Victor Young Perez
La Tunisie au gré des conflits
Ceux qui ont marqué la Tunisie
Victor Young Perez
Les gants de la mémoire
Tunis 1911 – Silésie 1945
Young Perez, de son vrai nom Victor Younki, né le 18 octobre 1911 à Tunis et décédé le 22 janvier 1945 à Gliwice(Pologne), est un boxeur tunisien parfois présenté à tort comme français.
Issu d’une famille modeste de la communauté juive tunisienne, il se passionne assez tôt pour la boxe, un sport alors très populaire dans son pays, et se lance sous la protection de son entraîneur Joe Guez. S’illustrant vite sur la scène locale, il part pour Paris où, devenu champion de France des poids mouches en battant Valentin Angelmann, il finit par affronter Frankie Genaro pour le titre de champion du monde de cette même catégorie. Sacré le 24 octobre 1931, à l’âge de vingt ans, il est accueilli en véritable héros à son retour à Tunis.
Récit Coqueluche du tout-Paris au début des années 30, le Tunisien Victor Young Perez, plus jeune boxeur sacré champion du monde, a terminé sa tragique destinée comme déporté, abattu par un SS. Et oublié par la France.
Par Thomas Goubin
Les marches de la mort, janvier 1945. Devant l’avancée des Alliés, le régime nazi ordonne l’évacuation des camps. Des colonnes de déportés décharnés marchent sous la menace des fusils allemands, dans le froid, sans relâche. Ceux qui n’avancent plus sont abattus. Comme des animaux.
Lors d’une halte dans un camp, Victor Young Perez trouve l’énergie d’aller chercher un sac de pain abandonné. Le corps de l’ancienne gloire de la boxe a conservé des bribes de résistance car le commandant du camp réservait un litre de soupe moins imbuvable à ses déportés boxeurs. Trop pressé de partager sa découverte avec ses amis, le petit séfarade n’obéit pas à l’officier. Une rafale de mitraillette vient sanctionner son refus de se placer en bout de ligne. Le champion meurt sur le bord d’un chemin de Silésie… dans l’oubli. Il faudra plus de cinquante ans pour que le pays qui l’a adulé retrouve la mémoire.
1,55 mètre et un jeu de jambes extraordinaire
En octobre 1931, la France s’enorgueillit de compter le plus jeune champion du monde des poids-mouche parmi les siens. La victoire en cinq minutes chrono de Young Perez sur l’Américain Frankie Genaro ouvre les portes de la gloire à ce petit juif tunisien, né dans le quartier miséreux de la Hara, celles d’un nouveau monde aussi.
Le soir de son sacre, 16 000 personnes acclament son 1,55 mètre au Palais des sports. A Tunis, ce sont 100 000 admirateurs qui réservent un accueil triomphal à l’enfant du pays, dont les parents tiennent une modeste boutique d’artisanat.
Invité des cabarets les mieux fréquentés, des restaurants les plus select, Young Perez est entouré de toutes les attentions, et le constructeur Peugeot fait sa réclame en lui offrant une voiture. “Il faut se remettre dans le contexte, pose l’historien du noble art Jean-Philippe Lustyk,dans l’entre-deux guerres, la boxe était le sport numéro 1 dans le monde, les boxeurs, les Kaka et Ronaldo de l’époque.”
A présent, celui qui n’était qu’un vendeur de chaussures trois ans auparavant, se rend aux soirées du Tout-Paris avec Mireille Balin au bras, jeune et belle actrice en vue, qui passera à la postérité pour son rôle dans Pépé le Moko aux côtés de Jean Gabin, bandit caché dans la casbah d’Alger.
Cap sur la France, armé de coupures de presse
Comme à peu près tout dans sa vie, le boxeur gagnera son nom de scène en combattant. A 14 ans, il intègre le Maccabi de Tunis, club omnisport de la communauté juive, où un autre débutant lui conteste son identité pugilistique. Victor Younki devient Young Perez en dominant son rival entre les cordes.
A Sfax, Bizerte ou Tunis, le frêle adolescent commence rapidement à faire admirer son jeu de jambes et à se tailler une petite réputation. Armé de coupures de journaux, l’apprenti boxeur prend le bateau pour la France, où son maigre dossier de presse ne produit pas l’effet escompté. Quand il arrive à Marseille en 1927, la vie n’a pas encore fait de cadeaux à Young Perez et il doit emprunter 200 francs à un rabbin, connaissance de son père, pour rejoindre la Ville lumière et son frère Kid Perez, champion d’Afrique du Nord poids-mouche. Kid, Young, les surnoms américains sont alors prisés des pugilistes.
Young devra patienter une longue année avant de monter sur un ring parisien. Point de départ d’une ascension fulgurante. En juin 1931, il est sacré champion de France. “Et voici le crépu Young détenteur du trophée national”, commente alors l’hebdomadaire, Le Miroir des sports. Le ressortissant du protectorat français emballe par ses succès mais aussi par son style. “C’était un grand technicien, vif, pas un puncheur”, précise Lustyk.
A 20 ans, il est sacré champion du monde. Ou plutôt à 19. Car selon Jacques Toros, qui a milité avec Me Serge Klarsfeld pour la réhabilitation du boxeur dans la mémoire du sport français, il était encore plus jeune qu’on ne l’a cru : “Sur sa fiche du camp de Drancy, la date de naissance indiquée se situe en 1912 et non en 1911, celle qui était officiellement connue, explique-t-il. En arrivant en France, il avait sans doute essayé de se vieillir pour boxer plus tôt.”
A Berlin pour la nuit de Cristal
Loin de la petite poignée de combats disputés par un boxeur aujourd’hui, c’est trois à quatre fois par mois que Young Perez tente d’esquiver les coups de ses adversaires au cœur de sa carrière. Au total, il livrera 133 combats et n’en perdra que 26, pour 92 victoires et 15 matches nuls.
“Son ascension a été démente, mais il s’est égaré dans la vie parisienne”, relève Lustyk. Délesté de son titre douze mois après son sacre, sa prise de poids le conduit à boxer chez les coqs, la catégorie supérieure. Sa première carrière prend fin un soir de défaite face au Panaméen Al Brown, sa dernière opportunité de retrouver une couronne mondiale.
Nous sommes en novembre 1934 et l’Europe est entrée dans l’escalade armée quand Young entame son déclin. Mireille Balin l’abandonne pour Jean Gabin, puis Tino Rossi. Elle traversera la guerre comme compagne d’un officier de la Wehrmacht. Le destin du petit juif tunisien se cogne au fracas de l’Histoire. Le soir de la nuit de Cristal, le 9 novembre 1938, le hasard l’envoie à Berlin. Deux jours plus tard, et un mois avant de prendre définitivement sa retraite, Young Perez doit s’incliner dans une atmosphère haineuse face à un représentant du IIIe Reich. Son dernier combat, il le livrera à Auschwitz.
Juin 43, la milice le cueille à l’hôtel Brady
En juin 1943, la milice française attend Victor Young Perez à l’hôtel Brady, 10e arrondissement de Paris. Le 7 octobre, un convoi funeste part de Drancy avec le boxeur à son bord. “Young Perez n’a pas été protégé, explique
Me Serge Klarsfeld, président de l’association Fils et filles de déportés juifs de France. Cela a contribué à rendre la France longtemps amnésique sur le sort de son plus jeune champion du monde.”
“Avec l’anniversaire de la libération des camps en 1995 et la déclaration de Chirac sur la responsabilité de Vichy, le pays a accepté la participation de son Etat dans le processus génocidaire, et le nom de Young Perez est revenu à la surface”, affine Jean-Philippe Lustyk.
A Auschwitz, l’ancienne coqueluche du Tout-Paris côtoie Primo Levi et le célèbre nageur Alfred Nakache, l’un des rares rescapés du camp d’extermination. Sur les ordres d’Heinrich Schwartz, un commandant SS fou de boxe, le retraité rechausse les gants. Une quarantaine de combattants sont sélectionnés parmi les déportés. “Au cœur même de l’implacable machine à tuer, alors que les chambres à gaz et les fours crématoires fonctionnaient sans interruption, des joutes sportives de haut niveau étaient organisées comme si de rien n’était”, relate Noah Klieger, journaliste israélien, qui côtoya Perez à Auschwitz (1).
Le dimanche est le jour consacré aux tournois. Dans un combat pour “la suprématie de la race”,Young Perez met à mal un SS poids lourds ; le déporté amaigri domine l’un de ses tortionnaires. Devant la supériorité du petit séfarade, les Allemands préfèrent arrêter le combat sur un match nul. Affecté aux cuisines les premiers mois de sa déportation, Young Perez sortait tous les jours un caisson de soupe pour ses amis, au péril de sa vie. Envoyé aux inhumains travaux de terrassement par la suite, il tentera de s’évader. Quand il entame la marche de la mort, il est l’un des 31 survivants des 1 000 déportés du convoi 60.
Deux films en préparation
“L’histoire de Young Perez, c’est celle d’un homme qui donne de l’humanité là où il n’y en a plus”, analyse Jacques Ouaniche, producteur d’un film en projet, avec Saïd Taghmaoui dans le rôle du boxeur. Un autre biopic inspiré de la vie de Young Perez se trouve dans les cartons du réalisateur Steve Suissa. Nicolas Cazalé tiendrait le rôle principal aux côtés de Laura Smet, interprète de Mireille Balin. L’ex-compagne du boxeur est morte dans la misère, sa carrière brisée par sa relation trop étroite avec l’ennemi.
Longtemps, la seule trace publique de l’existence de Young Perez s’est trouvée en Tunisie. Le stade de la mythique équipe de l’Espérance sportive de Tunis célébrait l’enfant de la Hara, avant d’être reconstruit en 1967. Dans l’Hexagone, il a fallu la longue mobilisation de Jacques Toros et des Fils et filles de déportés juifs de France pour que le boxeur soit honoré. Sur le domaine de l’Insep, l’Institut de formation des athlètes français, une salle de boxe célèbre son nom depuis 1997. Oublié trop longtemps, Young Perez a fini par retrouver sa place, au cœur de l’élite du sport français.
(1) Hayom, automne 2009.
Source article : http://www.lecourrierdelatlas.com/Sport/616072010Victor-Young-PerezLes-gants-de-la-memoire/738.html
Le combat en 1931 de Victor Perez contre Frankie Genaro qui lui valut le titre de champion du monde poids mouche.
Voici l’histoire d’un jeune Tunisien, champion de boxe, dont l’héroïsme au quotidien aida ses compagnons à supporter leurs souffrances dans les camps de la mort nazis de 1943 à 1945.
Ces dernières paroles :
« Je veux bien courir pour boxer, mais je déteste marcher ».
Les dictionnaires sportifs français se contentent de dire sèchement ceci: « Victor Young Perez, boxeur né à Tunis le 18 octobre 1911, eut une carrière inégale, mais accéda aux plus hauts honneurs. Champion de France poids plume, aux dépens d’Angelmann en juin 1931, il obtient huit jours après son vingtième anniversaire, la chance suprême, un combat pour le titre mondial. Battant l’Américain Frankie Genaro par Ko. à la deuxième reprise à Paris, il devient champion du monde poids mouche. Un an plus tard, il est battu par J. Brown à qui il laisse le titre. Le 1er novembre 1934, il a une nouvelle chance, mais face au fabuleux Al. Brown, surnommé « l’ange du ring », le jeune coq nord-africain est battu sur le ring du belvédère de Tunis. Perez termine sa carrière en 1941. Il meurt en déportation ..
Si Victor Pérez fut certes un grand champion, les dictionnaires omettent de mentionner sa conduite héroïque jusqu’à sa fm tragique.
Le témoignage direct d’un ami de Victor Pérez, Salomon Aroch, nous permet de remédier à cette lacune. Laissons¬lui la parole:
»J’ai rencontré Victor Pérez surnommé Young, parce qu’à trente ans, il en paraissait toujours vingt, à Auschwitz Birkenau dès mon arrivée au camp de la mort en janvier 1943. Il continuait à s’entraîner dans une salle et était sûr de reprendre son titre mondial « dès que toutes ces petites conneries seront finies » disait-il en souriant naïvement. Le commandant du camp dirigeait à la cravache un groupe de boxeurs qu’il faisait combattre pour accroître son prestige personnel et obtenir une promotion politique. Ces sportifs-esclaves, dignes de ceux de la Rome Antique, avaient droit, lorsqu’ils avaient gagné, à un litre de plus de soupe que les autres déportés ! » Gagne ou crève nous lançaient les Allemands « . Pour nous, la boxe était un sursis avant la mort. Nous étions encouragés, protégés, par ce sacré Pérez qui se multipliait pour nous aider à tenir moralement. Il donnait l’exemple en tapant comme un fou sur le sac de sable et en faisant des projets pour lui et pour nous. De plus, Pérez s’occupait d’améliorer notre nourriture. Je le revois toujours, soulevant les énormes chaudrons de la cuisine où il développait une énergie, une abnégation incroyables. C’était vraiment la bonne étoile de tous les prisonniers, toujours souriant ou blaguant, malgré les terribles migraines qui le harcelaient, suite aux tortures qu’il avait subies, à cause de sa tentative d’évasion malheureuse. Son corps était meurtri, perdu pour le sport, mais l’âme était intacte.
Il arrivait souvent à tromper la vigilance des SS pour aller soigner ou donner à manger à un malade. Ainsi, il parvenait à préparer tous les jours, par un ingénieux système personnel, mais au péril de sa vie, un caisson de 50 litres de soupe qu’il distribuait à l’arrière des cuisines, juste avant le couvre-feu. Une manne inespérée pour des dizaines de types entre la vie et la mort. Mais je crois que c’est aussi son enthousiasme communicatif qui nous transmettait la flamme, le courage de lutter. Après la distribution de la soupe, il nous lançait gravement: » à demain soir, même heure, même endroit, et vous avez intérêt à être là, sinon … » Et pendant des mois et des mois, même en plein hiver, notre sauveur fut tous les soirs fidèle au rendez-vous de la fraternité totale. Hélas, en janvier 1945, fuyant l’avance des Russes, les Allemands se replient vers l’Ouest avec les prisonniers des camps. Sur les routes gelées de Silésie, commença une marche de la mort, un calvaire de jour et de nuit. Nous perdîmes de vue Pérez une nuit. A Gleiwitz, village frontalier, alors que nous étions à bout de forces, prêts à nous jeter à terre et à nous laisser mourir, nous rencontrâmes notre incroyable Victor Pérez. Il nous fit littéralement ressusciter par son apparition inespérée. Chargé comme une bête de somme, avec des airs de conspirateur génial, il nous glissa « Eh! les Marathoniens, j’ai pu avoir du pain pour tout le monde. On peut tenir plusieurs jours, ne vous faites pas de souci ! « .
Puis, il fallu reprendre la marche vers l’Ouest. Les Russes approchaient. Hélas, Victor était à bout. Il avait donné toutes ses forces pour les camarades et il n’en avait pas gardé pour lui. Il se laissa traîner en queue de la colonne. Les SS avaient pour ordre d’abattre les retardataires. Dans un ultime effort désespéré, Victor tenta de nous rejoindre, alourdi par son sac de pain qu’il ne voulait lâcher à aucun prix malgré nos exhortations. Une rafale de fusil mitrailleur le coucha dans la neige. Sur ce tapis blanc, il tomba lentement et son sang coula sur ce sac de pain qu’il n’avait pas voulu lâcher jusqu’à la dernière seconde. Je pris sa tête dans mes mains. Il souriait encore en murmurant : « Je veux bien courir pour boxer, mais je déteste marcher ».
Son visage était toujours celui d’un jeune homme, naïf et enthousiaste. C’était le 22 janvier 1945. Nous perdions notre ange gardien. Notre soleil d’Auschwitz s’éteignait, alors que le monde se libérait. En reprenant notre marche, nous levâmes tous notre regard pour découvrir si quelque chose avait changé dans le ciel noir.
Le soir, au camp, déchirés par cette fin affreuse, nous vîmes soudain entrer un soldat allemand; tête basse et sans un mot, il déposa le sac de pain… Victor Young Pérez avait ainsi gagné son ultime combat. Nous mangeâmes ce soir-là un pain à nul autre pareil. Quarante-cinq ans après, son goût est encore dans ma bouche. Nous avions enfin compris tout le sens merveilleux de la Cène du Christ et des apôtres. Depuis quarante-cinq ans, une moitié de notre âme reste glacée d’effroi, mais l’autre moitié brûle d’amour ! »
Telle fut la fin de vie émouvante et exemplaire de ce jeune Nord-Africain, que l’on ne trouve dans aucun dictionnaire, ni livre d’histoire. Elle méritait, grâce à ce témoignage vécu, d’être connue et présentée comme un magnifique exemple d’abnégation et de fraternité.
Odette Goinard,
d’après Roland Hernandez Auvray
L’Echo du Sud. Six-Fours (Var),
février 1991.
Source : http://www.memoireafriquedunord.net/biog/biog05_perez.htm
Club pugilistique du Maccabi à Tunis en 1923 avec Joe Guez en pull-over blanc
Sources
wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Young_Perez
http://www.lecourrierdelatlas.com/Sport/616072010Victor-Young-PerezLes-gants-de-la-memoire/738.html
http://www.memoireafriquedunord.net/biog/biog05_