallly British and French, during the two World Wars. A great number of soldiers and workers came from the Dominions and Colonies. They had to endure similar conditions as those of their European comrades, plus, a harsher and longer severance from their mother countries. The discovery of the modern war accelerated the entry of the « native » men in the Modem World, and gave a boost to nationalisms.

Le présent programme ne fait aux Empires coloniaux qu’une place limitée. L’ambition de cette communication est de montrer que, loin de se borner à un canton périphérique de l’étude des conflits mondiaux, la participation des contingents d’outremer pourrait en constituer un vaste domaine. On voudrait suggérer ici tout ce que gagnerait une histoire des peuples en guerre à n’être pas privée d’une partie de ses réalités, trop souvent passées inaperçues lorsqu’elles ne concernent pas directement les métropoles.

1. Senghor, «Aux tirailleurs sénégalais morts pour la France», Hosties noires, 1948.
«On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat Inconnu, Vous mes frères obscurs, personne ne vous nomme» l

Échelle du phénomène
Les chiffres démontreraient à eux seuls qu’il ne s’agit pas d’un phénomène marginal. 
En 1914, la Grande-Bretagne et la France disposent des deux plus grands empires coloniaux du monde, vastes respectivement de trente-quatre millions et de dix millions de kilomètres carrés, peuplés de 400 millions et de 50 millions d’habitants.

Les armées impériales britanniques et françaises
• Les Britanniques

Dans les premiers mois de la guerre, les citoyens des quatre Dominions sont invités à concourir à la défense de la métropole. 
On recourt au même dispositif de mobilisation qu’en Grande-Bretagne: volontariat d’abord, puis conscription. 
Mais celle-ci ne s’applique sans difficultés qu’en Nouvelle-Zélande, où elle est votée au mois de mai 1917. 

Au Canada, la décision d’y recourir, en juin 1917, provoque des émeutes chez les Québécois. 

Les Australiens rejettent la conscription par référendum, sous la pression des habitants d’origine irlandaise, émus par la répression des «Pâques sanglantes» de 1916. 

En Afrique du Sud, la question n’est même pas discutée, étant donné les sympathies pro-allemandes de beaucoup d’Afrikaners. 

Au total, la contribution des Dominions atteint environ 1300000 hommes. 
L’Angleterre mobilise des effectifs équivalents aux Indes.
La participation africaine est notable.
La conscription a été imposée en 1915 en Afrique orientale et 1916 en Afrique occidentale. 

Le bilan est impressionnant, comme en témoigne le tableau 1.
Ainsi, l’empire a permis d’accroître d’environ un tiers le potentiel militaire britannique.

Les contingents impériaux au cœur de la guerre  les_co10
tableau 1

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tableau 2

En 1939, la déclaration de guerre des Dominions à l’Allemagne, reconnus comme États souverains et indépendants au sein du Commonwealth, suit immédiatement celle du Royaume-Uni. 
L’effort de mobilisation est globalement accru par rapport à celui de 1914-1918. 
Il faut dire que la menace japonaise a stimulé la mobilisation en Australie et Nouvelle-Zélande, mais aussi aux Indes. 

La contribution indienne est double de celle de la Grande Guerre, celle des colonies africaines sept à huit fois plus forte. 

Le nombre de mobilisés atteint cinq millions d’hommes, dont deux millions pour les seuls Dominions, soit 84 % de la mobilisation de la métropole. L’Empire britannique et le Commonwealth ont ainsi vécu comme l’avait prophétisé Churchill dans son discours du 18 juin 1940, leur «finest hour» (tab. 2).

• Les Français

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tableau 3

À ces chiffres (tab. 3), qui concernent les «indigènes » il faudrait ajouter celui des Français d’outre-mer, la majorité étant constituée de 73000 Français d’Algérie, auxquels on peut adjoindre peut-être 4000 Français des colonies, soit un total d’environ 80000 hommes.
On atteindrait ainsi environ 650000 hommes, et un total de pertes d’environ 100000 hommes

Il va de soi que, par rapport aux 7800000 mobilisés français, la proportion est faible (environ 8 %). 
Malgré tout, l’acharnement de Clemenceau en 1917 et 1918 à mobiliser les contingents coloniaux les plus nombreux possibles montre que ce nombre doit, dans son esprit, peser lourd dans la balance. 
On peut être pratiquement sûr que, en cas de prolongation du conflit, leur proportion aurait eu tendance à s’accroître. 

La mobilisation des «indigènes » s’est opérée selon des principes divers. En Algérie, en Tunisie et en AOF, les contingents fournis par engagements volontaires sont complétés par des conscrits recrutés par tirage au sort. 

Les besoins de guerre amènent à augmenter le nombre des appels. Dans le reste de l’Empire, on en reste au système d’un volontariat, souvent forcé par des pressions administratives.
Dans Г entre-deux guerres, le recours au réservoir humain des colonies paraît le seul moyen de remédier à l’insuffisance de la démographie. Des lois de 1919 étendent le système de la conscription à l’ensemble des territoires de l’Empire. 

En 1940, l’armée française met en ligne 640000 coloniaux et Nord-africains, dont 
176000 Algériens, 
80000 Tunisiens, 
80000 Marocains (360000 hommes), et 
180000 Sénégalais.

C’est à peu près 10 % de l’effectif de l’armée française. 
Ces troupes combattent courageusement, avant d’être entraînées dans la défaite commune.
Elles comptent de nombreux morts et prisonniers.
 


L’appel aux troupes coloniales ne cesse pas avec la défaite. Elles forment la majorité des contingents de l’armée coloniale de Vichy, mais aussi de ceux de la France libre. 

Après le débarquement allié en Afrique du Nord de novembre 1942, la participation des contingents d’outre-mer est déterminante lorsqu’il s’agit d’organiser en Afrique du Nord une armée française équipée de matériel américain. 
À l’été 1944, sur 633000 hommes de l’armée de terre, on compte environ 60 % de soldats «indigènes», dont certains appartenaient aux Forces françaises libres depuis 1940.

• Note additionnelle
Certes, pour être complet, ce travail devrait faire mention des troupes «coloniales» employées par l’armée russe, et recrutées notamment parmi les Musulmans du Caucase et de l’Asie centrale. Il n’est pas possible de le faire ici, faute de temps. On peut au moins citer pour mémoire les deux «divisions sauvages» recrutées dans le Caucase, qui participent à la tentative du général Lavr Kornilov contre le gouvernement provisoire de Kerenski, au mois de septembre 1917. Des unités de ce type figureront également dans l’Armée rouge en 1939-1945. Il faut noter aussi qu’on a recruté des troupes noires dans les colonies belges et portugaises, qui participent en particulier aux campagnes contre les colonies allemandes d’Afrique orientale.

Les mobilisations de travailleurs

II s’agit d’abord de travailleurs recrutés pour les besoins des armées.
Sur le front français, ce sont en majorité des Chinois (100000 pour l’armée britannique, 40000 pour l’armée française, 10000 pour le corps expéditionnaire américain).
L’Afrique du Sud fait appel à des travailleurs africains auxiliaires (environ 70000 dont 20000 en France au Labour Native Corps , qui participe à la construction des tranchées).
Les campagnes africaines sont également dévoreuses d’effectifs: 55000 à 60000 porteurs auraient été réquisitionnés en AEF pour le Cameroun, ce qui représenterait un homme adulte sur quatre.
Pour les campagnes en Afrique orientale, les Britanniques n’auraient pas recruté moins de 750000 hommes, jusqu’au Nigeria et en Gold Coast.
Un million d’autres «indigènes» sont employés pour l’entretien des lignes de communication des armées britanniques au Proche-Orient.
Les Russes tentent d’imiter leurs alliés, pas toujours avec succès: l’ordre donné en juin 1916 de mobiliser 500000 autochtones d’Asie centrale au sein de bataillons de travailleurs, entraîne des rébellions violentes, notamment chez les Kazakhs et les Kirghizes. Des colons sont massacrés.

On retrouve des cas analogues lors de la Deuxième Guerre mondiale.
À partir de 1942, 50000 «indigènes» de Papouasie et Nouvelle-Guinée sont employés par l’armée australienne comme porteurs, brancardiers, terrassiers, mais aussi éclaireurs. Des Auxiliary Groups sont recrutés en Afrique de l’Ouest et affectés aux brigades d’infanterie, pour participer aux transports.
Par ailleurs, des «coloniaux» sont recrutés pour le travail aux champs ou à l’usine.
En France, en 1918, pour un total de 350000 travailleurs étrangers présents, 200000 sont originaires des colonies françaises (78000 Algériens, 35000 Marocains, 28000 Tunisiens, 50000 Indochinois, surtout Vietnamiens, 6000 Malgaches).

Ce mouvement se prolonge après la guerre: 100000 travailleurs nord-africains, surtout algériens, sont employés en 1930. Dans les colonies, les autorités exigent un accroissement de la production des matières premières, obtenu le plus souvent par la réquisition de travailleurs. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement du Tanganyika introduit ainsi la conscription pour augmenter la production des plantations de sisal et de caoutchouc; en Nigeria, on mobilise 100000 personnes, forcées à travailler dans des conditions scandaleuses pour tenter (sans beaucoup de succès) d’augmenter la production des mines d’étain du nord.

Le rôle dans la décision
• La Première Guerre mondiale

Pendant la Première Guerre mondiale, les troupes à recrutement impérial se battent sur tous les fronts. 
Leur participation est toujours importante, parfois décisive. 
Les forces des Dominions sont engagées en priorité sur le front français, comme par exemple les Canadiens à Vimy, au nord d’Arras, en avril 1917. 
Elles sont lourdement éprouvées à Passchendaele de juillet à novembre. 
Il en va de même des contingents coloniaux français, dont beaucoup se distinguent, en particulier les régiments de marche de zouaves-tirailleurs, à forte proportion de soldats algériens musulmans.
La 4e brigade marocaine, qui fait partie de la 38e division d’infanterie, associe pour la reprise du fort de Douaumont, au mois d’octobre 1916, trois bataillons à recrutement français du régiment d’infanterie coloniale du Maroc, deux compagnies du 43e bataillon de tirailleurs sénégalais et deux compagnies du bataillon somali.

Ces forces ont été aussi très largement employées pour tenter de lancer des offensives périphériques.
Les Néo-Zélandais et Australiens du général Birdwood, qui représentent le tiers des 129000 hommes débarqués, subissent à Gallipoli, d’avril à décembre 1915, des pertes voisines de 40000 hommes (8500 tués et 20000 blessés australiens). Les troupes indiennes, qui ont souffert du climat en France, en sont retirées en 1915, et affectées au front de Mésopotamie. L’armée du général Allenby, qui occupe Jérusalem, puis Damas, en 1918, compte deux divisions australiennes. Les campagnes africaines mériteraient aussi d’être évoquées. Par soldats noirs interposés, les militaires britanniques et français combattent les Allemands, au Togo (août 1914), au Sud-Ouest africain (août 1914-mai 1915), au Cameroun (août 1914-février 1916). En Afrique orientale, le lieutenant-colonel von Lettow-Vorbeck, tient tête aux troupes britanniques et sud-africaines, renforcées de troupes noires est-africaines et ouest-africaines, mais aussi fournies par les Portugais et les Belges de la Force publique du Congo.


• La Seconde Guerre mondiale
Comme dans le conflit précédent, ces contingents combattent sur tous les fronts.
Les troupes des colonies africaines de la Grande-Bretagne participent à la conquête de la Somalie italienne, puis à la campagne d’Ethiopie en 1941.
Des Australiens, des Néo-Zélandais et des Sud-Africains se battent dans le désert contre les troupes de Rommel.
Une division australienne est faite prisonnière à Singapour.
Des Indiens sont envoyés en Italie au sein de la VIIIe armée du général Alexander.
700000 participent à la campagne de Birmanie.
Les Canadiens constituent une partie importante des forces qui débarquent en Normandie en juin 1944.
Les campagnes du Pacifique engagent des Australiens, des Néo-Zélandais, mais aussi des détachements recrutés en Papouasie et en Nouvelle-Guinée, qui forment le Pacific Islands Regiment .
On note qu’une grande partie de ces troupes doivent défendre les possessions d’outre-mer, en particulier contre le Japon en Asie et dans le Pacifique. L’appoint impérial est donc moins net que lors de la Première Guerre mondiale.

Pour être peu nombreuses, les troupes coloniales françaises n’en ont pas moins un rôle peut-être plus important que lors du conflit précédent. 
Certaines d’entre elles contribuent aux campagnes de Leclerc au Tchad, puis au Fezzan, contre les troupes de Mussolini.
L’Armée d’Afrique s’illustre en 1943 dans la campagne de Tunisie contre les Germano-Italiens, puis en Italie où elle apporte une contribution décisive à la percée du front allemand sur le Garigliano et à l’entrée des Alliés à Rome (juin 1944). 

Tandis que la 2e DB de Leclerc libère Paris, la Première Armée commandée par de Lattre débarque en Provence. Ces unités participent ensuite, au printemps 1945, à la campagne d’Allemagne. Le dévouement des troupes d’outre-mer, souvent trop oublié, a puissamment contribué à la restauration du rôle international de la France. Seule la possession de l’Empire a permis la renaissance d’une armée qui, par sa participation à la «croisade en Europe», a contribué à faire admettre la métropole dans le concert des vainqueurs.

Problématique
II paraît important de montrer que ce thème des troupes d’outre-mer n’est qu’en apparence «exotique»: les problématiques de l’historiographie récente de la guerre peuvent très bien s’appliquer à ce champ de recherche, même si les réponses ne sont pas toujours identiques. Il s’agit d’hommes, de femmes et d’enfants forcés de subir des conflits, en fonction de leur situation particulière.
Il est un élément si évident qu’on ne pense pas forcément à en tenir compte: la première caractéristique des empires coloniaux est d’être des empires d’outre-mer, dont les diverses possessions sont séparées des métropoles par des centaines ou des milliers de kilomètres d’espaces océaniques.

En 1914, par exemple, si la France n’est qu’à un ou deux jours de mer de l’Afrique du Nord, ou à une dizaine de jours de Dakar, l’ordre de grandeur est d’environ trois semaines pour l’Inde, et six semaines pour la Nouvelle-Calédonie.
L’avion n’est employé que très rarement jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Même ensuite, il n’est guère utilisé pour les transports de troupes.

Les entrées en guerre

Les conditions des entrées en guerre de 1914 ne sont pas fondamentalement différentes de celles qu’on observe dans les métropoles. 
Le comportement des habitants d’origine européenne se situe, comme en Europe, entre enthousiasme et résignation. 
Les masses indigènes mesurent mal la portée de l’affaire, que les autorités s’efforcent de minimiser, pour éviter les tentations de révolte. 
Les notables sont incités à manifester leur loyalisme. 
Pour la plupart des élites autochtones de formation occidentale, comme pour Gandhi, qui incite ses compatriotes à s’engager, combattre pour les empires signifie aspirer à se transformer de sujets en partenaires.

Lors de la Deuxième Guerre mondiale, le scénario est à peu près le même. 
Dès le 3 septembre, le jour de la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne à l’Allemagne, les premiers ministres d’Australie et de Nouvelle-Zélande ont proclamé l’engagement de leur pays aux côtés de celle-là («où elle va, nous allons; où elle se tient, nous nous tenons»).
Au Canada, le Parlement accepte sans vote l’engagement dans la guerre.
Au même moment en Afrique du Sud, la motion de neutralité présentée par le Premier ministre Hertzog est mise en minorité face à la motion de déclaration de guerre soutenue par le maréchal Smuts, symbole, depuis le conflit précédent, du dévouement à la cause impériale, devenue celle du Commonwealth .
Au Maroc, dans une lettre lue dans les mosquées, le sultan Mohammed Ben Youssef, futur roi Mohammed V, souligne que «nous devons à la France un concours sans réserve, ne lui marchander aucune de nos ressources et ne reculer devant aucun sacrifice. Nous étions liés à elle dans les temps de tranquillité et d’opulence, et il est juste que nous soyons à ses côtés dans l’épreuve qu’elle traverse et dont elle sortira, nous en sommes convaincus, glorieuse et grande».

Bien des grincements, il est vrai, se produisent, émanant des représentants des partis nationalistes.
En Inde, les représentants du Parti du Congrès se déclarent scandalisés par le fait que, alors que les Dominions ont décidé en toute souveraineté de leur entrée en guerre, par des votes de leurs parlements », le vice-roi a proclamé l’état de belligérance de l’Inde de façon automatique à la suite du gouvernement de Londres, sans consultation des élus.
Le Parti du Congrès se déclare pourtant prêt à soutenir la cause britannique par solidarité antifasciste, mais uniquement en échange de promesses précises quant à l’octroi d’une indépendance rapide, assorties de précisions quant aux buts de guerre alliés. Dans les territoires français, les arrestations de militants ou les dissolutions de partis nationalistes se multiplient. L’effort de mobilisation humaine et économique n’en est pourtant guère entravé.

La violence de guerre
• Le mythe de la «barbarie des troupes coloniales»

Les guerres coloniales antérieures à 1914 ont été souvent empreintes d’une très grande violence. 
La poignée d’officiers européens commandant des volontaires autochtones ont dû souvent s’assurer de leur fidélité en les récompensant par des parts de butin; ils ne se sont pas toujours souciés de protéger les non-combattants des pillages et des massacres. 
Certains, comme Mangin, auteur de La Force noire , ont jugé que l’assaut brutal et sans pitié était dans la nature même des combattants africains, et ont voulu en faire des troupes de choc. Ils sont déçus: les soldats indigènes ne sont pas plus adaptés a priori à la guerre moderne que leurs homologues européens. 
Les premiers combats se traduisent par de nombreuses défaillances dans leurs rangs. 
S’ils se battent généralement bien par la suite, c’est au sein d’unités organisées selon le modèle le plus conventionnel. 
L’image du Noir armé de son terrible coupe-coupe ne persiste pas moins. 
La propagande germanique pense tenir, avec la présence des troupes noires sur le front occidental, un excellent argument pour contrer les campagnes des Alliés contre la «barbarie» dont ferait preuve l’armée allemande. 
Elle les accuse de décapiter les blessés pour se fabriquer des trophées avec leurs crânes, ou de se parer de colliers d’oreilles coupées. Elle les accuse aussi de brutaliser les prisonniers.

Ces comportements annoncent et préparent les campagnes nationalistes qui se développent après la guerre sur le thème de la «schwarze Schande » (honte noire), entendons l’emploi de troupes noires lors de l’occupation française en Rhénanie, et les abus prétendument commis par elles. 
Ce sera un des thèmes notables de la propagande nazie contre une France accusée par Rosenberg d’être «la première responsable de la souillure de l’Europe par les Nègres ». 
À titre de «vengeance », plusieurs centaines de tirailleurs du 25e RTS seront massacrés au nord de Lyon au mois de juin 1940.
Les chefs des unités de la SS ou de la Wehrmacht responsables de ces crimes de guerre n’ont voulu voir, dans la résistance héroïque des combattants noirs, autre chose que «barbarie» et «bestialité ».

En fait, rien ne vient véritablement attester l’idée d’exactions particulièrement attri- buables à des unités coloniales. On peut tout au plus citer, pendant la Deuxième Guerre mondiale, le comportement des goums marocains qui forment les unités de choc de l’armée française en Italie, accusés, non sans raison, de viol et de pillage à l’égard de civils italiens. Ce lamentable épisode, concernant quelques milliers d’hommes, et limité à quelques mois, pâlit cependant devant les horreurs du front de l’Est.

• Troupes noires et blanches
II n’est guère question de brasser indifféremment les contingents de toutes origines au sein des unités.
Les langues et les coutumes (interdits alimentaires, par exemple), mais aussi les conditions juridiques (les indigènes des colonies n’étant pas des citoyens) s’y opposent. 
Le plus souvent, on constitue des régiments ou bataillons à peu près homogènes, issus du même pays, composés respectivement de troupes blanches et de troupes de couleur. 
Dans celles-ci, ne sont en général européens que les officiers et une partie des sous-officiers. 
En Afrique du Nord, par exemple, les Européens servent aux zouaves et les musulmans aux tirailleurs et aux spahis. 
Le mélange est plus grand dans l’artillerie ou les services.

Au combat, en revanche, la juxtaposition est de règle. Dès les premières opérations de l’été 1914, des régiments mixtes juxtaposent deux bataillons de tirailleurs sénégalais avec un bataillon d’infanterie coloniale blanche. 
Par la suite, les bataillons de tirailleurs reçoivent dans leurs rangs des compagnies européennes, dans la proportion du quart de leur effectif total. 
Aucune règle ne s’impose. 
Des compagnies de tirailleurs indochinois sont réparties dans des régiments d’infanterie métropolitains. Ainsi organisées, les troupes coloniales s’illustrent dans nombre de batailles entre 1916 et 1918. 
On a vu plus haut la composition de la 4e brigade marocaine lors de la reprise du fort de Douaumont en octobre 1916.
Ces principes sont encore en vigueur lors de la Deuxième Guerre mondiale. 
Sur neuf divisions dites «coloniales» entrées en ligne, six associent deux régiments de tirailleurs sénégalais à un régiment d’infanterie coloniale européen. Trois autres sont au départ entièrement blanches, mais deux d’entre elles accueillent par la suite dans leurs rangs des Africains et des Malgaches. Dans chacune, en effet, deux régiments d’infanterie coloniale sont transformés en régiments d’infanterie mixte sénégalais, tandis que les deux régiments d’artillerie coloniale deviennent des régiments d’artillerie coloniale mixte malgaches. Une seule est à trois régiments européens. L’idée, suggérée plusieurs fois, de donner plus d’homogénéité aux régiments en créant des bataillons mixtes n’est pas retenue. Le corps d’armée dit «colonial», affecté à la IIIe armée, n’est pas exclusivement, ni même majoritairement composé de troupes de cette origine. En fait, les divisions coloniales sont éparpillées entre les différentes armées, deux d’entre elles étant affectées à l’armée des Alpes.
Le «panachage» est toujours pratiqué après 1943. Dans la lre Armée qui débarque en Provence en août 1944, le pourcentage des «indigènes» dans les grandes unités varie entre 27 % (lre DB) et 56 % (2e DIM). Les Maghrébins servent non seulement dans les régiments d’infanterie (à raison d’environ 70 % de l’effectif total) et de cavalerie, mais dans toutes les armes. Ils sont ainsi environ 30 % dans l’artillerie et 40 % dans le Génie. Ils sont aussi présents dans les services et soutiens, ainsi que dans les formations sanitaires.

Le caractère exemplaire du coudoiement entre soldats d’origines différentes a souvent été célébré par les chefs des armées. Le maréchal Juin évoque «le souvenir de l’héroïsme le plus pur et de la fraternité qui régna [entre européens et musulmans] dans les rangs de l’Armée d’Afrique, tant il est vrai que c’est dans son sein et au creuset des batailles que les deux races se sont toujours le mieux fondues, le mieux comprises, et le mieux aimées». On pourrait rapprocher ce texte de celui du maréchal britannique Lord Wavell qui évoque l’armée des Indes, «dans laquelle toutes les croyances et toutes les races de l’Inde servaient ensemble aux côtés des Britanniques, dans la confiance mutuelle et la concorde». 
Ces déclarations, sans doute excessives, n’évoquent pas moins certaines vérités.

Les combattants
• La spécificité

On a souvent à tort développé l’idée selon laquelle les contingents d’outre-mer auraient constitué la «chair à canon» destinée à épargner le sang métropolitain.
En fait, si les pertes des combattants indigènes ont été lourdes, elles sont dues au fait qu’ils ont servi avant tout dans les unités d’infanterie, les plus éprouvées.
Mais elles ne dépassent pas celles des unités européennes comparables. 

Ils vivent pareillement, de ce point de vue, l’épreuve de la peur de la blessure et de la mort. Certains aussi connaissent la captivité. 
Les nombres sont particulièrement élevés lors de la Deuxième Guerre mondiale.
En juin 1940, les Allemands ont capturé 60000 Nord- Africains, et peut-être 15000 tirailleurs sénégalais.
On évalue à près de 70000 les Indiens faits prisonniers par les Japonais à Singapour et en Birmanie.

Une première spécificité réside dans le climat. 
Les combattants venus de pays tempérés, comme l’Afrique du Nord, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, voire froids, comme le Canada, s’adaptent sans trop de difficultés aux hivers français. 
En revanche, les «coloniaux» issus des pays situés dans les zones tropicales et intertropicales et obligées de passer l’hiver en Europe, souffrent beaucoup. 
Le froid paralyse notamment les tirailleurs sénégalais, et oblige le commandement à leur faire passer la mauvaise saison dans des camps du midi de la France. 
Á l’automne de 1944, les responsables se fondent sur la même argumentation pour procéder au «blanchiment» des unités de la lre Armée où les Noirs sont nombreux.

Une autre réalité rarement développée est celle de la rareté ou de l’inexistence des permissions permettant au soldat de rejoindre momentanément les siens.
La priorité donnée aux transports de matériels et de renforts l’explique, aussi bien que le fait qu’au séjour doit s’ajouter un très long trajet.
On avait calculé, par exemple, qu’un séjour de 30 jours au Canada signifiait l’absence de l’homme pendant trois mois à son unité. Il est possible aussi que le commandement ait craint davantage les désertions, dans la mesure où les pays d’outre-mer, vastes et sous-administrés, offraient de ce point de vue beaucoup plus de facilités que les métropoles.

Certains contingents se voient demander des sacrifices qu’ils jugent excessifs. 
Dans la lre Armée, contrainte à affronter la résistance acharnée des troupes allemandes sur les Vosges, puis dans la plaine d’Alsace, les pertes en morts, blessés, malades et disparus varient, selon les unités, entre 30 % et 109 % à la fin de 1944. 
Il ne faut pas oublier en effet que certaines d’entre elles sont passées directement des champs de bataille d’Italie à ceux de Provence, du Rhône et de l’Est de la France. 
Pourtant, les mutineries ou agitations sont rares. 
Selon un schéma assez classique, les hommes cherchent plutôt à se dérober au service militaire ou à déserter avant leur départ qu’à se révolter une fois dans l’armée.

• Pourquoi ont-ils tenu?
Dans son Étude sur le combat (1868) justement admirée par Jean-Norton Cru, le colonel Ardant du Picq énumère les techniques éprouvées depuis l’Antiquité, pour maintenir la cohésion d’un contingent au combat: un commandement solide et compétent; de bonnes armes; des passions, on dirait aujourd’hui des motivations; des formations adaptées, qui facilitent la cohésion et évitent la dislocation; une discipline rigoureuse. 
Il donne une très grande place à la «cohésion», à la «solidarité», et souligne le caractère primordial de la confiance que chaque soldat doit ressentir envers ses camarades, «sa crainte qu’ils lui puissent reprocher, faire expier de les avoir abandonnés dans le danger, son émulation d’aller où vont les autres, sans plus trembler qu’un autre, son esprit de corps en un mot» .

Tous ces éléments sont certainement intervenus pour expliquer la solidité des troupes impériales, et en particulier des troupes indigènes.
Les cadres, en général de métier, ont pour la plupart une bonne expérience du commandement de ces troupes spéciales, et en parlent la langue.
Leurs soldats sont fiers de servir dans une armée moderne, aux côtés de soldats européens, de s’initier au maniement des armes automatiques, ou à la conduite automobile. 
Ils sont mus, sinon par le patriotisme, du moins par une loyauté de type féodal envers le roi d’Angleterre ou la France (vue comme une personne).
La discipline est rigide, et n’exclut pas toujours les punitions corporelles. 
La désertion, loin du pays, est difficile. 
Les régiments cultivent un fort esprit de corps. 
Des efforts sont faits pour respecter les traditions, notamment les interdits alimentaires des soldats musulmans, et maintenir les liens avec les pays d’origine, par courriers et mandats. Des journaux spéciaux sont édités. 
Tout cela compense largement l’attachement moindre à la Patrie, dont il conviendrait d’ailleurs de relativiser l’effet sur les hommes du front.

Les contingents impériaux au cœur de la guerre 
Jacques Frémeaux Histoire, économie et société Année 2004 Volume 23 Numéro 23-2
source http://www.persee.fr

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La Tunisie au gré des conflits

7 avril 2013

La Situation Économique de Bizerte

Classé sous — milguerres @ 0 h 32 min

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La Tunisie au gré des conflits

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Une histoire : Bizerte et la France 

La Situation Économique de Bizerte

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ET LA DEFENSE NATIONALE DEVANT LE PARLEMENT

Auteur : Cambourg, Loïc de

Éditeur : impr. de C. Puyfagès (Tonnerre) Date d’édition : 1908

Sujet : France (1870-1940, 3e République) Droits : domaine public

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l’homme, 4-LB57-14514

Provenance : bnf


L’incident soulevé récemment à la Chambre par quelques députés clairvoyants relativement à la question de l’Ouenza, cette mine de fer si puissamment riche située sur la frontière d’Algérie-Tunisie, attire l’attention sur Bizerte, notre grand port africain dans la zône duquel elle se trouve.

De Tunisie m’arrive des nouvelles me signalant la lamentable situation économique de Bizerte, la ville la plus française de la Tunisie.

« J’ai pris la Tunisie pour avoir Bizerte », déclara Jules Ferry, et si cet éminent homme d’Etat revenait parmi nous, il pourrait demander des comptes à la France de sa mauvaise gestion ; Bizerte, en effet, le point de mire de toutes les convoitises étrangères languit de la crise où on semble vouloir sciemment la laisser.

Pourquoi me faut-il encore signaler aux pouvoirs la situation économique si gravement compromise de notre grand port africain ? Quelle extraordinaire insouciance, quelle coupable apathie président aux destinées de Bizerte! Ne semble-t-il pas que le mot d’ordre est le « boycottage » par l’indifférence, de cet admirable port; cet état de choses ne peut se prolonger sans risquer d’annihiler sans retour, le merveilleux effort de la France à Bizerte par ses nationaux et son argent, les conséquences en seraient redoutables.

La Tunisie est un pays très riche, nul ne le conteste, l’état de ses finances en fait foi (1), alors d’où vient cette anomalie que Bizerte le plus beau port de Tunisie n’a pris aucun développement, est resté, « atrophié » si je puis m’exprimer ainsi dans ce pays si prospère.

Il y a évidemment des causes et je vais les rechercher.

(I) L’exercice 1907 du budget-tunisien se solde par un excédent de recettes de huit millions

774.805 fr.

Lors du commencement des travaux du port de guerre de Bizerte par la Marine, parallèlement sur une des deux rives, à l’entrée de l’immense lac intérieur, une ville française surgissait comme par enchantement, c’était une nuée de Français, pleins d’enthousiasme qui s’abattit sur toute la région suivant la France dans sa fortune, MM. Hersent et Couvreux créèrent un port de commerce, ils n’eurent pour cela qu’à améliorer la situation naturelle privilégiée de Bizerte qui, avec sa grande profondeur d’eau, en un point des mieux abrités sur la route de tous les navires allant de Suez à Gibraltar, leur permirent de concevoir à juste titre, les plus légitimes espérances.

A vol d’oiseau, Bizerte avait, l’aspect d’une vaste fourmillière où s’utilisait l’ardeur du génie français.

Quelles causes ont donc pu venir briser l’élan de nos compatriotes et réduire à rien un des plus beaux ports du monde qui, s’il eût été Anglais, Allemand, Belge ou même… Chinois, serait à l’heure actuelle dans une prospérité certaine.

Ces causes, je vais les énumérer les unes après les autres. En 1894, une concession spéciale des ports de Tunis, Sousse et et Sfax, qu’accorda le gouvernement Tunisien, à une puissante compagnie, fût le point de départ de la crise économique de Bizerte. Le gouvernement Tunisien accorda une garantie à la compagnie concessionnaire moyennant le partage des bénéfices jusqu’à la concurrence d’un certain bénéfice net et l’abandon du surplus à l’état Tunisien.

Par cette concession, le gouvernement Tunisien était amené à favoriser le développement des trois ports Tunis, Sousse, Sfax même au détriment de Bizerte qui avait une concession sans garantie, c’était conséquemment contrecarrer l’oeuvre de la France à Bizerte.

Cette première erreur d’avoir créé un port à Tunis, que sa situation géographique, à l’extrémité d’un étroit chenal de 12 kilomètres, continuellement obstrué par les vases, ne permettait de réaliser qu’imparfaitement devait en amener d’autres toujours au détriment de Bizerte.

Après les ports, suivit la construction des chemins de fer, ce fut Tunis, Sousse, Sfax, qui drainèrent à elles les produits du sol Tunisien, en particulier les riches gisements de phosphates du Sud; Bizerte n’ayant qu’une ligne la reliant à Tunis et cette -dernière absorbant tout le trafic, notre grand port africain était encore une fois sacrifié. M. Boudenoot, sénateur, alors rapporteur du budget de la Tunisie pour donner une compensation à Bizerte qui venait d’être frustrée des phosphates, écrivait dans son rapport :

Rapport Boudenoot

« Les minerais des Nefzas et les gisements de calamine de la région fourniront — l’engagement en est pris — au port de Bizerte, un trafic annuel de 62.000 tonnes ; il viendra s’y ajouter, dans un avenir prochain, un tonnage quatre à cinq fois plus considérable encore, lorsqu’on mettra en valeur les richesses minérales aujourd’hui reconnues près de la frontière d’Algérie, et qui se trouvent dans la zone d’attraction de Bizerte. Cette ville aura donc bientôt ce qu’elle désire justement, je le répète, c’est-à-dire un grand port commercial à côté de son grand port militaire ; et je ne suis pas de ceux qui disent qu’ils ne peuvent exister à côté l’un de Fautre. C’est possible, sinon partout; du moins à Bizerte mieux qu’ailleurs, et j’en tombe d’accord avec l’amiral Merleaux Ponty, qui dirige les importants travaux entrepris là-bas, grâce à l’étendue et aux ressources multiples que présente sa merveilleuse rade intérieure ».

Il y avait là, comme on le voit, une promesse officielle du gouvernement de la métropole envers Bizerte, de donner à ce port les minerais de fer d’Ouehza de la frontière d’Algérie-Tunisie.

Bizerte. forcée de se contenter de cette promesse en réclama son exécution dans les délais les plus rapides. Mais cette compensation à Bizerte fit surgir une nouvelle compétition qu’on ne soupçonnait pas. Bône qui ne songeait nullement à l’Ouenza, trouvant qu’il lui serait bien plus avantageux que ces-minerais fussent dirigés sur son port plutôt qu’à Bizerte, s’y opposa et fit valoir une question de frontière, déclarant que la mine d’Ouenza étant sur la frontière Algérienne, ses minerais devaient avoir comme port de débouché un port Algérien ! (1). Argument de bien peu de valeur au moment où il est question de suppri mer la frontière douanière d’Algérie-Tunisie et que détruisent d’autre part des précédents contraires.

(I) Nous savons que le Syndicat d’exploitation du Djebel-Ouenza a insisté auprès du Gouvernement algérien sur l’avantageconsidérable qu’il y aurait à diriger les minerais sur Bizerte, et il Offrait pour cela au gouvernement algérien une redevance de o fr. 50 à I fr. par tonne extraite.

Différentes commissions, des ingénieurs, étudièrent le tracé de la voie ferrée qui devait relier l’Ouenza à Bône, et Bizerte allait encore être frustrée de ce fret de retour promis, indispensable aux navires qui apportent le charbon pour le ravitaillement de nos escadres, à son port de commerce, aux fonderies qu’il faut créer, etc., etc., en un mot à la défense nationale.

Fort heureusement, tout récemment à la Chambre, un incident a surgi d’une façon très opportune pour démolir ce plan absurde antinational, uniquement inspiré que par des intérêts particuliers. C’est à l’intervention de MM. Jaurès et Zévaès, qui signalèrent le danger que nous devons d’avoir évité un malheur irréparable ! En effet, par l’association Schneider-Krupp, l’Allemagne mettait la main sur l’Ouenza, une des mines de fer les plus riches du monde, et l’on deviné quel usage elle aurait fait de ses minerais ! Cela lui eût servi à fabriquer des armes contre la France. C’était aussi construire absolument inutilement un chemin de fer de 231 kilomètres de l’Ouenza à Tébessa-Souk-Ahras-Bôné en pays très accidenté et qui reviendrait à un prix considérable à la compagnie concessionnaire, augmentant dans de grosses proportions les prix de la tonne de minerai à l’industrie française, or, pourquoi ce chemin de fer quand il y en a un autre qui est sur le point d’être achevé et qui, partant de Nebeur, point distant de quelques lieues de la mine d’Ouenza-aboutira à Bizerte, où ces minerais sont si nécessaires à cette place forte réduit de la défense de l’Afrique du Nord.

Que va-t-on faire maintenant ?le dernier mot est au Parlement et je ne doute pas qu’il ne se range du côté de la défense nationale.

La question de Bizerte port de commerce étant étroitement lié à la défense de cette place, je vais exposer les avis des sociétés ou des personnes compétentes qui se sont nettement prononcées pour Bizerte et la Défense Nationale.

Citons :

1° Le voeu émis par la « Société des Etudes coloniales et Maritimes » La Société des Etudes Coloniales et Maritimes, ayant mis à l’étude, sur la proposition de M. Paul Bonnard, la question de Bizerte port de sortie des minerais de fer de Djebel-Onenza, après une délibération qui a occupé plusieurs séances, et à laquelle ont pris part, entre autres membres du Conseil, MM. le Myre de Vilers, le duc de Bassano, Rueff, Auguste Moreau, Basse, Dreyfus-Bing, Prince, Paul Bonnard, le baron de Cambourg, Dumesnil, Bouquet de la Grye, etc.; sur un rapport imprimé du baron de Cambourg, a émis, dans sa séance du jeudi mars 1903, présidée par M. Bouquet de la Grye, le voeu suivant rédigé par M. Dumesnil, secrétaire général de la Société.

La Société des Etudes Coloniales et Maritimes, considérant,

a) Que l’exploitation des minerais du Djebel-Ouenza n’atteindra tout le développement désirable que si l’on peut les transporter économiquement à un port d’accès facile où ils pourront être facilement embarqués ;

b) Que la ligne Tébessa-Souk-Ahfas-Bône, qui pourrait les conduire au port de Bône, est déjà encombrée et devrait être doublée ;

c) Que le tracé de la voie ferrée qui pourrait les mener à Bizerte serait à l’abri des tentatives de l’ennemi et aurait, par là même, une valeur stratégique supérieure à celle de la Medjerdah ;

d) Que les rampes qui existent entre Djebel-Ouenza et Bône ou Philippeville atteignent dix-huit ou vingt-trois millimètres, alors que, vers Bizerte, elles ne dépasseraient pas dix millimètres ;

e) Que le fret des minerais du Djebel-Ouenza attirerait à Bizerte les bateaux charbonniers qui vont maintenant à Malte; qu’en retour de ces minerais, Bizerte recevrait le charbon nécessaire à la défensenationale, au commerce et aux établissements métallurgiques projetés; que ce charbon serait sans *cesse renouvelé ;

f) Qu’un important dépôt de charbon pourrait aider à créer à Bizerte un vrai port de commerce avec une zone franche ; que ce port de commerce serait au service du port de guerre pour le ravitallement, la main-d’oeuvre, les réquisitions, etc. ;

g) Que l’accroissement du commerce et la possibilité de créer des établissements métallurgiques à proximité de l’arsenal augmenterait considérablement nos ressources et nos moyens d’action ;

. Emet le voeu :

Que les pouvoirs publics examinent s’il ne serait pas nécessaire, au point de vue de la défense nationale, de diriger sur Bizerte les minerais du Djebel-Ouenza.

Ce voeu a été adressé aux Ministres de la Guerre, de la Marine, des Affaires étrangères et des Travaux publics.

2° Lettre du général Pendezec, chef d’état-major général

Monsieur l’Ingénieur en chef, par lettre du 1er juin dernier, vous avez bien voulu me transmettre, avec avis favorable, le texte d’un voeu émis émis par la Société des Etudes Coloniales et Maritimes, dans sa séance du 9 mai dernier, relatif à une ligne de chemin de fer qui amènerait à Bizerte les phosphates de Thala. En vous remerciant de cette communication, j’ai l’honneur de vous faire connaître que j’ai déjà appelé l’attention de M. le Ministre des Affaires étrangères sur la création des voies ferrées tunisiennes qui favoriseraient l’organisation militaire de la place et du port de Bizerte-

Je suis tout disposé, d’ailleurs, à donner mon approbation à toutes les études qui seront entreprises dans ce but.

Recevez, Monsieur l’Ingénieur en chef, les assurances de ma considération très distingué.

3° Extrait d’une conférence de M. L. Saignes à la Société de Géographie .

sous la présidence de M. Henrique, député

On vient de découvrir sur la frontière d’Algéi ie et de Tunisie, au Djebel-Onenza, un territoire minier. Il s’agit de minerais de fer que les reconnaissances faites représentent comme d’une richesse presque illimitée. En tous cas, il semble bien que les minerais dé l’Ouenza peuvent donner au moins trois cent mille tonnes par an au port do sortie. Or, ce port de sortie ne saurait, pratiquement, être autre que Bizerte. Il y a un chemin de fer d’exploitation à construire : les rampes ne seront que de dix millimètres vers Bizerte ; elles seraient de dix-huit et de vingt-trois vers Bône et Philippeville.

Les hommes les plus compétents, du reste, se sont prononcés sur ce point. M. le sénateur Boudenoot^jnembre de la Commission parlementaire des Chemins de fer tunisiens, récapitulant les éléments de frêt qu’il s’agit de fournir à Bizerte, qui lui sont dûs et qui ne pourraient plus lui être enlevés que par la plus absurde des conspirations d’intérêts, comprend, au nombre de ces éléments, avec les minerais des Nefzas, ceux de l’Ouenza, pour lesquels il reconnaît qu’un engagement a été solennellement pris ( Voir la Revue Politique et Parlementaire du 1er octobre 1902).

Ces minerais de l’Ouenza, arrivant à Bizerte, serviraient de fret de retour aux bateaux charbonniers qui auraient apporté de Cette, par exemple, des charbons de Bessèges ou de la Grand’Combe et aussi à ceux venant de Cardiff, avec du charbon anglais, vrai charbon de vitesse, du steam coal.

M. Paul Bonnard, traitant, dans le Bulletin des Etudes Coloniales et Maritimes, la question qui nous occupe, regarde même comme possible, avec l’excédent non employé en fret de retour de ces abondants minerais, d’entreprendre la métallurgie du fer à Bizerte. Il fait valoir que des établissements métallurgiques y trouveraient une clientèle toute prête : à savoir notre camp retranché de l’Afrique du Nord et le port de commerce qui se créerait naturellement, forcément, même, à côté de lui. Cette vue me semble parfaitement réalisable.

Résumons :

I. — Pour avoir Bizerte efficace, il y faut beaucoup de charbon sans cesse renouvelé.

II. — Pour y avoir beaucoup de charbon, il faut que les bateaux transporteurs y trouvent du frêt de retour.

III.—Pour pouvoir y offrir du frêt de retour à des charbonniers, il faut y disposer constamment d’une grande quantité de marchandises lourdes, dans l’espèce de minerais.

IV. — Enfin, pour disposer de grandes et régulières quantités de minerais sur les quais de Bizerte, il faut que les régions minières du voisinage, notamment celles de la frontière d’Algérie, et plus particulièrement encore celles de l’Ouenza, soient reliées à Bizerte directement par une voie ferrée. Si j’en crois les journaux de Bizerte, un syndicat métallurgique se serait déjà constitué, qui serait prêt à entreprendre l’exploitation des mènerais dont il s’agit, à la seule condition qu’on lui permît de construire ce chemin de fer à ses frais, risques et périls.

Maintenant, le point sur lequel il importe que l’opinion publique se prononce avec la dernière énergie, le principe sur lequel il ne faut plus admettre de transaction et pour la défense duquel j’ai cru devoir aujourd’hui payer de ma personne et faire ma première conférenceest celui-ci: aucun tracé de ligne ferrée ne doit, être voté, susceptible d’enlever au port de Bizerte tout ou partie des minerais de la région. Par contre, les tracés ou raccordements, destinés à amener les minerais en question sur les quais de notre grand port de guerre, doivent être votés d’urgence. C’est la condition.sine quâ non de son efficacité militaire, je crois l’avoir démontré. A la suite de cette conférence, un voeu a été émis, tendant à ce que les pouvoirs publics n’approuvent aucun tracé de ligne ferrée, susceptible d’enlever au port de Bizerte tout ou partie des minerais de la région, lesquels doivent servir de fret de retour en échange des quantités très importantes de charbon nécessaires à l’approvisionnement de ce port.

En outre, la question de la création d’un port de commerce et d’une zone franche à Bizerte doit être mise à l’étude immédiatement par les pouvoirs publics, afin de se trouver résolue dès que les circonstances rendront cette création possible.

Le bureau s’est chargé de transmettre ce voeu à qui de droit.

4° Extrait d’une Conférence de M. Duportal, ingénieur du Bône et Guelma, inspecteur général des Ponts et Chaussées — Etudes algériennes « Ne nous inquiétons donc pas de Ces querelles entre Capulets de Bône et Montaigus de Tunisie, et ne nous plaçons dans l’examen de cette question comme de toutes les autres, qu’au point de vue français.

« Je crois que l’on n’exploitera l’Ouenza que si l’on peut amener dans un port, dans des conditions économiques, les produits de la mine; je crois aussi qu’on ne peut pas les amener économiquement à Bône, qu’il faut les porter à Bizerte et que si la province de Constantine s’obstine, elle tuera la poule aux oeufs d’or, »

Nous sommes persuadés que lorsque l’affaire de l’Ouenza sera portée devant le Parlement, c’est encore cette thèse qui sera applaudie et ratifiée par les suffrages des représentants de.la France !

Enfin, citons encore les noms de quelques personnes des plus compétentes qui se sont prononcées pour Bizerte port de guerre et de commerce : Amiral de Cuverville, sénateur; amiral Merleau Ponty; amiral Gervais ; amiral Servan ; amiral Aubert, chef d’Etat-Major de la Marine ; amiral Bienaimé ; général Marmier ; amiral Fournier ;

M. le sénateur Boudenoot ; M. le sénateur Millaud ; M: Lockroy ; M. de Lanessan ; M. Charles Bos, rapporteur du budget de la marine.

Je crois désormais, après ceci, que la question de la juxtaposition d’un port de guerre et d’un portde commerce ne pourra plus être une arme entre les mains des adversaires de Bizerte.

Après les phosphates de Thala qui allèrent à Tunis, les minerais de fer de l’Ouenza menaçaient d’aller à Bône; Bizerte se voyant complètement déshérité, nos coriipatriotes perdirent tout espoir. L’arrivée au ministère de M. Pelletan, qui suspendit les travaux de l’arsenal de Bizerte (pour faire des économies !!!), donna le coup de grâce aux Bizertins et les faillites se produisirent journellement, c’était la-ruine!

Il faut avouer que, si nos colonies manquent de colons nationaux,, de tels exemples ne sont pas précisément pour encourager l’émigration.

J’emprunte les passages d’unelettre exprimant les sentiments d’un Français de Bizerte sur la situation de cette ville :

« On dirait qu’une vaste conspiration est tramée contre Bizerte et que la mort de cette ville est décidée en principe; Bizerte gêne tout le monde et est une robe de Nessus pour la France, c’est triste pour elle et nous qui y vivons. »

Et je pourrais en êiter encore d’autres plus graves où les responsables sont directement visés… Je préfère momentanément m’abstenir, nous verrons plus tard. Enfin, veut-on encore une preuve de l’état d’abandon dans lequel on laisse croupir Bizerte? L’éclairage de la ville est « assuré »par des lampes à pétrole qui fument et s’éteignent « au moindre souffle qui d’aventure », . Alors les rues et les quais sont plongés en pleine obscurité! Que ferait Bizerte, cité essentiellement militaire en cas de mobilisation ou de siège? Que d’inconvénients créerait à nos troupes l’absence d’un éclairage satisfaisant? Qu’attend- on pour doter Bizerte de l’éclairage électrique?

Lors du vote de l’emprunt tunisien de 75 millions, le Parlement exigea, en raison de considérations stratégiques, que la première ligne ferrée à construire en Tunisie fût celle de Nebeur-Beja-Bizerte; cette voie ferrée est en construction et, avec une autre vers Tabarka, Bizerte peut évidemment compter sur un certain trafic si, comme nous l’espérons, les deux chemins de fer aboutissant à Mateur, les mimerais et marchandises ne prennent la direction de Tunis; Mateur perd en effet 200.000 francs par an du fait de la dérivation de ses produits sur Tunis. Pourquoi ? Quant au trafic du chemin de fer Bizerte- Tabarka, il sera également scindé par la zone, d’attraction de ce dernier port! C’est ce qui nous fait désirer pour Bizerte, au doute existant en ce qui concerne le trafic de ces deux lignes, la certitude du million de tonnes que l’Ouenza extraira annuellement.

Après avoir exposé les causes générales de la crise économique très grave que subit Bizerte, je veux indiquer les moyens propres à l’enrayer, je suis-en cela complètement d’accord avec nos compatriotes de Bizerte :

1° Adduction à Bizerte des minerais de l’Ouenza, fretde retour nécessaire au ravitaillement du port en charbon, le combustible devant être sans cesse renouvelé, et plus d’activité dans la construction +des chemins de fer Nebeur et Nefzas ;

2° Création d’une usine métallurgique, fonderie pour utiliser le charbon et fabriquer les obus ;

3° Création d’un port de commerce à la baie Sébra avec tout l’outillage moderne, y compris un bassin de radoub indispensable aux navires de commerce, Bizerte étant port de refuge; commencement des travaux immédiat;

4° Fonctionnement normal de l’arsenal de Sidi-Abdalah ;

5° Création d’une zone franche pour les charbons et les marchandises permettant de concurrencer Malte qui est port franc ;

6° Une division d’escadre pour se faire caréner tous les ans et un séjour de cette escadre de quelques mois;

7° Augmentation de la garnison en troupe française, garnison qu’on a jugée notoirement insuffisante aux dernières manoeuvres. Les troupes de débarquement figurant l’ennemi s’emparèrent sans effort de Bizerte, malgé la défense acharnée de la garnison. Cette situation est alarmante. Or, les effectifs de cette place sont encore considérablement diminués momentanément par les nécessités de la campagne marocaine;

8° L’éclairage électrique de Bizerte, de son port et de la ville nécessaire à la défense nationale ;

9° Construction du palais du gouverneur, promise depuis cinq ans. Le général gouverneur de Bizerte habite une maison de bas étage incompatible avec la dignité de ses hautes fonctions ; Construction d’écoles trop étroites, du théâtre si nécessaire pour distraire nos troupes, nos colons et recevoir nos marins des escadres étrangères qui fréquentent souvent dans ce port ;

10° Entente plus étroite entre la Marine, les Affaires étrangères, la

Guerre et les Travaux publics en ce qui concerne les questions bizertines ;

11° Escale à Bizerte des paquebots des grandes compagnies subventionnées allant à Port-Saïd, Indes et Indo-Chine qui, s’ils touchaient à Bizerte, prendraient la marchandise et les passagers de Tunisie. La conférence consultative a émis un voeu dans ce sens en désignant Bizerte comme escale.

Je crois avoir exposé les principales revendications bizertines et, puisque M. le Ministre des Affaires étrangères, à une question posée

par MM. l’amiral de Cuverville et le sénateur Millaud, a pris l’engagement formel, à la tribune du Sénat, d’user de toute son autorité pour développer le port de Bizerte, nous espérons qu’il voudra bien commencer par accorder le plus tôt possible satisfaction à la vaillante population bizertine sur ces principaux points ; il le peut facilement et le Parlement l’y aidera. C’est alors et seulement que Bizerte sera vraiment en état de rendre d’une façon complète les services que peut lui demander le pays.

Bizerte forte, intangible, c’est le succès de nos armes, dans « la

guerre fatale »; ne pas préparer ce succès, c’est s’exposer à la défaite,

cela devient presque une trahison.

J’en appelle au Parlement et au Pays !

Bon Loïc DE CAMBOURG.

Secrétaire de la Société des Etudes Coloniales et Maritimes.

TONNERRE. — IMP. CH. PUYFABES   

Titre : La situation économique de Bizerte et la défense nationale devant le Parlement / Bon Loïc de Cambourg

Auteur : Cambourg, Loïc de

Éditeur : impr. de C. Puyfagès (Tonnerre)

Date d’édition : 1908

Sujet : France (1870-1940, 3e République)

Type : monographie imprimée

Langue : Français

Format : 12 p. ; gr. in-8

Format : application/pdf

Droits : domaine public

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l’homme, 4-LB57-14514

Provenance : bnf.fr

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La Tunisie au gré des conflits

Une histoire : Bizerte et la France 


4 avril 2013

Révolution d’Août

Classé sous — milguerres @ 22 h 12 min

 

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 retour à la Seconde Guerre Mondiale

 Chronologie de la Seconde Guerre mondiale

Révolution d’Août

Le nom de révolution d’Août (vietnamien: Cách mạng tháng Tám) désigne les événements faisant suite au coup de force japonais du 9 mars 1945 et allant jusqu’à la déclaration d’indépendance de la République démocratique du Viêt Nam, au matin du 2 septembre 1945. Ils se sont déroulés principalement dans le Nord du Việt Nam, de la frontière de laChine (Cao Bằng et Lạng Sơn) à Hanoï et Hải Phòng.

La révolution d’août voit la prise du pouvoir de fait par le Việt Minh, après près d’un siècle de colonisation française sur le territoire vietnamien. Cet épisode est l’un des préludes à laguerre d’Indochine.


Invasion japonaise
Contexte

En septembre 1940, l’Empire du Japon avait imposé à la France la présence de ses troupes en Indochine française. Il semble que cet accord entre le gouvernement de Vichy et le Japon ait provoqué l’embargo sur les métaux ferreux et les produits pétroliers décrété par Franklin Delano Roosevelt contre le Japon, ce qui a été l’une des causes de l’entrée de l’Empire dans la Seconde Guerre mondiale.

Le commandement japonais n’avait ni le désir ni les moyens d’assurer lui-même l’administration du pays qu’il occupait seulement comme base de départ pour l’offensive contre lesPhilippines, la Malaisie et la Birmanie à travers la Thaïlande et pour priver la Chine méridionale de la voie de ravitaillement par le chemin de fer du Yunnan.

Dans les villes, l’agitation nationaliste prend de l’ampleur, une rivalité opposant le parti Dai Viêt (nationaliste pro-japonais) au VNQDĐ (Việt Nam Quốc Dân Đảng, nationaliste prochinois, lié au Kuomintang). Le Parti communiste indochinois (PCI), créé en Chine par Nguyèn Ai Quoc, le futur Hô Chi Minh, s’est reconstitué, ses militants se regroupaient autour de leaders, comme Võ Nguyên Giáp, Phạm Văn Đồng, Hoang Van Hoang, Vu Anh et Phung Chi Kien. En mai 1941, le PCI crée la ligue Việt Minh. Dans les « hautes régions », Võ Nguyên Giáp prépare l’Armée populaire vietnamienne à partir de la brigade de propagande armée, avec l’aide du détachement 101 de l’OSS.

Coup de force de mars 1945

Après plus de quatre ans de cette coexistence franco-japonaise en Indochine, les Japonais, craignant une invasion des Alliés sur le territoire indochinois, réalisent le 9 mars 1945un coup de force, en éliminant l’administration et l’armée coloniales françaises de toute l’Indochine.

Au matin du 10 mars 1945 l’Indochine s’est retrouvée sans les Français. Les Japonais ont réussi militairement en une nuit ce que les indépendantistes vietnamiens avaient vainement tenté de faire depuis des décennies. La situation est exceptionnelle pour les nationalistes vietnamiens – qui, pour beaucoup, sont dans la clandestinité ou bien réfugiés en Chine et en Thaïlande - et leur permet d’espérer accéder au pouvoir. L’Empereur Bao Daï, après avoir reçu la visite de l’ambassadeur japonais Yokoyama, proclame le 11 mars l’indépendance de l’Annam et du Tonkin sous le nom d’Empire du Việt Nam, s’engageant dans la collaboration avec le Japon. Dès avril 1945, alors que les militaires rescapés du coup de force et les commandos français parachutés pour rejoindre les Britanniques de la Force 136 manquent de moyens pour mener des actions d’envergure, le Việt Minh reçoit l’aide des services secrets américains.

La révolution d’août 1945

Le 13 août, Hô Chi Minh décrète le soulèvement général contre les Japonais pour prendre le contrôle du pays et désarmer les Japonais avant le retour des Français : le Việt Minh réalise une série d’attaques. Le 14, les indépendantistes ont réussi à prendre un certain nombre de postes japonais dans des provinces comme Cao Bằng, Thái Nguyên ou Tuyên Quang. Le 15 août, l’Empereur Hirohito annonce officiellement la capitulation du Japon. Bao Daï tente de garder la main en déclarant vouloir maintenir l’indépendance1, mais le Việt Minh est déjà en train de prendre le contrôle de la situation. Le 17 août, les indépendantistes commencent à prendre le contrôle de Hanoi : le drapeau rouge est accroché à la fenêtre de l’opéra. Le 19, les troupes japonaises en Indochine présentent leur reddition, non pas aux Français dont les officiels sont maintenus en détention, mais au Việt Minh, livrant le lendemain aux indépendantistes les bâtiments officiels de Hanoi. Le même jour, Bao Daï lance à Charles de Gaulle « l’appel d’un ami et non d’un chef » en lui demandant de reconnaître l’indépendance; le 20, il adresse un message à Harry Truman1. Une importante manifestation manœuvrée par le Việt Minh a lieu le 19, et la population prend d’assaut le palais du gouverneur royal du Tonkin. Dirigeant une foule de 2000 à 25000 personnes, les indépendantistes parviennent à occuper les bâtiments publics, obtenant des Japonais la libération de 400 détenus et la remise des armes confisquées aux Français en mars1. En laissant au Việt Minh la maîtrise du nord du Việt Nam, les Japonais contribuent délibérément à créer une situation impossible pour la France. Des « comités populaires » indépendantistes prennent le contrôle de nombreux villages. Au sud du pays, les communistes disposent de moins d’hommes et doivent composer avec les autres partis nationalistes; les Japonais sont également plus présents militairement. Pierre Messmeret Jean Cédile sont parachutés en Indochine pour y représenter le Gouvernement provisoire de la République française, mais ils sont capturés, l’un par le Việt Minh, l’autre par les Japonais. Le 22 août, le général Leclerc, arrivé à Kandy pour préparer le débarquement de ses troupes, s’entend dire par Lord Mountbatten que Britanniques et Chinois pénètreront les premiers en Indochine2. Le même jour, le Việt Minh organise une manifestation à Saïgon, et obtient la création d’un comité provisoire exécutif du Sud Viêt Nam, où il détient sept postes sur neuf. Jean Sainteny, désigné par le GPRF pour remplacer Messmer, arrive de Chine fin août, transporté par un avion américain. Il parvient à débarquer à Hanoï, mais est rapidement isolé par les Japonais, qui pactisent avec les indépendantistes3.

Le 25 août, Bao Daï abdique et transmet le sceau impérial à un agent Việt Minh. Vo Nguyen Giap proclame la République le même jour4. Le 29 août, Hô Chi Minh fait une apparition publique à Hanoi, prenant un bain de foule et décrétant la formation d’un gouvernement dont il s’arroge la présidence et le ministère des affaires étrangères5.

Dans le courant des mois d’août et de septembre, le Việt Minh s’emploie à liquider la concurrence politique et commet de multiples assassinats, visant notamment le Parti Constitutionnaliste Indochinois, dont le chef Bùi Quang Chiêu est tué, et la secte néo-bouddhique Hoa Hao. La répression vise particulièrement les trotskistes vietnamiens, dont des dizaines sont traqués et abattus. Le 25 août, un service de Sécurité d’État est organisé à Saïgon, sur le modèle soviétique, et multiplie les arrestations. Le Việt Minh crée également un « Comité d’assassinat d’assaut », en grande partie recruté dans les rangs de la pègre, qui pratique intimidations et assassinats. Les exactions commises par des indépendantistes vietnamiens sont souvent d’initiative locale, mais l’appareil du mouvement pousse à la violence6.

Le 2 septembre, Hô Chi Minh proclame l’indépendance du pays au nom du Gouvernement provisoire de la République démocratique du Viêt Nam.

Après-coup

La situation demeure extrêmement tendue dans les mois qui suivent tandis que les troupes japonaises, encore présentes sur le territoire, demeurent l’arme au pied. Les troupes de la République de Chine investissent le Tonkin, le Việt Minh s’abstenant de résister à leur incursion. Hô Chi Minh tente sans succès de faire reconnaître son gouvernement par lesÉtats-Unis7. Une division de l’Armée des Indes britanniques pénètre fin septembre dans Saïgon et autorise ensuite les Français du 5e régiment d’infanterie coloniale à y entrer. Les Français, encore peu nombreux, ne reprennent que progressivement et imparfaitement le contrôle du pays. Des négociations complexes débutent entre Français et indépendantistes, dans un contexte de très grande tension politique. A Saïgon, le Việt Minh impose son autorité par la terreur : des personnes arrêtées sont jugées par des tribunaux populaires et exécutées d’une balle dans la nuque, ou bien ligotées en brochettes et jetées dans le Mékong8. Le général britannique Gracey tente de ramener l’ordre àSaïgon, décrétant un couvre-feu, suspendant les journaux en langue locale, ordonnant aux troupes vietnamiennes de rendre leurs fusils, et faisant réarmer les prisonniers français à l’instigation de Jean Cédile9. Dans la nuit du 22 au 23 septembre, Cédile fait reprendre manu militari les bâtiments administratifs, mettant en fuite les comités révolutionnaires. Le Việt Minh réagit en ordonnant une grêve générale.

Massacres de Saïgon

Les 24, 25 et 26 septembre 1945, des émeutes anti-françaises ont lieu à Saïgon, des éléments se réclamant du Việt Minh traquant les Blancs et les métis Eurasiens10. Des dizaines de cadavres mutilés sont retrouvés dans les rues de la ville11. A la Cité Hérault, résidence habitée par de petits fonctionnaires français, environ 150 personnes sont massacrées dans la nuit du 24 au 25 septembre : l’implication directe du Việt Minh n’est pas certaine, d’aucuns incriminant des criminels de droit commun libérés par les Japonais, ou bien des membres du Binh Xuyen, une secte liée au Việt Minh. Environ 200 personnes sont enlevées12; seuls quelques dizaines d’otages seront retrouvés, grâce à une opération commando du Corps Léger d’Intervention13. Les Britanniques s’efforcent ensuite de ramener le calme en augmentant leurs effectifs militaires, contraignant également les troupes japonaises à sortir de leur inactivité et à reprendre leurs patrouilles. Avec l’aide de volontaires, l’administration française et ses forces de police recommencent progressivement à fonctionner14.

Les accrochages se poursuivent avec le Việt Minh, jusqu’à ce que Gracey obtienne une trêve le 2 octobre. Leclerc et le gros des troupes du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient ne débarquent en Indochine que début octobre15.

Selon Jacqueline Denier, « le nombre des victimes de ces journées des 24-25-26 septembre a pu être estimé à près de 300 Français et à peu près autant de Vietnamiens »10. Un monument dédié aux victimes des 24-25-26 septembre 1945 « Morts pour la France » à Saïgon est érigé au cimetière de Nogent-sur-Marne.

Les accords Hô-Sainteny

Un coup de force communiste est redouté par les autres partis politiques vietnamiens, mais le PCI les prend de court en annonçant son auto-dissolution le 11 novembre 1945, tout en demeurant actif dans les faits sous les traits de la ligue Việt Minh. Hô Chi Minh garde ainsi la maîtrise du jeu, en évitant momentanément un conflit ouvert avec ses adversaires politiques. En mars 1946, les accords Hô-Sainteny reconnaissent le Việt Nam indépendant, au sein de l’Union française; mais ils sont rendus caducs dès le mois de juin, par la proclamation de la République de Cochinchine, sur l’instigation de l’amiral d’Argenlieu. À l’été 1946, la conférence de Fontainebleau échoue à régler le contentieux entre le gouvernement français et le Việt Minh. La situation politique débouche à l’hiver 1946 sur la guerre d’Indochine.

Notes et références

  1. ↑ a, b et c Jacques Valette, La Guerre d’Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 20
  2. ↑ Jacques Dalloz, La Guerre d’Indochine, Seuil, 1987, page 79
  3. ↑ Philippe Franchini, Les Guerres d’Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, page 204 et 225
  4. ↑ Jacques Valette, La Guerre d’Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 21
  5. ↑ Pierre Montagnon, La France coloniale, t.2 : retour à l’Hexagone, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990, p. 128-129
  6. ↑ Jean-Louis Margolin, in Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 2002, pp. 619-620
  7. ↑ Jacques Valette, La Guerre d’Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 31
  8. ↑ Jacques Valette, La Guerre d’Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 44
  9. ↑ Jacques Dalloz, La Guerre d’Indochine, Seuil, 1987, pages 81-82
  10. ↑ a et b Les massacres de septembre 1945 à Saïgon [archive]
  11. ↑ Jean-Louis Margolin, in Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 2002, pp. 620
  12. ↑ Christiane d’Ainval, Les Belles heures de l’Indochine française, Perrin, 2001, p. 291
  13. ↑ Jacques Valette, La Guerre d’Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 45
  14. ↑ Philippe Franchini, Les Guerres d’Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, page 243
  15. ↑ Jacques Dalloz, La Guerre d’Indochine, Seuil, 1987, page 85
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